Steve Noble, Kristoffer Berre Alberts : Coldest Second Yesterday (Clean Feed, 2016)
Si Eddie Prévost marquait ces dernières années les esprits avec sa série de Meetings with Remarkable Saxophonists, un autre percussionniste que lui – Steve Noble, pour tout dire – n’a pas à rougir des dernières pièces ajoutées à sa collection de souffleurs : ainsi ce collaborateur régulier de Peter Brötzmann frayait-il récemment avec Akira Sakata (Live at Cafe Oto), Martin Küchen (Night in Europe), Stefan Keune (Fractions) ou encore Julie Kjær (Dobbeltgænger).
Sur ce concert d’un peu plus d’une demi-heure donné à Oslo en 2015, c’est en duo avec Kristoffer Berre Alberts qu’on pourra l’entendre. S’il ne réussit pas vraiment à intéresser au sein du Cortex qu’il forme par ailleurs (dont Clean Feed a publié deux disque déjà : Live! et Live in New York), le saxophoniste démontre là d’un tempérament certain : ainsi, aux claques et rebonds de son aîné, répond-il par des phrases qui, sur un axe aylero-parkérien – soit : perturbé, que l’allure soit lente ou vive, par des trémolos et des secouements – sont capables d’une expression franche. A surveiller, donc.
Steve Noble, Kristoffer Berre Alberts : Coldest Second Yesterday
Clean Feed / Orkhêstra International
Enregistrement : 4 août 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Animal Settlement 02/ Inclination 03/ Order Left Behind
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Julie Kjær : Dobbeltgænger (Clean Feed, 2016)
On avait pu entendre (ou chercher) Julie Kjær dans le Large Unit qu’emmène Paal Nilssen-Love et dans le London Improvisers Orchestra. Il lui aura donc fallu s’extraire de deux grands ensembles pour, le 13 janvier 2015 au Vortex Jazz Club, enregistrer en trio avec John Edwards et Steve Noble – l’expérience n’est pas seulement occasionnelle puisque l’association a pris le nom de Julie Kjær 3.
Dobbeltgænger, l’enregistrement dudit concert, expose donc la saxophoniste pour la première fois (semble-t-il) en meneuse ; et en plus de donner à entendre de quoi retourne son jeu d'alto, présente cinq de ses compositions personnelles. Qui révéleront de Kjær un goût certain pour la répétition de motifs – plusieurs font la substance d’Out of Sight –, un faible pour les marches goguenardes (Dear Mr. Bee) et une habile pratique de l’entrechat voire du ricochet.
De quoi satisfaire la paire Stevens / Noble qui, avant même d’accompagner, sait entendre : ainsi, le contrebassiste soutient à l’archet la mélodie grave du morceau-titre quand le batteur atténue la syncope d’Alto Madness à coups de gestes délicats. Et si Kjær adresse en plus un clin d’œil à Jackie McLean et John Jenkins, alors…
Julie Kjær 3 : Dobbeltgænger
Clean Feed / Orkhêstra Internationa
Enregistrement : 13 janvier 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Out of Sight 02/ Face 03/ Alto Madness 04/ Pleasantly Troubled 05/ Dear Mr. Bee 06/ Dobbeltgænger
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sebastian Lexer, Steve Noble : Muddy Ditch (Fataka,2016) / Stefan Keune, Dominic Lash, Steve Noble : Fractions (NoBusiness,2015)
Les deux pièces à trouver sur ce disque ont été enregistrées au même endroit (Café Oto) mais à deux ans et demi d’intervalle. Assez pour que le duo qui les a improvisées, Sebastian Lexer et Steve Noble, modifie son propos.
En 2011, le piano+ de Lexer est certes déjà une machine à sons contrariés, de graves qui rôdent en cordes qui tremblent, et la ponctuation de Noble assez expressive pour les mettre en valeur et même les développer. Un léger tintement, répété, peut ainsi stopper le patient polissage auquel s’adonne un Lexer qui multipliera ensuite les clusters démonstratifs. Mais ce sont les mois qui passent qui changeront véritablement la donne.
Ainsi, en 2014, l’emportement romantique qui parfois gagnait Lexer s’est effacé derrière des plaintes et des chants sortis d’une recherche plus méticuleuse. C’est le silence qui, cette fois, rôde et impose là sa mesure ; en réponse, Noble brusque sa frappe et, étrangement, la soigne dans le même temps. Voilà pourquoi Muddy Ditch est un beau document : il atteste l’évolution d’un duo d’improvisateurs affairé, certes, mais concerné encore par son sujet.
Sebastian Lexer, Steve Noble : Muddy Ditch
Fataka
Enregistrement : 25 octobre 2011 & 18 juin 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Pool 02/ Loess
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Un saxophone – qui pourra d’abord évoquer le ténor de John Butcher – monte tandis que, déjà, tonne un tambour (c’est encore Steve Noble). L’atmosphère passera pour « remontée » si l’archet de contrebasse (c’est Dominic Lash) ne tempère le jeu du trio. Stefan Keune (John Russell ou Paul Lytton jadis pour partenaire), lui, passe de ténor en sopranino. Son jeu est « rentré », qui rappelle aussi parfois celui de Paul Dunmall, manque peut-être de singularité, mais s’écoute néanmoins avec plaisir.
Stefan Keune, Domini Lash, Steve Noble : Fractions
NoBusiness
Enregistrement : 26 novembre 2013. Edition : 2015.
LP : A1/ Two Far A2/ Cuts A3/ A Find – B1/ Let’s Not B2/ Mélange
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow / Küchen, Berthling, Noble : Night in Europe (NoBusiness, 2015)
En plus de donner à entendre une sonorité particulière aux saxophones (la sienne propre, ici au ténor et au soprano), on reconnaîtra à Martin Küchen l’élaboration méticuleuse d’un corpus capable de servir différentes formations.
Le trio qu’il forme avec Jon Rune Strøm à la contrebasse et Tollef Østvang à la batterie – soit: deux tiers d’Universal Indians – interprétera ainsi deux fois cet air qu’il servait encore récemment en All Included: Satan In Plain Clothes. En introduction du disque (dans les graves comme dans les plus aigus, le thème est le même, que Küchen répète et fait plier afin qu’il respecte l’allure de ses deux partenaires) et en conclusion aussi (seul plage dispensable des sept que compte le disque, question de « batterie rock »).
Presque autant que le solo, le trio convient à Küchen : sous l’orage, il convainc ses partenaires de trouver refuge dans un sillon grave (I’ve Been Lied To) ; sous l’averse seulement, il feint le free ancien (Three Courses) ou relativise un thème plus désinvolte (Melted Snow, précisément). Et lorsqu’il parvient à faire disparaître son alto dans un paquet de cordes (Stein) alors le trio fait son affaire : Melted Snow, justement.
Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow (NoBusiness)
Enregistrement : 9 avril 2014. Edition : 2015.
LP : A1/ Satan in Plain Clothes (Breakdown) A2/ I’ve Been Lied To 03/ Tune for Martin – B1/ Melted Snow B2/ Three Courses B3/ Stein B4/ Satan in Plain Clothes (Beat Up)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sous cette pochette grise qui rappelle les noirs d’Odilon Redon, Martin Küchen se fait entendre en concert : 15 et 16 décembre 2014 au Glenn Miller café en compagnie de Johan Berthling et Steve Noble. Sur cymbales et cordes graves, le duo d’accompagnateurs sait attiser le jeu du saxophoniste : faussement contrarié, abrasif ensuite, Küchen répond avec un à-propos qui rehausse de déjà beaux éclats de batterie et d’impressionnants solos d’archet. Ainsi le trio fait-il concurrence, sans pour autant lui faire d’ombre, à celui de Melted Snow.
Martin Küchen, Johan Berthling, Steve Noble : Night in Europe (NoBusiness)
Enregistrement : 15 & 16 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Night in Europe 1 02/ Night in Europe (again) 03/ Night in Europe 02
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #20
C'est avec la violoncelliste Hannah Marshall que Jacques Demierre et Urs Leimgruber ont donné, le 7 octobre dernier avant un duo Brötzmann / Noble, un concert aux Instants Chavirés, certes déplacés au Théâtre Berthelot de Montreuil...
7 octobre, Montreuil, France
Instants Chavirés (au Théâtre Berthelot)
Im Frühjahr 2000 bietet mir Thierry Schaeffer vom Instants Chavirés in Co-Produktion mit Dominique Répécaud von Musique Action Vandouevre-les-Nancy eine Carte Blanche für ein neues Projekt an. Zu diesem Anlass formiere ich das Trio zusammen mit Barre Phillips und Jacques Demierre zum ersten Mal. Im April 2000 spielen wir im Instants Chavirés in Montreuil und am CCAM in Vandoeuvre-les-Nancy. Seitdem existiert das Trio Leimgruber-Demierre-Phillips. Seitdem hat die Gruppe weltweit mehrere hundert Konzerte gespielt. Während dieser Zeit sind fünf verschiedene CD’s entstanden, die die Musik des Trios auf diversen Labels dokumentiert.
Nach mehr als 15 Jahren findet nun heute zu diesem langjährigen Bestehen des Trios ein Doppel-Konzert zusammen mit dem Duo Peter Brötzmann und Steve Noble im Théâtre Berthelot in Montreuil statt.
Im grossen Theater Saal eröffnen wir mit dem Video von Barre Phillips das Konzert. Im dritten Teil spielt das Trio mit Jacques Demierre, Hannah Marshall und mir zum Video zusammen mit Barre. Anschliessend spielt das Trio einen langen Set mit verschiedenen Sequenzen - zwischen Stille und Explosion. Viele Freunde und Liebhaber der freien Improvisation sind da. Die trockene Sprechakustik des Theatersaals fordert uns Musiker bis über die Grenzen. Nach einer Pause spielt Peter Brötzmann und Steve Noble im Duo einen krafvollen und epischen Dialog. Das Publikum ist begeistert.
U.L.
Si les deux derniers feuillets du Carnet de route sont traversés par une interview autour de l’expérience du sonore - et le feuillet suivant le sera également - la rencontre avec un nouvel instrument, un nouveau piano, ne relève pas moins d’une situation conversationnelle. Dès mon entrée sur le plateau, en le découvrant, je m’engage dans une conversation avec le Bösendorfer numéro 34460, Wien, du théâtre Berthelot de Montreuil, en ayant comme interlocuteur un objet sonore total. J’écoute son discours clair, porteur du sens pianistique traditionnel, mais je cherche aussi à mettre à jour toute la masse des événements sonores “parasites”, son accent viennois, ses bégaiements, ses moindres soupirs, ses possibles et inévitables hésitations ou autres ratés et bruits...Je vise sa facture et ses dimensions résolument concrètes et matérielles, je recherche autant la fluidité de son discours que les résidus les plus physiques de son expression. Entre l’instrument et le musicien, comme entre le musicien improvisateur et le public, doit s’instaurer un sentiment de confiance, une sorte de micro-société, comme le disait AG précédemment, faite de respect et de partage entre individus qui sont là pour vivre communément quelque chose…
JD- Je pense que la situation est différente, si on parle d’une expérience d’écoute qui va se réaliser, donc par exemple ce qui peut se passer avant les concerts en tant que musicien, on prend possession des lieux, on rencontre les techniciens, on regarde comment est le piano, on bouge un peu les instruments en fonction de l’acoustique du lieu, on s’accorde en fonction du lieu, on se positionne, on joue un peu ensemble, on tâte le terrain, on essaie de toucher légèrement les conditions de l’expérience sonore à venir, sans les toucher rééllement, bien sûr car il manque une condition fondamentale, le public, il manque un certain nombre d’oreilles qui vont participer à leur manière à cette performance. C’est pour moi une seule et même performance où tout le monde est réuni, mais impossible de savoir ce qui va se passer, je ne suis pas alpiniste, mais je me sens tester la roche, voir si c’est friable, ici oui, là non, on dirait que ça va tenir, mais cela va-t-il tenir un quart d’heure ou vingt minutes, ou au contraire cela va-t-il céder après le premier son? En anglais on dit sound check, on vérifie le son, en français on dit plutôt balance, avec cette idée d’équilibre, de s’équilibrer soi-même et avec le lieu, et de l’autre côté, avec la vérification, le contrôle, il a cette idée de mettre à l’épreuve le lieu afin d’y voir ce qu’on peut y faire, de s’assurer d’une certaine réalité purement physique, on sait qu’on ira plus loin durant le concert, mais il y aura eu ce travail de la mise à l’épreuve des différentes conditions qui vont permettre l’expérience du son. Sans qu’on puisse évidemment prévoir quoi que ce soit…l’expérience du son en amont nous échappe et en aval elle nous échappe aussi, puisqu’elle n’existe plus, elle n’est plus dans ce temps là, l’expérience du son est une chose complète en tant que telle, elle n’a pas besoin d’être expliquée…évidemment on cherche toujours à comprendre comment elle se situe dans un contexte plus large… Ce qui me paraît intéressant grâce à l’observation, c’est de voir comment le contexte se retrouve modifié par sa propre mise à l’épreuve dans le cadre d’une expérience d’écoute, le contexte s’en est-il trouvé réellement changé? Le public, les musiciens ont-ils modifié leur manière d’écouter? Il s’est passé quelque chose mais on ne sait pas ce qui s’est passé, à travers cette mise à l’épreuve sonore on ne peut ensuite que constater sur nous les traces de cette expérience, comme si nous étions nos propres paléo-anthropologues, on va retrouver des traces, mais sans jamais arriver à reconstituer la totalité de cette expérience sonore, on va retrouver des traces à partir desquelles on va éventuellement pouvoir recontruire d’autres expériences sonores, et faire passer ces traces qui sont en aval d’une expérience vers l’amont d’une expérience future. Mais si l’expérience en tant que telle paraît irréductible, je ne la crois pas fermée ou inatteignable…
AG- …elle se suffit à elle-même…
JD- Je crois surtout qu’elle n’est pas dans la dualité, au moment du jeu la distance est abolie, si on se voit jouer, c’est qu’on est en dehors du jeu, on devient deux, comme si on parlait en même temps de ce que l’on est en train de faire, l’expérience du son est une expérience dont on ne se souvient pas entièrement, par exemple, sur un concert de 45 minutes, on ne garde pas en mémoire la totalité de l’expérience sonore, je pourrais citer certains passages qui se seront peut-être davantage marqués en moi, sans que je sache bien pourquoi d’ailleurs, mais cette expérience du son existe dans un état de non dualité et dès qu’on en parle on entre dans la dualité et on quitte le domaine de l’expérience…on y est d’une certaine manière obligé car on pointe simultanément soi-même et l’expérience alors que dans l’expérience, soi-même et l’expérience ne font qu’un… (à suivre)
J.D.
Photo : Jacques Demierre
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Antoine Prum : Taking the Dog for a Walk (Ni Vu Ni Connu, 2015)
Après avoir fait entendre tout l’amour qu’il porte à l’improvisation britannique (Just Not Cricket), Antoine Prum s’est attaché à la montrer en plus. Avec l’aide de Tony Bevan et du comédien – et grand amateur d’improvisation – Stewart Lee, le (déjà) réalisateur de Sunny’s Time Now présentait récemment Taking the Dog for a Walk.
Parti de la scène du Café Oto – haut lieu de l’improvisation actuelle –, Prum instaure un code amusé du musicien-samouraï avant de retracer l’histoire de l’activité qui l’enchante depuis les premières expériences du Little Theatre Club – venus pour l’essentiel du free jazz, les musiciens s’en détacheront au profit d’un jeu autrement collectif que les personnalités qui composent AMM et celles de John Stevens, Trevor Watts, Derek Bailey… se chargeront de diversifier.
Après quoi (dans le documentaire et en intégralité sur un second DVD), sont recueillis les témoignages de personnages : Lol Coxhill, Eddie Prévost, Phil Minton, Roger Turner, Steve Beresford, John Butcher, Maggie Nicols… La parole libère autant de précisions qu’elle dresse de constats : sur l’éternel refus de tout répertoire et l'insatiable intérêt pour les sons nouveaux (qu’illustre ici un extrait de concert donné par AMM en compagnie de Rhodri Davies), sur le rapport de la pratique à l’entertainment (Coxhill) et au public (Karen Brockman) ou encore la nostalgie commandée par un âge d’or à l’ombre duquel s’assoupit parfois le quotidien (Bevan, John Edwards aussi : « maintenant, c’est facile »)…
Facilité que de plus jeunes improvisateurs devront contourner, voire refuser, s’ils veulent renouveler un genre qui n’en est pas un : Gail Brand, Dominic Lash, ou encore Alex Ward, que l’on retrouve sur un CD enfermé lui aussi dans la boîte jaune de Taking the Dog for a Walk. Sur celui-ci, c’est N.E.W. enregistré au Café Oto le 17 janvier 2012. N.E.W., qui donne de nouvelles teintes à l’improvisation et clame même que l’espoir est permis. Non pas celui d’un simple renouvellement ou d’une mise à jour fétiche, mais bien celui de nouvelles choses à attendre de l’improvisation britannique.
Antoine Prum : Taking the Dog for a Walk. Conversations with British Improvisers (Ni Vu Ni Connu / Improjazz)
Edition : 2015.
2 DVD + CD : Taking the Dog for a Walk.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Brötzmann, Sharrock : Whatthefuckdoyouwant (Trost, 2014) / Brötzmann, Edwards, Noble : Soulfood Available (Clean Feed, 2014)
La rencontre date de mars 1987 : sortis de Last Exit, Sonny Sharrock à la guitare électrique et Peter Brötzmann aux saxophones alto, ténor et basse, et tarogato, échangeaient à Wuppertal. Onze pièces – allant de trois à presque dix minutes – sur lesquelles s’opposent, sur un même entendement, une presque même esthétique, deux pratiques rugueuses.
Inutile d’insister : le sauvage opère. Notamment quand le guitariste et le saxophoniste entament d’un commun accord l’ascension d’une improvisation que se disputent pics et aiguilles et qui, subtilement (et quitte à donner dans le cliché), dessinent les profils d’Hendrix et d’Ayler. A tel point qu’on interrompra rapidement les recherches : qu’importe si le corps de Bill Laswell fut emporté par l’avalanche, le duo de survivants nous va très bien.
Peter Brötzmann, Sonny Sharrock : Whatthefuckdoyouwant (Trost)
Enregistrement : 9 mars 1987. Edition : 2014.
CD : 01-11/ Whatthefuckdoyouwant
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Hurler disait-il. Et il le fit. Plus de quarante années au service de la convulsion et toujours pas une ride, pas une once de répit. Peter Brötzmann aurait-il mis de l’eau dans son schnaps ? Que nenni, ici : ça crispe, ça bastonne comme au bon vieux temps des Machine Gun et autre Fuck de Boere. Tout juste, John Edwards et Steve Noble parviennent-ils à s’extraire de la masse brötzmannienne, le temps pour le premier de faire gronder et bourdonner quelque pizz aventureux ; de faire frissonner quelques fins balais puis de distiller quelques ténues claquettes sur les peaux de ses tambours pour le second. Temps raccourci avant que les démons agités ne reviennent visiter ténor, alto, clarinette et tarogato de l’ami Brötz.
En ce 6 juillet 2013, le festival de Ljubljana ne pouvait plus s’étonner de la bourrasque Brötzmann. Mais le temps d’entr’apercevoir, très fugacement, quelque tendre clarinette en fin de set et voici que le trio reprenait routes et armes sans coup férir. De convulsions en convulsions, de spasmes en spasmes, Soulfood Available résume parfaitement l’adage de l’ami Godard : ne change rien pour que tout soit différent.
Peter Brötzmann, John Edwards, Steve Noble : Soulfood Available (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 6 juillet 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Soul Food Available 02/ Don’t Fly Away 03/ Nail Dogs By Ears
Luc Bouquet © Le son du grisli
Sophie Agnel, John Edwards, Steve Noble : Météo (Clean Feed, 2013)
D’une vibration qui ne se taira jamais vraiment mais qui empruntera de multiples masques, il faut dire l’évidence. Une évidence portée par Sophie Agnel, John Edwards et Steve Noble – ici enregistrés lors du festival Météo 2012. Une évidence qui passe par le détail, par la concentration, par la confiance et par l’écoute.
Soudés, les voici happés par une première station : une vibration qui s’invite obsessionnelle et possédée. Elle vivra le temps qu’elle doit vivre. Puis viendront d’autres mouvements, d’autres froissements, d’autres battements. Des battements d’âme plus précisément. Il y aura de la tension et de la friction, des sons se libérant, des mises en silence. Il y aura des passages secrets, des saccades et des ruades. Une contrebasse prendra le large puisqu’elle ne trouvera pas d’autres chemins et que, celui-ci, sera le plus juste. Le plus juste, précisément, parce que celui choisi. Cette improvisation est intense. Elle nous semble courte. Mais la beauté ne se mesure pas au chronomètre. D’ailleurs la beauté ne se mesure pas : elle s’engouffre dans les élans des protagonistes. Ici, précisément.
Sophie Agnel, John Edwards, Steve Noble : Météo (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Météo
Luc Bouquet © Le son du grisli
Phantom Orchard Orchestra : Trouble in Paradise (Tzadik, 2012) / Ikue Mori, Steve Noble : Prediction and Warming (Fataka, 2013)
Voici la liste des invitées au bal des fantômes de Zeena Parkins & Ikue Mori : Maja Ratkje (qui était déjà d'Orra), Hild Sofie Tafjord, Sara Parkins, Maggie Parkins, Shayna Dunkleman. Ce qui fait du beau monde sur CD : sept sorcières fantastiques dont on pouvait attendre en effet qu’elles remuent un coin de ciel…
Spécialistes en collages de toutes sortes et en bris de sons, Parkins & Mori unirent donc leurs efforts dans des performances parfois excentrico-hystérique (Over the Gap) ou des saillies hybrides pas franchement détonantes (Face) qui ont bien du mal à rivaliser avec d’autres groupes à trois lettres (POO contre DNA ou YMO). Souvent amusantes, rarement concluantes, le jeu des dames sait quand même se montrer surprenant, comme sur le folk barré de Sun Metal (la harpe orientale et les voix angoissantes) ou le folk féérique de Red Blue and Green. Pas suffisant toutefois.
Phantom Orchard Orchestra : Trouble in Paradise (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2013.
CD : 01/ Over the Gap 02/ Red Blue and Green 03/ Sun Metal 04/ Face 05/ Inner Reflection 06/ House for 7 07/ Laughter in the Dark 08/ Trap
Pierre Cécile © Le son du grisli
Sur la batterie remontée de Steve Noble tombent dès l’ouverture des 0 et des 1, s’ouvrent et se ferment des rideaux de pluie de synthèse, s’immiscent d’incongrues et parfois même facétieuses sonorités… Souvent capable seulement d’anecdotes, le dialogue du batteur et d'Ikue Mori arrive tout de même quelques fois à conjuguer cohérence et mystère, notamment lorsque le tambour fait tourner en satellites un lot d’illuminations électroniques (Combustion, Atmospheric Pressure).
EN ECOUTE >>> Montparnasse Derailment
Ikue Mori, Steve Noble : Prediction and Warming (Fataka)
Enregistrement : 16 novembre 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Seismic waves 02/ Montparnasse Derailment 03/ Combustion 04/ Convection 05/ Atmospheric Pressure 06/ Black Death (Steve’s March) 07/ Land of Famine 08/ Inferno
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lean Left, Ab Baars, Steve Noble : Live at Café Oto (Kollaps, 2012)
De deux soirs que passa Lean Left au Café Oto (11 et 12 septembre 2011), le label Kollaps a fait deux trente-trois tours – et même deux objets soignés : derrière le kraft découpé, trouver plusieurs pages de photographies en noir et blanc signées Andy Moor. Quatre faces reviennent donc sur les seconds sets de ces soirées – premiers sets publiés par Unsounds sur Live at Café Oto – à l'occasion desquels intervenaient deux invités : Ab Baars et Steve Noble.
Ainsi Baars permet-il au groupe d'équilibrer souffleurs et guitaristes : avec Ken Vandermark, le Hollandais s'oppose à la paire Andy Moor / Terrie Ex Hassels sous l'arbitrage (et les provocations) de Paal Nilssen-Love. L'espace est réduit et les musiciens jouent des épaules pour s'en extraire : phrases libertaires et tensions étouffées permettront d'abattre tous les murs – comprendre échelles de style et même de temps.
Avec Steve Noble, c'est forcément Nilssen-Love qui trouve un appui de taille : les guitares se font en conséquence agaçantes davantage et le saxophone plus virulent avant que la conversation n'engage Vandermark (son art du rebond incite ici à rebaptiser la formation : McLean Left, jeu de mot n'est pas coutume) et les batteurs dans un fantasque jeu de surenchère – voici les guitares torves faites catalyseurs de choix. Il est des abattages et des surenchères supérieures, nous disent ici Lean Left et ses deux invités.
Lean Left, Ab Baars : Live at Café Oto, Day One (Kollaps / Instant Jazz)
Enregistrement : 11 septembre 2011. Edition : 2012.
LP : A/ Day One / Set Two / Part One B/ Day One / Set Two / Part Two
Lean Left, Steve Noble : Live at Café Oto, Day Two (Kollaps / Instant Jazz)
Enregistrement : 12 septembre 2011. Edition : 2012.
LP : A/ Day Two / Set Two / Part One B/ Day Two / Set Two / Part Two
Guillaume Belhomme © Le son du grisli