If, Bwana, Dan Warburton : I Am Sitting in Phill Niblock’s Kitchen (Monotype, 2011)
I Am Sitting in Phill Niblock’s Kitchen (version discographique d’un concert donné en 2008 à Gand et comme dernier écho en date d’I Am Sitting in a Room d’Alvin Lucier) est de ces disques qui se racontent difficilement une fois resucée la présentation qu’en a faite le label : piochant dans les enregistrements qu’il possède d’If, Bwana, Dan Warburton a créé une pièce sonore à laquelle Al Margolis ajouta ensuite quelques notes sorties du piano de Warburton et des bribes d’atmosphère attrapées dans la cuisine du domicile de Phill Niblock (à Gand toujours) où le disque a été mixé – on renverra aussi au texte écrit pour l’occasion par Warburton lui-même, qui évoque un autre ouvrage enregistré avec Anla Courtis et Robert Conlazo (Reynols).
Pillages, copiés-collés et retraitements divers – soit : paroles et musiques accélérées ou ralenties, basses porteuses de rythme, saxophones ou cordes défaillant et autres instruments indéfinissables –, coincés entre les bruits de la ville et ceux d’ustensiles de cuisine plus proche encore : ce sont des drones qui parasitent le quotidien et non pas le concret d’un jour de grand vent qui cherche à rivaliser avec la musique. De l’expérimental de Margolis, Warburton a fait un expérimental non pas neuf mais inédit. De la récupération de Warburton, Margolis a fait une lecture qui finit de rénover ses anciens travaux. Archéologie et art contemporain joliment mêlés – le disque sortait il y a un an.
If, Bwana, Dan Warburton : I Am Sitting in Phill Niblock’s Kitchen (Monotype)
Enregistrement : 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ I Am Sitting in Phill Niblock’s Kitchen
Guillaume Belhomme © le son du grisli 2013
Empan : Entraxes inégaux / Tankj : Craquer les liants (Trace, 2012)
Deux rééditions d’un coup, avec des « bonux traques » ! A chaque fois, c’est Jean-Noël Cognard en 2009 avec un trompettiste (entre autres) : Jac Berrocal dans Empan (dont je ne dirais malheureusement pas plus de bien ici que jadis) et avec Serge Adam dans Tankj (qui me permet de ne pas toujours dire de mal)…
Nouvelle chronique pour d'Entraxes inégaux ? Allez !… Une trompette milesienne qui roule sur des jeux de mots, un free rock prêt-à-porter, un synthé cracheur de sons cabots-ringards, bref le retour des années 80 organisé dans ta maison alors que tu n’avais rien demandé. De toute façon, si vous (tu) faîtes l’acquisition de la réédition Tankj, vous pourrez gratuitement jeter une oreille sur la chose. Une musique de cauchemar qui fait mal…
Dans Craquer les liants de Tankj, il y a un quartette qui fournit un bien (plus) bel effort de musique électroacoustique, libre, délurée, concrète... Les percussions peuvent lui donner des tons (que l’on dira) marocains, la contrebasse de Titus Oppmann sortir des aigus que les effets-borborygmes de Jérôme Noetinger accueilleront avec félicité, la batterie mener la danse d’une troupe de zombies… Une belle musique de cauchemar qui fait du bien !
Empan : Entraxes inégaux / Tankj : Craquer les liants (Trace)
Enregistrements : 2009. Réédition : 2012.
2 CD : CD1 : Empan : Entraxes inégaux – CD2 : Tankj : Craquer les liants
Pierre Cécile © Le son du grisli
Sabu Toyozumi : Kosai Yujyo / Jeff Shurdut : Bound and Gagged (Improvising Beings, 2012)
D’un batteur-percussionniste au parcours singulier (d’un inattendu big-band nippon de Mingus en passant par l’AACM, son duo avec Peter Brötzmann et ses récentes amitiés musicales avec Jean-Michel Van Schouwburg ou John Russell), nous découvrons ici neuf instantanés enregistrés récemment entre Bruxelles, Paris et Göttingen.
Dans tous les cas de figure, une constante s’impose : Sabu Toyozumi écoute, partage, s’attache à densifier la matière. On l’entendra ainsi s’amuser et prolonger les frasques vocales de Jean-Michel Van Schouwburg, craqueler les peaux ici, interpeler un son et ne plus le lâcher ailleurs. S’adaptant à toutes les situations (son iconoclaste manière d’envisager l’erhu, instrument traditionnel chinois n’y est pas étrangère), sensible ici, explosif ailleurs, Sabu et ses amis (mentions particulières aux spirales foudroyantes de Jacques Foschia, Audrey Lauro, Ove Volquartz) débordent, ici, d’une vitalité exemplaire.
Sabu Toyozumi : Kosai Yujyo (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010-2011. Edition : 2012.
2 CD : CD1 : 01/ Kris’Wish 02/ The Last Feather 03/ Strongsth 1 04/ Strongsth 2 05/ Unknown Sketch – CD2 : 01/ Above Nino 02/ Raw Drink 03/ Sands’Witch 04/ The Göttingen Cadenza
Luc Bouquet © Le son du grisli
Fidèle à ses habitudes, Jeff Shurdut fredonne bruit et fureur. Si sa guitare est moins tonitruante que d’ordinaire, son alto lacère sans anesthésie la chair vérolée. Son saxophone hurle un free jazz frauduleux, bombarde une transe offensante. S’enveniment maintenant des résonnances aux origines incertaines. Mais rien ne dure très longtemps. Il faut tout dire en trente-cinq minutes, douze plages et de fait, reprendre le chaos là où il s’était tu. Avec Jeff Shurdut, Gene Janas et Marc Edwards, on ligote, on bâillonne, on ignore tout de la fin du voyage, on navigue sans bouée de sauvetage, on descelle la cohérence et on y prend goût.
Jeff Shurdut, Gene Janas, Marc Edwards : Bound & Gagged (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01-12/ Bound & Gagged.
Luc Bouquet © Le son du grisli
Empan : Entraxes inégaux (Bloc Thyristors, 2009)
Il est des groupes de studio et d’autres de scène et, à l’écoute d’Entraxes Inégaux, on peut se demander dans quelle catégorie ranger Empan (l’association du batteur Jean-Noël Cognard, de la chanteuse Judith Kan, de la violoncelliste Béatrice Godeau et des multi instrumentistes Jac Berrocal et Dan Warburton).
Sur les deux faces d’un beau vinyle, on trouve le groupe improvisant et mélangeant les genres (les mélanges sont parfois heureux, d’autres fois maladroits) : rock et électro-jazz patentés, musique électronique déjantée et la voix de Kan sur le tout, qui rappelle souvent celle de Sainkho. L’improvisation rend tout cela dans un torrent fécond mais pas très regardant et si l’on prend plaisir à entendre l’archet de violoncelle tourner sans fin ou ailleurs les piaillements d’aigus électroniques, on regrette de temps à autre des sons de synthés datés et pompeux ainsi que des postures immatures (à en croire les intervenants bloqués en pleine adolescence). Alors au final on hésite, et pour se faire une idée, on ne manquera pas le prochain concert…
Empan : Entraxes inégaux (Bloc Thyristors / Metamkine)
Edition : 2009.
LP : A01/ Trompette-des-morts (1) A02/ 5 figures possibles A03/ Et mesurer l’équilibre A04/ Entrée d’air A05/ Coulées successives en attente d’utilisation A06/ Phalanges et branches terminales - B01/ En un tour de main B02/ Liens totémiques B03/ Ajouter le bruit B04/ Poussières B05/ Trompette-des-morts (2)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Dan Warburton: Life in The Green House (Appel Music - 2009)
Au Palais de Tokyo, à l’intérieur d’une installation de Peter Coffin dans laquelle auront aussi été invités à se produire Jean-François Pauvros, Pierre-Yves Macé ou encore Noël Akchoté, Dan Warburton s’emparait en 2007 de son violon et improvisait avec, en tête, l’idée de distraire les plantes.
Life in the Green House, enregistrement de cet étrange concert, pose aujourd’hui la question de l’importance de la situation ou de l’environnement dans la raison d’être de ce type d’exercice musical : sur disque, Warburton passe de pizzicatos minuscules en mouvements d’un archet dérouté, joue des pauses et des relances non sans ironie, caresse un instant une mélodie ou décide de buter sur une note frêle, impose enfin une diphonie déstabilisante ou porte de légers coups à son instrument. Ici et là, quelques passages convaincants ; ailleurs, moins de truculence. Dissocié de l’installation, il manquerait donc un je-ne-sais-quoi à l’enregistrement.
CD: 01/ Life in The Green House >>> Dan Warburton - Life in The Green House - 2009 - Appel Music.
Dan Warburton déjà sur grisli
Alchemy (Not Two - 2008)
Compendium Maleficiarum III (Incunabulum Records - 2008)
Crescendo (Not Two - 2005)
Return of The New Thing: Alchemy (Not Two - 2008)
A l’Alchemia de Cracovie, Return of the New Thing donnait en 2007 un grand exposé d’improvisation sombre, qui, une fois mis en boîte, vient grossir la singulière discographie du groupe.
Du mouvement lent de graves turbulences, le quartette repart donc, pour amasser interventions concentrées et sautes d’humeur revigorantes – Jean-Luc Guionnet passant de propositions timides en expressionnisme agité, Dan Warburton tirant au piano profit d’arpèges avant de distribuer une série de notes turbulentes – sur la première plage, puis traîner davantage sur la deuxième, pan d’intensité charriée par vagues successives soumises à peine à l’influence d’accentuations soudaines : rauques de l’alto contre insistance d’un violon.
En guise de conclusion, le contrebassiste François Fuchs et le batteur Edward Perraud installent un discours plus normé – swing soutenu mais en perpétuelle dérive –, qui complète l’approche musicale de Return of the New Thing, partie de l’influence de Coltrane et patiemment diluée.
CD: 01/ 29’09’’ 02/ 24’41’’ 03/ 17’22’’ >>> Return of the New Thing - Alchemy - 2008 - Not Two. Import.
Dan Warburton, Fred Goodwin : Compendium Maleficarum III (Incunabulum Records - 2008)
Née de la rencontre du violoniste Dan Warburton et du poète et chanteur Frederick Goodwin, Compendium Maleficiarum III est une œuvre expérimentale et différente, qui aura mis vingt ans à se construire à force de faire appel aux sorcières et de ne trouver de véritable soutien qu’auprès de musiciens.
Parmi ceux-là : Jac Berrocal, Jean-Luc Guionnet, Philip Samartzis, Aki Onda ou Bruno Mellier, qui interviennent à distance sur des collages qui convoquent voix et souffles, grincements et battements de cœur, chiens aboyant et chocs sourds. Délicatement, chaque instrument se fond dans le bréviaire surréaliste et envoûté, investit un univers parallèle, celui d’un Eraserhead obnubilé par l’Enfer de Dante, que révèlent les mots de Goodwin, qui préfère distribuer les indices plutôt que de s’acharner à démontrer.
Peu engageante mais rare, l’expérience en devient nécessaire, grâce à la mesure qu’elle applique à toute chose, si ce n’est à l’angoisse qu’elle distille.
CD: 01/ id 02/ McLean Hospital 03/ Hells Angels in a Bar 04/ Woyzeck in Limbo 05/ Atheist 06/ Woyezck in the Inferno 07/ Cannibal Rector 08/ The Cardinal 09/ The Cardinal 10/ Virgil’s Cow 11/ Ophelia 12/ Violence 13/ McGowan’s Bull 14/ Loose Strife 15/ The Crows 16/ The Porno Booth 17/ The Death Camps 18/ Dr. Death 19/ A History Primer
Dan Warburton, Fred Goodwin - Compendium Maleficiarum III - 2008 - Incunabulum Records. Distribution Orkhêstra International.
Return of the New Thing: Crescendo (Not Two - 2005)
(Em)Porté par le saxophoniste Jean-Luc Guionnet et le violoniste et pianiste Dan Warburton, Return of the New Thing adressait en 2005, avec Crescendo, un hommage créatif aux figures anciennes de la Nouvelle Chose.
Lentement ouverte, 35’31 combine ensuite un free chargé sur lequel Guionnet et Warburton (au piano) excellent, insistants, répétitifs ou fulgurants, et quelques plages plus calmes, qui convoquent un drone sorti d'un violon ou une note répétée par la contrebasse de François Fuchs.
Plus balancé encore, 25’11 dispose le piano en retrait pour permettre au soprano des fulgurances remarquables, avant que le groupe ne s’adonne à un swing échevelé, qui ramasse, aidé par la précision du batteur Edward Perraud, les intentions expérimentales pour les présenter plus nettement. Exigences plus présentables, mais toujours aussi efficaces.
Dans les pas de l’œuvre (trop courte, en leader) de Sunny Murray, Return of the New Thing a prouvé avec Crescendo l’acuité d’un discours qui aurait tenu, chez d’autres, de l’appropriation illégitime.
CD: 01/ 35'31 02/ 25'11
Return of the New Thing - Crescendo - 2005 - Not Two Records. Import.