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Le son du grisli
5 février 2012

Borbetomagus : New York Performances (Agaric, 1986)

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Ce texte est extrait du deuxième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

De passage à Paris en 1992, Thurston Moore, l’un des deux guitaristes de Sonic Youth, cherchait encore des disques de free lui faisant défaut, et ça commençait à se savoir dans la communauté. En fait il chinait surtout des Byard Lancaster, Frank Wright et Frank Lowe enregistrés en France... 

C’est à cette époque que le journaliste Bernard Loupias le rencontra : « Quand Frank Lowe soufflait comme un damné avec Alice Coltrane ou Rashied Ali, Thurston avait dix ou onze ans à tout casser, il connaît pourtant cette période comme sa poche. » Thurston : « En ce moment (1992 – ndr) il y a un regain d’intérêt pour le jazz hardcore à New York. Les gens se remettent à explorer, à jouer une musique plus dure. » Loupias : « Avez-vous remarqué que Thurston ne parle jamais de free jazz ? Le terme lui semble sans doute aussi daté que « niou » ou « middle ». L’horreur : un revival free ! Alors, allons-y pour jazz hardcore, c’est l’esprit de la (Nouvelle) Chose, sans la lettre. Marre des visites de musée. De l’air ! Vive le jazz hors piste ! Après tout, le fil vivant de cette musique, d’Armstrong à Ayler, a-t-il jamais été autre chose qu’une révolution permanente, une prise de maquis sans fin, un continuel marronnage esthétique ? » Des propos qui ont été repris au dos d’un EP de Frank Lowe, Out Of Nowhere, produit par Thurston Moore. Et que Free Fight, This Is Our (New) Thing pourrait faire siens…

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Retour à New York… En 1992, Borbetomagus a déjà sorti son premier opus de snuff jazz mégahardcore depuis une douzaine d’années (Snuff Jazz étant le titre d’un de leurs disques sorti en 1989). Et à écouter Donald Miller, Don Dietrich et Jim Sauter, respectivement guitariste et saxophonistes du groupe, rien de ce qu’ils font n’aurait de rapport avec le noise ou même avec l’expérimental auxquels on les associe constamment. En fait ils se considèrent comme des performeurs accomplissant leur besogne du mieux qu’ils peuvent : point barre et peu importe que certains de leurs concerts se soient terminés en émeute !

Evidemment, chez Borbetomagus l’on aime le free jazz, et Albert Ayler et Peter Brötzmann en particulier, dont le groupe offre une vision pour le moins paroxystique : en gros Machine Gun joué à fond les ballons pendant une heure (tiens, Machine Gun c’est aussi le nom d’un combo new-yorkais d’alors, celui de feu-Thomas Chapin). Mais plus encore, Borbetomagus apprécie le rock dont il s'estime issu, son énergie essentiellement, si l’on veut bien considérer les live du MC5 et les Stooges de « LA Blues » que l’on aurait du mal à ne pas évoquer en pareille contrée, tout comme Metal Machine Music de Lou Reed. Dans un entretien inséré dans la pochette du LP de Borbetomagus The Rape Of Atlanta, Pharoah Sanders et Jimi Hendrix sont évoqués – ce dernier pour ce seul moment où il crame sa guitare à Monterey, et dont Donald Miller dit : « That’s what we do. For a whole hour. » 

Parmi les premiers, c'est-à-dire dès 1980, Masami Akita (alias Merzbow) les a contacté afin d’exprimer son admiration. Même si Borbetomagus réfute curieusement toute connexion avec le noise, la scène japonaise dédiée au genre en vénère les membres, le surnommé King of Noise, à savoir Jojo Hiroshige d’Hijokaidan, ayant sorti du Borbetomagus sur son label (Alchemy) avant de proposer une tournée au Japon. 

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Quiconque n’aura jamais écouté de groupe de ce genre peinera à imaginer pareil geyser d’énergie délivré à partir de deux saxophones et d’une guitare amplifiés – par contre ceux qui connaissent la dernière version de « My Favorite Things » d’avril 1967 où Coltrane dialogue avec Pharoah Sanders savent déjà tout ça… Ferraillements en tous sens, violentes exhortations quasi viscérales, déluge de distorsion aux allures de cérémonie vaudou : il est difficile de décrire ce que certains, à propos de cet enregistrement public, ont qualifié de « jazz industriel » – pourquoi pas d’ailleurs, puisque l’on parlait aussi, en pleine no wave, de jazz punk (le musicien Misha Lobko évoqua, à propos de Borbetomagus, une « symphonie de béton »). 

Quant à Thurston Moore, pour y revenir, il enregistra l’un de ses premiers disques basés sur l’improvisation totale (l’un de ses plus violents aussi) en compagnie des saxophonistes de Borbetomagus (le bien-nommé Barefoot In The Head). Et enfin, il leur renvoya la politesse en les invitant sur Murray Street de Sonic Youth.

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