Zeitkratzer, Keiji Haino : Stokhausen: Aus Den Sieben Tagen / Zeitkratzer: Reinhold Friedl, KORE (Zeitkratzer, 2016)
Sur scène en compagnie de Keiji Haino, Zeitkratzer interprétait récemment cinq des quinze compositions de l’Aus den sieben Tagen de Karlheinz Stochkausen – ou la musique inspirée par la méditation.
L’intuition, donc, au chevet des us et coutumes de l’orchestre – qui « ressemble trop à une compagnie militaire. Avec artillerie et armes automatiques, tireur d’élite et général en chef », écrivait jadis Arthur Keelt. Déjà, naissent les premières rumeurs : les grondements de Keiji Haino sont encore enfouis sous les souffles et quelques grattages aphones. Sur les trois premières plages, les musiciens obtempèrent : « Jouez un son avec l’assurance d’avoir tout le temps et tout l’espace du monde. »
Après quoi, il faudra faire œuvre d’Intensität : « Jouez un seul son avec assez de ferveur pour ressentir la chaleur qui émane de vous, et maintenez-le aussi longtemps que vous le pourrez. » Sur l’enregistrement en question, c’est une opposition – la voix d’un côté, le piano et les vents de Gratkowski, Tafjord et Jeffery de l’autre – que la ferveur met au jour. Il faudra enfin accorder l’une et les autres en conclusion. Et c’est une autre intensité que celle de Setz die Segel zur Sonne, pièce sur laquelle un grand vaisseau menace un quart d’heure durant. L’OM orchestral aura ainsi accouché d’une belle musique d’angoisse.
Zeitkratzer, Keiji Haino : Stockhausen, Aus Den Sieben Tagen
Zeitkratzer Productions
Enregistrement : 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Unbegrentz 02/ Verbindug 03/ Nachtmusik 04/ Intensität 05/ Setz Die Segel Zur Sonne
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sans Keiji Haino – mais enregistré par Rashad Becker –, c’est encore Zeitkratzer en concert. Et c’est d’une autre façon que la musique – une composition de son meneur, Reinhold Friedl – en impose : ainsi imagine-t-on le pianiste glissant le long des cordes, à l’intérieur d’un instrument autour duquel se sont agglutinés les huit autres membres de l’orchestre. Requérant leur soutien, le piano s’en trouve bientôt comblé : et, avec pertes et fracas, c’est maintenant son autorité qu’on enterre.
Zeitkratzer : Reinhold Friedl, KORE
Zeitkratzert Productions
Enregistrement : 2013. Edition : 2016
CD : 01/ KORE, Part 1 02/ KORE, Part 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Zeitkratzer : Column One: Entropium (Karlecords, 2015)
On ne le répétera jamais assez, l'ensemble Zeitkratzer a développé au gré de son abondante discographie une grammaire rugueuse et grinçante qui donne à ses (ré)interprétations un formidable piquant. Ainsi appuie-t-il là où ça secoue et on adore.
Nouvelle preuve des impeccables sonorités défrisantes des Berlinois, Column One: Entropium révise cinq compositions du collectif Column One (certains se souviendront qu'ils ont collaboré en leur temps avec Psychic TV ou Genesis P-Orridge), enregistrées en live au Berghain en 2012. Si l'aventure n'atteint pas toujours l'incroyable degré d'intensité des volumes consacrés à Stockhausen, Alvin Lucier (Alvin Lucier), Keiji Haino (Electronics 3) ou Whitehouse (Whitehouse), sans même parler de leur unique relecture du Metal Machine Music de Lou Reed, les habitués de la bande à Reinhold Friedl ne perdront pas une seule seconde de leur existence passionnée à fréquenter ce nouvel épisode.
Zeitkratzer : Column One: Entropium (Karlrecords)
Edition : 2015.
LP : A1/ Entropium Part 1: Panthera A2/ Entropium Part 2: Sol A3/ Entropium Part 3: Vilde Navarseke - B1/ Entropium Part 4: Handhilse B2/ Entropium Part 6: Lade
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Zeitkratzer : Songs / Helium Clench : Sieve (Bocian, 2012)
Un intérêt pour le format ou l’exercice n’arrive pas toujours à changer un musicien adepte d’expérimentations en convaincant faiseur de chanson. N’empêche : avec la même ardeur qu’il mit à envisager la musique folklorique (Volksmusik), le Zeitkratzer de Reinhold Friedl s’essaya au genre lors de concerts donnés en 2011 en Slovénie et Croatie.
Passée une introduction d’une électronique démontée que dompte avec aplomb la voix de fausset de Mark Weiser, les arbres reproduits sur la pochette du disque révèlent l’existence d’oiseaux fabuleux : pic-vert narcoleptique et germanophone en quête d’Existenz ou coucou à bosses estampillé (sous les sous-caudales) Frank Gratkowski.
Engageant, l’enregistrement peine malheureusement à tenir ses promesses. C’est que l’étrangeté – la rareté voire – des premiers sillons laisse peu à peu la place à un proto-folk sans entrain qu’alourdira encore un penchant pour le carnaval ou la grimace tribale. Tant pis.
Zeitkratzer : Songs (Bocian)
Enregistrement : Avril 2011. Edition : 2012.
LP : A1/ Krrr A2/ Bieps A3/ Children A4/ Sweet – B1/ Loop B2/ Waltz B3/ Sweet B4/ Groove
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Autre référence Bocian, Sieve est l’œuvre du duo australien Helium Clench (David Brown et Tim Catlin). Guitares de tout acabit, préparées ou non, y servent une improvisation expérimentale qui crache, expectore ou grince à force d’interroger cordes grêles et mobiles rouillés. Comme l’ensemble manque de cohérence, le premier disque du duo en appelle un second.
Helium Clench : Sieve (Bocian)
Edition : 2012.
LP : 01/ Helium Clench 02/ Itchy 03/ Cork Interlude 04/ Destroy Occipital 05/ Fuzz Factory 06/ Sand Sellers 07/ Kitten's Dream 08/ Ring Accretion 09/ Wet Bells 10/ Wind Sieve 11/ Gathering of Shades 12/ Headstock Interlude
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Zeitkratzer : Whitehouse (Zeitkratzer, 2010)
Sa collaboration avec Keiji Haino (Electronics 3) pourrait avoir laissé des traces sur Zeitkratzer. C’est en tout cas ce que l’écoute et les réécoutes de Whitehouse n’ont pas cessé de me chuchocracher à l’oreille.
Sur ce CD, un autre membre émérite de la Protection des Grands Bruits agit dans l’ombre du collectif de Reinhold Friedl. Il s’agit de William Bennett, soit Whitehouse en personne, qui a rencontré Friedl avant que celui-ci s’empare de ses compositions et les joue en concert à Marseille au printemps dernier. Sur le vieux port gronde encore un assaut électroacoustique dévastateur qui commence avec des loops assassines et des tambours qui ne sont pas du Bronx mais qui sont d’une urbanité sauvage quand même.
Parmi la masse, on distingue le beau violon de Burkhard Schlothauer, Ensuite, on s’y noie avec délectation : la clarinette de Frank Gratkowski, la trompette de Matt Davis, la harpe de Rhodri Davies et le son de Ralf Meinz, tout concourt à déplacer jusqu’à très près de vos oreilles une ruche XXL dont les habitantes prennent plaisir à s’ébattre déguisées en membres d’Urban Sax. Zeitkratzer est un grand orchestre détraqué qui n’a pas finit d’agir tel un aimant sur tous les parasites de métal à l’approcher. Cette Whitehouse s’en trouve recouverte de tôles et l’ensemble est du plus bel effet.
Zeitkratzer : Whitehouse (Zeitkratzer)
Enregistrement : 14 mai 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Munkisi Munkondi 02/ Nzambi Ia Lufua 03/ Scapegoat 04/ Fairground Muscle Twitcher 05/ Bia Mintatu 06/ The Avalanche
Pierre Cécile © Le son du grisli
Zeitkratzer : Alvin Lucier (Zeitkratzer, 2010)
Depuis la sortie de Xenakis [a]live!, Reinhold Friedl et son Zeitkratzer se sont intéressés à la musique contemporaine en instituant une série de disques baptisée « Old School ». Après John Cage et James Tenney, c’est au tour d’Alvin Lucier d’y trouver son compte.
Les travaux pratiques de physique musicale ont eut lieu à la fois en concert et en studio. Leur objet était de démontrer que les écritures d’une partition, soumise aux mouvements d’un orchestre, peuvent prendre d’autres formes que celles que le compositeur leur avait choisies. Examinons : ici c’est un violon (ailleurs un orgue ou même un triangle) qui tient la note-élément-premier de l’ensemble. Reste après cela aux pièces microtonales de dérouler un luxueux aréopage de sons fabuleux. Réexaminons, au microscope cette fois : ce sont-là des systèmes photosensibles qui en appellent à leur différenciation !
Zeitkratzer : Alvin Lucier (Zeitkratzer)
Enregistrement : 2009-2010. Edition : 2010.
CD : 01/ Fideliotro, for viola, cello and piano 02/ Music for Piano with Magnetic Strings, for grand piano and as many as five e-bows 03/ Silver Streetcat for the Orchestra, for amplified triangle 04/ Violynn, for violon and tape 05/ Opera with Objects, for performers with resonant objects
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Zeitkratzer : John Cage (Zeitkratzer, 2010)
Inaugurant avec ce John Cage – et un autre disque consacré : James Tenney – une série de disques intitulée Old School, le pianiste Reinhold Friedl s'empare de grandes pièces de musique contemporaine pour conduire autrement son Zeitkratzer – à paraître : Alvin Lucier et Morton Feldman.
Si Zeitkratzer a plusieurs fois déjà servi Cage, le programme est cette fois exclusif, qui reprend Four6, Five et Hymnkus, pour se les approprier : longues pièces d'ouverture et de conclusion aux usages harmoniques établissant des ponts avec les manières de Phill Niblock et qui profitent d'un Zeitkratzer fait prisme singulier – auprès de Friedl, notamment, la trompette de Franz Hautzinger, la contrebasse d'Uli Philipp, les percussions de Maurice de Martin ou les clarinettes de Frank Gratkowski. Les couleurs à sortir des interventions des neuf membres de l'ensemble naissent alors des effets du passage de claires oscillations en résonances caverneuses (de Four6 en fin d'Hymnkus). Five mis à part – piano rébarbatif mais sur miniature de seulement cinq minutes –, la lecture est d'abord surprenante, assez remarquable ensuite.
Zeikratzer : John Cage (Zeitkratzer)
Enregistrement : 2006. Edition : 2010.
CD : 01/ Four6 02/ Five 03/ Hymnkus
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Zeitkratzer, Keiji Haino : Electronics 3 (Zeitkratzer Records, 2008)
Parti au son d’une combinaison sans nuance d’un lyrisme pseudo-contemporain et d’une simple musique post-industrielle, cet enregistrement d’un concert donné à Berlin par Zeitkratzer et Keiji Haino – dernier volume d’une série de trois collaborations motivées par le groupe de Reinhold Friedl – doit attendre quelques minutes pour convaincre ; et puis : s’imposer.
Après s’être laissé aller à une pratique expérimentale sur thérémin et saxophone, Haino abandonne l’espace sonore au développement d’un long tableau au sujet inquiet : cortèges de spectres engouffrés en tunnels, prêts à tout pour s’en sortir. Pour tout référent, l’intervention d’une note de clarinette basse, l’espoir d’une sirène à suivre, et, soudain, l’apparition d’un rythme implacable, remonté et endurant. Alors, l’ensemble peut céder sous les coups portés qui finissent de mettre au jour un univers véritable, à l'intensité désormais enfermée sur disque.
Zeitkratzer, Keiji Haino : Electronics 3 (Zeitkratzer Records)
Edition : 2008.
CD : 01/ Ari I 02/ Aria II 03/ Sinfonia 04/ Drum Duo
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Zeitkratzer: Volksmusik (Zeitkratzer Records - 2008)
Enregistré en concert par un ensemble de musiciens composé notamment du pianiste Reinhold Friedl, du trompettiste Franz Hautzinger et du percussionniste Maurice de Martin – pour beaucoup dans la création d'un projet inspiré de séjours en Roumanie et en Bulgarie –, Volksmusik révèle l'idée que Zeitkratzer se fait du folklore musical.
Personnel, celui-ci, et donc fiévreux : inauguré par quelques coups d'archet révélateurs pour donner à entendre ensuite les complaintes d'une armée d'ombres dissonantes. Improvisations ou adaptations d'airs folkloriques commandent ainsi la direction de pièces répétitives (Bouchimich) ou de morceaux sortis des bruyantes recherches sonores auxquelles Zeitkratzer a fini par s'habituer (Cowbells). Faible, quand le folklore défendu là pourrait bien exister vraiment ; valable, lorsqu'il se laisse gagner par une folie intrusive.
Zeitkratzer : Volksmuzik (Zeitkratzer / Metamkine)
Edition : 2008.
CD : 01/ Batuta 02/ Jodler 03/ Picior 04/ Mountain 05/ Bouchimich 06/ Holzlerruf 07/ Cowbells 08/ Lirica 09/ Hora 10/ Sirba 11/ Waltz
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Reinhold Friedl : Xenakis [a]live! (Asphodel Records, 2007)
Ancien élève d'Alexander Von Schlippenbach, le pianiste Reinhold Friedl dirige son bruyant Zeitkratzer, orchestre de chambre d'accord avec le fait de se faire régulièrement électroniquement traiter, dans le but de réinvestir quelques oeuvres anciennes (Metal Music Machine de Lou Reed) ou de défendre des impressions plus personnelles, comme ce Xenakis [a]live!, hommage appuyé au compositeur grec.
Ayant collaboré avec Lee Ranaldo ou Merzbow, Friedl éprouve autant d’intérêt pour la scène rock bruitiste que pour une musique plus écrite et généralement sourcilleuse. Ménageant l’une et l’autre, il érige ici un univers de métal, oscillant, sifflant de mille façons, sujet à toutes déflagrations avancées par les musiciens qu’il dirige. Musique industrielle soumise à des pressions diverses, grondements et larsens ayant peu de goût pour l’accalmie, Xenakis [a]live! est un oiseau de feu parti sur les traces d'Icare, avec le même zèle, le condamnant à la même fin.
D’abord persuasif, le discours perd en effet peu à peu de sa saveur, traîne sur la longueur d’un développement impressionniste manquant de diversité et évacuant les possibilités d’une remise en question à laquelle Friedl aurait bien fait de céder un peu. Pour aider le curieux à tenir, un DVD propose une création du vidéaste Lillevan, mise en images de Xenakis [a]live!, diversion en noir et or d’un exposé trop éprouvant sans elle.
CD + DVD : 01/ Xenakis [a]live!
Reinhold Friedl - Xenakis [a]live! - 2007 - Asphodel Records.