John Butcher, Michael Duch : Fjordgata (Confront, 2016)
Contrebassiste habile en solo, Michael Francis Duch a démontré qu’il est aussi capable de s’entendre sur l’instant avec un musicien de taille : hier en compagnie de Joëlle Léandre ((live at) Gråmølna) et aujourd’hui auprès de John Butcher qu’il découvrit il y a une quinzaine d’années sur le disque Vortices and Angels – le saxophoniste auprès de cordes, déjà.
Aux ramages du soprano, et à ses premiers vacillements, Duch répond à coup d’archet épais, creusant un sillon dans lequel Butcher vient bientôt s’engouffrer. Comme en invité – le concert, qui date du 9 mai 2015, a été donné à Trondheim d’où est originaire Duch –, le saxophoniste semble accepter toutes les propositions, voire les jeux, de son partenaire : ici affirme-t-il une note avec suggestion, là épouse-t-il ce mouvement de balancier allant entre deux pizzicatos, ailleurs tourne-t-il, affolé, autour d’un bourdon. Et si la conversation tient parfois à un fil, si elle peut être volontairement décousue même, l’échange est d’une évidence qui vaut toutes les harmonies.
John Butcher, Michael Duch : Fjordgta
Confront / Metamkine
Enregistrement : 9 mai 2015. Edition : 2016.
CD-R : 01/ Fjordgata
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Left Exit, Mr K : Featuring Michael Duch & Klaus Holm (Clean Feed, 2015)
Karl Hjalmar Nyberg (saxophones) et Andreas Skår Winther (batterie et cordes) ont pris l’habitude d’improviser sous le nom de Left Exit, Mr K. En juin 2014, le duo accueillait Klaus Ellerheusen Holm (saxophone et clarinette) et Michael Francis Duch (contrebasse) afin de mettre en boîte la dizaine de pièces de leur premier disque.
Si, l’un contre l’autre, Nyberg et Winther se cherchent et ainsi se motivent (Uncompromising Squares), leur compagnie les oblige souvent à d’autres intentions : qui commandent aux souffles et aux cordes de lentement se frôler (Aluminium, Between Our Houses) sinon de balancer sur le va-et-vient d’un grave archet de contrebasse (Dumpster Hamster).
A force de lever de légers reliefs sur l’horizon qu’ils se partagent, les quatre musiciens en arrivent – à peu près au mitan de l’enregistrement – à envisager une verticalité autrement inspirante : derrière elle, trouver quelques influences (un air de Malachi sur Free Furniture, No Rugs, d’Evan Parker sur Exit Jakartha). Rassurantes, autant qu’est engageant ce premier essai sur disque.
Left Exit, Mr. K : Featuring Michael Duch & Klaus Holm (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : juin 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Aluminium (And Other Sources of Health) 02/ Dumpster Hamster 03/ Waves, Linens and White Light 04/ Between Our Houses 05/ Incompromising Squares 06/ Chalk (Inquiry) 07/ Free Furniture, No Rugs 08/ Inferior Interior 09/ Cigarettes and Pay-per-View 10/ Exit Kakartha
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joëlle Léandre, Serge Teyssot-Gay : TRANS 2 (Intervalle Triton, 2015) / Léandre, Duch : (live at) Gråmølna (Confront, 2014)
Ce n’est qu’en me plongeant dans cette deuxième collaboration Joëlle Léandre / Serge Teyssot-Gay que je me suis (enfin) posé la question de la signification de TRANS : transgenre ? transversale ? transmission ? transition ?
Moi qui en redemandais (lire TRANS), me voilà servi en couleurs (du rouge à l’orange et du vert au violet)… Et là le duo ne s’encombre plus de politesses mais fond sans attendre sur ses cordes tendues. Archet contre médiator, médiator contre archet, Léandre et Teyssot-Gay vous invitent dans le tipi familier. Là-dedans, le guitariste singe le thérémine de Clara Rockmore pour révéler l’indienne qui sommeille en Léandre. Sur des parallèles de cordes, la dame castafiore (du verbe...) tant et si bien qu’elle transforme en chansons ces improvisations électriques. Jusqu’aux pics. Et, croyez-moi, c’est pas des pics de hannetons.
Joëlle Léandre, Serge Teyssot-Gay : TRANS 2 (Intervalle Triton / Souffle Continu)
Edition : 2015.
CD : 01/ Rouge 02/ Orange 03/ Jaune 04/ Vert 05/ Bleu 06/ Indigo 07/ Violet
Pierre Cécile © Le son du grisli
Enregistrées le 1er novembre 2013, ces six improvisations pour une ou deux contrebasse(s) agitèrent Joëlle Léandre et Michael Francis Duch. Ce sont deux archets qui se tournent autour, se cherchent dans le même temps qu’ils entament un ballet commun : qui ira au son de gestes rapides, de graves embrassant et d’harmoniques complémentaires déposés sur des trames plus ou moins discrètes. Après quoi, une suite de pizzicatos impose plus de retenue au duo : Duch aurait-il tiré Léandre par la manche ? – seuls les spectateurs de Gråmølna pourraient le dire. En tout cas, l’effet est renversant.
Joëlle Léandre, Michael Francis Duch : (live at) Gråmølna (Confront / Souffle Continu)
Enregistrement : 1er novembre 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ The Gråmølna Duo 1 02/ The Gråmølna Duo 2 03/ The Gråmølna Solo (JL) 04/ The Gråmølna Duo 3 05/ The Gråmølna Solo (MD) 06/ The Gråmølna Duo 4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michael Francis Duch : Tomba Emmanuelle (Sofa, 2014)
La pièce est unique – courte, aussi, qui n’atteindra pas la demi-heure – mais découpée en différents tableaux. Noirs, tous, cependant. Ocres, aussi, pour que Tomba Emmanuelle puisse rappeler peut-être, après s’en être imprégnée, les fresques du mausolée d'Emanuel Vigeland où Michael Francis Duch l’a enregistrée.
C’est d’un murmure que Duch extrait les premières secondes de cette composition qu’il interpréta plus tôt en compagnie d’autres contrebassistes, de ses élèves, et qui est désormais son second solo enregistré de contrebasse. Seul, peut-être redouble-t-il d’efforts pour faire croire en la présence de plusieurs musiciens – son ombre combien de fois portée sir ces parois où apparaît ce lent vaisseau balançant ?
Les graves et les aigus qui l’environnent en assurent respectivement l’aplomb et le maintien. Dans la cale, Duch s’active : en charge de la trajectoire – en fait ligne de fuite –, il se montre insistant, combine, varie ou altère, va s’essoufflant puis reprend courage. Alors l’archet double la note et l'homme peut même donner de la voix. C’est une musique non pas de nuit mais de brume, toutes ses longues notes s’y sont emmêlées, comme Michael Francis Duch l’avait écrit.
Michael Francis Duch : Tomba Emmanuelle (Sofa / Metamkine)
Enregistrement : 11 mai 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Tomba Emmanuelle
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Cornelius Cardew : Works 1960-70 (+3dB, 2010)
Des histoires de temps modifié, comme si il n'existait pas ou alors qu'il fut/est le témoignage de l'Eternité en mouvement. A coup sur en écoutant ce disque, j'aurais aimé rencontrer Monsieur Cardew et discuter avec lui... Ainsi qu’avec les trois musiciens interprétateurs/ créateurs, certainement au service de...
Le son est profond, il renvoie aux Hommes qui jouent ensemble et aussi a ceux qui veulent bien prendre le temps, encore lui, de se poser et écouter. Puis parfois des salves de notes appellent la douceur et le silence compris entre elles... Le dernier morceau me terrasse littéralement.
Cornelius Cardew : Works 1960-70 (+3dB)
Edition : 2010.
Charles-Eric Charrier © Le son du grisli
Charles-Eric Charrier est musicien. Il voit paraître ces jours-ci le disque Silver sur le label Experimedia.
Rhodri Davies, Cornelius Cardew, John Tilbury, Soldercup, Annette Krebs, Angharad Davies, David Toop, Lee Patterson
Cornelius Cardew : Works 1960-70 (+3dB, 2010)
En compagnie du pianiste John Tilbury et du contrebassiste Michael Francis Duch, Rhodri Davies rendait hommage aux compositions écrites par Cornelius Cardew entre 1960 et 1970 – époque charnière, écrit Duch, qui vit Cardew passer d’une pratique (composition contemporaine) à une autre (improvisation libre). D’Autumn 60 à The Great Learning, le trio arrange des notes brèves en bouquets indéterminés, les augmentant de silences nombreux. Se pliant avec invention au jeu de la relecture in(dé)finie, Davies, Tilbury et Duch, manient l’aléatoire et l’intransigeant pour signer enfin des danses délicieuses sur musique amnésique : soit, de l’oubli chorégraphié.
Soldercup : Soldercup (Fourier Transform, 2010)
Sous le nom de Soldercup, Rhodri Davies et Louisa Hendrikien Martin font oeuvre d’un abstrait chic. Sur le vinyle du même nom, sont ainsi convoqués craquements, chuintements, sifflements, parasites et larsens, et actionnées d’énigmatiques autant qu’irrésistibles boîtes à musique. Sur la seconde face, la formule diffère un peu : cordes détendues subtilement agencées dont le battement d’un coeur animal éloignera le chant.
Various Artists : Brave New Wales (Fourier Transform, 2010)
Sur le même label, une compilation célèbre en trois disques un paquet d’Ecossais agissant en tous domaines expérimentaux (improvisation, electronica, rock, noise, poésie sonore…). En duo avec Angharad Davies, Rhodri Davies se fait là une place au son de Live at St. Giles In The Fields, enregistré à Londres en 2005. L’électricité environne le duo qui délimite ici des zones d’attente inquiète dans lesquelles developper dix minutes d’abstraction miniature.
Annette Krebs, Rhodri Davies : Kravis Rhonn Project (Another Timbre, 2009)
Trois mouvements d’une poésie sonore constructiviste font Kravis Rhonn Project, que le harpiste enregistra en 2008 à Berlin auprès d’Annette Krebs (guitare, objets, tapes). Là, des voix enregistrées se mesurent sur piste d’obstacles (bourdon, larsens, signal radio…) tandis que les instruments à cordes se font discrets jusque dans leurs répétitions. Au terme de la rencontre, les voix sont emportées par une mécanique tournant sur un air de manège que se disputent charme et mystère.
Rhodri Davies, David Toop, Lee Patterson : Wunderkammern (Another Timbre, 2010)
Quelques jours encore, et le même label proposera Wunderkammern, enregistrement né de la rencontre de Davies, Lee Patterson et David Toop. On sait le goût de ce-dernier pour la musique de gamelan et l'ambient et c'est par là que va voir le trio : cordes défaites et larsens, bourdons multiples et chantant, interventions multiples presque tout autant d'instruments fondus – seule une flûte de bois peinera à convaincre. Les berceuses sont ici faites d'oscillations et l'abstraction est d'extraction rare.
Michael Francis Duch : Edges (+3dB, 2010)
Le contrebassiste Michael Francis Duch inaugure avec Edges une série d’enregistrements intitulée « Music for One » sur le label +3dB. Pour donner un aperçu de la largeur et de la hauteur de sa palette, il s’est servi dans le répertoire de Christian Wolff, Earle Brown, Cornelius Cardew, Morton Feldman et Howard Skempton.
Ce n’est d’ailleurs pas tant à un exercice d’interprète que se livre Duch qu’à un jeu d’évocations de grands fantômes qui le hantent encore. Sur Edges, il pèse de tout son poids sur l’archet pour qu’apparaisse sur la partition le visage en bas-reliefs de Christian Wolff. Pareil pour Brown ou Feldman : leurs silhouettes sont dessinées dans la lenteur et dans la nuance.
Pour faire mentir le chroniqueur ou l’empêcher de mettre au jour un système, Duch s’est gardé Octet ’61 de Cardew : c’est une obsession qui tourne au drame lorsque les notes s’abattent sur le compositeur comme sur l’interprète, l’hommage est un mille-feuilles de sons démoniaques. Ce n’est même plus seulement un hommage, c’est un chant d’amour que Duch consacre à ses modèles. Et c’est un chant d’espoir qu’il offer à ses auditeurs.
Michael Francis Duch : Edges (+3dB)
Edition : 2010.
CD : 01/ Christian Wolff : Edges 02/ Earle Brown : December 1952 03/ Cornelius Cardew : Octet ’61 04/ Morton Feldman : Projection I 05/ Howard Skempton : For Strings
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Lemur : Aigéan (+3db, 2010)
J'espère que cette chronique sera jugée valable. Sinon, vous voudrez bien quand même la trouver honnête puisque j'avoue avoir écouté Aigéan plusieurs fois (cinq ou six) en l'espace de deux jours alors que j'étais alité pour soigner une forte fièvre (entre autre).
A côté de boîtes d'Advil entamées, il y avait donc sur ma table de chevet la pochette de ce disque. Les noms de trois musiciens sur quatre (Bjornar Habbestad, Hild Sofie Tafjord, Lene Grenager, Michael Duch) m'étaient inconnus et je parvenais à peine à distinguer la couleur de la pochette en question. Mais la musique répétitive de Lemur a été une belle expérience. Les instruments à cordes battent la mesure et les autres postillonnent avec une énergie innée, voilà mon premier souvenir.
Au plus fort de ma fièvre, un casque pesait sur mon front et dans mes oreilles, je trouvais la bande-son idéale de mes divigations (dont celle de lémuriens visitant Saragosse, vous chercherez pourquoi). Non, je n'ai pas aperçu de tunnel – je le répète, il ne s'agissait que d'une fièvre – mais j'ai eu l'impression de faire à mon humble tour le voyage en barque du Dead Man de Jarmush en écoutant Imbrium. La musique était répétitve et me plantait des aiguilles dans tout le corps : c'est à Habbestad que je ferais les plus grands reproches. Son jeu est agressif et n'allait pas toujours à mon état de convalescent, mais la potion a peut être aidé à ma guérison. Je me promettais de réécouter le disque une fois guéri. Depuis, je ne l'ai pas fait, de peur de voir la fièvre remonter.
Lemur : Aigéan (+3db records)
Edition : 2010.
CD : 01/ Dasht-Elut 02/ Panthalassa 03/ Betpak-Dala 04/ Imbrium 05/ Dzibilchaltun 06/ Saragasso 07/ Kriznajama
Pierre Cécile © Le son du grisli