Joëlle Léandre, Théo Ceccaldi : Elastic (Cipsela, 2016)
C’est l’aurore mais c’est une aurore joyeuse : Joëlle L. n’épargne pas son archet, il court intrépide, robuste, rigoureux. C’est le crépuscule mais c’est un crépuscule heureux : Théo C. patiente avant de convoquer l’archet. L’une se balade dans l’immédiat, l’autre prend le temps d’observer. Mais le mariage est évident.
Réactifs, les voici projetés dans le royaume des cordes qui s’aimantent, vagabondent, s’écartèlent, palpitent, propulsent, ondulent, désaxent, cheminent. Douce conversation d’un intime partagé, bienveillance et abandon, art des présences robustes, esprits entiers, montées fiévreuses et poignantes… tout ceci et bien plus encore.
Joëlle Léandre, Théo Ceccaldi : Elastic
Cipsela
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ #1 02/ #2 03/ #3 04/ #4 05 /#5 06/ #6
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daunik Lazro, Joëlle Léandre, George Lewis : Enfances (Fou, 2016)
Les portes n’étaient pas murées, tout était encore possible : le rire, la charge, la décharge, la crispation, le relâchement. On s’échappait des codes, ce n’était pas pour en fabriquer de nouveaux. Alors, on prenait le taureau par les cornes, on fonçait sur le drapelet rouge puisque le rouge était encore couleur d’espérance (et Joëlle de se rêver en Carmen teutonne, le temps d’un court couplet).
L’alto grésillait, caquetait, grondait, s’invitait moustique affamé, savait où se loger l’ultra-aigu. Le tromboniste salivait de bonheur, éructait, aboyait, gargarisait son souffle. La contrebassiste-vocaliste exultait, l’archet se portait large, le lapidaire trouvait sa lame. La jungle était sans limite, de drôles d’oiseaux zébraient l’horizon, la basse-cour avait vu le loup. Musiciens et spectateurs étaient des indiens que les cowboys et autres justiciers de petites revues n’osaient pas (même s’ils en rêvaient) affronter. C’était Daunik Lazro, Joëlle Léandre, George Lewis, et le Dunois, en ce jour du 8 janvier 1984.
Daunik Lazro, Joëlle Léandre, George Lewis : Enfances
Fou Records
Enregistrement : 1984. Edition : 2016.
CD : 01-10/ Enfance 1 – Enfance 10
Luc Bouquet © Le son du grisli
Joëlle Léandre : Can You Hear Me? (Ayler, 2016) / No Comment (Fou, 2016)
Déjà rôdé ailleurs et avec d’autres musiciens, Can Your Hear Me? nous permet de redécouvrir la compositrice Joëlle Léandre. Cette face trop souvent cachée – et tout sauf obscure – de la musicienne mérite clarté et premiers plans. Régénéré par les jeunes musiciens dont on cause aujourd’hui (et cela avec juste raison), Can Your Hear Me? s’avance en plein soleil.
Qu’y trouve-t-on ? Beaucoup de choses et d’abord une évidence, celle d’une écriture souple et jamais cadenassée. Qu’y entend-t-on ? Beaucoup de choses et ceci par ordre chronologique : le leitmotiv de Taxi, de sombres chuchotements, des juxtapositions, des alertes et des effleurements, une trompette en solitaire (Jean-Luc Cappozzo), des unissons, une clarinette modulante (Jean-Brice Godet), des jeux ludiques entre cordes et cuivres, un violon microtonal et particulièrement véloce (Théo Ceccaldi), des harmonies et des consonances, un saxophone rauque (Alexandra Grimal), un tutti acharné, un trombone d’attaque (Christiane Bopp), une tendre contrebasse (Joëlle L.), des drums cataclysmiques (Florian Satche). Et des mots commençant par g. Comme grave, grinçante, guerrière ? Comme Joëlle Léandre ?
Joëlle Léandre : Can your Hear Me?
Ayler Records / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01-09/ Can You Hear Me?
Luc Bouquet © Le son du grisli
En 2013, disait à Garrison Fewell : « A partir de quatre musiciens, on est déjà trop nombreux. On ne sait plus où jouer ni avec qui. C’est pour ça que j’adore les duos ou les trios, pour cette musique, c’est parfait » (De l’esprit dans la musique créative). Quitte à passer pour radical, retour à No Comment, disque jadis publié par Red Toucan et réédité aujourd’hui par Fou Records. En solo, Léandre y improvise neuf fois dans le cadre du festival Jazz at Vancouver. Disserte, hâbleuse, bavarde parfois, elle défend là un « No Comment » qui surprendra d’autant : chant de contrebasse et précipité de franglais accordés en tirades magnifiques – plus forte seule qu'à dix, Joëlle Léandre ?
Joëlle Léandre : No Comment
Fou Records
Enregistrement : juin 1995. Réédition : 2016.
CD : 01-09/ No Comment n°1 – No Comment n°9
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joëlle Léandre, Serge Teyssot-Gay : TRANS 2 (Intervalle Triton, 2015) / Léandre, Duch : (live at) Gråmølna (Confront, 2014)
Ce n’est qu’en me plongeant dans cette deuxième collaboration Joëlle Léandre / Serge Teyssot-Gay que je me suis (enfin) posé la question de la signification de TRANS : transgenre ? transversale ? transmission ? transition ?
Moi qui en redemandais (lire TRANS), me voilà servi en couleurs (du rouge à l’orange et du vert au violet)… Et là le duo ne s’encombre plus de politesses mais fond sans attendre sur ses cordes tendues. Archet contre médiator, médiator contre archet, Léandre et Teyssot-Gay vous invitent dans le tipi familier. Là-dedans, le guitariste singe le thérémine de Clara Rockmore pour révéler l’indienne qui sommeille en Léandre. Sur des parallèles de cordes, la dame castafiore (du verbe...) tant et si bien qu’elle transforme en chansons ces improvisations électriques. Jusqu’aux pics. Et, croyez-moi, c’est pas des pics de hannetons.
Joëlle Léandre, Serge Teyssot-Gay : TRANS 2 (Intervalle Triton / Souffle Continu)
Edition : 2015.
CD : 01/ Rouge 02/ Orange 03/ Jaune 04/ Vert 05/ Bleu 06/ Indigo 07/ Violet
Pierre Cécile © Le son du grisli
Enregistrées le 1er novembre 2013, ces six improvisations pour une ou deux contrebasse(s) agitèrent Joëlle Léandre et Michael Francis Duch. Ce sont deux archets qui se tournent autour, se cherchent dans le même temps qu’ils entament un ballet commun : qui ira au son de gestes rapides, de graves embrassant et d’harmoniques complémentaires déposés sur des trames plus ou moins discrètes. Après quoi, une suite de pizzicatos impose plus de retenue au duo : Duch aurait-il tiré Léandre par la manche ? – seuls les spectateurs de Gråmølna pourraient le dire. En tout cas, l’effet est renversant.
Joëlle Léandre, Michael Francis Duch : (live at) Gråmølna (Confront / Souffle Continu)
Enregistrement : 1er novembre 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ The Gråmølna Duo 1 02/ The Gråmølna Duo 2 03/ The Gråmølna Solo (JL) 04/ The Gråmølna Duo 3 05/ The Gråmølna Solo (MD) 06/ The Gråmølna Duo 4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis, Evan Parker : 28 rue Dunois juillet 82 (Fou Records / Metamkine)
Sans doute pas une émergence – le ver était dans le fruit depuis quelques temps déjà – mais l’audace d’une esthétique (l’improvisation radicale made in Europe) alors en plein bouillonnement. Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis et Evan Parker étaient au Dunois en ce chaud mois de juillet 1982. Le Dunois était alors le temple de toutes les expérimentations et un certain Jean-Marc Foussat y faisait ses premières armes de preneur de son(s).
Ces soixante-quinze minutes d’impro libre ne sont rien d’autre qu’une bénédiction. Parce que ces quatre-là n’avaient que le présent pour partage. Il faut les entendre, presque timides, cafouiller le temps de quelques minutes avant de s’unir réellement. Les tics, les habitudes viendront plus tard. Pour l’heure, à demi-notes, ils s’inventent (splendide connexion Lewis-Léandre), cherchent dans leurs duretés-souplesses le plus beau terrain vague. Le propulseur-saxophone d’Evan lançait des sagaies-idées, tâtait du souffle continu sans débordement inutile ; Joëlle – autant pizz qu’arco ici – ne doutait pas et dévoilait quelques-unes de ses sorcelleries futures ; la guitare de Derek jouait un drôle de flamenco et avait la corde fertile ; George Lewis se sentait comme un poisson dans l’eau angélique des hautes rivières. Oui, ces quatre-là avaient du caractère, de la suite dans les idées. L’utopie était en marche. Ce disque vient à point-nommé pour nous suggérer qu’elle est (peut-être) encore possible.
Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis, Evan Parker
28 rue Dunois juillet 82 (extrait)
Derek Bailey, Joëlle Léandre, Evan Parker, George Lewis : 28 rue Dunois juillet 82 (Fou Records / Metamkine)
Enregistrement : 1982. Edition : 2014.
CD : 01/ 1ère partie 1a 02/ 1ère partie 1b 03/ 1ère partie 2 04/ 2ème partie 1 05/ 2ème partie 2
Luc Bouquet © Le son du grisli
Joëlle Léandre, Nicole Mitchell : Sisters Where (Rogue Art)
Dans les notes qui accompagnent le disque, François-René Simon a raison de parler d’ « Alter égales » pour évoquer Joëlle Léandre et Nicole Mitchell, qui enregistrèrent Sisters Where le 20 février 2013 – c’est-à-dire bien après Before After, avec Dylan Van Der Schyff, sur le même label.
Des « alter égales » et des sœurs d’improvisation, Léandre en a pourtant connues (Maggie Nicols, Irène Schweizer, Lindsay Cooper, Lauren Newton, Kazue Sawai, India Cooke…), alors, avec Mitchell, ce sera différent. En orbite – les Sisters en questions explorent ici cinq planètes avant le retour sur Terre –, la flûtiste, d’un lyrisme moins emporté que de coutume, tourne autour de la contrebassiste, la cerne bientôt, l’embrasse enfin : deux archets délicats et quelques pizzicatos composent alors en douce un ballet où le souffle a son mot à dire : autant que les cordes, ses lignes des nœuds remuent.
Joëlle Léandre, Nicole Mitchell : Sisters Where (Rogue Art / Souffle Continu)
Enregistrement : 20 février 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Sisters on Venus 02/ Sisters on Uranus 03/ Sisters on Mercury 04/ Sisters on Mars 05/ Sisters on Saturn 06/ Back on Earth
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joëlle Léandre, Pascal Contet : 3 (Ayler, 2014)
L’accordéon, de par sa tessiture, permet le déploiement de larges états. Mais la contrebasse aussi. Et ainsi, Pascal Contet et Joëlle Léandre, de faire, de nouveau, rougir leurs sensibilités. Et de retrouver ce qui pour eux est un état naturel : l’improvisation.
Ici, ils ne bousculent jamais l’harmonie. Ici, ils évitent les tumultes. Ce sont de drôles d’anges qui étirent leurs ailes. Ils cheminent côte à côte : l’une préfère la vitesse, l’autre enserre la note. Le chant de l’une n’est pas un chant de routine mais de profondeur. Le chant de l’autre est proche des piafs du petit matin. Parfois, nous les surprenons à s’engager en fausse valse. En valse lointaine plutôt. Mais les voici déjouant cette hypothétique valse pour mieux aiguiser leurs fines et aimantes lames. Et le disque, de s’étirer en suavité. Peu à peu, ils tendent vers l’apaisement, vers la douceur, vers le silence. Vingt ans que ça dure. Pas de raison pour que…
Joëlle Léandre, Pascal Contet
Seize
Joëlle Léandre, Pascal Contet : 3 (Ayler Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Quatre 02/ Soixante 03/ Vingt-neuf 04/ Trente-trois 05/ Seize 06/ Trente-cinq 07/ Cinquante-trois
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daunik Lazro, Joëlle Léandre : Hasparren (NoBusiness, 2013)
Ce qui se passe ici est très simple, très naturel : cela se nomme complicité. Nous étions nombreux à le savoir et à attendre ce CD. Il aura fallu un petit village bien allumé du Pays Basque et les lituaniens de NoBusiness pour que… Mais ne nous énervons pas : le disque est là, voilà bien l’essentiel.
La complicité, donc. Une complicité vieille de combien d’années déjà ? Pas important. Ecoutons plutôt. Il y a le baryton de Daunik Lazro et la contrebasse de Joëlle Léandre. Tous les deux sont en vol, prêts à fendre l’harmonie. L’une n’agite pas son archet pour rien. Malgré sa grande maîtrise, elle trouve encore le moyen de (se) surprendre. L’autre pivote et n’a de proie que le cri qu’il arpentera plus tard. Pour le moment, ils restaurent des contrepoints rauques. Parfois, mesurent les distances entre l’hyper grave et l’hyper aigu. Si on ne les connaissait pas, on pourrait dire qu’ils s’observent. Mais tel n’est pas le cas. Ils cherchent et zèbrent leurs flux. L’une glisse, l’autre cisaille et tous les deux résonnent. Et voici que quelque chose s’élève. Et ce qui s’élève n’est pas rien. Nous dirons qu’ils font de la tempête une tendresse infinie. Cela est si simple, cela est si naturel : cela se nomme complicité.
Daunik Lazro, Joëlle Léandre
Hasparren IV
Daunik Lazro, Joëlle Léandre : Hasparren (NoBusiness)
Enregistrement : 2011. Edition : 2014.
CD : 01/ Hasparren I 02/ Hasparren II 03/ Hasparren III 04/ Hasparren IV 05/ Hasparren V 06/ Hasparren VI
Luc Bouquet © Le son du grisli
Théo Ceccaldi Trio + 1 : Can You Smile? (Ayler, 2013)
Il y a toujours Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle) et Guillaume Aknine (guitare). Et puis, il y a aussi Joëlle Léandre. Ni despote, ni démiurge, ni guide (même si plus rythmique que d’ordinaire), cette dernière. Juste la présence et la justesse de l’instant présent. Pas forte en gueule mais toujours forte en cordes. Exacte. Ponctuelle. Le trio a bien fait de la choisir. Ou bien est-ce l’inverse.
Et le trio avance. Happe une mélodie. Gracie le trait de sa propre clarté. Fait acte de stagnation. Assume ses timidités. Résorbe l’inquiétude. Module une possible barbarie. Foudroie le vu-mètre d’une guitare saturante. Et n’oublie pas de craqueler le bois et de tirer les cordes puisque, cela, ils savent aussi le faire. Osons une facile conclusion : à suivre…
Théo Ceccaldi Trio, Joëlle Léandre
Can You Smile?
Théo Ceccaldi Trio + 1 : Can You Smile? (Ayler Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Bonjoir 02/ Lucien le chat 03/ Je ne suis pas 04/ Beat Often 05/ Sirènes et bas de laine 06/ Brosse à chaussures 07/ Hirondelles 08/ Can You Smile? 09/ Brosse à moustaches 10/Ca fait rien 11/ Pruneau sur le gâteau
Luc Bouquet © Le son du grisli
Léandre, Dalachinsky : The Bill Has Been Paid (Dark Tree, 2013) / Léandre, Bourdellon : Evidence (Relative Pitch, 2012)
Joëlle Léandre est (bien évidemment) des Sept basses, onzième hors-série papier du son du grisli qui vient de paraître.
D’une manifestation estampillée Rogue Art, le label Dark Tree a fait un disque : The Bill Has Been Paid, enregistré le 27 mai 2012 en public par Joëlle Léandre et Steve Dalachinsky.
Improvisée, c’est ici la rencontre d’un langage et d’une poésie. Archet large et palette ouverte, Léandre développe le premier sous l’effet de son extravagance, de sa pratique enlevée et aussi des nuances de son partenaire. En vagabonde, la voici qui fond sur l’écrivain doué de parole – la chose n’est pas si courante – et même d’implication sensible : le contact est nerveux mais d’allures diverses. Ainsi les interludes contrastent-ils avec la ponctuation écrite au poing ou les nombreux transports commandés par l’archet.
En Léandre, Dalachinsky a donc trouvé – comme jadis en Joe McPhee (Pray for Me) ou Loren Connors (Thin Air) – une compagnie et un moteur qui épousent voire subliment ses penchants. Dite, voici sa poésie de prolifération et de désenchantements, enfin un touchant message adressé à ses frères d’armes ou de blues (qu’ils soient poètes, musiciens…).
Steve Dalachinsky, Joëlle Léandre
Son of the Sun (After Magic)
Steve Dalachinsky, Joëlle Léandre : The Bill Has Been Paid (Dark Tree / Orkhêstra International)
Enregistrement : 27 mai 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Vocalise (for Jeanne Lee) 02/ Interlude #1 03/ Son of The Sun (After Magic) 04/ Interlude #2 05/ Sweet & Low (Word of Light And Love / The Bill Has Been Paid) 06/ Interlude #3
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
En un autre duo – enregistré au Théâtre du Saulcy en 2011 –, Léandre élabora un autre ouvrage de langage partagé. En guise de partenaire, Jérôme Bourdellon, dont l’usage des flûtes (de la contrebasse au picolo) trahit un heureux rapport à la nature. Dévalant des structures (forêts en pente ou jardins suspendus) imaginées sur l’instant, Léandre et Bourdellon parlent d’Evidence et improvisent en bonne entente.
Joëlle Léandre, Jérôme Bourdellon : Evidence (Relative Pitch)
Enregistrement : 2 novembre 2011. Edition : 2012.
CD : 01-07/ Evidence I - Evidence VII
Guillaume Belhomme © Le son du grisli