Regler : regel #8 (metal) (At War With False Noise, 2016)
Je baisse toujours le volume au minimum quand je lance un CD de Regler (Anders Bryngelsson & Mattin) et puis je l’augmente de seconde en seconde. C’est ma technique. Car on n’est jamais trop prudent d’autant que celui-ci stipule entre parenthèses : metal. Heavy ou Trash ou Black dans lequel le duo aurait bien aimé donner mais ce dont il se sentait incapable finalement…
Mais Regler, c’est aussi une façon de tester les limites (celles de la technique de Mattin & Bryngelsson comme celles de leurs auditeurs). Sur ces trois morceaux captés en concerts, j’imagine bien nos deux garçons profiter de la situation pour arriver quand même à leurs fins = en mettre plein les oreilles au public présent aux Instants Chavirés (10 décembre 2015), à L’étincelle d’Angers (11 décembre 2015) et au MKC de Skopje (12 décembre 2015) et non pas au KFC de Cholet où je les ai attendus pendant deux heures au moins.
Nous sommes donc en présence d’une mini tournée. Et aussi d’une batterie qui tape avec une vigueur qui n’a d’égale que sa persévérance et d’une guitare qui vrombit et vous paralyse presque sur le champ / soit sur la longueur soit en rafales d’appropriations (Locrian dit la capture d’écran d’un tweet) ou de cut-up. Allez-y, après ça, trouver les mots pour décrire le disque. J’ai à peine décollé ma deuxième oreille de l’enceinte que je ne me souviens plus de rien, si ce n’est que c’était fort… & fort bon.
Regler : regel #8 (metal)
At War With False Noise
Edition : 2016.
CD : 01/ Heavy Metal 02/ Trash Metal 03/ Black Metal
Pierre Cécile © Le son du grisli
Regler : regel #5 (classical music) (Nueni, 2016)
Mes oreilles ne s’étaient pas encore remises du Regel #4 (ni du #3, d’ailleurs) de Regler que je trouve dans ma boîte le Regel #5. C’est mon cerveau (que je soupçonne d’héberger ma raison) qui m’a fait attendre un peu avant de le passer. Et puis un jour (récent) je le passe.
Et là, rien. Ou presque rien = le souffle de l’enregistrement, un tripotage de micro, un remuage de tom ou de pied de cymbale… Oui, on sent bien des présences, mais elles ne font guère de bruit ! En ouvrant le digisleeve (l’une des 50 nuances de digi), je retrouve ces présences en photo : à gauche Anders Bryngelsson assis derrière sa batterie, le dos au mur et les yeux fermés, & à droite Mattin, allongé sur le sol, les yeux fermés aussi à quelques centimètres de deux micros.
Dois-je en déduire que le duo s’est enregistré pendant sa pause ? Qu’il a eu envie de savoir ce qu’il se passe dans le studio quand il n’y joue pas ? Qu’il a enfin tenu à en faire profiter tout le monde ? Quand je dis « tout le monde » je veux dire moi. Quarante minutes de fatigue consommée pour eux = quarante minutes de repos assourdissant pour moi. C’est concept, me direz-vous ; c’est vrai, mais j’ajouterai que, dans le discographie de Regler, ça se tient parfaitement !
Regler : Regel #5 (Classical Music)
Nueni
CD : 01/ Regel #5 (Classical Music)
Enregistrement : 26 mars 2015.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Mattin : Songbook #5 (Disembraining Machine, 2014)
Trois chansons sur la première face, deux sur la deuxième : c’est donc un vinyle de plus ! Et un Mattin de plus, mais (c’est toujours la question) dans quel genre cette fois ? Après pas loin de deux ans passés à me poser la question j'ose enfin une réponse : dans le genre post-punk / no wave ou je ne sais quoi (le sait-il lui-même ?).
En tout cas, le démon l’habite (j’aurais pu écrire l’a-beat) et le voilà (avec des comparses qui ont pour noms Alex Cuffe, Andrew McLellan, Dean Roberts, Joel Stern) qui éclate sur nos murs dans un son de ballade qui bat de l’aile, de motorisch ou berlinischbowie (mais en fait c’est pas Bowie mais Eno, qu’est-ce que j’y comprends, moi ? Il faudrait que je me cogne un jour les vocals d’Eno, ça c’est autre chose), de sonic vielle improrock ou de poésie guitarhéroïnomane... Tout ça pour persister & dire que c’est toujours foutraque, Mattin ; c’est toujours troublant aussi.
Mattin : Songbook #5
Disembraining Machine
Edition : 2014.
LP : A1/ What Isn’t Music After John Cage? A2/ Aware Of Its Own Meditation A3/ Stuck In Our Own Trap – B1/ Alienation As An Enabling Condition B2/ The Act Acting On Itself
Pierre Cécile © Le son du grisli
Regler : Regel #4 (HNW) (At War With False Noise / Décimation Sociale / Rapid Moment / Pilgrim Talk, 2015)
En définitive, la conséquence qu'aura ce CD sur votre audition dépendra du volume auquel vous voudrez bien le passer… De quoi ? Eh bien, une demi-heure de noise (harsh noise wall, pour être précis) guitare / batterie. Comment ? OK, vous ne m'avez pas attendu, vous l'avez déjà écouté, ce CD de Regler = Mattin & Anders Bryngelsson (Brainbombs)… Ou alors c'est que vous ne vous êtes pas remis du Regel #3...?
Actualisons : ça part encore à fond les ballons (si je puis dire) qui ne résisteront pas longtemps à la pression. D’ailleurs à quoi bon le crescendo, mon ami ? Mattin et Bryngelsson sont des hommes pressés, et des nuisistes-parasites : à peine le temps de reprendre sa respiration (pas comme chez le dentiste, où la paille-aspirateur à salive vous permet de déglutir si on l’avale un peu) entre deux mesures (mais peut-on vraiment parler ici de mesure ?).
Non, car on tressaute plutôt sur ce brouhaha qui ne connaît que de rares variations (un accrochage d’accord de guitare, un larsen…) et on n’a pas le temps de compter les mesures. On les enquille, plutôt, le sourire aux lèvres. Ou rentré dans la bouche, pour être précis, le sourire!
Regler : Regel #4 (HNW) (At War With False Noise / Décimation Sociale / Rapid Moment / Pilgrim Talk)
Edition : 2015.
CD : 01/ Regel #4 (HNW)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Regler : #3 Free Jazz/Noise Core (Turgid Animal, 2014)
Un groupe inconnu c’est toujours sur la pochette la recherche d’un nom qu’on connaît. Cette fois, c’est le nom de Rashad Becker, qui a « masterisé » ce double CD de Regler (mais qui se cache derrière Regler ? aucun nom n'est donné). Et on peut faire confiance à Becker.
S’il se cache sous les bannières free jazz & noise core, c’est plutôt le moto de Regler (« play as hard and fast as possible for an hour ») qui joue ici. Parti à un train d’enfer (vous me passerez cette expression pré-tram), le duo (puisque c’est d’un duo qu’il s’agit : Mattin / Anders Bryngelsson) guitare / batterie invite deux acolytes à jouer une heure en sa compagnie.
Sur le premier CD, c’est le bassiste Henrik Andersson qui crache avec lui une improvisation noise des plus remontées. Les pédales d’effet en sus, les guitaristes rivalisent d’acharnement et s’occupent des « nuances » « mélodiques » (ouch, quatre guillemets !) d’un bourrinage en règle qui perd parfois de sa cadence. L’exercice peut sembler monotone en façade dans les premières minutes, mais l’oreille perçoit bientôt plusieurs couches au noise core.
Avec le saxophoniste (soprano, si je ne me trompe) Yoann Durant, Mattin et Bryngelsson s’essayent au free jazz. Non pas à la Ornette, mais plutôt le même noise avec un sax en plus. La guitare électrique tapisse en plus épais et le soprano cavalcade dru ! Il peut aussi garder le silence pour laisser l’auditeur souffler jusqu’à ce qu’il se reprenne (et il n’attendra pas longtemps) un grand coup de cymbale ou un retour de fuzz bien placé. Par hush hush, donc, mais harsh harsh... Gros conseil !
Regler : #3 Free Jazz/Noise Core (Turgid Animal)
Enregistrement : 12 février 2014. Edition : 2014.
2 CD : CD1/ 01/ Noise Core – CD2 : 01/ Free Jazz
Pierre Cécile © Le son du grisli
Ray Brassier, Mattin : Unfree Improvisation/Compulsive Freedom (Confront, 2014)
C’est une idée et une pièce « écrite » de Ray Brassier qui met le philosophe en scène avec l’un de ses partenaires d’Idioms and Idiots, Mattin. Devant public (aveuglé, et qui patiente, commente, tousse beaucoup), le 21 avril 2013 à Glasgow.
Inspiré par le thème (Freedom is a Constant Struggle) de l’Arika Festival, Brassier coucha sur le papier ce qu’il entend par « liberté » et ce qu’il entend par « improvisation ». Tout expliquer, la métaphysique même (What Is Not Music ?), l’origine ou l'intention du geste improvisé, occupe encore beaucoup d’improvisateurs valables, et en distrait peut-être davantage, mais trêve… des pas sonnent le début de la performance.
Entre les longs silences qui évoqueront les danses arrêtées de Diego Chamy, des sons préenregistrés ou des effets joués sur l’instant (soufflerie, sirènes, rumeurs animales, voix transformée qui entame un discours…) se figent, marquant les stations d’une improvisation en suspens qui, au final, brille par ses doutes et ses « absences ».
Ainsi, pour peu que l’auditeur garde la conscience tranquille après avoir relativisé l’importance (plus encore que la nouveauté) du texte de Brassier, Unfree Improvisation/Compulsive Freedom, qui offrait déjà davantage à entendre qu’à voir, pourrait ravir jusqu’à l’amateur rassasié de concepts. Tout en ne changeant rien à ses principes : n’est-ce pas lui qui toujours décidera des degrés de liberté et de vérité de la musique qui le soumet ?
Ray Brassier, Mattin : Unfree Improvisation/Compulsive Freedom (Confront / Metamkine)
Enregistrement : 21 avril 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Unfree Improvisation/Compulsive Freedom
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Brassier, Guionnet, Murayama, Mattin : Idioms and Idiots (WMO/R, 2010)
Enregistré au NPAI Festival de 2008, Idioms and Idiots – projet de Jean-Luc Guionnet, Mattin, Seijiro Murayama et Ray Brassier – est de ces disques dont il faut expliquer les causes, croit-on comprendre. Dans un livret, les musiciens s’expliquent – ces explications peuvent aussi être trouvées là.
Ici donc, on parle de musique (non-idiomatic de Derek Bailey) et de philosophie (non-philosophie de François Laruelle) pour en appeler aux conséquences du contact recommandé d’un vocabulaire arrêté (musique dans son acception courante) et de pratiques « rebelles » (improvisation en trois actes). D’autres conflits peuvent naître malgré tout : Brassier en philosophe inquiet de langage musical invité par un trio d’improvisateurs complices poussant ceux-là mêmes à tout refuser en bloc, encore plus qu’à leur habitude. Ainsi, le droit de réponse peut accoucher d’une non-intervention et le désir de dire peut conseiller aux musiciens l’option d’une fuite silencieuse. Pour faire plus vite encore, disons que le duel Activity / Passivity n’a qu’un but avoué et qu’il promet même, baptisé « clinical violence ».
Musicalement, maintenant ? « Non-musicalement », peut-être ? La mise en place tient d’un supplice de la goutte d’eau aux charmes évidents : peaux frottées puis cordes défaites avant ce cri inattendu ; place donc accordée aux mots s’ils saturent, s’ils peuvent donner un peu de fond aux cris multipliés sur le ronronnement « clinique » en effet de machines qui n’en sont pas. Le troisième acte célèbre longtemps une note de guitare et le roulement à billes d’une autre mécanique qui finira par avaler l’un de ses concepteurs – le dernier cri de Mattin est féroce et met un son sur son expérience d’homme broyé net.
Là se termine la pièce d’un théâtre philosophique fait d’accords de guitare lasse, de couacs d’altiste, de silences et de bourdons commandés sur caisses plus ou moins claires, et de vociférations saturant ; la démarche est libre et les questions, sait-on jamais, posées seulement ensuite ? L’esthétique a changé il y a longtemps déjà la forme des beaux-arts, la « non-philosophie » n’a plus qu’à s’occuper de celui de la « non-musique » : le résultat pourrait-il être étrangement musical ?
Ray Brassier, Jean-Luc Guionnet, Seijiro Murayama, Mattin : Idioms and Idiots (w.m.o/r35 / Metamkine)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01-03. Idioms and Idiots
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jean-Luc Guionnet improvisera demain, dimanche 20 mars, à Paris, en compagnie cette fois du contrebassiste Benjamin Duboc. Pour information ou réservation, contacter Bertrand Gastaut.
Klaus Filip, Radu Malfatti, Mattin, Dean Roberts : Building Excess (GROB, 2004)
Vienne, 4 juillet 2003. En studio, Klaus Filip, Radu Malfatti, Mattin et Dean Roberts s’essayent à une expérience électroacoustique qui pourrait bien changer les habitudes de l’audition commune. La guitare électrique de Roberts pèsera ses notes claires avant de les distribuer, les ordinateurs de Filip et Mattin dérouleront leur lot d’oscillations et de craquements, perturbations dont se nourrira le trombone – en filigrane plus qu’en sourdine – de Malfatti.
Dans une machine volante, le groupe progresse et prend possession de l’espace qui l'environne. C’est son transport que l’on entend et aussi les territoires qui concèdent et chantent, l’un après l’autre, avoir été découverts. Le silence suit, puis ce sont quelques souffles qui disent leur blancheur. Autant que de minces larsens ils font maintenant la bande-son de l’architecture élevée en quelques minutes, différente de celle qui sera déposée sur la couverture du digipack – éternel fantasme de modernité sortie de la cassure et colporteuse de froid, que tord l’association à bras le son.
Klaus Filip, Radu Malfatti, Mattin, Dean Roberts : Building Excess (GROB / Metamkine)
Enregistrement : 4 juillet 2003. Edition : 2004.
CD : 01/ Building Excess
Guillaume Belhomme © Le son du grisli