Eric Hofbauer : Prehistoric Jazz – Volumes 1 & 2 (CNM, 2014)
Toute musique étant jazzifiable, Le Sacre du Printemps l’est donc aussi. Et c’est ce que le guitariste bostonien Eric Hofbauer tente aujourd’hui. Prenant source sur la boutade (?!) de Bernstein qui conseillait au timbalier de l’orchestre de jouer un jazz préhistorique pendant l’exécution de l'œuvre de Stravinsky, Hofbauer intitule son nouveau projet Prehistoric Jazz. Comprenne qui pourra.
Ce que l’on entend ici fait écho aux relectures des œuvres de Mahler par Uri Caine. Mais là où le pianiste s’autorisait pas mal de sorties de route, le guitariste reste fidèle à la partition originale. En découle un vrai travail d’orchestration et de mise en espaces (même si celui-ci gomme les complexités rythmiques de l’œuvre) où s’insèrent quelques vrais morceaux de jazz (solos inspirés de clarinette ou de trompette). Une réussite qui ne fait aucun doute mais bien moins poil à gratter que l’original. Et Nijinski n’est plus là pour ajouter au scandale.
Beaucoup moins bienveillant à l’égard du jazz que Stravinski, Olivier Messiaen composa le Quatuor pour la Fin du Temps dans les conditions que l’on sait. Le quatuor devient ici quintet (Eric Hofbauer, Jerry Sabatini, Todd Brunel, Junko Fujiwara, Curt Newton)… et l’œuvre résiste à la jazzification. Idée saugrenue et résultat plus que mitigé malgré la présence d’une clarinette parfois poignante (on n’en dira pas autant de l’accompagnement poussif du guitariste-orchestrateur). Bref : ça ne marche pas à tous les coups.
Eric Hofbauer Quintet : Prehistoric Jazz – Volume 1 / The Rite of Spring (Creative Nation Music)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ A Kiss of the Earth: Introduction 02/ The Augurs of Spring 03/ Ritual of Abduction 04/ Spring Rounds 05/ Ritual of the Two Rival Tribes 06/ Processions of the Oldest & Wisest One 07/ The Kiss of the Earth 08/ Dancing Out of the Earth 09/ The Exalted Sacrifice 10/ Mystic Circle of the Young Girl 11/ The Naming and Honouring of the Chosen One 12/ Evocation of the Ancestors 13/ Ritual Action of the Ancestors 14/ Sacrificial Dance
Eric Hofbauer Quintet : Prehistoric Jazz – Volume 2 / Quintet for the End of Time (Creative Nation Music)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Liturgie de cristal 02/ Vocalise, pour l’ange qui annonce la fin du temps 03/ Abîme des oiseaux 04/ Intermède 05/ Louange à l’éternité de jésus 06/ Danse de la fureur, pour les sept trompettes 07/ Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’ange 08/ Louange à l’immortalité de Jésus
Luc Bouquet © Le son du grisli
Joe Morris : Camera (ESP, 2010)
Les musiciens qui pratiquent l’improvisation, nous confie Joe Morris, sont comme des appareils photographiques, fixant le fugitif instant présent, stoppant le cours du temps, offrant une permanence et une forme aux assemblages aléatoires de tons. Alors, le musicien fait acte, au sens littéral, de révélation.
Voici en quelques mots le propos de Camera, disque que le présent guitariste fait paraître aujourd’hui sur le label ESP. Enregistré en avril 2010, Camera fut enregistré en quartet. On retrouve à ses côtés le très fidèle batteur Luther Gray. Aussi, aux cordes électriques de la guitare de Morris s’ajoutent celles, acoustiques, du violon de Katt Hernandez et du violoncelle de Junko Fujiwara Simons.
Pour emprunter l’image chère à Morris, on pourrait dire que le guitariste et le batteur recréent en leur dialogue musical les conditions de la création photographique : la lumière du jeu de Morris se faufile dans les ouvertures offertes par Gray, dont les rythmes battus offrent d’infinies variations de vitesse. Violon et violoncelle tissent une toile sombre et dense, chambre noire ou « camera obscura », qui permettra aux deux autres d’épanouir et fixer leurs explorations des possibles.
Le jeu de Morris est ici, comme toujours ailleurs, tout de suite identifiable : les notes coulent, nettes et claires, sans effets et égrenées une à une, telles une source fraîche et intarissable… Morris, encore une fois, joue « au naturel ». La complicité qui l’unit à Luther Gray est éclatante et constitue un tel enchantement (en témoigne un Evocative Shadows aux élégantes lignes de fuite) que l’on pardonne bien vite à Morris quelques bavardages superflus (le regrettable Reflected Object et sa composition maladroite). Le jeu de la violoniste et de la violoncelliste, parfaits de mystère maîtrisé (Patterns on Faces), offrent au tout une belle cohérence.
Joe Morris : Camera (ESP Disk / Orkhêstra International)
Edition : 2010.
CD : 01/ Person in a Place 02/ Street Scene 03/ Angle of Incidence 04/ Evocative Shadow 05/ Patterns on Faces 06/ Reflected Object
Pierre Lemarchand © Le son du grisli