Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Carlos Zingaro : Live at Mosteiro de Santa Clara a Velha (Cipsela, 2015)

carlos zingaro live at mosteiro de santa clara a velha

« Dieu me garde des solos de violon ! », aurais-je pu m’écrier en larmes et à genoux et saignant en plus de tout à l’époque où j’apprenais encore la flûte à bec. Ah, si seulement j’avais pu finir mon catéchèse. Or, ce sont des tentateurs comme Carlos Zingaro qui m’ont écarté du droit chemin (camino). A coup d’archet qui fouette ou de cordes qui claquent, vous m’aurez compris.

Car Zingaro (je ne vous apprendrais rien) est ce genre d’instrumentiste qui transcende ou l’instrument. Et pour longtemps voire pour toujours. Prenons l’exemple de ce live daté de 2012 : chez lui (je crois) à Coimbra (Portugal). Lui & lui seul & l’instrument. Ce qui fait trois, soit trois paires de mains ! Leurs improvisations font la course et sur les chevaux et sous la bombe on imagine autant Henry Flynt qu’Irvine Arditti, elles dialoguent aussi avec le délai naturel du monastère de Santa Clara a Velha, elles font la gigue avec une classe qu’on ne trouve normalement pas chez les danseurs de gigue…

Même quand un avion passe c’est le violon qui gagne. Plus que le violon : le son, puisque le principal pour Zingaro c’est (trois fois encore) le son. Si bien qu’à la fin je me pose quand même la question : quelle est la différence entre un solo de violon et un autre solo de violon ? La réponse est toute trouvée : Carlos Zingaro !



Carlos Zingaro : Live at Mosteiro de Santa Clara a Velha (Cipsela)
Enregistrement : 25 mai 2012. Edition : 2015.
CD : 01/ Crushing Wheels 02/ Portions of Life 03/ Twisted Chords 04/ Voids of Night 05/ Scroll of Fate
Pierre Cécile © Le son du grisli



Sudo Quartet : Live at Banlieue Bleue (NoBusiness, 2012)

sudo quartet

S’il démontre que le festival Banlieues Bleues peut encore être pourvoyeur d’instants d’intérêt, ce Live célèbre encore davantage la complicité intacte du duo de cordes Léandre / Zingaro, sublimée par les présences de Sebi Tramontana (troisième larron d’un Chicken Check In Complex jadis enregistré aux Instants Chavirés) et Paul Lovens.

Volatil, le violoniste appelle à lui tous les graves de la contrebasse, les endort sur phrase défaite – la voix de Léandre prend alors le relai – ou entame avec eux un jeu de rapprochement et d’éloignement dont les mouvements profitent de la cohérence du quartette. C’est qu’en arrière-fond, trombone et batterie œuvrent aussi à la prestation haute : litanie improvisée délicate et puissante, voilà pour le souvenir.

EN ECOUTE >>> Sudo 1 >>> Sudo 4

Sudo Quartet : Live at Banlieue Bleue (NoBusiness)
Enregistrement : 25 mars 2011. Edition : 2013.
CD : 01-05/ Sudo 1 – Sudo 5
Guillaume Belhomme © le son du grisli


Carlos Zingaro, Jean-Luc Cappozzo, Jérôme Bourdellon, Nicolas Lelièvre : Live at Total Meeting (NoBusiness, 2012)

zingaro cappozzo bourdellon lelièvre live at total meeting le son du grisli

Un soir d’hiver. Une rencontre. Une première fois ? Rien ne l’indique. Mais rien n’indique le contraire. La timidité se consume. Les phrases sont courtes, font obstacle au silence. Il s’agit quand même d’observer et d’agir. Viendra l’idylle mais plus tard.

Maintenant un rythme. Et chacun de transformer la plainte en joie. La connexion s’est faite. Et personne pour nous dire d’où c’est parti. Maintenant les secousses, le jeu qui n’est plus le je. Un percussionniste s’arc-boute : une clarinette basse puis un violon lui viennent en aide. Et tiennent bon face aux déluges. Maintenant, ils peuvent racler, draper le sensible. La phrase s’allonge, s’épanche. Les unissons s’activent. Une flûte gambade. Une trompette grésille. Le stylo se nomme inutile. Juste écrire le nom de ces quatre musiciens-magiciens: Carlos Zingaro, Jean-Luc Cappozzo, Jérôme Bourdellon, Nicolas Lelièvre. Voilà qui est fait.

EN ECOUTE >>> Total 03

Carlos Zingaro, Jean-Luc Cappozzo, Jérôme Bourdellon, Nicolas Lelièvre : Live at Total Meeting (NoBusiness)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.  
CD : 01/Total 1 02/ Total 02 03/ Total 03
Luc Bouquet © Le son du grisli


Kent Carter : It Will Come (Le Chant du Monde, 1979)

KENT CARTER IT WILL COME

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Parcourir de multiples directions. Affiner ses compétences en matière de composition parallèlement à l’improvisation. Ne pas négliger l’organisation. Allier les qualités d’un orchestre de chambre à la cohésion d’une petite formation de jazz : ce sont là quelques-uns des axes que le bassiste (également violoncelliste) Kent Carter a inventoriés.

Dès qu’il a commencé de s’exprimer sous son propre nom, son vocabulaire s’est tout de suite enrichi de nouvelles dimensions associées à la composition, envisagée comme une sorte d’accomplissement dans sa vie musicale. Chez lui, composer a correspondu à un besoin intérieur, quasi viscéral, ce dont témoignent Beauvais Cathedral (Emanem) et Kent Carter Solo With Claude Bernard (Sun Records), tous deux issus d’un travail entrepris dans l’Oise, près de Paris, au Château de Maignelay où s’est installé Kent Carter pendant un temps.

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C’est au début des sixties, à Boston, aux Etats-Unis, que Kent Carter commença de s’illustrer dans le jazz après avoir suivi l’enseignement de la Berklee School of Music. Fort des leçons d’Herb Pomeroy, il intégra d’abord la rythmique d’un club local, At Lennie’s, en compagnie du pianiste Mike Nock et du batteur Alan Dawson, accompagnant les Booker Ervin, Zoot Sims, Phil Woods, Charlie Mariano ou Sonny Stitt de passage. Plus intéressant, il fit rapidement partie du trio du pianiste Lowell Davidson, dont un album paru chez ESP offre à entendre Gary Peacock à sa place – dommage pour Kent Carter… Sauf que ce groupe, pendant les quatre ans dont il allait en faire partie, l’amena à rencontrer à New York ceux qui allaient révolutionner le jazz : Bill Dixon, Cecil Taylor, Carla Bley et Mike Mantler qu’il côtoya tous, notamment au sein du Jazz Composers’ Orchestra, avant d’enregistrer en trio avec Paul Bley et Barry Atlschul. A la suite de quoi l’Europe fut parcourue, en quête d’expériences, dont les plus célèbres demeureront celles menées avec Don Cherry, puis, régulièrement, aux côtés de Steve Lacy.

Kent Carter a beaucoup écouté Henry Grimes, mais aussi Scott LaFaro, Gary Peacock, Alan Silva, tous bassistes émancipés. Faire progresser son instrument, au milieu des seventies, l’interpelle. Et à ce titre, il initie une rencontre intitulée Paris Bass Revolution, ce dont rendit compte un concert au Musée d’Art Moderne de Paris en compagnie de Peter Warren, Beb Guérin, Jean-François Jenny-Clark, Jean-Jacques Avenel et Oliver Johnson. Un rendez-vous malheureusement raté par manque de préparation selon l’instigateur lui-même – dommage… 

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Dans sa collection dédiée aux instruments de musique, le label Le Chant du Monde donnera toutefois à Kent Carter l’occasion de se rattraper en travaillant, cette fois, d’arrache-pied. En 1975, Kent Carter avait d’ailleurs été du disque consacré par cette même enseigne au piano, et confié à Michael Smith – un disque sans compromis d’aucune sorte, singulier, complexe.

Complexe, It Will Come ne le sera pas moins, qui se consacre donc à la contrebasse, et dont les notes de pochette insistent sur l’histoire. Diversité des formes associées à l’instrument et des bois utilisés, importance du luthier, variétés d’archets : tout ceci est évoqué. Ceux qui ignorent tout de l’archet allemand (différent du français) apprendront que sa hausse, plus large, nécessite une prise différente à l’origine d’effets spécifiques. Le didactisme de bon aloi que voici ! Hommages sont aussi rendus à Bertram Turetzky, Gary Karr et Pops Foster : Bass is beautiful! 

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Pour autant, cet album dont les deux faces s’articulent différemment n’a rien d’un inventaire. Ou bien alors il s’avère si subtil qu’on ne s’en rend pas compte. La Face A s’ouvre par un blues au tempo de marche typique du pizzicato, suivi par un quatuor à cordes avec section rythmique (contrebasse et batterie) précédant le morceau-titre en trio avec Takashi Kako au piano et Oliver Johnson à la batterie. La Face B quant à elle surprend : il s’agit d’une suite pour orchestre à cordes et deux solistes, en quatre mouvements. L’orchestre s’y compose de deux flûtes, quatorze premiers violons, huit deuxièmes violons, quatre altos, six violoncelles et quatre contrebasses – y participent l’épouse de Kent Carter, Michala Marcus (à qui fut autrefois dédiée une bien belle ballade), et Carlos Zingaro.

De l’ensemble se dégage un univers éminemment personnel, rigoureux, et à rapprocher – dans un registre différent – du premier opus de Barre Phillips en solo, de son duo avec Dave Holland également, voire de Taxi de Joëlle Léandre, ou encore des Conversations entre François Méchali et Beb Guérin.


Jazz à part 2011

jazz à part 2011

D’une émission radiophonique hebdomadaire – diffusée tous les vendredis par la station HDR, 99.1 sur la bande FM locale – est né l’an dernier, à Rouen, un festival de jazz. Ainsi, une émission de radio et un festival partagent désormais un même nom, Jazz à Part, et une même devise : Free Music for Free People.

En 2010, le festival a programmé le trio Jean-Luc Cappozzo / Jérôme Bourdellon / Nicolas Lelièvre, le contrebassiste Claude Tchamitchian ou encore le guitariste Raymond Boni et le batteur Makoto Sato emmenant le Mamabaray Quartet. Encourageante, l’expérience commanda une suite : la deuxième édition vient d’avoir lieu, le cœur eut lieu le week-end dernier (21 et 22 mai). Plus tôt dans la semaine, un cinéma a diffusé en guise d’appetizers les films The Connection (Jackie McLean et Freddie Redd dans les rôles principaux) et Billy Bang’s Redemption Song tandis que la Galerie du Pôle Image a laissé au duo Ecco Fatto (Emmanuel Lalande et Jean-Paul Buisson) le soin d’improviser sur cadres de pianos.

Au cœur du festival, maintenant. Samedi 21 mai, en fin d’après-midi, Daunik Lazro donna un solo au saxophone baryton à l’Aître Saint-Maclou, ancien cimetière aux colombages ornés de crânes, d’os croisés et d’utiles instruments d’enfouissement. Pour Lazro, pas de Memento Mori cependant, plutôt un rappel recueilli administré à l’auditeur averti comme au passant : « Souviens-toi que tu peux entendre ». Interprétant, le saxophoniste rend hommage à John Coltrane et Albert Ayler. Une question, alors : combien sont-ils, les musiciens capables de mêler leur voix à celle de deux figures pareilles ? Le compte-rendu ne rendra pas de comptes, ne donnera pas d’estimation numéraire et encore moins de noms, mais soulignera que Daunik Lazro est de ceux-là, et des plus justes encore. Improvisant, le saxophoniste déploie par couches successives un témoignage d’exception fait autant de graves tonnants que de souffles blancs, de notes endurantes que de vibrations porteuses, et ce jusqu’au fading derrière lequel l’auditeur comprendra que l’instant est déjà passé, qui contenait un lot d’impressions aussi intenses qu’insaisissables.

Un peu plus tard, sur les quais de Seine, deux duos d’improvisateurs ont accordé l’un après l’autre leurs humeurs vagabondes : Hélène Breschand et Sylvain Kassap, d’un côté, Akosh S. et Gildas Etevenard, de l’autre. A la harpe, à la voix et aux machines, Breschand dessinait une musique de chambre à ogives que Kassap, aux clarinettes, aux flûtes et aux machines lui aussi, envisageait dans le même temps en coloriste. La connivence mit sur pied un théâtre enchanteur : mystère aux croyances discordantes et emmêlées, au langage en conséquence halluciné. Plus terrestre, l’échange d’Akosh S. (saxophone, clarinettes, flûtes, percussions) et Gildas Etevenard (batterie et gardon – instrument à cordes hongrois encaissant aussi bien frappes que pincements) ne fut pas moins efficient. Partenaires réguliers illustrant notamment les chorégraphies de Josef Nadj, les deux hommes composèrent de subtils paysages de rocailles, tentés de se fondre en des cieux béants. Contemplatif et concentré, le duo vagabonda en plaines, décidant ici ou là de tailler un relief à la hache : comme au temps de l’Unit, les belles incartades du ténor sont la marque de son invention abrupte.

D’autres reliefs encore, dimanche 22, au même endroit – le 106, pour être précis. En après-midi, Carlos Zingaro et le batteur Nicolas Lelièvre, familiers, se retrouvaient sur scène en présence de Joëlle Léandre. Deux archets d’exception : celui de la contrebassiste, exubérant, passionné, et même apaisé par moments ; celui du violoniste, volubile, sensible, voire surfin. Toutes cordes combinées avec élégance, que Lelièvre accompagna avec aplomb, cursif et agile, à l’affût pour changer toute intention en frappe opportune. Ensuite vint le temps d’une autre batterie (celle de Makoto Sato) et d’une autre contrebasse imposante (celle d’Alan Silva, qui interviendra aussi au synthétiseur), entre lesquelles se glisseront trompette, bugle et flûtes (ceux d’Itaru Oki). Sur synthétiseur, Silva expérimente en enfant détaché de toutes conventions, dans la joie ou le tumulte, invective ; à la contrebasse, il accompagne et ordonne, profite de l’harmonie de ses partenaires – Sato caressant peaux et cadres, mesurant ses coups comme d’autres réfléchissent en traçant des points d’interrogation, et Oki inventant dans le sillage de Don Cherry des mélodies sublimées par sa profonde exécution. Généreuse est la conclusion de ces quelques jours d’une improvisation en partage. Les promesses ont largement été tenues, jusqu’au respect de cette citation d’Eric Dolphy, phrase-étendard prononcée en guise d’introduction au solo de Lazro à l’Aître Saint-Maclou : « À peine écoutez-vous de la musique que c’est déjà fini, qu’elle est déjà partie, elle est dans l’air. Pas moyen de remettre la main dessus. » D’ailleurs, la redite elle-même ne saurait être consolante : le seul recours reste l’improvisation à suivre, l’instant d’après à inventer dans les limites du possible et de l’irraisonnable. Dès l’année prochaine, Jazz à part devrait y travailler.

Guillaume Belhomme © Mouvement / Le son du grisli


Lenoci, Magliocchi, Zingaro : Serendipity (Amirani, 2009)

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En 2007, Carlos Zingaro rencontrait à l’occasion du festival de jazz de Bari le pianiste Gianni Lenoci et le percussionniste Marcello Magliocchi.

Consignée sur Serendipity, l’expérience confronte d’abord les coups d’archet vindicatifs de Zingaro aux trouvailles faites par Lenoci à l’intérieur d’un piano préparé – qui sonne ici comme une harpe défaite, ailleurs comme un mobile métallique et grinçant – avant d’hésiter entre un lyrisme déposé au creux de trois tourmentes (Part #3) ou de trois insistances (Part #4).

Plus affirmés, les gestes de Magliocchi n’en restent pas moins toujours à distance (Part #2), si ce n’est sur la fin, sur laquelle de grands coups portés répondent avec à-propos aux saillies d’un piano auxquelles les notes sont arrachées et aux initiatives toujours impétueuses de Zingaro : conclusion d’une préciosité incisive.   

CD: 01/ Part #1 02/ Part #2 03/ Part #3 04/ Part #4 05/ Part # 5 >>> Lenoci, Magliocchi, Zingaro - Serendipity - 2009 - Amirani Records.


ZFP Quartet : Ulrichsberg München Musik (Bruce's Fingers, 2007)

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Deuxième disque du ZFP Quartet, Ulrichsberg München Music présente trois titres improvisés à Ulrichsberg et Munich en 2006. Qui soumettent un univers de cordes à la maturité de la pratique de Carlos Zingaro (violon), Simon H. Fell (contrebasse), Marcio Mattos (violoncelle) et Mark Sanders (batterie).

Sur plus de trente minutes, le groupe donne d'abord naissance à Ulrichsberg 1, pièce changeant selon le débit des interventions mais délivrant partout ses propositions sophistiquées, notamment dans les dialogues qu'elle instaure : Fell combinant ses pizzicatos à ceux de Zingaro avant de répondre à la tirade percussive que Sanders fomente sur de petits objets. Plus atmosphériques, München et Ulrichsberg 2 déposent d'autres pizzicatos sur un tapis de plaintes passablement refoulées, Zingaro et Mattos traitant électroniquement leurs initiatives. De là, sortent des souffles que l'on n'attendait pas ou quelques sifflements qui contrastent avec les résonances élaborées sur élément de verre par Sanders. Imposant leur réflexion familière aux effets de gestes imprévisibles, le ZFP Quartet délivre ainsi un message érudit et surprenant.

ZFP Quartet : Ulrichsberg München Musik (Bruce's Fingers)
Edition : 2007.

CD1 : 01/ Ulrichsberg 1 02/ München 03/ Ulrichsberg 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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