Sven-Åke Johansson : The 80's Selected Concerts (SÅJ, 2014)
Veillant à la bonne garde et à la restauration de précieux documents archéologiques, de bienveillants ingénieurs du son (ici Christian Fänghaus ou les musiciens eux-mêmes) ont su documenter Sven-Åke Johansson tout au long des eighties. Ainsi :
Le 6 septembre 1990 à Berlin, SÅJ, Wolfgang Fuchs et Mats Gustafsson se répondaient du tac au tac et naissait une utopique fanfare. Clarinettiste et saxophoniste faisaient concours de babillages. Les prises de becs (mémorables !) ne se calculaient plus. L’accordéoniste et le clarinettiste sectionnaient l’horizon. Wolgang Fuchs jouait au crapahuteur chevronné. Sven-Åke Johansson devenait prolixe et inspiré-inspirant. Mats Gustafsson, tout juste la trentaine, ne jouait pas encore au fier-à-bras (depuis…). Précieux document que celui-ci.
A Berlin, un jour oublié de l’an (19)85 un pianiste et un percussionniste combattaient la routine. L’un faisait se télescoper ses claviers acoustique et électronique, débordait de tous côtés tandis que l’autre, émerveillé, frappait et grattait les surfaces passant à sa portée. Instables et fiers de l’âtre, Richard Teitelbaum et Svan-Åke Johansson jouaient à se désarticuler l’un l’autre. Zappant d’une cime à l’autre, parcourant la caverne aux sombres réverbérations, crochetant quelques virages brusques, ils perçaient l’insondable et y prenaient plaisir. Et au mitan de ce trouble magma, le batteur prenait le temps de « friser » en grande vitesse (et haute sensibilité) renforçant ainsi son statut de percutant hors-norme(s).
A Berlin, le 18 mars 1991, ils étaient cinq teutons (Günter Christmann, Wolfgang Fuchs, Torsten Müller, Alex von Schlippenbach, Tristan Honsinger) et un teuton d’adoption (Sven-Åke Johansson) à croiser leur(s) science(s). Il y avait de faux mouvements de jazz, des souffleurs sans états d’âme, un violoncelliste imposait des lignes franches, le pianiste dévastait son clavier (normal : AvS !), on investissait le centre et on ne le quittait pas, violoncelle et piano s’isolaient pour mieux s’agripper, on décrochait des tensions-détentes… Et si n’étaient ces shunts systématiques, on classerait cet enregistrement parmi les plus évidentes références de la fourmilière improvisée.
A Umeå, en novembre 1989, on retenait les cymbales frémissantes du leader, le fin caquetage du sopranino de Wolfgang Fuchs, le trombone-poulailler de Günter Christmann, les crispations d’un violoncelle extravagant. Extravagant, ce cher Tristan Honsinger (qui d’autre ?), et la plupart du temps lanceur et guide d’alertes toujours soutenues par ses trois amis. Risque de décomposition, remous grandissants, souci de ne jamais récidiver, stratigraphie contrariée, voix sans assise, césures permanentes, disgracieux babillages, décapant duo violoncelle-accordéon, jungle déphasée : soit l’art de se rendre profondément ouvert à l’autre.
Au Dunois parisien en 1982, la guitare d’acier d’Hans Reichel réveillait les morts, un flipper passait par là, l’essaim Rüdiger Carl piquait à tout-va, Steve Beresford encanaillait un vieux standard, un cabaret improbable s’installait, la samba était d’épouvante et tous jouaient aux sales gosses (le batteur-accordéoniste semblait y prendre plaisir). A la fin du voyage, l’évidence s’imposait : le désordre avait trouvé à qui parler.
Sven-Åke Johansson : The 80’s Selected Concerts
SÅJ
Enregistrement : 1982-1991. Edition : 2014.
5 CD : Rimski / Erkelenzdamm / Splittersonata / Umeå / BBBQ Chinese Music
Luc Bouquet © Le son du grisli
Paul Hubweber, Frank Paul Schubert, Alexander von Schlippenbach, Clayton Thomas, Willi Kellers : Intricacies (NoBusiness, 2015)
S’il fallait encore démontrer de quelle manière il est possible de diriger une formation – un quintette, ici, qui réunit Paul Hubweber (trombone), Frank Paul Schubert (saxophones alto et soprano), Alexander von Schlippenbach (piano), Clayton Thomas (contrebasse) et Willi Kellers (batterie) – de derrière un piano, Intricacies – concert enregistré à Berlin le 24 février 2014 – serait d’une aide précieuse.
C’est donc Alexander von Schlippenbach qui, une fois encore, se charge de la démonstration. Ainsi impose-t-il avec un naturel déconcertant trois pièces sur lesquelles il offrira autant d’espace à ses partenaires qu’il saura s’en réserver. Parmi ceux-là, c’est d’abord le trombone et le saxophone que l’on remarque : Paul Hubweber et Frank Paul Schubert, qui conservent leur équilibre sur les reliefs et les rapides d’une section rythmique en butte, justement.
Qu’ils se prennent les notes dans quelle partition ou se plient aux codes percussifs qui décident des répétitions comme des changements de cap, Hubweber et Schubert ne font pas défaut à l’invention du trio qui les accompagne et les oblige tout à la fois. Mais l’obligation n’interdit pas la surprise : ainsi, les souffleurs peuvent lui préférer soudain la suspension de notes approchantes (sur Come to Blown), la citation (de Mingus, notamment) ou cette envie de doublage qui pousse l’alto à surpasser en fougue les fougues cumulées de l’entier quintette (sur Intricacies).
Assez parlé des souffles, d’autant que leur révélation eut sans doute été impossible sans le trio qui les accompagne : au tapage ou taponnage, Schlippenbach reste du groupe le musicien qu’on ne peut retenir par la manche quand, au défi d’un accompagnement délicat, Thomas et Kellers répondent par un art impeccable. Voici, en conséquence, Intricacies faite référence des discographies de Paul Hubweber, Frank Paul Schubert, Clayton Thomas et Willi Kellers. Mieux encore, de l’œuvre d’Alexander von Schlippenbach aussi.
Paul Hubweber, Frank Paul Schubert, Alexander von Schlippenbach, Clayton Thomas, Willi Kellers
Intricacies (extrait)
Paul Hubweber, Frank Paul Schubert, Alexander von Schlippenbach, Clayton Thomas, Willi Kellers : Intricacies (NoBusiness)
Enregistrement : 24 février 2014. Edition : 2015.
2 CD : CD1 : 01/ Come to Blows – CD2 : 01/ Intricacies 02/ Encore
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Schlippenbach Trio : Features (HatOLOGY, 2015) / First Recordings (Trost, 2014)
A intervalles plus ou moins réguliers, ce vieux trio (voir ci-dessous) revient hanter nos étagères. Les vieux copains, on les connaît, on les écoute, on connait leurs mécanismes et l'on sait aussi qu’aujourd’hui ils ne vont pas fissurer la routine. Mais les vieux copains ne sont pas de vieux copains pour rien. Ils ont étoilé de noires nuits, sauvé de mornes journées. Et ils sont toujours dans la cité.
Les figures cassantes d’Evan Parker s’oublient parfois, les fusées de son vieux ténor ne possèdent plus la dureté d’antan. Mais le phrasé est toujours aussi intense, soutenu. Paul Lovens s’arrime de résonances, roule sur la peau, fusionne les métaux. Alex von Schlippenbach soutient l’espace, lui chante louanges et dithyrambes. Et si la tension du début s’est domestiquée au profit de l’attente et de la résonance, restent toujours la présence, les duos inspirés (souffle continu contre quincaillerie percussive, ténor rugueux contre frappe hirsute). Et quoi de mieux que les vieux copains pour réinventer le monde ?
Schlippenbach Trio
Features
Alexander von Schlippenbach : Features (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
CD : 01-15/ 01-15
Luc Bouquet © Le son du grisli
Publiées à la fin des années 1970 par FMP – dont Lasse Marhaug a subtilement emprunté les codes graphiques pour composer cette couverture – sur la compilation For Example. Workshop Freie Musik 1969 - 1978, ces First Recordings (devant un maigre public) datent du 2 avril 1972. Quelques mois avant l’enregistrement de Pakistani Pomade, ils annonçaient donc le bel avenir du trio. Epais, nerveux, remuants, les premiers essais sont des tentatives qui aboutissent : fuites et déferlantes valant échappatoires, frappes sur piano et batterie contre soprano en équilibre ou ténor sifflant. Après quoi, le trio traîne sur gravats (Then, Silence) : ballade étrange (et murmurée), qui s’avèrera inspirante.
Schlippenbach Trio : First Recordings (Trost)
Enregistrement : 2 avril 1972. Edition : 2014.
CD / LP : 01/ Deal 02/ Village 03A/ With Forks and Hope 03B/ Then, Silence
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! (Intakt, 2014)
L’heure (décembre avancé) est encore à l’hommage, obligé presque par un anniversaire – il y a cinquante ans, disparut Eric Dolphy. Celui adressé par le couple de pianistes (et arrangeurs pour l’occasion) Aki Takase / Alexander von Schlippenbach a été enregistré plus tôt (19 et 20 juin 2014), en public, à Berlin – où disparut Dolphy.
Les comparses sont plus ou moins anciens – Han Bennink et Karl Berger, jadis recrues du Globe Unity, le saxophoniste alto Henrik Walsdorff ou encore Axel Dörner et Rudi Mahall, moitié de Die Enttäuschung avec laquelle Schlippenbach interprétait encore récemment l’entier répertoire de Thelonious Monk (Monk’s Casino) – qui interviennent sur des relectures que l’audace de Dolphy aurait peut-être pu inspirer davantage.
Ainsi, si de courts solos déstabilisent encore Les, si les dissonances courent d’un bout à l’autre du disque (pianos en désaccord d’Hat and Beard ou embrouillés en introduction d’Out There) et si l’on assomme le motif mélodique à force de décalages rythmiques (Hat and Beard) ou de langueur distante (The Prophet), les forces en présence font avec un manque d’allant jamais contrarié et se satisfont souvent d’évocations entendues. Après être revenu à Dolphy par l’hommage, l’heure (décembre avancé toujours) est désormais à l’envie d'aller l'entendre, lui.
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach
So Long, Eric! (extraits)
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! Homage to Eric Dolphy (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 et 20 juin 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Les 02/ Hat and Beard 03/ The Prophet 04/ 17 West 05/ Serene 06/ Miss Ann 07/ Something Sweet, Something Tender 08/ Out There 09/ Out to Lunch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jim Dvorak, Paul Dunmall, Mark Sanders, Chris Mapp : Cherry Pickin' (Slam, 2014) / Red Dhal Sextet (FMR, 2013)
S’il est bel et bien Américain, le trompettiste Jim Dvorak s’est souvent fait entendre auprès de Britanniques influents : Keith Tippett, Elton Dean, ou encore Evan Parker et Lol Coxhill dans The Dedication Orchestra. Le 10 juillet 2013, c’est en compagnie de Paul Dunmall, Mark Sanders et Chris Mapp qu’il rendait quelques compositions personnelles.
La présence de Dunmall (au ténor et au saxello), exceptionnel encore, soignera l’influence que Coltrane semble avoir eu sur Dvorak. Son jazz est vif – Sanders et Mapp aidant, d’ailleurs –, altier, pourra rappeler aussi Ornette Coleman ou Oliver Lake mais ne s’en tiendra pas là. Dvorak multiplie en effet les propositions : donnant ici de la voix (quitte à désespérer un peu son auditeur), il cite ailleurs Frank Zappa ou se souvient d’Harry Miller, enfin, conduit avec une instabilité inspirante une plage d’une vingtaine de minutes que les quatre musiciens rehausseront tour à tour de leurs inventions personnelles : ainsi As Above, So Below sonne-t-il l’heure de la fructueuse cueillette.
Jim Dvorak, Paul Dunmall, Mark Sanders, Chris Mapp : Cherry Pickin’ (Slam Productions)
Enregistrement : 10 juillet 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ E.D.’s Muse 02/ If I’m Gonna Have to Choose 03/ Love’s Own Prayer 04/ Miller’s Tail 05/ Zapped 06/ Getty’s Mother Burg 07/ As Above, So Below
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
En studio à Berlin le 19 septembre 2011, Dunmall enregistrait en sextette mû par un goût pour les légumineuses que ses membres (aussi Alexander von Schlippenbach, Hilary Jeffery et le Fabric Trio : Frank Paul Schubert, Mike Majkowski et Yorgos Dimitriadis) ont en commun. La résonance d’un accord tombant de piano annoncera la tempête : attendue, celle-ci n’en sera pas moins percutante et sa musique accidentée, qui fait de son équilibre précaire la force qui lui assurera sa diversité : ainsi Schlippenbach et Dunmall sonnent-ils maintenant l’heure de la récolte.
Red Dhal Sextet (FMR)
Enregistrement : 19 septembre 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ White Dhal 02/ Orange Dhal 03/ Purple Dahl 04/ Red Dhal 05/ Turquoise Dhal 06/ Scarlet Dhal 13:11
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Paul Dunmall concluera ce samedi soir l'édition 2014 du festival Météo : au Noumatrouff, à la tête du Deep Asunder Four (Hasse Poulsen, Paul Rogers, Mark Sanders).
Alexander von Schlippenbach : Plays Monk (Intakt, 2012)
S'il a rendu un immense hommage au pianiste sur Monk's Casino, Alexander von Schlippenbach n'en a pas fini avec Thelonious Monk : au son d’un Bösendorfer (dont il aime l’empreinte autant peut-être qu’Aki Takase, autre grande admiratrice de Monk) et sur une sélection de classiques dans laquelle il glisse huit interludes de sa composition, il y revient donc.
Enregistré les 22 et 23 novembre 2011, Plays Monk convoque Reverence, Epistrophy, Brilliant Corners ou Pannonica. S’il est impossible de rivaliser avec Monk sur son propre terrain – c'est-à-dire sur son répertoire –, Schlippenbach soigne ses variations au gré de caprices évasifs, subits, accrocheurs voire accidentés, ou même vicieux (le vice en question poussé jusqu’à charger par exemple l’allure défaite de Reflections). Schlippenbach s’en tire d’ailleurs le mieux lorsqu’il s’inspire du tempérament de Monk davantage qu’il n’interprète ses partitions : sur Coming on the Hudson ou Introspection, allant là jusqu’à garder du thème la peau seule et les os pour s’en faire un habit – costume et chapeau noir – sur mesure.
Alexander von Schlippenbach : Plays Monk (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 22 et 23 novembre 2011. Edition : 2012
CD : 01/ Reverence 02/ Work 03/ Interlude I 04/ Locomotive 05/ Introspection I 06/ Introspection II 07/ Coming On The Hudson 08/ Interlude 2 09/ Epistrophy 10/ Interlude 3 11/ Reflections 12/ Interlude 4 13/ Interlude 5 14/ Brilliant Corners 15/ Interlude 6 16/ Interlude 7 17/ Pannonica 18/ Interlude 8 19/ Played Twice 20/ Epilogue
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Quatre vues de Sept pianos
Quatre vues du quatrième hors-série du son du grisli dont le sujet est le piano. Portraits de Sophie Agnel, Charlemagne Palestine, John Tilbury, Jacques Demierre, Cecil Taylor, Alexander von Schlippenbach et Mal Waldron accompagnés de chroniques choisies. Soixante pages et leur notice en étui plastique numéroté. Dernières exemplaires déposés à Metamkine.
Alexander von Schlippenbach : Globe Unity (Saba, 1966)
Ce texte est extrait du premier volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
Alexander von Schlippenbach, en 2005, au moment de la sortie de Monk’s Casino, coffret-relecture de l’intégrale de l’œuvre de Monk : « Je suis un musicien de jazz et je préfère appeler ma musique du free ; en tant que pianiste j’apprécie aussi bien Horace Silver que Cecil Taylor, même si la vision que ce dernier a de l’instrument me parle plus précisément. » Une fois questionné plus avant, on comprend que Schlippenbach fait allusion au fait que Cecil Taylor utilise le piano comme un balafon ou une batterie à quatre-vingt-huit toms : « Chez moi dit-il, la conception des structures mélodiques s’appuie également sur l’attaque, souvent percussive. »
Alexander von Schlippenbach sera très vite repéré dès lors qu’il participera à l’élaboration du label allemand FMP, en compagnie du saxophoniste Peter Brötzmann, du bassiste Peter Kowald et du (notamment) bassiste / producteur Jost Gebers. Parmi ses influences, outre le jazz, Schlippenbach cite la « tutelle » du compositeur contemporain Bernd Alois Zimmermann tragiquement disparu en 1970, avec qui il a collaboré, et dont la pièce « Requiem For A Young Poet » a été définitivement marquante. Les deux hommes partageaient une même vision plurielle / pluraliste et globale de la composition, une vision singulière où le passé, le présent et le futur fusionnent dans l’éternité de l’instant lié à l’improvisation, conception qui les rapproche, selon Schlippenbach, d’un Timothy Leary ou d’un James Joyce. Quant au jazz à proprement parler, il n’était pas étranger à Zimmermann, qui s’intéressait entre autre au quintette de Manfred Schoof au sein duquel Schlippenbach jouait du piano.
De toutes les formations animées par le pianiste allemand, le Globe Unity Orchestra demeure l’une des plus fameuses, et l’avant-garde de l’impro européenne parait s’y être de tous temps donné rendez-vous. On l’ignore parfois, l’idée de ce grand orchestre a été mise sur pied dès 1966, en partie inspirée par les conceptions de Zimmermann, et à la suite d’une commande de la radio, à l’origine de la pièce intitulée « Globe Unity » jouée à Berlin la même année, et dont le titre a finalement donné son nom à un ensemble se réunissant régulièrement. Au départ, les musiciens rassemblés vinrent du quintette de Manfred Schoof et du trio de Peter Brötzmann, les deux batteurs étant rien moins que Jaki Liebezeit, du groupe de rock Can, et Mani Neumeier, de Guru Guru.
A l’époque, l’on compara le Globe Unity Orchestra au Jazz Composers’ Orchestra de Mike Mantler : leurs préoccupations ne s’avéraient cependant pas identiques, mais juste voisines. Dans cette performance inaugurale qu’est « Globe Unity », et à laquelle répond « Sun » ici sur la face B, quatorze musiciens, essentiellement issus du free et de différents pays européens, jouent. L’idée, selon Schlippenbach, a été d’utiliser toutes les forces en présence, de tirer un maximum des permutations d’instrumentistes possibles, sous forme de combinaisons propices à l’improvisation par affinités.
Beaucoup de ce qui s’est joué ce jour-là, au Berlin Jazz Festival, était le fruit d’arrangements couchés sur papier de manière graphique, surtout pour les accompagnements soutenant les solistes. Peu connu, l’album Globe Unity est une étape importante de la musique libre en Europe et du free jazz en grande formation ; un prolongement de ce qui a été entrepris par le double quartette d’Ornette Coleman sur Free Jazz, au diapason de son époque et d’une actualité toujours brûlante.
Schlippenbach Quartet : At Quartier Latin (FMP, 2010)
Si, au disque, les quatre décennies d’aventures du Schlippenbach Trio sont pour le moins correctement documentées, les avatars du groupe, lorsqu’il a été étendu à un quartet (entre 1973 et 1983, par adjonction d’un bassiste – successivement Kowald puis Silva), n’ont comparativement laissé que peu d’enregistrements.
Les deux concerts berlinois reproduits aujourd’hui – qui combinent la face B du vinyle Three Nails Left (février 1975) et l’intégralité du LP intitulé The Hidden Peak (janvier 1977) – permettent d’écouter Alexander von Schlippenbach (piano), Evan Parker (saxophones ténor & soprano), Paul Lovens (percussions) et Peter Kowald (contrebasse) dans des conditions satisfaisantes, tout en faisant un intéressant pendant au disque publié il y a une dizaine d’années par Atavistic, Hunting the Snake (septembre 1975).
Ecouter ou réécouter cette musique, trente-cinq ans après sa création, c’est aussi s’interroger sur sa réception à l’époque et remettre en cause la doxa de l’oncle qui, nostalgique, s’acharna à nous convaincre que, vraiment, l’âge d’or du free (branche teutonne) en Europe – ces seventies au milieu desquelles nous naissions, tandis que mouraient certains idéaux dudit tonton – « c’était super, pur & dur, politisé » et tout et tout... que la musique y était « libre & sauvage »…
Eh bien, je crains de ne pas entendre là le free « intransigeant, viril, destructeur », fantasmé par certains auditeurs vétérans (de ce qu’ils prenaient pour une guerre) mais, précisément, une musique qui tient par un équilibre de concessions (et pas un équilibre de la terreur sonique, héroïco-kaputt et sanglante), une œuvre de gentlemen à grandes oreilles, qui certes s’invente dans les opérations qui la réalisent, mais que travaillent de scrupuleux agencements de textures choisies et une délicate pensée des formes. Cette raffinerie raffinée, prenant à l’occasion l’allure d’une ébullition, agit comme la distillation des essences subtiles du jazz, annonçant ce que le groupe, en trio, poursuivrait : condensation, précipités…
Schlippenbach Quartet : At Quartier Latin (FMP / Instant jazz)
Enregistrement : 1975-1977. Edition : 2010.
CD : 01/ Black Holes 02/ Three Nails Left, for P.L. 03/ The Hidden Peak I 04/ The Hidden Peak II 05/ The Hidden Peak III 06/ The Hidden Peak IV 07/ The Hidden Peak V
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Ce disque est l'un des douze (rééditions ou enregistrements inédits) de la boîte-rétrospective que publie ces jours-ci le label FMP. A l'intérieur, trouver aussi un grand livre de photographies et de textes (études, index de musiciens, catalogue...) qui finit de célébrer quarante années d'activités intenses.
Globe Unity Orchestra : Baden-Baden '75 (FMP, 2010)
En 1975, le Globe Unity Orchestra & Guests d’Alexander von Schlippenbach c’était Enrico Rava, Manfred Schoof, Kenny Wheeler, Anthony Braxton, Peter Brötzmann, Rüdiger Carl, Gerd Dudek, Evan Parker, Michel Pilz, Günter Christmann, Albert Mangelsdorff, Paul Rutheford, Buschi Niebergall, Peter Kowald et Paul Lovens.
C’était Maranao, composition d’Enrico Rava : un fracas collectif, des cuivres en ébullition, un enfer en décomposition. Un riff émergeant de la masse et ce n’est plus le GUO mais le Brotherhood of Breath. C’était aussi U-487, composition d’Anthony Braxton : une marche qui ouvre et referme l’œuvre, des percées solitaires (l’élan percussif de Schlippenbach, les matières vibrantes de Lovens), des terres blessées d’orgueil et de flammes.
Mais il y avait aussi Jahrmarkt de Peter Kowald : de l’alarme et de l’effroi, des aigus perçants, des mélodies qui s’enchâssent (Straight No Chaser, l’Internationale, La Paloma) avant le retour aux sauvageries collectives. Il y avait également Hanebüchen du leader : des frissons de cuivres, des crescendos sans fin, une flûte qui garde le cap et un jazz qui résiste tant bien que mal aux assauts de cuivres déchaînés.
Et c’était enfin The Forge, autre composition de Schlippenbach : une texture syncopée vite dessoudée ; visite approfondie – guides idéaux – de l’enfer le plus profond. En 1975, le GUO c’était cela. Et ce cela n’était pas rien.
Globe Unity Orchestra : Baden-Baden ’75 (FMP / Instant Jazz)
Enregistrement : 1975. Edition : 2010.
CD : 01/ Maranao 02/ U-487 03/ Jahmarkt 04/ Hanebüchen 05/ The Forge
Luc Bouquet © Le son du grisli
Ce disque est l'un des douze (rééditions ou enregistrements inédits) de la boîte-rétrospective que publie ces jours-ci le label FMP. A l'intérieur, trouver aussi un grand livre de photographies et de textes (études, index de musiciens, catalogue...) qui finit de célébrer quarante années d'activités intenses.