Aki Takase, Ayumi Paul : Hotel Zauberberg (Intakt, 2015)
Dans l’art de tout envisager et de ne jamais se perdre, Aki Takase et Ayumi Paul en connaissent un rayon. Ainsi de la tumultueuse pianiste et de l’intransigeante violoniste (Bach, Bartók, impro & co.), on écrira combien leur qualité d’écoute et de répartie font mouche.
Chez l’une et chez l’autre abondent la seconde école de Vienne, la musique romantique, de savantes constructions et quelques traces de classicisme revisité : Mozart pour Takase (précision si ce n’est fluidité) & Bach pour Paul (vélocité et articulation). Dans cette diversité, une constante : la pianiste crée le contexte, la violoniste vole de ses propres ailes, qu’elle a d'agiles et endiablées. Ceci pour les compositions de dame Takase, ici fortement influencées par les romans de Thomas Mann. Dans les parties improvisées, la première densifie les résonances, active les réseaux harmoniques tandis que la seconde racle la corde, accueille la périphérie, drague la dissonance. Soit deux musiciennes pour qui l’aventure ne semble pas être un problème.
Aki Takase, Ayumi Paul : Hotel Zauberberg (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Ankunft 02/ Der schnee 03/ Analyse 04/ Was ist die zeit ? (1) 05/ Hans 06/ Ewigkeitssuppe 07/ Eulenspiegel 08/ Menuett KV1 (Mozart) 09/ Peerperkorn 10/ Partita N° 3-Preludio (Bach) 11/ Veränderung 12/ Donnerschlag 13/ Was ist die ziet ? (2) 14/ Frau Chauchat 15/ Vetter J. 16/ Zauberlied 17/ Was ist die zeit? (3) 18/ Finis Operis
Luc Bouquet © Le son du grisli
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! (Intakt, 2014)
L’heure (décembre avancé) est encore à l’hommage, obligé presque par un anniversaire – il y a cinquante ans, disparut Eric Dolphy. Celui adressé par le couple de pianistes (et arrangeurs pour l’occasion) Aki Takase / Alexander von Schlippenbach a été enregistré plus tôt (19 et 20 juin 2014), en public, à Berlin – où disparut Dolphy.
Les comparses sont plus ou moins anciens – Han Bennink et Karl Berger, jadis recrues du Globe Unity, le saxophoniste alto Henrik Walsdorff ou encore Axel Dörner et Rudi Mahall, moitié de Die Enttäuschung avec laquelle Schlippenbach interprétait encore récemment l’entier répertoire de Thelonious Monk (Monk’s Casino) – qui interviennent sur des relectures que l’audace de Dolphy aurait peut-être pu inspirer davantage.
Ainsi, si de courts solos déstabilisent encore Les, si les dissonances courent d’un bout à l’autre du disque (pianos en désaccord d’Hat and Beard ou embrouillés en introduction d’Out There) et si l’on assomme le motif mélodique à force de décalages rythmiques (Hat and Beard) ou de langueur distante (The Prophet), les forces en présence font avec un manque d’allant jamais contrarié et se satisfont souvent d’évocations entendues. Après être revenu à Dolphy par l’hommage, l’heure (décembre avancé toujours) est désormais à l’envie d'aller l'entendre, lui.
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach
So Long, Eric! (extraits)
Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! Homage to Eric Dolphy (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 et 20 juin 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Les 02/ Hat and Beard 03/ The Prophet 04/ 17 West 05/ Serene 06/ Miss Ann 07/ Something Sweet, Something Tender 08/ Out There 09/ Out to Lunch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Paul Van Kemenade : Kaisei Nari (Stemko / Orkhêstra International)
De Paul Van Kemenade, quinquagénaire néerlandais, on ne connait que peu de choses. A l’occasion de ce Kaisei Nari, on lui découvre une sonorité d’alto sèche et tranchante se partageant entre Art Pepper pour la férocité du phrasé, Bobby Watson pour les vives contorsions et Ornette Coleman pour le côté tête chercheuse.
En duo avec Aki Takase, le grain s’invite tendre et sableux puis se perd en une inutile virtuosité quand entre en piste la caisse claire d’Han Bennink. Avec le Three Horns and a Bass (Angelo Verploegen, Louk Boudesteijn, Wiro Mahieu), les contrepoints sucrés de la west-coast ne sont jamais très loin. Mais avec le Renaissance Vocal Ensemble, c’est un alto sans âme qui brode autour d’une messe de Pierre de la Rue puis s’égare en un flamenco masadien particulièrement sirupeux. Le pire ne s’évite pas et offre ainsi une triste conclusion à cet enregistrement en demi-teinte.
Paul Van Kemenade : Kaisei Nari (Stemko / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011-2012. Edition : 2012.
CD : 01/ Cherry 02/ Kaisei Nari 03/ For A.T. 04/ Eva 05/ Song for Hope 06/ The Joy 07/ Mex 08/ Lullaby for a Petulant Guy 09/ Une couleur différente
Luc Bouquet © Le son du grisli
Sven-Åke Johansson : Jazzbox (SAJ, 2013)
Sous l’intitulé Jazzbox, Sven-Åke Johansson met en boîte cinq références de son propre label, SAJ, qui l’exposent en trio (Candy), quartettes (Cool, Tune Up) ou sextette (Cool encore).
Ce Cool Quartett que capteront les micros d’Eric La Casa en 2008 (Dancing in Tomelilla) est ainsi à entendre sur trois disques enregistrés en 2002 (pour les deux premiers), 2009 et 2012 (pour le troisième). Partout, Axel Dörner, Zoran Terzic et Jan Roder, servent un jazz ligne claire que se disputent le west coast et le « cool » annoncé. Au son de standards – George Gershwin, Jerome Kern, Cole Porter… –, le groupe évoque (My Heart Stood Still aidant) Chet Baker flottant sur le lac Wansee ou dépose la Berlin Alexanderplatz quelque part sur la carte entre San Francisco et New York. Sur le troisième volume, trois morceaux donnent à entendre le Quartett augmenté de deux membres : Tobias Delius et Henrik Walsdorff aux saxophones ténor et alto, dont les sonorités encanaillent Bernie’s Tune que popularisèrent Mulligan et Baker. Plus tortueuses, la poignée de compositions de Dörner que le Quartett interprète ici et là comblent le répertoire d’audaces qui, sur la longueur, peuvent manquer.
Plus « poli » encore, ce Candy que le trompettiste et le batteur enregistrèrent, en 2002 toujours, avec le contrebassiste Joe Williamson. Sur l’air de chansons anciennes (Candy, The Way You Look Tonight, Stars Fell on Alabama, Old Devil Moon…), le trio soigne ses gestes et prend garde aux dérapages. La formule souffrira en conséquence de la comparaison avec celle de Tune Up, disque enregistré plus récemment en quartette, dans lequel Johansson retrouvait Delius et Roder en présence d’Aki Takase. Ce sont alors Old Black Magic, Cool Blues ou The Song Is You, qui passent au son d’un swing tranquille que le piano bouscule parfois. Comme le Cool Sextett, le quartette de Tune Up « tombe » sur un équilibre qui flatte ses relectures.
Sven-Åke Johansson : Jazzbox (SAJ / Metamkine)
Enregistrement : 2002-2012. Edition : 2013.
5 CD : CD1/ Cool Quartett Vol. I CD2/ Cool Quartett Vol. 2 CD3/ Cool Quartett / Sextett CD4/ Tune Up CD5/ Candy
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Aki Takase / La Planète : Flying Soul (Intakt, 2014)
Avec de tels invités (Louis Sclavis, Dominique Pifarély, Vincent Courtois), les compositions d’Aki Takase prenaient le risque de se perdre dans les ruses d’une « certaine tradition française ». Debussy, Ravel, Dutilleux passés à travers le moule de l’improvisation : merci, on a déjà donné et on préférera toujours les originaux à ses dévoués (?) contemplateurs.
Ici, l’écueil n’est pas toujours évité et la fin du disque déçoit quelque peu. Heureusement, des traits empreints de violences, un archet soutenu et exaltant (belle prise de bec Takase-Pifarély), une forme obsédante ne voulant pas s’effacer, des mouvements en déséquilibre, auxquels il faut ajouter le jeu toujours impulsif de la pianiste, finissent par convaincre du bien fondé de la nouvelle aventure de Dame Takase.
Aki Takase
Flying Soul (extraits)
Aki Takase / La Planète : Flying Soul (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Into the Woods 02/ Rouge Stone 03/ Wasserspiegel 04/ Onigawarau 05/ Finger Princess 06/ Morning Bell 07/ Turtle Mirror 08/ Reading 09/ Intoxication 10/ Schoolwork 11/ Flying Soul 12/ Tarantella 13/ Twelve Tone Tales 14/ Moon Cakes 15/ Pièce for « la planète »
Luc Bouquet © Le son du grisli
Aki Takase, Han Bennink : 2 for 2 (Intakt, 2011)
Est-ce un hasard si ballade et ragtime, après exemplaires exposés, se voient détournés de leur essence au profit d’éclatements free avant retour aux sources ? Monk, souvent évoqué ici (Locomotive, Raise Four) échappe à ce procédé et retrouve toujours son blues originel. Dire qu’il hante de joyeuses façon (A Chotto Matte) ce disque n’est pas peu dire : il déborde de ses harmonies saillantes la quasi-totalité de ses seize plages.
Aki Takase est donc cette pianiste qui compose, improvise, projette passé et futur. Mordante avec Monk, ample avec les ballades (un peu de Bill Evans avec Knut), précise et rigoureuse avec ses propres compositions (Rolled Up), elle arme d’amour son compagnon, ici le grand Han Bennink. Lequel Bennink, retrouve dans sa caisse claire le swing éternel des Cozy Cole et autre Papa Jo Jones. Moins tonitruant qu’à l’ordinaire, totalement à l’écoute de sa partenaire, il furète et distille l’évidence avec gourmandise et générosité. Beau duo donc.
Aki Takase, Han Bennink : 2 for 2 (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ Two for Two 02/ My Tokyo 03/ Locomotive 04/ Zankapel 05/ Knut 06/ Baumkuchen 07/ Monochrome 08/ Raise Four 09/ Do You What It Means to Miss New Orleans? 10/ A Chotto Matte 11/ Hat & Beard 12/ Ohana Han 13/ Rolled Up 14/ Hell und Dunkel 15/ Hommage to Thelonious Monk 16/ Two for Two
Luc Bouquet © Le son du grisli
Kanon : Beauty Is The Thing (Doubt, 2011)
Faut-il regretter la première moitié de l’improvisation qui ouvre Beauty Is The Thing – béates, les notes y tournent en spirales qui se meuvent en trois labyrinthes qui, eux, s’ignorent malgré ces quelques couloirs qu’ils ont en commun – pour trouver à la seconde des charmes rassurants ? Les emportements de Kanon (l’association de la pianiste Aki Takase, du trompettiste Axel Dörner et du guitariste Kazuhisa Uchihashi) auront donc fini par avoir raison des premières lignes distantes : les chemins de traverse découverts par le trio, pourtant instables et fragiles, sont autrement parlant.
Trois improvisations restent alors. Si la fantaisie inspirante de Dörner éprouve des difficultés à gagner la pianiste – on sait Takase capable de bagatelles et d’excès romantiques en diable –, elle s’entend sur l’instant avec celle d’Uchihashi : le trompettiste et le guitariste s’accorderont par exemple à force de lutter sur An Aquatic Plant dont Takase est le boutefeu. Ces discordes faites pour s’entendre font le sel de Beauty Is The Thing : il fallait bien ce que l’improvisation de Kanon trouve sa raison d’être dans l’insurrection bravache.
Kanon : Beauty Is The Thing (Doubt Music)
Enregistrement : 11 décembre 2007. Edition : 2011.
CD : 01/ A Break Into The Clouds 02/ Hear It Very Close 03/ An Aquatic Plant 04/ That Sense of Curving
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Aki Takase : A Week Went By (Psi, 2010)
Avec John Edwards et Tony Levin (5 fois en trio) et puis John Tchicai à l’occasion, Aki Takase enregistrait A Week Went By en deux soirs de concerts.
Abandonnant là ce son « grand piano » qui gâche régulièrement ses beaux efforts de virtuose, elle fulmine en répétitive et sert d’implacables rengaines de ténèbres (Surface Tension, Steinblock) ou se laisse surprendre par les vocalisations du contrebassiste pour fomenter dans son coin un air de folklore que n’aurait pas renié McGregor (A Week Went By).
Au centre du disque apparaît Tchicai, qui cite Monk et Gillespie entre deux salves découpées net et puis repart. Deux solos aussi – la pianiste y allant de danses grotesques en jeux expérimentaux dont l’originalité est à trouver surtout dans les sonorités qu’elle met au jour (Yumetamago) – et entre l’un et l’autre le retour du trio : épais mais riche (éclats de Levin) ; riche mais intense (accompagnement ombreux d’Edwards). L’ouvrage expressionniste est partout convaincant et même, grâce à l’habilité du trio, supérieur.
Aki Takase : A Week Went By (Psi / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Surface Tension 02/ A Week Went By 03/ Steinblock 04/ Just Drop In 05/ 57577 06/ Ima we Mukashi 07/ Cell Culture 08/ Men Are Shadows 09/ Yumetamago
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Aki Takase, Rudi Mahall: Evergreen (Intakt - 2009)
Six ans après la publication, sur Leo Records, de The Dessert, Aki Takase et Rudi Mahall mettent de côté l’improvisation libre pour s’en prendre à une série de standards.
Evergreen, de donner à entendre dans un autre contexte la connivence de la pianiste et du clarinettiste (basse) : sur le blues sorti des entrailles de Mood Indigo, le procès en latinité fait au Cleopatra’s Dream de Bud Powell, ou encore, la déconstruction aventureuse du thème de Bel Ami. Jouant souvent dans les aigus – lorsqu’il ne s’agit pas de ponctuer plus nettement sa progression –, Mahall s’amuse à changer son instrument en simili soprano ici, en alto déliquescent ailleurs : à chaque fois, convainc de la singularité de son timbre et des ses usages.
Takase, moins accaparante qu’à l’accoutumé, porte, elle, la rencontre et finit de l’installer dans le champ d’une avant-garde subtile – du genre de celles, certes différentes, de Monk, Powell, Tristano ou Herbie Nichols. Sans jamais cesser de distribuer les perversités sous les ornements de façade, le duo régénère donc avec distinction sa poignée de classiques.
CD: 01/ Mood Indigo 02/ I’ll Remember April 03/ Bel Ami 04/ Tea for Two 05/ Moonglow 06/ You and the Night and the Music 07/ How Long Has This Been Going On 08/ Cleopatra’s Dream 09/ I’m Beginning to See the Light 10/ Two Sleepy People 11/ Good Bait 12/ You Took Advantage of Me 13/ It’s Only a Paper Moon 14/ Lulu’s Back in Town >>> Aki Takase, Rudi Mahall - Evergreen - 2009 - Intakt Records. Distribution Orkhêstra International.
Aki Takase déjà sur grisli
Ornette Coleman Anthology (Intakt - 2007)
Tarentella (Psi - 2006)
Rudi Mahall déjà sur grisli
Die Enttäuschung (Intakt - 2007)
Solo (Psi - 2006)
Aki Takase, Silke Eberhard : Ornette Coleman Anthology (Intakt, 2007)
Après Tarantella, la pianiste Aki Takase revient à deux de ses amours : le duo – qu’elle a interrogé déjà aux côtés de David Murray, Alexander Von Schlippenbach, Lauren Newton ou Rudi Mahall – et l’hommage prétexte à développer autrement sa singularité – de ceux qu’elle a déjà adressé à Fats Waller ou Thelonious Monk.
Avec la saxophoniste et clarinettiste Silke Eberhard, Takase rend donc ici hommage à l’œuvre d’Ornette Coleman. Le temps de 32 reprises et de l’interprétation d’une dédicace (Dedicated to OC-Doughnut), le duo assiège l’univers du maître de façons différentes : free commandé par un piano dérangé (Free), délicatesses contemporaines - au lyrisme accordé (Revolving Door) ou malheureusement trop poli (Turnaround) -, swing à l’unisson (Mr. And Mrs. People) ou démarche plus déconstruite (Motive for Its Use), voire expérimentale (Airborne).
Si la prise de son manque parfois de chaleur, la nature des compositions et l’acuité avec laquelle les investissent Takase et Eberhard - qui démontre ici la palette large de ses possibilités, capable d’évoquer Evan Parker aussi bien qu’Eric Dolphy (clarinette basse, forcément, sur Cross Breeding) - font de cette anthologie un songbook particulier, défendu par un duo aussi concerné que baroque et sagace.
Aki Takase, Silke Eberhard : Ornette Coleman Anthology (Intakt / Orkhêstra International)
Edition : 2007.
2 CD : CD1: 01/ Turnaround 02/ Lonely Woman 03/ Free 04/ The Blessing 05/ Folk Tale 06/ Open to the Public - Check Out Time 07/ Cross Breeding 08/ The Sphinx 09/ Dedicated to OC-Doughnut 10/ Revolving Door 11/ Mr. and Mrs. People 12/ Angel Voice 13/ Motive for Its Use 14/ The Disguise 15/ Change of the Century 16/ Focus on Sanity - CD2: 01/ Congeniality 02/ Airborne 03/ Broadway Blues 04/ Beauty Is a Rare Thing 05/ Face of the Bass 06/ Peace 07/ Little Symphony 08/ Eventually 09/ Humpty Dumpty 10/ Eos 11/ W.R.U. 12/ Check Up - Enfant 13/ I Heard It over the Radio 14/ Round Trip 15/ Music Always 16/ Love Call 17/ Una Muy Bonita
Guillaume Belhomme © Le son du grisli