Thumbscrew : Convallaria (Cuneiform, 2016)
Emprisonnant le bruitisme à ras la corde (Cleome), Mary Halvorson ponctionne quelques rêches accords tandis que Michael Formanek et Tomas Fujiwara assurent / assument continuum et enveloppements. Du manque de chaleur et d’articulation parfois remarqué chez la guitariste, peu de traces ici. Une discrétion certes (les assauts soniques seront rares par la suite) mais, toujours, au service d’un acte collectif.
Ne déviant pas de la forme originelle – contrairement à leur premier enregistrement, Thumbscrew –, on trouvera ici souplesse et affirmation, conduite irréprochable du rythmicien Formanek, jeu sans crispation de Fujiwara, solos inspirés (Formanek encore). Soit la confirmation d’un trio sur qui l’on peut assurément compter.
Thumbscrew : Convallaria
Cuneiform / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Cleome 02/ Barn Fire Slum Brew 03/ Sampsonian Rhythms 04/ Trigger 05/ Screaming Piha 06/ Convallaria 07/ Tail of the Sad Dog 08/ The Cardinal & the Weathervane 09/ Dase insensé 10/ Spring Ahead 11/ Inevitable
Luc Bouquet © Le son du grisli
Mary Halvorson, Michael Formanek, Tomas Fujiwara : Thumbscrew (Cuneiform, 2014)
Avec un apparent plaisir, Mary Halvorson, Michael Formanek et Tomas Fujiwara aiment à dégrader leurs propres compositions. Leurs petites mélodies très vite se brouillent, partent en chemin d’errance et ne retrouvent que rarement leur point de départ. On ne leur en voudra pas tant ces mêmes points de départ n’avaient pas grand avenir.
Ce qui est, par contre, admirable et heureux ici, ce sont ces points de basculement, cette déstructuration fuyante, faussement fragile. L’uniformité, l’absence d’attaque de la guitariste sont ici compensés par une errance continue et obsessionnelle, laquelle s’entiche parfois de vrilles hendrixiennes ou sharrockiennes. Minutieux dans la déconstruction, contrebassiste et batteur protègent et renforcent ces lignes brisées qu’ils se plaisent à amplifier pour le plus grand bonheur d’une guitariste, ici, amoureusement épaulée.
Mary Halvorson, Michael Formanek, Tomas Fujiwara : Thumbscrew (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Cheap Knock 02/ Thumbscrew 03/ Fluid Hills in Pink 04/ Nothing Doing 05/ Goddess Sparkle 06/ Buzzard’s Breath 07/ Still…Doesn’t Swing 08/ Falling Too Far 09/ Line to Create Madness
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jacob Anderskov : Agnostic Revelations (Ilk, 2010)
A l’écoute de ce disque, on a envie de s’emporter, de le louer avec emphase, mais l’emphase est certainement le qualificatif qui sied le moins à ce disque. Pour s’inspirer du titre de l’album, on pourrait dire que la révélation ne naît ici pas de la certitude, mais au contraire du doute. Les musiciens semblent vouloir jouer l’ombre que projettent les mélodies plutôt que leur évidente lumière, l’envers de la partition ou du moins sa partie cachée.
On entend ici une musique de réserve, donc, d’humilité, de mystère, de tâtonnements, de hasards. Une musique du flottement, des possibles, des directions brouillées dans lesquelles est remarquable la concentration avec laquelle les musiciens s’écoutent pour faire progresser la musique par petites touches (Warren Street Setup, Dream Arch).
Jacob Anderskov, pianiste danois, a du beaucoup rêver cette musique avant de proposer à ses trois compagnons américains de l’incarner enfin. Chris Speed, à la clarinette et au saxophone, est impressionnant, d’un bout à l’autre de ce disque, de retenue, d’intériorité serait-on tenté de dire, et le son ample et étale qui le caractérise est ici beau comme jamais (Be Flat and Stay Flat). La section rythmique n’est pas en reste. Tout ce que jouent Gerald Cleaver (batterie) et Michael Formanek (contrebasse) est pertinent : il faut les écouter sur l’intro de Diamonds Are for Unreal People, relancer la machine, être partout à la fois, sans jamais s’imposer inutilement.
La prise de son et la production, supervisées par le pianiste lui-même, sont superbes et concourent à donner à ce disque son unité : pas de brillance mais une matité qui confère à l’ensemble une certaine aura, telle les lointaines lumières que l’on devine à travers un trop épais brouillard.
Jacob Anderskov : Agnostic Revelations (Ilk)
Enregistrement: 2009. Edition: 2010.
CD : 01/ Warren street setup 02/ Be flat and stay flat 03/ Pintxos for Varese 04/ Blue in the face 05/ Diamonds are for unreal people 06/ Solstice 2009 07/ Neuf 08/ Dream arch
Pierre Lemarchand © Le son du grisli
Dave Burrell: Momentum (High Two - 2006)
Ancien partenaire de Pharoah Sanders, Archie Shepp, David Murray ou Grachan Moncour III, le pianiste Dave Burrell est de ces musiciens de jazz qui ont encore à dire parmi et auprès d’une génération plus récente de jazzmen raffinés (sur Momentum, le contrebassiste Michael Formanek, et, plus jeune encore, le batteur Guillermo E. Brown).
Sur les 3 premiers titres, écrits à l’origine afin d’illustrer un ancien film muet, le toucher de Burrell est mesuré, se pliant à une construction répétitive (Downfall) ou rendant des thèmes léger (Broken Promise) puis mélancolique (Fade to Black, qui rappelle les dernières compositions de Mal Waldron).
Ailleurs, un swing singulier emporte le trio : sur le rythme étrange mis au jour par Brown (Cool Reception) ou au son d’un gimmick entêtant défendu par Formanek, qui anéantit les accents monkiens du jeu de Burrell en préambule à 4 :30 to Atlanta – accents remarqués une autre fois sur Coup d’état.
Fait de postures classiques enlevées par le traitement moderne et érudit de Dave Burrell – qui a pour effet les dissonances balbutiantes de Momentum ou la netteté mélodique de Broken Promise, selon les dosages -, Momentum est un disque aussi efficace que sombrement perturbé ; soit : recommandable.
CD: 01/ Downfall 02/ Broken Promise 03/ Fade to Black 04/ 4:30 to Atlanta 05/ Cool Reception 06/ Momentum 07/ Coup d’état
Dave Burrell - Momentum - 2006 - High Two. Distribution Orkhêstra International.