Anthony Barnett : Unnatural Music: John Lennon & Yoko Ono in Cambridge 1969 (ABP, 2016)
L’histoire pourrait être anecdotique si elle n’était – notamment depuis la parution du livre Rencontres avec John & Yoko de Jonathan Cott – l’objet de (différents) fantasmes : elle est celle du concert donné par John Lennon et Yoko Ono à Cambridge le 2 mars 1969, que raconte aujourd’hui (ici, les premières pages) son organisateur, Anthony Barnett – percussionniste aussi, qui se fera par exemple entendre dans le Cadentia Nova Danica de John Tchicai. Pour revenir sur la première apparition « sur scène » d’un Lennon post-Beatles, Barnett s’appuie sur ses souvenirs, qu’il augmente d’extraits d’interviews données par le couple, de comptes-rendus du concert en question et, pour ce qui est des images, de photos et de documents concrets (lettres, affiche et ticket de concert…).
En 1968, Yoko Ono donnait de la voix auprès d’Ornette Coleman au Royal Albert Hall : pour la connaître un peu, Barnett lui propose de se joindre l’année suivante aux musiciens de (free) jazz qu’il projette de faire jouer à Cambridge. Elle accepte et, le jour dit, arrive sur place en compagnie de John Lennon. « Natural Music », dit l’affiche, pour une rencontre qui le sera moins : celle du couple et de John Tchicai & John Stevens – les « two Johns » cités au dos de la pochette d’Unfinished Music No. 2: Life With the Lions –, mais aussi Willem Breuker, Johnny Dyani, Chris McGregor, Maggie Nicols, Barre Phillips, Dudu Pukwana, Trevor Watts…
De cet étonnant aéropage Derek Bailey et John McLaughlin auraient dû être aussi. Leur présence aurait-elle empêché les micros du naissant label Zapple de recueillir presque exclusivement les notes à sortir de la guitare de Lennon, accroupi dos au public, convaincu de participer à une expérimentation dont sa seule présence assurait la qualité – Garnett raconte ainsi que l'endormi du Dakota Building (attention, il ne s’agit pas là de prendre parti) considéra ses partenaires d’un jour comme des poseurs d’une nouvelle espèce et son public comme une association d’intellos. Suivront d’autres bassesses et d’autres mégotages, qu’Anthony Barnett raconte avec autant d’humour que de précision : merci alors, pour la belle histoire.
Anthony Barnett : Unnatural Music: John Lennon & Yoko Ono in Cambridge 1969
Allardyce Barnett Publishers
Edition : 2016.
Livre : 64 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Mike Osborne : Dawn (Cuneiform, 2015)
Derviche tourneur de la scène improvisée britannique, Mike Osborne assiégeait deux tournis : celui de son phrasé empli de hautes spirales et celui de sa propre schizophrénie, cette dernière l’éloignant à partir des années 1980 du circuit jazz. Pour l’heure, nous sommes en 1970 et l’altiste attaque les aigus à la base.
La phrase refuse de s’arrêter, le looping est dolphyen (Scotch Pearl), l’harmolodie parfois colemanienne (TBC) et la ritournelle épisodiquement aylérienne (1st). Ne pouvant que constater l’intensité des manœuvres, Harry Miller et Louis Moholo s’accrochent à l’insaisissable, s’en sortent à merveille.
Quatre ans plus tôt, toujours aux côtés d’un John Surman barytonnant sans conviction, du fidèle Miller et d’un vibrant Alan Jackson, l’altiste – toujours sans pianiste – cherchait à embrayer la boite aux lyrismes secs avant d’y échouer. Puis, tous ensemble, trouvaient dans l’Aggression de Booker Little le chemin des vives clairières. Moments magiques et documents précieux, cela va de soi.
Mike Osborne : Dawn (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1966 & 1970. Edition : 2015.
CD : 01/ Scotch Pearl 02/ Dawn 03/ Jack Rabbit 04/ TBC 05/ 1st 06/ TBD 07/ Seven by Seven 08/ And Now the Queen 09/ An Idea 10/ Aggression
Luc Bouquet © Le son du grisli
Louis Moholo-Moholo : 4 Blokes (Ogun, 2014)
Enregistré en studio le 12 novembre 2013, 4 Blokes marquerait la naissance d’un quartette emmené par Louis Moholo-Moholo, entendu plus tôt au Café Oto. A l’intérieur : Jason Yarde (remarkable saxophonist déjà de l’Unit du batteur), Alexander Hawkins (fougueux pianiste de Keep Your Heart Straight) et John Edwards.
Marquée par le souvenir des jeunes années du meneur (For the Blue Notes, Angel-Nomali, Tears for Steve Biko), la rencontre débute au son d’un Parisian Thoroughare transposé sur autoroute par les courts motifs que répètent Hawkins et Yarde – portés par la contrebasse et la batterie, la paire signera de beaux moments de connivence.
Ainsi, l’énergie préside-t-elle à la séance, dont profiteront Something Gentle (composition de Yarde) ou 4 Blokes (improvisation du groupe) mais qui pourra affranchir le lyrisme du pianiste : son jeu plombe alors Mark of Respect. Repli, donc, en mélancolies : un air de Dudu Pukwana et la reprise de Something Gentle rétablissent l’harmonie prometteuse.
Louis Moholo-Moholo Quartet : 4 Blokes (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 12 novembre 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ For the Blue Notes 02/ Something Gentle 03/ All of Us / Khwalo 04/ Mark of Respect 05/ Tears for Steve Biko 06/ 4 Blokes 07/ Yes Baby, No Baby 08/ Angel-Nomali 09/ Something Gentle (Reprise)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
New York Art Quartet : Call It Art 1964-1965 (Triple Point, 2013)
John Tchicai : « Roswell Rudd et moi voulions nous regrouper pour jouer davantage. Je l’appréciais en tant que personne et que musicien. Je voyais bien que le NYC5 tirait sur sa fin… Alors, nous avons commencé à rechercher les bonnes personnes… » La recherche en question mènera à la création, en 1964, du New York Art Quartet, ensemble que le saxophoniste et le tromboniste emmèneront quelques mois seulement (si l’on ne compte les tardives retrouvailles) et dans lequel ils côtoieront Milford Graves (troisième pilier d’un trio, en fait, diversement augmenté), JC Moses et Louis Moholo, pour les batteurs, Lewis Worrell, Reggie Workman, Don Moore, Eddie Gomez, Bob Cunningham, Richard Davis et Finn Von Eyben, parmi les nombreux contrebassistes.
A la (courte) discographie du New York Art Quartet, il faudra donc ajouter une (imposante) référence : Call It Art, soit cinq trente-trois tours et un livre du même format, enfermés dans une boîte de bois clair. Dans le livre, trouver de nombreuses photos du groupe, quelques reproductions (boîtes de bandes, pochettes de disques, partitions, lettres, annonces de concerts, articles…) et puis la riche histoire de la formation : présage du Four for Trane d’Archie Shepp, naissance du ventre du New York Contemporary Five (lui-même né du Shepp-Dixon Group) et envol : débuts dans le loft du (alors) pianiste Michael Snow, arrivée de Milford Graves et liens avec la Jazz Composers’ Guild de Bill Dixon, enregistrements et concerts, enfin, séparation – possibles dissensions esthétiques : départ de Tchicai pour l’Europe, qui du quartette provoquera une nouvelle mouture ; rapprochement de Graves et de Don Pullen, avec lequel il jouait auprès de Giuseppi Logan… Dernier concert, en tout cas, daté du 17 décembre 1965.
Au son, cinq disques donc, d’enregistrements rares, sinon inédits : extraits de concerts donnés à l’occasion du New Year’s Eve ou dans le loft de Marzette Watts, prises « alternatives » (« parallèles », serait plus adapté), morceaux inachevés et même faux-départs : toutes pièces qui interrogent la place du soliste en groupe libre et celle du « collectif » en association d’individualistes, mais aussi la part du swing dans le « free » – Amiri Baraka pourra ainsi dire sur le swing que l’on n’attendait pas de Worrell –, l’effet de la nonchalance sur la forme de la danse et sur la fortune des déroutes, la façon de trouver chez d’autres l’inspiration nouvelle (Now’s The Time ou Mohawk de Charlie Parker, For Eric: Memento Mori ou Uh-Oh encore – apparition d’Alan Shorter –, improvisation partie du Sound By-Yor d’Ornette Coleman), le moyen d’accueillir le verbe au creux de l’expression insensée (Ballad Theta de Tchicai, sur lequel Baraka lit son « Western Front »)… Autant de morceaux d’atmosphère et de tempéraments qui marquent cet « esprit nouveau » que Gary Peacock – partenaire de Tchicai et Rudd sur New York Eye and Ear Control d’Albert Ayler – expliquait en guise de présentation à l’art du New York Art Quartet : « Plutôt que d’harmonie, on s’occupait de texture ; plutôt que de mélodie, on s’inquiétait des formes ; plutôt que le tempo, on suivait un entrain changeant. »
New York Art Quartet
Now's the Time
New York Art Quartet : Call It Art 1964-1965 (Triple Point)
Enregistrement : 1964-1965. Edition : 2013.
5 LP + 1 livre : Call It Art 1964-1965
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Brötzmann Expéditives : The Nearer The Bone..., Live in Wiesbaden, Solo + Trio Roma, Snakelust, Yatagarasu
Brötzmann / Miller / Moholo : The Nearer The Bone, The Sweeter The Meat (Cien Fuegos, 2012)
Parmi les références FMP rééditées sur vinyle par Cien Fuegos, on trouve The Nearer the Bone, the Sweeter the Meet du trio Peter Brötzmann / Harry Miller / Louis Moholo. Datant du 27 août 1972, la référence consigne quatre plages sur lesquelles le saxophone prend davantage son temps, voire quelque recul, et la clarinette basse épouse l’archet chantant de Miller comme la ronde frappe de Moholo. Dans la clameur, une évidence : la contrebasse et la batterie s’expriment autant que ce Brötzmann qu’elles portent.
Peter Brötzmann, Jörg Fischer : Live In Wiesbaden (Not Two, 2011)
A sa collection de duettistes-batteurs, Brötzmann ajouta Jörg Fischer (entendu notamment auprès d’Owe Oberg ou Olaf Rupp) le 24 juin 2009 dans le cadre du festival Kooperative New Jazz de Wiesbaden. De saxophones en clarinette et tarogato, le voici improvisant quatre fois – Fischer démontrant d’un allant capable de suivre, voire de précipiter, la vive inspiration de son partenaire – et chassant la fièvre le temps d’une ballade cette fois écrite, Song for Fred.
Peter Brötzmann : Solo + Trio Roma (Victo, 2012)
21 et 22 mai 2011, au festival de Victoriaville, Peter Brötzmann donne un solo et se produit en trio avec Massimo Pupillo et Paal Nilssen-Love. Au son d’un thème qu’il dépose lentement, Brötzmann inaugure ce nouveau solo enregistré : le parcours dévie à force d’échappées instinctives, d’insistances, de silences, de reprises, pour déboucher sur une lecture de Lonely Woman. En trio (Roma), c’est un « free rock » plus entendu mais plus intéressant que celui d’Hairy Bones…
Hairy Bones : Snakelust (to Kenji Nakagami) (Clean Feed, 2012)
Augmenté du trompettiste Toshinori Kondo, Roma devient Hairy Bones. En concert à Jazz Em Agosto le 12 août 2011, le quartette conjugue à l’insatiable façonnage de Brötzmann l’écho de Kondo, la verve commode de Pupillo et la frappe appuyée de Nilssen-Love. Seulement endurant.
The Heavyweights : Yatagarasu (Not Two, 2012)
Le 8 novembre 2011, Brötzmann enregistra à Cracovie en trio de « poids lourds » – avec le pianiste Masahiko Satoh (entendu auprès d’Helen Merrill, Wayne Shorter, Art Farmer, mais aussi de Steve Lacy, Anthony Braxton ou Joëlle Léandre…) et le batteur Takeo Moriyama (entendu, lui, auprès d’Aki Takase ou d’Akira Sakata). L’embrasement n'attend pas : accords agglomérés de piano puis fugue sur laquelle Brötzmann calque son allure aux saxophones ou tarogato. Mieux : sur Icy Spears et Autumn Drizzle, travaille sur l’instant à la cohésion d’un trio étourdissant.
Chris McGregor's Brotherhood of Breath : Procession (Ogun, 2013)
Plus besoin de télécharger sous MP3 pourri – qui plus est avec moult craquements – le Procession du Brotherhood of Breath sur quelque blog douteux (ne faites pas les innocents, vous téléchargez autant que moi !) : Ogun vient de rééditer la galette sur CD (on y trouve quelques inédits-bonus mais l’intégralité du concert reste à venir).
Cela se passait à la Halle aux grains de Toulouse le 10 mai 1977 et les riffs de la confrérie des vents étaient aussi hauts que le Makheka et le Kinder Scout réunis. Il y avait Evan « Trane » Parker, l’insolent Mike Osborne, le conteur céleste Dudu Pukwana, l’oublié Bruce Grant surfant avec sa flute sur le très grand mascaret du BoB, les inflammables Harry Beckett et Mark Charig, le pyromane Radu Malfatti (c’était avant son extinction de souffle), les stellaires Johnny Dyani et Harry Miller, le maestro des rythmes Louis Moholo-Moholo sans oublier évidemment la légèreté de l’ange Chris McGregor. Alors à quoi bon commenter la joie ressentie pour tous ici ? La joie ne se consigne pas : elle se partage et se clame haut et fort. Faut-il encore insister ?
Brotherhood of Breath : Procession – Live in Toulouse (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 10 mai 1977. Réédition : 2013.
CD : 01/ You Ain’t Gonna Know Me ‘Cos You Think You Know Me 02/ Sunrise on the Sun 03/ Sonia 04/ Kwhalo 05/ TBS 06/ Andromeda
Luc Bouquet © Le son du grisli
Wadada Leo Smith, Louis Moholo : Ancestors (Tum, 2012) / Alexander Hankins, Louis Moholo : Keep Your Heart Straight (Ogun, 2012)
Ancestors… De tous les ancêtres salués sur ce disque, certains seront nommés, tels le père de Louis Moholo, l’écrivain James Baldwin ou le peintre Jackson Pollock, figures inspirantes et incarnations respectives de la fidélité aux racines, de l’engagement social de l’artiste et de l’improvisation comme geste créatif. Alors, déjà, ce disque de nous entretenir de la conciliation nécessaire en toute création du souvenir, de la conscience du temps présent et de l’inattendu.
Les premières notes d’un spiritual, des tambours graves : le disque s’ancre en son début dans une histoire, celle de la musique dont Louis Moholo-Moholo et Wadada Leo Smith sont de vénérables vétérans à présent, le jazz. Un morceau de musique liminaire qui s’intitule Moholo-Moholo / Golden Spirit, composé par Wadada Leo Smith : la complicité et le respect, l’attention mutuelle, ainsi se dessinent les contours de l’album Ancestors. La contemporanéité d’une trompette qui hérite sa sonorité du Miles période électrique (ou quand le jazz se réinventait à grands coups de courts circuits et de trouées silencieuses) règle son pas sur les fûts enracinés d’un batteur à la mémoire longue.
Wadada Leo Smith et Louis Moholo-Moholo signent tous deux leur meilleur disque depuis longtemps. L’originalité de leur discours, la nécessité de cette rencontre, les deux musiciens nous les démontrent en refusant de tourner le dos aux grandes inspirations, et en les mêlant en un cours naturel à leur dialogue spontané. Aux premiers enchevêtrements, le souvenir de Mu, premier dialogue trompette / batterie, survient. C’était en 1969 et s’y rencontraient les tambours d’un Ed Blackwell tout juste revenu d’Afrique et la trompette apatride de Don Cherry. C’était il y a plus de 40 ans. En chemin seront aussi convoqués quelques fantômes gospel, délicatement déposés de petits cailloux de blues, soufflées de vives bourrasques free, claudiqué quelque swing. Et toujours le disque sera tendre, même en ses instants vifs et toujours tendu, y compris en ses méditations.
Wadada Leo Smith, Louis Moholo-Moholo : Ancestors (Tum / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ Moholo-Moholo/Golden Spirit 02/ No Name In The Street, James Baldwin 03/ Jackson Pollock, Action 04/ Siholaro 05/ Ancestors
Pierre Lemarchand © Le son du grisli 2013
Est-ce en l’honneur de Moholo que le pianiste Alexander Hawkins – enregistré ici à l’automne 2011 aux côtés du batteur – en fait des caisses ? Progressions dramatiques, accords-cabris et des notes partout : le piano d’Hawkins a horreur du vide, qu’il tente de saisir une impression d’Afrique signée Moholo ou peine même à accompagner celui-ci sur Prelude to a Kiss d’Ellington. Tant pis.
Alexander Hawkins, Louis Moholo-Moholo : Keep Your Heart Straight (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : octobre 2011. Edition : 2012.
CD : Keep Your Heart Straight
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2013
Chris McGregor : In His Good Time / Blue Notes : Before the Wind Changes (Ogun, 2012)
Parlons au présent. Oublions que ce «bon temps» date de l’hiver 1977. Parlons de ce dénuement, de cet ivoire qui ne vise que l’essentiel. Parlons de ce blues qui suinte et déborde. Parlons de ce clavier d’où s’échappe l’Afrique des partages. Parlons de ces hymnes courtois et merveilleux, de cette aisance à gambader follement et librement.
Au fil des minutes, la balade se fait course, le trait s’émancipe, la transe s’annonce. Et l’on danse de joie, hypnotisés par les mélopées d’un Chris McGregor alors au sommet de son art. Un Chris McGregor euphorique devrait-on plutôt écrire. Ne parlons plus, n’écrivons plus : écoutons.
EN ECOUTE >>> Sweet As Honey
Chris McGregor : In His Good Time (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 novembre 1977. Réédition : 2012.
CD : 01/ Green Hymn 02/ Kwa Tebugo 03/ Sonia 04/ Call 05/ Raincloud 06/ Umhome 07/ Burning Bush 08/ Shekele 09/ Yikiti 10/ Mngqusho 11/ In His Good Time 12/ The Bride 13/ Ududu Nombambula
Luc Bouquet © Le son du grisli
Enregistré le 1er juillet 1979 en Belgique, ce concert des Blue Notes consigne le grand art de McGregor, Pukwana, Dyani et Moholo : verbe haut sur mélange de swing et de folklore sud-africain, échappées en improvisations individuelles (Pukwana redresseur sur Funk Dem Dudu d’un free altier et sans façons), musique enfin qui bat piano, tambour et cuivres, en un mot : la chamade.
Blue Notes : Before the Wind Changes (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1er juillet 1979. Edition : 2012.
01/ Ithi Gui 02/ Mange 03/ Lonta Uyagula [The Poor Child Is Sick] 04/ Lakutshona Ilanga 05/ The Bride 06/ Funk Dem Dudu 07/ Wish You Were Sunshine
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Steve Lacy, Enrico Rava, Johnny Dyani, Louis Moholo : La vérité sur le retour d'Argentine commence à émerger !
Le livre écrit par plusieurs auteurs (70% anglais, 25% français, 5% italiens) sous la direction de Guillaume Tarche, Steve Lacy (unfinished), revient sur différentes facettes de la carrière du saxophoniste soprano américain (1934-2004). Et, l’épisode argentin de Steven Norman Lackritz (son véritable nom) recelait plusieurs zones d’ombre : le 8 octobre 1966, Steve Lacy (ss), Enrico Rava (tp), Johnny Dyani (db) et Louis T. Moholo (dm) avaient enregistré en public The Forest And The Zoo à l’Instituto Torcuato Di Tella de Buenos Aires. Sa sortie intervint l’année suivante sur le label américain ESP. Et sa couverture consiste en un tableau inversé de Bob Thompson, La Caprice, peint en 1963.[1] Son verso présente une photographie n&b de Steve Lacy, Bob Thompson et Johnny Dyani prise à Rome courant mai 1966, quelques jours avant la mort du peintre, le 31 mai 1966.
Le Siècle du JAZZ – Art, cinéma, musique et photographies de Picasso à Basquiat, Musée du Quai Branly, 2009
Verso de Steve Lacy The Forest And The Zoo (LP ESP 1060 1966-1967)
MBIZO – A Book about Johnny Dyani, The Booktrader, Copenhagen, 2003
Revenons en 1965 lors du voyage de Steve Lacy à Amsterdam où ce dernier fit la rencontre de Louis Tebugo Moholo : [2]
I was looking for a new rhythm section. I liked Louis very much. I wanted Louis as a drummer. Before I even heard him, just talking to him, I knew that he was the drummer I needed. I asked him if he knew a bass player, and he said «Yes, Johnny Dyani! He is working with me in London.» [3]
Le moins que l’on puisse dire est la fameuse tirade de Louis Jouvet dans Drôle de drame : bizarre, bizarre… vous avez dit bizarre ?… comme c’est bizarre… En effet, le doute est permis quand Steve Lacy déclare avoir embauché Louis Moholo sans l’avoir entendu jouer. Peu après cet entretien amstellodamois, il assista à un concert des Blue Notes au Ronnie Scott’s de Londres qui lui permit de faire la connaissance de Johnny Dyani : [4]
Well, it took me a while to know him [Johnny Dyani] as a person, because he was very elusive. Also, I was very naive in a lot of ways. But as a musician he was wonderful. He had a very good dance, like a swing, you know, a very interesting melodic concept, he made the bass dance. And he and Louis were fantastic.[5]
Rien ne permet de préciser les points précis auxquels Steve Lacy pensait quand il avait prononcé ce « but ». Certes, il a bien précisé les qualités musicales du contrebassiste sud-africain, mais sur ses autres qualités ? Ses qualités humaines, par exemple, comme le rapport de Johnny Dyani avec son leader ou les autres sidemen, avec le public de ses concerts, avec d’autres musiciens rencontrés sur place, avec les hommes et les femmes côtoyés à Buenos Aires. Mais, Steve Lacy a bien prononcé ce « but »…
Et, de fait, Maxine McGregor s’étonnait de leurs longues absences londoniennes et, en mars 1966, elle est toute surprise de les découvrir en Italie :
[Johnny Dyani and Louis Moholo] They took to making long absences without explanations several times a week. We found out the reason of this when they suddenly disppeared totally one day, and we heard they had gone to Italy to play with Steve and Enrico Rava where they played in San Remo Festival in March 1966 and subsequently, to South America. (Some later we received an SOS: they had been left stranded there, and it was Dennis [6] who had to pay their fares back to London!) Johnny’s comment on this venture was: «I thought this thing was interesting but in this end I found myself wondering. I realized I’d heard it all in South Africa and played it, too. There was nothing new in what Lacy was doing.» [7]
Maxine McGregor Chris McGregor and the Brotherhood of Breath,
My Life with a South African Jazz Pioneer Bamberger 1995 (USA) – Rhodes University 2013 (South Africa)
Ainsi Steve Lacy et Enrico Rava étaient donc discrètement repartis en Italie en compagnie des deux Sud-Africains qui remplaçaient Kent Carter et Aldo Romano, respectivement reparti momentanément aux USA et devenu membre d’un autre groupe, celui de Don Cherry.[8]
A la veille de leur départ pour Buenos Aires, Steve Lacy était le plus âgé : il allait avoir 32 ans le 23 juillet et Enrico Rava, 27 ans le 30 août. Louis Moholo avait 26 ans depuis le 10 mars et Johnny Dyani, 19 ans.[9] En effet, le précieux témoignage de Guillermo Gregorio dans le livre écrit sous la direction de Guillaume Tarche établit l’arrivée du quartet en Argentine au début juillet 1966.[10] L’écart d’âge entre le leader et ses sidemen (au moins, 5 ans et au plus, 13 ans) permet donc de relativiser quelque peu la « naïveté » qu’avance le saxophoniste dans son entretien avec le Booktrader. Et, ce d’autant plus qu’Irène Aebi n’était pas sa première compagne : lire p.35-49, We See/We Three, le texte écrit en anglais par James Lindbloom du livre de Guillaume Tarche. Son auteur décrit le trio amoureux de Steve Lacy que formait sa première femme avec une autre femme.
Ce qui est gênant dans le témoignage d’Irène Aebi, c’est l’apparente simultanéité du retour d’Argentine sous des cieux plus cléments : Steve Lacy et elle-même vers New-York, Enrico Rava vers Rome et les deux Sud-Africains, Johnny Dyani et Louis Moholo vers Londres. Steve Lacy affirme que ce voyage argentin aura duré environ huit ou neuf mois, selon les entretiens qu’il a donnés.[11] Ce qui nous conduit à un retour courant mars ou avril 1967 ! Or, le 15 juin 1967, soit deux ou trois mois plus tard, Johnny Dyani et Louis Moholo forment la section rythmique du saxophoniste ténor Bernardo Baraj et du pianiste Fernando Gelbard, tout deux de nationalité argentine. Ce document [12] résolument bop a été posté très récemment, le 15 juin 2021. Et, vous constaterez qu’il s’agit d’un enregistrement dans le même lieu que The Forest and the Zoo : l’Instituto Torcuato Di Tella de Buenos Aires.
Couverture de la cassette du quartet Baraj - Gelbard - Dyani - Moholo, Buenos Aires, 1967
Reprenons p16 de l’entretien d’Irene Aebi avec Martin Davidson pour le livre de Guillaume Tarche :
They had started Free Jazz but also played Monk tunes. I just played the groupie. All five of us went to Argentina with a one way ticket, which was a terrible idea. Graziella Rava had organised some concerts in Buenos Aires. When we arrived, everything got cancelled. There had been a putsch by a fascist general named Ongania. He closed all the clubs and theatres, and all things, Free Jazz was forbidden, so the scene was underground. We had a terrible time surviving – thankfully there were a few intellectuals helping us, and the group could play in private gatherings. A record was made possible – The Forest and The Zoo.[13]
Cet extrait d’entretien révèle la raison du choix de l’Argentine, destination a priori peu commune pour des musiciens de jazz, tous non argentins : Graziella Rava, la femme d’Enrico, était argentine. C’est donc elle qui connaissait le mieux ce pays pour l’organisation de concerts. Par contre, la vision du jazz en Argentine, surtout celle juste après le coup d’Etat juste avant l’arrivée des musiciens, exprimée par le couple Irène Aebi – Steve Lacy (peu ou prou, le jazz n’existait pas avant leur arrivée) est contredite par celle de Guillermo Gregorio plus loin dans le même livre. Il en fait même le sujet principal de son papier : cet Argentin a assisté à quelques concerts du quartet de l’année 1966 qui eurent lieu peu après son arrivée, mais sans partager en plus la mention par Irene Aebi de titres écrits par Monk. Le 11 juillet 1966 fut la date de leur premier concert gratuit au Centro de Artes y Ciencias (Center for Arts and Sciences).
Et ajoutons qu’un programme qu’il possède met en évidence des prestations quotidiennes jusqu’au 31 juillet.[14] Guillermo Gregorio affirme, preuves à l’appui, que la naissance du jazz en Argentine remonte à 1920, que son style dominant entre les deux guerres était plutôt New Orleans et qu’ensuite, il avait évolué vers le be-bop, voire même vers des formes plus modernes de jazz. En résumé, le jazz en Argentine a connu les évolutions similaires à celles d’autres pays, USA et Europe compris.
Programme du Centro de Artes y Ciencias : pages 2, 3, 4. Juillet 1966
Encadrés rouges : REVOLUCION EN JAZZ, Steve Lacy Quartet : personal, FREE JAZZ, RADIOFONIA
(slogan, présentation du personnel du quartet, concerts, émissions de radio)
Programme du Centro de Artes y Ciencias : pages 8, 9, 10. Juillet 1966
Programme du Centro de Artes y Ciencias : page 11, quatrième de couverture. Juillet 1966
Guillermo Gregorio a aussi relevé la participation de Louis Moholo accompagné de deux guitaristes argentins, Miguel Angel Telecha et Pedro Lopez de Tejada, à un happening, El Helicoptero, organisé par Oscar Masotta huit jours après l’enregistrement de The Forest And The Zoo. Au final, ce happening partageait les participants (environ 80 personnes) sur deux lieux : une gare, Estacion Anchorena et un théâtre, El Theatron. Il s’agissait de deux déambulations des participants dans deux séries de trois « hélicoptères » (en fait, des navettes) !
Programme du happening EL HELICOPTERO, 16 octobre 1966, Archivos Di Tella, Universidad Torcuato Di Tella [15]
La meilleure preuve de ce qu’avance son auteur est l’écoute de la cassette enregistrée le 15 juin 1967. Et l’Instituto Torcuato Di Tella ne devait pas être un lieu de concert si underground que cela. Certes, la vie des quatre musiciens n’a pas dû être facile en Argentine, loin de là même. Certes, les concerts organisés depuis l’Italie avaient été tous annulés. Mais, la description de Buenos Aires, même juste après le coup d’Etat opéré par des militaires qui allaient conserver le pouvoir jusqu’en 1973, paraît quelque peu excessive (rues désertes uniquement peuplées de chars en quantité et annulation de tous les concerts de jazz prévus, selon Steve Lacy). Du moins, elle paraît excessive à Guillermo Gregorio !
Grâce à Pierre Crépon[16], nous savons qu’Enrico Rava habitait un appartement prêté par la famille de Graziella. Et que le saxophoniste Sergio Paolucci a déclaré que les deux Sud-Africains logeaient quelque temps chez ses parents et que ce séjour de Johnny Dyani et de Louis Moholo lui avait permis d’approfondir le free jazz. Et, nous connaissons également la raison pour laquelle cet enregistrement s’intitule The Forest And The Zoo : à l’époque, le quartier de Palermo de la capitale argentine abritait un zoo juste à côté d’une forêt. De plus, l’article (Steve Lacy, 1966: desventuras na Argentina, malheurs en Argentine) du journaliste argentin, Fabricio Vieira, affirme qu’Enrico Rava avait bénéficié de l’aide financière de l’ambassade d’Italie, avant que Steve Lacy et lui-même ne rejoignent New York, contrairement à ce qu’affirmait Irène Aebi plus haut. Mais, la question accessoire du retour d’Enrico Rava (Rome ou New York) fut tranchée par l’intéressé lui-même au cours de son entretien avec Ian Patterson pour le site All About Jazz : ce fut New York !
Dans le même entretien, Enrico Rava souligne un des problèmes financiers rencontré par le quartet à Buenos Aires : malgré le nombre finalement élevé de concerts, ceux-ci étaient toujours payés en monnaie locale, le peso argentin. Or, les billets d’avion s’achetaient en dollars américains…
Un autre témoin de ces prestations à Buenos Aires s’appelait Astor Piazzolla (1921-1992), l’accordéoniste argentin. Il avait vu le quartet en août 1966 :
[He] left the concert «disoriented.» He went home and listened to Monteverdi and Vivaldi. «I needed to go back to something pure and crystalline.» [17]
Menant une courte enquête qui commençait par un bref entretien avec Enrico Rava à l’occasion d’un concert donné au Sunset-Sunside (Paris) à la fin des années 2000 ou bien au début des années 2010, le trompettiste italien n’avait apporté aucune réponse satisfaisante sur les raisons qui avaient poussé Steve Lacy et lui-même à laisser les deux Sud-Africains seuls en Argentine. Il faut croire que l’Italien avait mal perçu cette question, certes peut-être, posée de manière trop brutale ; et Enrico Rava de se montrer extrêmement gêné !
Autre témoin : Louis Moholo-Moholo ! En dépit d’une proximité plus grande avec le batteur de Cape Town qu’avec le souffleur italien, le premier nommé a toujours tenu sur le sujet un discours raisonnable du type « J’ai pardonné à Steve Lacy… Moi, je regarde vers le futur, pas vers le passé ! » Il est vrai qu’en principe, vous pouvez rarement entendre des musiciens de jazz en critiquer d’autres, surtout s’ils sont décédés (ce qui était le cas de Steve Lacy). En tout cas, le discours de dénigrement n’est en général pas pratiqué par Louis Moholo-Moholo. Mais, qu’avait donc Steve Lacy à se faire pardonner ?
Aussi, cette recherche aboutit récemment par la découverte récente d’un élément on ne peut plus troublant : le 30 novembre 2016 (date anniversaire du décès de Johnny Dyani, c’est le Mbizo Day en Afrique du Sud), Louis Moholo-Moholo participait avec Pallo Zweledinga Jordan (ancien membre de l’ANC exilé à Londres, donc très proche de tous les Blue Notes et ancien ministre des Postes et Télécommunications sous la présidence de Nelson Mandela puis des Arts et de la Culture sous Thabo Mbeki) à une PAN AFRICAN SPACE STATION à Cape Town.[18] Le batteur sud-africain était longuement revenu sur l’épisode argentin avec quelques digressions : en particulier,
- la validité de son passeport se terminait alors qu’il était en Argentine. Il est savoureux d’écouter le moment où Louis Moholo-Moholo décrit la tête que lui fit le préposé sud-africain pour lequel voir un compatriote noir en Argentine lui semblait impensable.
- il répéta deux fois « Steve Lacy ran away with the money » [19] et
- il raconta un retour de trois semaines en bateau à Southampton en 1967 avec Johnny Dyani !
Aussi, les raisons réelles qui ont poussé les deux souffleurs à s’échapper hors d’Argentine tout en laissant là-bas les deux Sud-Africains commencent à apparaitre…
Ce qui est sûr, c’est le nombre d’enregistrements de Steve Lacy avec l’un ou l’autre des deux Sud-Africains, ou bien les deux ensemble, après l’épopée argentine : malgré le nombre extrêmement conséquent de LP ou CD de l’Américain, il fut nul.
- A ma connaissance, il n’y en eut plus d’autres entre Steve Lacy et Louis Moholo. Si Louis Moholo rejoua avec Steve Lacy, Norris Jones (alias Sirone) et Irene Aebi, mais, cette prestation n’a pas donné lieu à un enregistrement.[20] C’était le 28 octobre 1969, dernier des cinq jours du fameux festival Actuel qui se tint à Amougies (Belgique).
▪ FOR EXAMPLE – WORKSHOP FREIE MUSIK 1969-1978 – FREE MUSIK PRODUCTION – AKADEMIE DER KÜNSTE
RECORDS – PHOTOGRAPHS – DOCUMENTS – STATEMENTS – ANALYSES
▪ FOR EXAMPLE – WORKSHOP FREIE MUSIK 1969-1978 – NR▪1 SOLOISTS
- Steve Lacy eut l’occasion de jouer à nouveau avec Johnny Dyani : les trois vinyles du coffret FOR EXAMPLE enregistrés dans différents lieux de l’Allemagne de l’Ouest pendant la période 1969-1978 en témoignent. Les deux musiciens firent chacun un solo présent sur le premier LP (FOR EXAMPLE – WORKSHOP FREIE MUSIK 1969-1978 – NR▪1 SOLOISTS) : premier morceau de la première face pour Steve Lacy et dernière plage de la seconde face pour Johnny Dyani. Mais, ces deux prestations en solitaire ne se déroulaient pas la même année : respectivement, en 1974 et en 1977.
- En 1977, les deux hommes étaient pourtant présents à l’Akademie der Künste de Berlin, mais ils ne jouèrent pas ensemble : Steve Lacy joua avec son quintet [21] et Johnny Dyani deux fois, en solo (partiellement enregistré) et en quartet à cordes (non enregistré) avec Tristan Honsinger (cello), Barry Guy (db) et Maarten van Regteren Altena (db). L’occasion fut manquée, comme quelques autres…
- En résumé, il n’y eut plus d’autres enregistrements de Steve Lacy avec Johnny Dyani et/ou Louis Moholo-Moholo après celui réalisé en Argentine.
FOR EXAMPLE - Workshop Freie Musik 1969 – 1978 : dos du LP NR1 SOLOISTS – Steve Lacy solo et Johnny Dyani solo encadrés en rouge
Affiche du Workshop Freie Musik, Akademie der Künste, Berlin, 7-11 avril 1977 – Steve LacyQuintett et Johnny Dyani encadrés en rouge
Ecoutons la fin de l’entretien de Steve Lacy avec le Booktrader : [22]
Irene and I went New York, Enrico went back to Rome, and I guess Johnny and Louis went back to London… [I’ve seen again Johnny Dyani] maybe a couple of times, but not very often. I was in America and I didn’t get over to London. I saw him at a festival or two. I guess I saw him in Paris. And then we did some jazzworks in Germany.[23]
Et si Steve Lacy rendit hommage à la mort de Johnny Dyani, il attendit tout de même 10 ans pour le faire : le CD ‘’bye-ya’’ qu’il enregistra avec Jean-Jacques Avenel et John Betsch date de 1996. D’ailleurs, il est possible de se demander les raisons pour lesquelles cet hommage figure sur ce CD dont le nom évoque plutôt l’insouciance brésilienne, en Français tout au moins : bye-ya = Bahia. Mais, passons… Il est sur le titre Regret (Steve Lacy aurait-il éprouvé un tel sentiment ?) chanté par Irene Aebi, l’un des deux seuls où intervient cette vocaliste sur les mots de Paul Potts : [24]
My dreams
Watching me said
One to the other
This life has let us down
Steve Lacy trio ‘’bye-ya’’ (CD Free Lance FR-CD 025 1996)
Les deux couplets chantés par Irene Aebi se situent au début et à la fin de Regret. Ils sont entrecoupés d’un solo de Jean-Jacques Avenel, seul réel hommage à Johnny Dyani car le contrebassiste français était un des véritables amis de Mbizo.
La conclusion tiendra donc en une simple question : Paul Potts ou Pol Pot ?
Olivier Ledure, 9 novembre 2021.
Remerciements appuyés pour Pierre Crépon, Guillermo Gregorio, Maxine McGregor, Guillaume Tarche et Thierry Trombert.
[1] En 2009. l’exposition Le Siècle du JAZZ – Art, cinéma, musique et photographies de Picasso à Basquiat du musée du Quai Branly présentait le tableau de Bob Thompson, La Caprice dans le bon sens : voir p.334 du catalogue et p.336 photographies le recto et le verso de l’enregistrement.
[2] Lire l’entretien en anglais de Steve Lacy avec l’auteur de MBIZO – A Book about Johnny Dyani, Copenhagen, 2003 entre les pages 88 et 90.
[3] Traduction libre : Je recherchais une nouvelle section rythmique. J’aimais Louis énormément. Je voulais Louis comme batteur. Avant même que je ne l’entende, juste en parlant avec lui, je savais qu’il était le batteur qu’il me fallait. Je lui ai demandé s’il connaissait un joueur de contrebasse et il me répondit « Bien sûr : Johnny Dyani ! Il travaille avec moi à Londres ».
[4] In MBIZO – A Book about Johnny Dyani, Copenhagen, 2003, p88.
[5] Traduction libre : Cela m’a pris du temps pour le connaître parce qu’il était très évasif. A cette époque, j’étais également très naïf sur de nombreux points. Mais il était merveilleux en tant que musicien. Il présentait un excellent swing, tu sais, un très intéressant concept mélodique : il faisait danser sa contrebasse. Et, Louis et lui-même étaient fantastiques.
[6] Dennis Duerden (1927-2006) dirigeait le Transcription Centre (1962-1977)de Londres dont l’activité principale était la production et l’enregistrement de programmes radio pour et au sujet de l’Afrique. Maxine McGregor y a travaillé plusieurs années, avant même que les Blue Notes n’arrivent à Londres ainsi qu’après.
[7] Traduction libre :Ils prirent l’habitude de longues absences sans donner d’explications, et plusieurs fois par semaine. Nous en avons trouvé la raison quand, un jour, ils disparurent totalement : ils étaient partis en Italie avec Steve et Enrico Rava où ils jouèrent au festival de San Remo en mars 1966 puis ensuite en Amérique du Sud. (Plus tard, nous avons reçu un SOS : ils avaient été laissés sur place, affamés et c’est Dennis qui dût payer leurs billets de retour pour Londres !) Le commentaire de Johnny sur cette malheureuse entreprise fut le suivant : « je pensais que cela allait être intéressant mais, à la fin, je fus déçu. J’ai réalisé que j’avais entendu tout cela en Afrique du Sud et que je l’avais même joué. Il n’y avait rien de nouveau dans ce que Lacy jouait. » In p97, Maxine McGregor Chris McGregor, Bamberger, 1995
[8] In fin de l’entretien d’Enrico Rava avec Ian Patterson : https://www.allaboutjazz.com/enrico-rava-to-be-free-or-not-to-be-free-enrico-rava-by-ian-patterson.
[9] Un des nombreux intérêts du livre MBIZO – A Book about Johnny Dyani est la recherche de sa véritable date de naissance (in p8). La consultation des registres officiels du Home Office de King William’s Town (son lieu de naissance) par Stephanie Victor, mandatée par The Booktrader, lui permet d’affirmer que le 4 juin 1947 est sa plus probable date de naissance.
[10] In p54 Guillaume Tarche Steve Lacy (Unfinished), Lenka Lente, Nantes, 2021.
[11] Différents entretiens de Steve Lacy cités par Guillermo Gregorio. Par contre, je suis nettement plus circonspect sur la déclaration de Bernard Stollman, le sulfureux producteur d’ESP, qui déclarait : In 1966, Steve Lacy visited the new ESP-DISK office at 156 5th Avenue with a master tape of his concert in Buenos Aires with his quartet, Louis Moholo, Enrico Rava and Johnny Dyani. He offered to sell the master for what I thought was an exorbitant price. I bought it (traduction libre : en 1966, Steve Lacy visitait les nouveaux bureaux d’ESP-DISK au 156 cinquième avenue avec les bandes de son concert de Buenos Aires avec son quartet, Louis Moholo, Enrico Rava et Johnny Dyani. Il m’offrit de les vendre à un prix que je pensais exorbitant. Je lui ai acheté). Cette affirmation est située en exergue de la réédition CD de The Forest And The Zooen 2008 et fut reprise à peu près sous la même forme dans le livre de Jason Weiss ALWAYS IN TROUBLE – An Oral History of ESP-DISK’, The Most Outrageous Record Label In America paru en 2012 aux éditions Wesleyan University Press. En général, ce label ne payait tout simplement pas les musiciens, Bernard Stollman arguant de son prestige bien réel : il avait enregistré Albert Ayler, Marion Brown, Sunny Murray, Alan Silva et bien d’autres free jazzmen ! En tout cas, les propos de l’avocat liés à la date de cette rencontre new-yorkaise sont contredits par Steve Lacy et Enrico Rava, eux-mêmes.
[12] Je veux remercier ici Guillaume Tarche pour me l’avoir indiquer.
[13] Traduction libre : ils commencèrent par jouer du Free Jazz mais aussi des morceaux de Monk. J’étais juste une groupie. Tous les cinq, nous étions venus en Argentine avec un seul ticket aller, ce qui allait s’avérer être une erreur terrible. Graziella Rava avait organisé quelques concerts à Buenos Aires. Quand nous sommes arrivés, tout fut annulé. Il y avait eu un putsch par le général fasciste Ongania. Il a fermé tous les clubs, tous les théâtres et ainsi de suite : le Free Jazz était interdit, donc la scène était underground. Nous avons vécu une période terrible de survie, un grand merci pour les quelques intellectuels qui nous aidèrent et le groupe put jouer pour des fêtes privées. Un enregistrement fut possible : The Forest and The Zoo. In p16 Guillaume Tarche Steve Lacy (Unfinished), Lenka Lente, Nantes, 2021
[14] In p56 Guillaume Tarche Steve Lacy (Unfinished), Lenka Lente, Nantes, 2021.
[15] In Looking at the Sky in Buenos Aires d’Olivier Debroise, Getty Research Journal. 2009. No.1. pp.127-136 : http://www.jstor.com/stable/23005370. Article indiqué par Guillermo Gregorio et payant (environ 15 €)
[16] Inle site suivanthttp://www.freeformfreejazz.org/2021/03/steve-lacy-1966-desventuras-na-argentina.html, article posté le 24 mars 2021.
[17] Traduction libre : [Il] quitta le concert « désorienté ». Il retourna chez lui pour écouter du Monteverdi et du Vivaldi. « J’avais besoin de revenir vers quelque chose de pur et de cristallin. » In p151 Maria Susana Azzi & Simon Collier Le Grand Tango: the life and music of Astor Piazziolla, Oxford University Press, 2000.
[18] Les PAN AFRICAN SPACE STATION sont organisées par CHIMURENGA, la revue panafricaine. Ses bureaux sont localisés à Woodstock, Cape Town. Veuillez s’il vous plaît écouter https://www.mixcloud.com/chimurenga/mbizo-day-louis-moholo-pallo-jordan-30-nov-2016-pan-african-space-cape-town/ (durée : 1:24:14). Plus particulièrement entre la 40ième et la 53ième minute lorsque Louis Moholo-Moholo raconte l’épisode argentin.
[19] Traduction libre : Steve Lacy s’enfuit avec l’argent. Cette phrase fut répétée deux fois par Louis Moholo-Moholo vers la 50ième minute.
[20] In https://www.discogs.com/lists/Free-Jazz-in-Amougies-Research-on-the-Schedule-of-the-Festival-Actuel-October-24-28-1969/532758?limit=50. Blog d’acousticalswing (pseudo de Pierre Crépon sur Discogs).
[21] Ce quintet se composait de Steve Potts (as), Irene Aebi (cello, voc), Kent Carter (db) et Oliver Johnson (dm).
[22] In MBIZO – A Book about Johnny Dyani, Copenhagen, 2003, p89-90
[23] Traduction libre : Irene et moi sommes allés à New York, Enrico est retourné à Rome et je pense que Johnny et Louis sont retournés à Londres… [J’ai revu Johnny Dyani] peut-être quelques fois, mais pas très souvent. J’étais en Amérique et je ne suis pas allé à Londres. Je l’ai vu à un ou deux festivals. Je pense l’avoir vu à Paris. Et puis, nous avons fait des ateliers de jazz en Allemagne.
[24] A priori, aucun rapport avec Steve Potts, saxophoniste alto noir-américain qui joua longtemps pour Steve Lacy : Paul Potts (1911-1990) était un écrivain anglais.
Roswell Rudd (1935-2017) : Roswell Rudd (America, 1971)
Ce texte est extrait du livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
Et cette silhouette de femme qui marche sur le bon vouloir et le désir de Michael Snow se retrouva sur la pochette d’un disque publié par ESP : New York Eye and Ear Control, titre emprunté au court-métrage de l’artiste canadien qui fut, entre autres choses, pianiste de l’Artists’ Jazz Band. Sur le vinyle en question improvisaient Albert Ayler, Don Cherry, Ed Blackwell, Sunny Murray, Gary Peacock, Roswell Rudd et John Tchicai. Enregistrés à l’été 1964 dans l’appartement de Paul Haines à New York. L’inspiration soumise à la lecture du film.
La même année, Rudd et Tchicai entraient en studio aux côtés d’Archie Shepp et enregistraient Four for Trane. Ils se feront ensuite entendre au sein du Jazz Composer’s Orchestra – écouter Communication, premier disque du projet de Michael Mantler et Carla Bley, puis The Jazz Composer's Orchestra, sur lequel l’imposante formation accueille Cecil Taylor – avant de créer le New York Art Quartet. Les preuves accablent une association fructueuse qui applique son swing aux soubresauts de deux (ou de plus de deux) imaginations transportées. Mais en Roswell Rudd, le transport a ceci de différent qu’il est caractéristique.
Le character en question est donc tromboniste. Le 11 février 1965 aux Pays-Bas, il enregistre aux côtés de John Tchicai (saxophone alto), Finn von Eyben (contrebasse) et Louis Moholo (batterie), le premier enregistrement qu’il publiera sous son nom et qui, pour cela, l’emprunte. Sur la couverture, le tromboniste apparaît en noir sur fond vert : la photo est d’Horace, prise à l’occasion d’un concert donné à Pleyel en 1967 – soit, bien après l’enregistrement du disque qui nous intéresse – par le quintette d’Archie Shepp. Rudd est de la formation, tout comme Grachan Moncur III au même instrument, Jimmy Garrison à la contrebasse et Beaver Harris à la batterie.
En 1965, un tromboniste ayant servi le dixieland avant de côtoyer Herbie Nichols et de servir le répertoire de Thelonious Monk en compagnie de Steve Lacy – se jeter sur Early and Late et School Days, respectivement sous étiquettes Cuneiform et HatOLOGY (voire Emanem) – scellait donc son entente avec un saxophoniste alto qui se préparait à devenir l’un des compagnons d’Ascension de John Coltrane. Le répertoire est fait de trois morceaux du meneur (« Respects », « Old Stuff » et « Sweet Smells »), d’un autre de Tchicai (« Jabulani ») et d’un dernier de Monk (« Pannonica »). Sur ses compositions, Rudd privilégie l’interaction de ses graves vacillants et des précipitations tremblantes de l’alto au son d’un free jazz misant beaucoup sur le relâchement rythmique – qui n’en demande évidemment pas moins d’efforts à Eyben et Moholo. Au savoir-faire ancien (l’exposé du thème auquel revenir après quelques minutes d’abandon, de trahison voire), Rudd injecte des doses d’acide qui le menacent moins qu’elles ne le renouvellent : ainsi « Sweet Smells » est-il un « Blue Rondo a la Turk » aux vapeurs enivrantes qu’un solo de Moholo, changé pour l’occasion en Joe Morello, domptera afin qu’il cesse de tourner. Concernant le souvenir à garder de l’association Rudd / Tchicai, rien ne pourra y faire : leurs sons faits pour s’entendre et qui se sont plusieurs fois entendus – ici, l’unisson de « Jabulani » soumis à féroce allure et l’interaction lente exigée par la relecture de « Pannonica » persistent et signent – tournent encore : 33 fois par minute pour ce LP édité par America en 1971 ou plus rapidement pour le CD réédité en 2004 par Emarcy – parmi une fournée d’America réchauffés contenant des enregistrements de Steve Lacy, Anthony Braxton, Art Ensemble of Chicago…