Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori, Evan Parker : Miller’s Tale (Intakt, 2016)
En duo ou en quartet, et à chaque fois sous l’influence du Death of a Salesman d’Arthur Miller, Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori et Evan Parker poursuivent une aventure débutée quelques mois plus tôt au Stone new-yorkais.
En quartet, rapides et pressés, acharnés de la trille, ils adorent juxtaposer leurs élans, coordonner leur descentes, affirmer leurs réparties et s’acharner en souffle, clavier et archet continus. En mode lenteur, ils partagent les conflits, le saxophoniste et son phrasé mélodique temporisant les ébats.
En duos, les tempéraments se resserrent : Feldman-Mori entre sirènes et crépitements ; Courvoisier-Parker, conquérants et fermes ; Feldman-Parker, crissant et affutant le contrepoint ; Mori-Parker, gamins gambadant dans la boutique aux jouets cassés ; Mori-Courvoisier, charmants monstres soniques s’essayant à l’harmonie. Pourvu que ça dure !
Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori, Evan Parker : Miller’s Tale
Intakt / Orkhêstra International
Enregistrement ; 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Death of a Salesman 02/ A View from the Bridge 03/ The American Dream 04/ Up from Paradise 05/ Riding on a Smile and a Shoeshine 06/ Playing for Time 07/ The Reason Why 08/ Nothing’s Planted 09/ A Fountain Pen
Luc Bouquet © Le son du grisli
Derek Bailey, Evan Parker : The London Concert (Incus, 1975)
Prince est mort hier. Bon je vais me coucher. J'ai mal partout. Je suis vieux. Yeah ! J'ai 3 ans de plus que Prince. Je veux mourir aussi. Tout de suite ! (choeur : Il veut mourir de suite ! ) Yeah ! Oh no, no, non ! Chaque disque est un tombeau dans le cimetière des souvenirs, un bouquet de chrysanthèmes. Je pose Around The world in a Day sur ma platine (après 25 ans sur mes étagères, le disque vinyle tourne toujours, il n'est pas en panne comme n'importe quelle merde numérique). « Temptation » est mon morceau préféré ! Une vision du diable sous forme de sexe déchiré ultra sexy : « Purplelectricity whenever our bodies touch » avec les synthés FM des années 80 et un solo de saxo ténor bluffant.
Les semaines passées, j'aurais choisi comme disque phare Fenix de Gato Barbieri. C'est bien la question ? Soudainement je ne sais plus pourquoi je te parle de ça. Je suis vieux jeu... Les artistes qui m'ont marqué à vie décèdent les uns après les autres. La mort d'Ornette Coleman m'avait affecté mais tout le monde s'en foutait. Les médias ne s'intéressent pas à l'inventeur du free jazz. J'aime tous ses disques. J'en profite pour faire une réponse biaisée à ta chronique (dont je te remercie). Je ne suis pas un fou littéraire mais simplement un musicien marginalisé par le système des médias et du star système, le seul truc qui me reste pour m'exprimer publiquement (à part jouer dans la rue) c'est d'écrire. J'aime bien, c'est économique, un crayon du papier un ordi. Il faut juste dépenser une absolue sincérité pour intéresser un éventuel lecteur. Pour un improvisateur c'est le comble d'en être réduit à écrire.
Pour terminer cette bafouille, un peu de promo pour mon prochain livre qui paraît la semaine prochaine (à compte d'auditeur). Voici la réponse à ta question : quel disque super important pour moi ? Par exemple le London Concert de Derek Bailey et Evan Parker. Extrait de PARIGOT : J’avais monté un duo avec mon ami le guitariste Marc Dufourd. C’était il y a 35 ans. J’avais réalisé un flyer pour notre premier concert au Théâtre Dunois “Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps.” phrase détournée des situationnistes avec en plus un dessin incongru de “Fritz the Cat”. Quelques jours avant le concert, le guitariste avait été foudroyé par une sorte de révélation musicale. Il s’était mis soudainement à jouer dans le style de Derek Bailey et avait abandonné du jour au lendemain tout accord consonant et harmonique. Je l’avais suivi et j’avais abandonné sur le champ toutes références au jazz et au free-jazz pour me lancer à la poursuite du disque en duo de Derek Bailey et Evan Parker : The London Concert. Abstraction urbaine. Absence de convention musicale. Détournement du principe atonal de la musique de 12 sons. Epiphanie de bruits, coups divers sur la caisse de guitare et les clefs du saxophone. Les hurlements revendicatifs du free jazz étaient transformés en menace animale sous entendue pour brouiller toute note identifiable sous une dénomination du solfège.
Derek Bailey, Evan Parker : The London Concert
Incus
Edition : 1975
LP : 01-04/ Part 1 - Part 4
Etienne Brunet © Le son du grisli
Etienne Brunet est l'auteur de ce Berlingot récemment chroniqué au son du grisli.
Evan Parker, Seymour Wright : Tie the Stone to the Wheel (Fataka, 2016)
Après avoir plusieurs fois enregistré avec Keith Rowe – l’épatant RKW, notamment – et Eddie Prévost, le saxophoniste (alto) Seymour Wright a donc approché Evan Parker : Tie the Stone to the Wheel a été enregistré en deux fois : deux Wheel le 5 octobre 2014 et trois Stone le 12.
La rencontre est d’abord volatile, qui accorde au gré des secondes un soprano et un alto sur des hauteurs accidentées : l’alto calque ses notes sur celles du soprano mais il en sera différemment auprès du ténor. Aiguisé encore, l’échange joue cette fois de différences : les coups portés sont vifs, mais tandis que Parker déroule des phrases d’un naturel déconcertant, Wright propose par séquences, s’exprime en ayant l’air de chercher des solutions.
Certes moins sûre d’elle, son expression n’en est pas moins valable. Sur les trois Stone annoncés, elle gagne ainsi en assurance : les saxophones – peu importe leur nature – semblent désormais ne faire qu’un. Le ton, l’allure, et même l’intention se frôlent de plus en plus et bientôt se confondent. Les dernières minutes de Tie the Stone to the Wheel valent d’ailleurs tous les discours.
Evan Parker, Seymour Wright : Tie the Stone to the Wheel
Fataka
Enregistrement : 5 & 12 octobre 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Wheel I 02/ Wheel II 03/ Stone I 04/ Stone II 05/ Stone III
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #43
L'heure de la tournée a sonné. Ce sont ici les dernières dates de LISTENING : le 10 décembre, à Bâle, Urs Leimgruber et Jacques Demierre apparaissaient, sans Barre Phillips, en solo mais avec une même envie : improviser encore, quels que soient les antécédents (Twine), quel que soit le chiffre (et même : le temps).
10 décembre, Bâle
FIM
Jeder spielt solo. Jacques beginnt an einem upright Klavier Marke „pearlriver, 807158“ mit schnellen, tonalen, minimalistischen Bewegungen auf der Klaviatur. Sein repetitives Spiel erinnert mich an die Klavier Musik von La Monte Young der 60er Jahre. Ich war gerade 17 Jahr alt, als ich diese Musik am Radio hörte, sie wirkte magisch und zog mich sofort in ihren Bann. Das Repetitive hat mich inspiriert, und ich versuchte diese Spielweise sofort auf meinem Saxophon umsetzen. Durch Roland Kirk habe ich dann die Zirkularatmung entdeckt. Jahre danach, habe ich angefangen sie im Solo Spiel einzusetzen. Durch diese für mich neue Technik war ich imstande, mein Spiel vorzugsweise mit Obertönen und Mehrklängen zu erweitern. Später hörte ich Evan Parker das erste Mal live in Willisau. Er spielte zusammen mit Alexander von Schlippenbach, Peter Kowald und Paul Lovens. Ich war beeindruckt wie Evan die Zirkularatmung und diverse anderer Ansatztechniken zum Einsatz brachte, während er zeitgleich in der Gruppe mit Chris Mc Gregor The Brotherhood of Breath noch um einiges konventioneller spielte. Die Flatterzungen-Technik hat mich an das Spiel von Pharoah Sanders mit John Coltrane Meditations / Live at the Village Vanguard erinnert, wo Sanders in den höchsten Lagen eine unübliche Zungentechnik einsetzt. Evan ist ein Pionier, er hat das Saxophonspiel in der nach Coltrane Phase, ausserhalb des Freejazz unverkennbar radikalisiert und weiterentwickelt. Er spielte mit John Stevens und er gründete mit zusammen Derek Bailey die Music Improvisation Company und das Schallplatten Label Incus. Die Zusammenarbeit, welche aus diesen Aktivitäten hervorgegangen ist, ist musika-lisch und historisch von grosser Bedeutung. Eine Art Geburtsstunde der europäischen improvisierten Musik, während sich andere europäische Musiker, wie Peter Brötzmann, Han Bennink, Peter Kowald, Fred Van Hove und die Amerikaner George Lewis, Anthony Braxton ähnlich mit Musik beschäftigten.
Mitte der 70er Jahre, habe ich aufgrund meiner Aktivität in der Gruppe „OM“ Evan etwas aus den Augen und den Ohren verloren, um eigene Wege zu gehen. Ich habe mir während dieser Zeit bewusst andere Instrumentalisten – Streicher, Sänger und Komponisten als Saxophon-isten angehört. Jazz, indische und afrikanische Musik, Strawinsky, Varése, Stockhausen, Ligeti, Berio, Nono und die ganze New York School. In den neunziger Jahren, während meiner Zeit in Paris habe ich Evan in wechselnden Gruppen im Instants Chavirés wieder erlebt. Später erinnere ich mich an eine Begegnung am Festival in Parthenay in 2004, als Even das Trio mit Barre und Jacques hörte. Er war von der Musik des Trios beeindruckt und hatte uns gebeten ihm eine Aufnahme zu zuschicken, um auf seinem Label PSI als CD zu veröffentlichen. 2005 haben wir die CD ldp – cologne auf Evan’s Label veröffentlicht. Für ein Zusammenspiel mit Evan im Duo kam es dann 2007. Die ersten paar Töne zusammen mit ihm im Konzert bleiben mir in sehr guter Erinnerung. Sie waren gezeichnet von grosser Offenheit, Leichtigkeit und Musikalität. Evan kam mir vor als sanfter Koloss. Während einer Tournee spielen wir im Loft in Köln. Das Konzert wird aufgenommen und als CD Twine bei Cleanfeed Records veröffentlicht.
Nach den beiden Solos zeigen wir das Video mit Barre, anschliessend spielen wir im Duo. Am Ende des Stücks schiebt Jacques das Klavier spielend nach hinten, dann auf die Seite und hinter den Vorhang. Er beginnt an zu pfeifen ... er kommt zurück auf die Bühne setzt sich auf einen Stuhl, macht Klänge mit seiner Stimme und setzt mit Lautpoesie ein, dabei spiele ich das Sopransaxophon.....
U.L.
Un piano à queue, brun clair et fermé à clef, donnait l'impression de vouloir forcer vainement l'entrée du lieu où nous allions jouer ce soir-là en duo avec Urs, Barre ayant dû renoncer, une nouvelle fois pour des raison de santé, à terminer cette tournée. Le mot SAFES brillait en lettres majuscules au-dessus d'une lourde porte en fer forgé. Celle-ci franchie, la descente fut brève et quelques marches plus bas, je découvris à ma droite, la salle de concert et à ma gauche, la salle des coffres. Une horloge sans chiffres, sans aiguille des minutes et au temps arrêté, distillait une ambiance étrange. Elle indiquait environ 10 heures 59. AM? ou PM? Cette absence de chiffre, de mouvement, ce doute, me sont apparus comme une menace silencieuse. Si il y avait une chose à laquelle je ne m'étais pas attendu en pénétrant dans ce SAFE, c'était à faire l'expérience d'un tel trouble. Mais le saisissement fut de courte durée. Autant la salle de concert que la salle des coffres – tendrement appelée Tresor sur les plans du lieu, sans accent aigu – allaient m'offrir des chiffres à profusion. Ce furent d'abord les colonnes entières de nombres gravés en sombre sur de petites plaquettes de métal brillant fixées sur la face de chaque boîte de dépôt
1024 1025 1211
1029 1030 1216
1034 1221
1039 1040 1226
1045
1049 1050 1236
1054 1055 1241
1059 1060 1246
1064 1065
1069 1070 1256
certaines plaquettes brillaient d'un éclat particulier, peut-être dû à l'éclairage irrégulier de l'espace
1826 1827
1829 1830
1832 1350
1835 1836
1838 1839
1841 1842
1844 1845
1847 1848
1850 1851
1853 1854
1857
Etourdi par l'accumulation de ces verticalités légèrement agressives, je rejoignis le piano droit chinois pearlriver déjà installé au milieu de la petite scène. Comme un rituel maintenant bien rôdé depuis le début de la tournée, je repérai, notai et photographiai les indications graphiques tatouées sur le corps de l'instrument. A chaque coffre, comme à chaque piano, son numéro, ici le 807158. Mais le paysage avait complètement changé, j'avais devant moi, une fois la structure de bois du piano élaguée au maximum, une étendue horizontale de nombres alignés, allant de 1 à 88, imprimés à même le bois de chaque marteau. Trois sections, aux directions cardinales légèrement différentes, divisaient l'espace séparant les cordes verticales du clavier. Sur ma gauche
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
puis, devant moi
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 535 54 55 56 57 58 59 60
enfin, sur ma droite
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88
Nous avions prévu deux solos. Assis face à l'instrument, je lus soudain une suite infinie de chiffres. Puis plus rien : j'avais commencé à jouer.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 1 1 1 2 1 3 1 4 1 5 1 6 1 7 1 8 1 9 2 0 2 1 2 2 2 3 2 4 2 5 2 6 2 7 2 8 2 9 3 0 3 1 3 2 3 3 3 4 3 5 3 6 3 7 3 8 3 9 4 0 4 1 4 2 4 3 4 4 4 5 4 6 4 7 4 8 4 9 5 0 5 1 5 2 5 3 5 5 4 5 5 5 6 5 7 5 8 5 9 6 0 6 1 6 2 6 3 6 4 6 5 6 6 6 7 6 8 6 9 7 0 7 1 7 2 7 3 7 4 7 5 7 6 7 7 7 8 7 9 8 0 8 1 8 2 8 3 8 4 8 5 8 6 8 7 8 8
Urs m'a dit avoir entendu des réminiscences de La Monte Young. Toujours des chiffres. Serait-ce ce chapelet horizontalement tendu devant mes yeux qui m'aurait poussé inconsciemment à un geste sonore minimaliste, mais tempéré, après avoir réactivé en moi certains exemples de proportions chiffrées du Well-Tuned Piano lus récemment ?
49/32 147/128 441/256 1323/1024
7/4 21/16 63/32 189/128 567/512
1/1 3/2 9/8
(transcription: Wolfgang von Schweinitz)
Mais ce ne sont que spéculations extérieures et incertaines, je n'en sais au fond rien. Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il n'y a pas d'autre lieu que le lieu de l'action, de l'action sonore en l'occurrence, pour que les choses se passent, que les choses soient modifiées, qu'elles soient saisies et subissent les véritables transformations, afin qu'en retour elles nous révèlent leur propre et nouvelle existence.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE
Evan Parker : The Snake Decides (psi, 2015)
En 1986, Evan Parker et son soprano convoquent birds et snakes. Voici les nuées d’oiseaux tournoyant sur nos têtes. Implosion de cris et d’offrandes : ça caquette, ça jacasse, ça hoquette, ça éructe, ça dévale, ça éraille, ça rafle l’aigu jusqu’à la rupture. EP est un chamane des temps modernes : à Lascaux, à Chauvet, il aurait été chez lui. Et il aurait conduit les cérémonies.
En 1986, Evan Parker oublie les forces brutes du passé. Son chant demande – et obtient – fluidité. Le souffle est continu, l’assonance se porte large. L’apaisement gagne en force et conviction. A ce moment précis, on sait déjà le bouchon très loin lancé. Il n’y aura qu’un seul Coltrane, il n’y aura qu’un seul Evan Parker. Non, pas une comparaison, juste une évidence. En 1986, les serpents avaient pour maître et charmeur l’étonnant Monsieur Parker.
Evan Parker : The Snake Decides
psi / Orkhêstra International
Enregistrement : 1986. Réédition : 2015.
CD : 01/ The Snake Decides 02/ Leipzig Folly 03/ Buriden’s Ass 04/ Haine’s Last Tape
Luc Bouquet © Le son du grisli
Evan Parker : Seven (Victo, 2014) / Sant’Anna Arresi Quintet : Filu ‘e Ferru (2015)
Sur la pochette de ce disque, lire cet aveu d’Evan Parker : « Mon art de la composition consiste à choisir les bonnes personnes et à leur demander d’improviser. » Au 30e Festival de Musique Actuelle de Victoriaville, le 18 mai 2014, le saxophoniste donnait un concert en compagnie de Peter Evans (trompettes), Ned Rothenberg (clarinettes et shakuhachi), Okkyung Lee (violoncelle), Ikue Mori (électronique), Sam Pluta (électronique) et George Lewis (électronique et trombone). « Ceux-là sont les bonnes personnes », précisait-il.
C’est l’électronique qui se chargea d’abord d’arranger l’espace que l’ElectroAcoustic Septet aura tout loisir d’explorer : une forêt de sons brefs sous laquelle ont été creusé combien de galeries. Les musiciens s’y rencontreront, à deux, trois ou davantage, dans un jeu de poursuites ou au gré de conversations affolées. Ainsi aux notes hautes d’Evans et Lee, Rothenberg répondra ici par un motif grave et ramassé ; ailleurs, aux imprécations de l’électronique (dont les effets ne se valent pas tous), les souffleurs opposeront un alliage autrement expressif…
Mais à force de frictions, le terrain s’affaisse parfois et les plafonds de la galerie menacent. Et quand les vents ne retrouvent pas le chemin de l’air libre (ici le soprano de Parker, là le trombone de Lewis), les secondes peuvent paraître longues, aussi longues qu’elles sont bien remplies.
Evan Parker : Seven (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 mai 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Seven-1 02/ Seven-2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Moins nombreux, les musiciens à entendre sur Filu ‘e Ferru – Evan Parker (au ténor), Peter Evans (trompettes), Alexander Hawkins (piano), John Edwards (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), enregistrés début 2015 au festival de jazz de Sant'Anna Arresi, en Sardaigne – improvisèrent sous le nom de Sant’Anna Arresi Quintet. Sept fois, et dans le champ d’un jazz assez « cadré », l’association profite de l’accord que trouvent Parker, Evans et Edwards, qu’ont malheureusement du mal à saisir les délayages d’Hawkins et l’abattage de Drake.
Evan Parker : Filu ‘e Ferru (2015)
CD : 01/ Filu 1 02/ Filu 2 03/ Filu 3 04/ Ferru 1 05/ Ferru 2 06/ Ferru 3 07/ Ferru 4
Enregistrement : 2 janvier 2015. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fred Frith, Evan Parker : Hello, I Must Be Going (Victo, 2015)
Ce sont d’abord deux présences à distance : Fred Frith (guitare électrique) et Evan Parker (saxophones ténor et soprano), qui jouaient ensemble pour la troisième fois le 17 mai 2014 dans le cadre du Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville.
C’est que Parker débute au ténor, et que Frith est déjà penché sur sa guitare à l’horizontale : l’un et l’autre composent avec précaution, les courtes phrases du premier échouant sur les assemblages que le second façonne. Au soprano, Parker est plus volubile et le duo prend de la hauteur : le guitariste tambourine alors sur ses micros ou sinon vocalise.
Un retour du ténor fera trembler les cordes et engagera déjà la conclusion du concert : un quart d’heure pendant laquelle Frith s’exprime davantage en soliste qu’en accompagnateur, allonge ses interventions au moyen d’un résonateur et d’une pédale de volume. Parker prend lui le parti d’un dialogue précipité (souffle continu en action contre agacement des cordes sur frettes basses) qui n’en profite pas moins et à l’heure et à l’endroit : Je me souviens – c’était le trentième anniversaire du festival – obligera l’au-revoir.
Fred Frith, Evan Parker : Hello, I Must Be Going (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 mai 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Hello, I Must Be Going 02/ Red Thread 03/ Particulars 04/ Je me souviens
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Festival Météo [2015] : Mulhouse, du 25 au 29 août 2015
Cette très belle édition du festival Météo vient de s'achever à Mulhouse. Petit florilège subjectif.
Le grain de voix. Rauque, granuleuse, grave, éructante, crachant tripes et boyaux, poilue. C'est la voix d'Akira Sakata, monument national au Japon, pionnier du free jazz dans son pays. Ce septuagénaire est peu connu en France. C'est un des génies de Météo que de faire venir de telles personnalités. Au saxophone, Akira Sakata oscille entre la fureur totale et la douceur d'un son pur et cristallin. A la clarinette, il est velouté. Et, quand il chante, on chavire. Il y a du Vyssotski dans cette voix, en plus sauvage, plus théâtral. On l'a entendu deux fois à Mulhouse : en solo à la chapelle Saint-Jean et lors du formidable concert final, avec le puissant batteur Paal Nilssen-Love et le colosse contrebassiste Johan Berthling. Ils forment le trio Arashi, qui veut dire tempête en japonais. Une météo qui sied au festival.
La brosse à poils durs. Andy Moor, guitariste de The Ex, brut de décoffrage, fait penser à un ouvrier sidérurgiste sur une ligne de coulée continue. En guise de plectre, il utilise parfois une brosse à poils durs, comme celles pour laver les sols. Un outil de prolétaire. Son complice, aux machines, est Yannis Kyriakides (un des électroniciens les plus convaincants de cette édition de Météo). Il lance et triture des mélodies de rebétiko. Des petites formes préméditées, prétextes à impros en dialogue. Un bel hommage à ces chants des bas-fonds d'Athènes, revisités, qui gagnent encore en révolte.
L'archet sur le saxophone. Lotte Anker a joué deux fois. Dans un beau duo d'improvisateurs chevronnés, avec Fred Frith, lui bidouillant avec des objets variés sur sa guitare, elle très inventive sur ses saxophones, jouant même par moment avec un archet, frottant le bord du pavillon, faisant résonner sa courbure. Elle s'est aussi produite en solo à la bibliothèque, dans la série des concerts gratuits pour enfants (encore une idée formidable de Météo), sortant également son archet, et accrochant les fraîches oreilles des bambins.
Le naufrage en eaux marécageuses. Les trois moments ci-dessus sont des coups de cœur, vous l'aurez entendu. Affliction, par contre, lors du deuxième concert de Fred Frith, en quartet cette fois, le lendemain, même heure, même endroit (l'accueillant Noumatrouff). Et – hélas –, mêmes bidouillages que la veille, en beaucoup moins inspiré, sans ligne directrice, sans couleur, si ce n'est les brumes d'un marécage. Barry Guy, farfadet contrebassiste qu'on a eu la joie d'entendre dans trois formations, a tenté de sauver l'équipage de ce naufrage moite.
Les percussions du 7e ciel. La chapelle Saint-Jean, qui accueille les concerts acoustiques (tous gratuits), est très souvent le cadre de moments musicaux de très haute tenue, sans concession aucune à la facilité. Pour le duo Michel Doneda, saxophone, et Lê Quan Ninh, percussions, la qualité d'écoute du public était à la hauteur du dialogue entre les deux improvisateurs. La subtilité, l'invention sans limite et la pertinence de Lê Quan Ninh forcent l'admiration. D'une pomme de pin frottée sur la peau de sa grosse caisse horizontale, de deux cailloux frappés, il maîtrise les moindres vibrations, et nous emporte vers le sublime.
Et aussi... Le batteur Martin Brandlmayr, avec sa batterie électrique : son solo était fascinant. Le quartet Dans les arbres (Xavier Charles, clarinette, Christian Wallumrød, piano, Ingar Zach, percussions, Ivar Grydeland, guitare), totalement extatique. Le quartet d'Evan Parker, avec les historiques Paul Lytton, batterie, et Barry Guy, contrebasse, plus le trompettiste Peter Evans, qui apporte fraîcheur, vitalité et une sacrée présence, sous le regard attendri et enjoué de ses comparses. La générosité de la violoncelliste coréenne Okkyung Lee, qu'on a appréciée trois fois : en duo furieux avec l'électronique de Lionel Marchetti, en solo époustouflant à la chapelle, et dans le nonet d'Evan Parker : elle a été une pièce maîtresse du festival, animant aussi un des quatre workshops, pendant une semaine. Les quatre Danoises de Selvhenter, enragées, toujours diaboliquement à fond et pire encore, menées par la tromboniste Maria Bertel, avec Sonja Labianca au saxophone, Maria Dieckmann au violon et Jaler Negaria à la batterie. Du gros son sans finesse, une pure énergie punk. Et, dans le même registre, les Italiens de Zu : Gabe Serbian, batteur, Massimo Pupillo, bassiste et Luca Tommaso Mai, saxophone baryton : un trio lui aussi infernal, qui provoque une sévère transe irrésistible.
Festival Météo : 25-29 août 2015, à Mulhouse.
Photos : Lotte Anker & Fred Frith / Lê Quan Ninh
Anne Kiesel @ le son du grisli
Evan Parker, Joe Morris, Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed, 2015)
C’est à la guitare, et seul, que Joe Morris ouvre ce concert enregistré au Firehouse 12 en septembre 2014. Après lui, arriveront Nate Wooley puis Evan Parker – l’association est inédite, à plus d’un titre. C’est ainsi, sur la première plage de Ninth Square, un solo, un duo, un trio puis un autre solo (de ténor), un autre duo (Wooley toujours second), et un autre trio encore.
Quand ce n’est pas à une improvisation commune dont le volume ménage l’auditeur, si ce n’est met au défi son attention, c’est à un jeu d’apparition et de disparition que se livrent les trois musiciens. Dans un cas comme dans l’autre, ils composent sur l’instant avec un intérêt pour une recherche sonore toujours vive, si possible d’une musicalité renouvelée. C’est dans ces notes de guitare timides mais expressives pourtant ou dans ces slides étouffés qu’on trouvera d’ailleurs celle-ci.
Dans ces nouvelles salves de soprano, aussi : et les façons qu’elles ont d’en imposer encore (Grove State) ou la manière avec laquelle elles prennent en compte les interventions de la trompette, qui, d’ailleurs, souvent surprennent (Grove State encore, soit l’instrument changé en cor des Alpes). Enfin, dans ces retournements de situation et autres accompagnements fabuleux (guitare caverneuse sur High Center, trompette verticale sur Green…, en guise d'exemples) dont se chargent, tour à tour, et les uns et les autres.
Evan Parker, Joe Morris, Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 septembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Temple Elm 02/ Orange George 03/ Wall Crown 04/ Grove State 05/ High Center 06/ Green
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Evan Parker apparaîtra deux fois cette année au festival Météo : le 27 août en compagnie de Peter Evans, Paul Lytton et Barry Guy ; le 28 août à la tête d’un Electroacoustic Nonet.
John Russell : With... (Emanem, 2015)
Quelques problèmes de cœur n’auront pas empêché John Russell de fêter son soixantième anniversaire, sur la scène du Café Oto de Londres, le 19 décembre 2014. C’est l’enregistrement qui nous intéresse, exposant le guitariste auprès d’invités de marque.
Un à deux par plage : Henry Lowther et Satoko Fukuda sur la première, où cette guitare sèche au goût de métal traîne entre une trompette parcimonieuse et un violon plus lyrique (si l’équilibre est instable, c’est que le lyrisme pèse) ; Phil Minton sur la seconde, dont bouche et gorge rivalisent d’effets capables de contrer notes étouffées et fulgurances de guitare-banjo ; Evan Parker (au ténor) et John Edwards, qui ne forment pas de duo puisque le contrebassiste travaille avec Russell à la création d’un formidable instrument à cordes ; Thurston Moore, enfin, qui oblige son partenaire à envisager l’ampli comme un second instrument au moyen duquel inventer autrement.
A l’intérieur de l’étui cartonné, un livret de huit pages revient sur l’événement, consignant les interventions de Russell avant chaque improvisation et une sélection de photos. La dernière, qui montre Moore et Russell devant quelques bougies, fait écho aux mots qu’il adressa à Martin Davidson quelques jours après le concert : « I had a ball and Joanna (sa compagne, nldr) said she hadn’t seen me so happy for weeks. »
John Rusell : With… (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ The First Half of the First Half 02/ The Second Half of the First Half 03/ The First Half of the Second Half 04/ The Second Half of the Second Half
Guillaume Belhomme © Le son du grisli