Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


Vers TwitterAu grisli clandestinVers Instagram

Archives des interviews du son du grisli

Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel, 2012)

pierre-yves macé musique et document sonore

C’est une thèse de doctorat désormais publiée que son auteur, Pierre-Yves Macé, aurait pu (pourrait) poursuivre à vie : l’utilisation du document sonore dans le contexte musical est son sujet. Partant d’Edison, voici donc l’histoire d’un « document » – la notion, démonstrative et laissant derrière elle quelque trace, sera brillamment expliquée dans un chapitre – qui abandonne les rayonnages de l’archive pour l’univers plus exaltant de la création sonore.

Si l’exercice, formaté, connaît quelques impératifs (exposés d’esthétique convoquant inévitablement Adorno, Benjamin, Barthes, Deleuze…, citations zélées, organisation rigoureuse – à laquelle échappe toutefois ce bel interlude par lequel John Cage passe une tête), il profite de la diversité des écoutes auxquels il renvoie. Plus encore, il passionne par l’entendement déductif de Macé.

Traité de mille manières (amplifié, manipulé, traité, transformé, digéré…), le document finira souvent par adopter les contours d’arts hétéroclites pour être ceux de Ferrari, Nono, Reich, Bayle, Curran, Bryars, mais aussi Panhuysen, Matmos, Kyriakides, Kerbaj, Onda… A chaque fois, c’est un imaginaire augmenté par le « fourmillement du réel » que Macé envisage en chercheur éclairé avant d’en disposer les références dans une luxuriante toile de sons, aussi panorama saisissant : Musique et document sonore.

Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Musique et document sonore, 336 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Aki Onda : South Of The Border (Important, 2012)

aki onda south of the border

Non ce n’est pas Aki Onda qui va à la musique mais bien la musique qui vient à Aki Onda. En ouvrant ses archives cassettes pour la troisième fois, le Japonais le prouve encore : ses « memories » (qui sont ici six souvenirs enregistrés au walkman lors d’un voyage au Mexique) recèlent des trésors.

Ça commence comme ça : une fanfare joue dans la rue, maladroite elle s’arrête, des passants parlent, elle reprend, rebat le tambour, resonne faux, reclaudique. Plus loin (The Sun Clings...) il y aura une autre fanfare, du même genre mais sublimée par la cassette qui accélère ou ralentit ses morceaux et, surtout, qui connaîtra la joie de se faire dévorer par des milliers d’oiseaux d’engeance hitchcockienne (voilà bien quelque chose à entendre !).

Mais les fanfares ne font pas tout et il y a d’autres rencontres dans ce Rec.Mode Trip mexicain : sur Bruise & Bite, on imagine le walkman tressautant au fond d’une poche et enregistrant des véhicules qui passent, des voix et ô surprise un orgue ou énorme flûte de bois (ou l'inverse) que l’on entendra aussi sur I Tell A Story Of Bodies That Change, qui elle tient plutôt de l’ambient. Un bon quart d’heure de plage zenifiante qui propulserai Brian Eno (jeune) ou Bruce Gilbert (en solo) dans un temple bouddhiste. En tout cas c’est le film que l’on se fait ou celui que projette Aki Onda, cinéaste sonore qui traite et mélange mieux que personne le bizarre et le quotidien.

Aki Onda : South of the Border. Cassette Memories Volume 3 (Important Records)
Edition : 2012.
CD : 01/ A Day Of Pilgrimage 02/ Dust 9:18 03/ Bruise & Bite 04/ The Sun Clings To The Earth And There Is No Darkness 05/ I Tell A Story Of Bodies That Change
Pierre Cécile © Le son du grisly 2013


Alexandre Galand : Field Recording (Le mot et le reste, 2012)

field recording alexandre galand le son du grisli

Dans W2 [1998-2008], Eric La Casa citait déjà Nicolas Bouvier et L’Usage du Monde : « Certains pensent qu’ils font un voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » Au tour aujourd’hui d’Alexandre Galand, ancienne plume du son du grisli mais plus encore docteur ès Maîtres fous (autre hommage qui trahit chez l’homme un goût pour l’ethnologie mêlant image et son) d’adresser une pensée à Bouvier – et à ses souvenirs de voyages recueillis sur Nagra dont traitait L’oreille du voyageur il y quelques années – dans le sous-titre de l’ouvrage qu’il consacre aux enregistrements de terrain : Field recording.

Presque autant que le monde dont Bouvier fit l’usage, le champ est vaste et divisé en plus en bien nombreuses parcelles (écologie, documentaire, création radiophonique, biographie, journalisme, musique…) : une grande introduction le rappelle, qui dit de quoi retourne l’exercice du field recording : à défaut de définition arrêtée, une description large qui explore trois grands domaines : captation des sons de la nature, captation de la musique des hommes et composition.

Passée une brève histoire de systèmes d’enregistrement que l’on peut emporter, voici que s’ouvre un livre que l’on dira « des Merveilles » pour évoquer un autre voyageur d’importance. Traitant de nature, l’anthologie raconte d’abord les enregistrements d’oiseaux de Ludwig Koch et donne la parole à Jean C. Roché. Traitant d’ethnomusicologie, elle insiste sur les enregistrements faits « sur le terrain » de chants à sauver à jamais de l’oubli (fantômes d’Alan Lomax et d’Hugh Tracey) et interroge Bernard Lortat-Jacob. Traitant enfin de musique, elle retourne à Russolo, Ruttman et Schaeffer, avant de mettre en lumière des disques signés Steve Reich, Luc Ferrari, Alvin Lucier, Bill Fontana, Eric La Casa, Kristoff K. Roll, BJ Nilsen, Aki Onda, Eric Cordier, Geir Jenssen, Laurent Jeanneau, Jana Winderen… et de laisser Peter Cusack expliquer ses préoccupations du jour.  

A l’image du « field recording », le livre est protéiforme, curieux et cultivé. Il est aussi l’œuvre d’un esthète qui ne peut cacher longtemps que l’idée qu’il se fait du « beau » a eu son mot à dire dans la sélection établie. Non moins pertinente, celle-ci profite en plus et en conséquence de citations littéraires – de Rabelais à Apollinaire – qui tombent toujours à propos. Comme le fera ici, en guise de conclusion, cette sentence de Victor Hugo qui inspira Pierre Henry : « Tout bruit écouté longtemps devient une voix. »

Alexandre Galand : Field Recording. L’usage sonore du monde (Le mot et le reste)
Edition : 2012.
Livre : Field Recording. L’usage sonore du monde
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

alexandre_galand_beauhaus


Akio Suzuki, Aki Onda : Ke I Te Ki (Room40, 2018)

akio suzuki aki onda ke i te ki

De la collaboration qu’Akio Suzuki et Aki Onda ont entamée voici cinq ans, le label Oral avait rapporté Ma ta ta bi, souvenir d’une promenade « à l’écoute » faite par le duo dans une usine désaffectée de la banlieue de Bruxelles. C’est ici un environnement moins hostile que les deux hommes ont eu, à l’automne 2015, à cœur de faire chanter : Emily Harvey Foundation, loft de New York ayant jadis abrité George Maciunas.

Puisqu’il n’est donc pas celui d’un oiseau, il faudra déterminer l’origine du sifflement qui ouvre Ke i te ki, terme qui désigne en japonais le son d’une alarme ou un sifflet utilisé pour alerter, explique Aki Onda. C’est là un signal qui indique qu’après s’y être préparé une journée durant, les musiciens ont commencé leur exploration : à l’écoute encore et répondant cette fois aux conditions du concert devant un petit comité, ils composent trois pièces qui épousent et l’heure et l’endroit.

Sous ce premier sifflement, étrangement musical, Akio Suzuki et Aki Onda déposent bientôt une basse continue : alors l’aigu est passé en machine tandis que des enregistrements de terrain – les micros sont partout, pour augmenter les sons archivés – sont projetés à la volée. Les musiciens eux-mêmes volettent maintenant, puis tourbillonnent au son d’une électronique importune et parmi le chant d’une pierre, le froissement d’un papier, les cris d’un bestiaire éparpillé… Ils font du beau avec du « là », et saisissent à force de qui-vive.

125 akio suzuki

Akio Suzuki, Aki Onda : Ke i te ki
Room40
CD : 01/ Ke I Te Ki 02/ Yo Ru No To Ba Ri 03/ Hi Ka Ri
Edition : 2018.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Akio Suzuki, Aki Onda : ma ta ta bi (ORAL, 2014)

akio suzuki aki onda ma ta ta bi

Trois heures durant, Akio Suzuki et Aki Onda ont, le 30 juin 2013, arpenté ce qu’il reste d’une usine désaffectée de la banlieue de Bruxelles. A leurs instruments traditionnels (Analapos et pierres pour le premier, radios, ampli et walkmans pour le second), ils ajoutèrent quelques outils trouvés sur place : clous, planches de bois, bouteilles vides… Enregistrée, la performance est aujourd’hui rendue, réinventée aussi.

Dans la brochure d’une vingtaine de pages qui accompagne (renferme, même) le disque, une conversation est retranscrite. Les deux hommes se souviennent là de cet environnement particulier qu’il s’agissait de révéler par le son, hostile – pollution industrielle – mais confident, et disent l’importance de l’écho dans leur pratique sonore.

Sur disque, maintenant. Dans le même temps qu’il interroge l’acoustique de l’endroit, le duo recueille et parfois transforme ce que ce même endroit a à dire ; à ses captures, mêle ensuite ses propres respirations : inventions in-situ et inspirations « sur place ». Comme la trace sonore laissée au sol par le passage d’un avion, le chant de l’Analapos, le bruit de gestes concrets ou la voix de mystérieuses cassettes, prennent alors place sur un air de fabuleuse cantilène : ma ta ta bi.

écoute le son du grisliAkio Suzuki, Aki Onda
ma ta ta bi (extraits)

Akio Suzuki, Aki Onda : ma ta ta bi (ORAL / Metamkine)
Enregistrement : 30 juin 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ ta bi no ha zi ma ri 02/ do ko ka ra 03/ ma ta ta bi 04/ do ko e 05/ fu ta ta bi 06/ ta bi no ha te
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Aki Onda : Paris, Centre Pompidou, 13 décembre 2013

aki onda centre pompidou 13 décembre 2013

Comme Chris Marker, l'arpenteur de cicatrices temporelles auquel il était invité à rendre hommage, Aki Onda est un magicien. Ou un médecin : un homme dont le savoir est une chose, les pouvoirs qu'on lui prête une autre. Troubadour-chamane, Aki Onda pose et déballe sa trousse pleine de transistors, vieux walkmans, mixettes et pédales d'effets dans des lieux généralement très ouverts et passants. Là, s'accomplit un rituel immuable ; la magie – la « machination » – opère. L'homme déambule, son petit ampli à la main, crachant l'instant radio. « Tout juste un peu de bruit ... rien que de la musique ... rien que des mots, des mots », comme dit la chanson.

Mais il fait froid dans le monde, et de l'autre côté, sur la table d'opérations, des cassettes tournent. Elles racontent calmement la stupeur héritée de séismes en tous genres. Le son circule, en sa condition déchirée ; ou bien s'éteint. On est au niveau -1 du Centre-Pompidou, dans une espèce de fosse qui prend des allures de crypte lorsque, derrière la silhouette nonchalante d'Onda, apparaissent soudain, comme des gigognes, les visages projetés de Catherine Belkhoja (dans L'Héritage de la Chouette) et celui, hiératique et marqué, de Xenakis. L'oubli que cache un tel instant, saturé de mémoires, nous est alors aussi perceptible que nous savons son contenu inaccessible.

Aki Onda : Travel Notes for C.M., Paris, Centre Pompidou, 13 décembre 2013.
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli


Dan Warburton, Fred Goodwin : Compendium Maleficarum III (Incunabulum Records - 2008)

warburtongrisli

Née de la rencontre du violoniste Dan Warburton et du poète et chanteur Frederick Goodwin, Compendium Maleficiarum III est une œuvre expérimentale et différente, qui aura mis vingt ans à se construire à force de faire appel aux sorcières et de ne trouver de véritable soutien qu’auprès de musiciens.

Parmi ceux-là : Jac Berrocal, Jean-Luc Guionnet, Philip Samartzis, Aki Onda ou Bruno Mellier, qui interviennent à distance sur des collages qui convoquent voix et souffles, grincements et battements de cœur, chiens aboyant et chocs sourds. Délicatement, chaque instrument se fond dans le bréviaire surréaliste et envoûté, investit un univers parallèle, celui d’un Eraserhead obnubilé par l’Enfer de Dante, que révèlent les mots de Goodwin, qui préfère distribuer les indices plutôt que de s’acharner à démontrer. 

Peu engageante mais rare, l’expérience en devient nécessaire, grâce à la mesure qu’elle applique à toute chose, si ce n’est à l’angoisse qu’elle distille.

CD: 01/ id 02/ McLean Hospital 03/ Hells Angels in a Bar 04/ Woyzeck in Limbo 05/ Atheist 06/ Woyezck in the Inferno 07/ Cannibal Rector 08/ The Cardinal 09/ The Cardinal 10/ Virgil’s Cow 11/ Ophelia 12/ Violence 13/ McGowan’s Bull 14/ Loose Strife 15/ The Crows 16/ The Porno Booth 17/ The Death Camps 18/ Dr. Death 19/ A History Primer

Dan Warburton, Fred Goodwin - Compendium Maleficiarum III - 2008 - Incunabulum Records. Distribution Orkhêstra International.



Commentaires sur