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Le son du grisli
28 septembre 2015

Philippe Crab : Ridyller Rasitorier Rasibus (Le Saule)

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Un an après la parution du déjà remarquable Necora Puber, Philippe Crab réussit la gageure de lui donner une suite tout aussi passionnante. Cinquième album pour le musicien à l’humilité acérée dont la trajectoire de franc-tireur dans la dite « chanson française » s’avère suffisamment déboussolante et singulière, voire anachronique, pour réduire l’obsolète genre à une étiquette tout juste bonne à être décollée. De toute évidence, Crab ne se cherche pas délibérément une place, ne s’inscrit dans aucune filiation clairement identifiée, sinon identifiable. Il chuchote plutôt une beauté sans canon, accolée à la somptueuse évidence d’un monde en harmonie avec son esthétique. Un monde à rebours où le chanteur-guitariste remonte le temps pour accéder à des zones vierges : langue libre et rieuse, nourrie des cailloux d’Eric Chevillard et qui invente sa propre farandole de mots, accords de côté qui mettent à mal les conventions usitées, harmonies baroques qui se battent en duel, rythmiques reliées au berceau tellurique, son sans ornements qui convoque en creux quelque nostalgie folk appalachienne, collages sonores in vivo qui fouaillent le vivant… L’art s’affirme avec l’insistance têtue de ceux qui tamisent la brutalité du sens derrière la brillance de l’audace.
 
Le louable souci de Philippe Crab vise moins à élargir son audience qu’à approfondir et, simultanément, à aggraver la raison même de (se) jouer. D’un seul tenant, Ridyller rasitorier rasibus, titre qui emprunte sa substance poétique au recueil Dans la nature de Philippe Beck, chemine ainsi en trois denses étapes, durant un peu plus d’une heure. L’autre y rencontre soi-même, la quête de l’informulable rebondit sur la saisie du fugace. Se scrute dans les chansons de Crab ce qui remue et grommelle. Tortueux, le chemin fait office de savoureux périple et invite tout autant à la flânerie qu’à la découverte de saisissants impromptus. Souvent, le musicien opte pour une sorte d’épuisement, de ressassement, privilégie les motifs répétitifs, se joue de la durée. Chaque composition, jusque dans ses dérives instrumentales plus ou moins contrôlées, est question d’agencements à arbitrer, d’espaces à cerner, d’architectures à envisager. Il ne s’agit pas seulement de prendre son temps, mais d’en arracher des morceaux et de les nouer ensuite entre eux ; pas seulement de composer, ni même de décomposer, mais de bâtir un temps à soi, une cartographie sensible, celle des possibles. A l’instar du morceau sur Le Pont où l’attente de l’amoureux esseulé ouvre le monde alentour à la circulation des idées en un va-et-vient aussi envoûtant que déroutant. Crab semble bousculer les repères et étirer le temps afin de chercher une écriture qui échapperait à l’appréhension rationnelle des choses. L’intime, atteint au bout d’un long tête-à-tête, s’ouvre à des zones étrangement reculées de lui-même. Déploiement et tâtonnements hic et nunc d’un esprit vagabond qui considère la divagation et l’état second comme un délectable art de vivre.


 
Philippe Crab : Ridyller, rasitorier rasibus (Le Saule)
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2015.
CD / DL : 01/ Le rasoir d'O 02/ Le pont 03/ Idylle interrompue 04/ Mashuk 05/Sphère 06/ Dédier le temple 07/ MLH 08/ Lycophron 09/ Phorie 10/ Réponds 11/Un très joli ptè bois 12/Agraulé 13/ Les compagnies cycloportées 14/ Désidyllons 15/ Opulente nature 16/ Un cas banal de dissonance cognitive 17/Es tam polin 18/ Heureux les lapins
Fabrice Fuentes © Le son du grisli

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