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Le son du grisli
reggie johnson
4 mars 2012

Alan Shorter : Orgasm (Verve, 1969)

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Ce texte est extrait du deuxième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

L’urgence dans son absolue nécessité – droit devant. Sans tergiverser – zéro compromis ni complaisance d’aucune sorte. Une urgence que véhicule ici l’ombilic trompette / bugle. Alan Shorter parle d’excrétions, de sécrétions, de lignes d’énergie dont les sinuosités mélodiques demeurent primordiales : ce sont même elles qui aboutissent au climax.

Alan Shorter paraît curieux de tout. Au point que le vocable Great Black Music ne le satisfasse guère en ce sens qu’il n’englobe pas assez de possibles. Alan Shorter n’a joué que de la « Nouvelle Musique » qu’il disait Transcendante ou Universelle, et d’essence spirituelle. Nouvelle Chose envisagée comme une expérience orgasmique, d’où le titre du premier album en qualité de leader, dans lequel se mêlent des forces que son auteur dit « premières » plutôt que primaires.

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Difficile à rassasier, la curiosité obsessionnelle de ce musicien faisait la différence. Tout comme sa soif de création assimilée à un « venin familier », « accueilli avec joie », et qui stimulait jusqu’à sa sexualité ! Alan Shorter croit en ce qu’il fait, sans partage – exigeant. Et nous demande d’en faire de même. Sur disque Alan Shorter dévoile sa part d’ombre au grand jour : d’abord avec Marion Brown, ensuite sous la houlette d’Archie Shepp, que ce soit sur Four For Trane entre autres, ou le temps de deux disques publiés par le label America, et qui pourraient bien avoir été financés grâce au succès rencontré en France par le groupe Creedence Clearwater Revival, hébergé sous la même enseigne. Alan fit aussi partie du Full Moon Ensemble au Festival du Jazz d’Antibes. Il a partagé le pupitre des trompettes du Celestrial Communication Orchestra d’Alan Silva. Et pour Shandar, il a enregistré aux côtés de François Tusques, à l’époque où cette maison indépendante sortait Dashiell Hédayat et La Monte Young.

Alan est le frère aîné de Wayne Shorter. Wayne a joué avec Miles ; et un critique anglo-saxon a parlé d’Alan comme d’un « Miles free ». Ensemble Alan et Wayne n’ont enregistré qu’un morceau, en 1965 : « Mephistopheles », pierre angulaire de l’album The All Seeing Eye. Albert et Don Ayler, saxophone et trompette... Wayne et Alan Shorter de même… Destinées voisines. Wayne Shorter enregistra un Schizophrenia a priori prophétique : le tempérament d’Alan, aux dires de ceux qui l’ont connu, était imprévisible.

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A Newark, où le batteur Rashied Ali présent sur Orgasm a également résidé, les jeunes frères Shorter – remarqués au sein des formations de Nat Phipps et Jackie Bland – sont déjà promis à un bel avenir. Bien après, Alan résida cinq ans en Europe où sa réputation le devançait. Dans Digging, le poète et critique Amiri Baraka raconte que Wayne lui a confié que Miles accusait Alan de le copier, et vice-versa. Wayne jouera avec Miles. Et à dire vrai Miles trouvait Alan réellement singulier.

La tension inhérente à Orgasm est née de séances conflictuelles, expliquant que ce disque ait été enregistré avec deux rythmiques : d’abord Reggie Johnson et Muhammad Ali ; puis, en remplacement, Charlie Haden et Rashied Ali, frère de Muhammad selon qui le producteur Esmond Edwards n’était pas à la hauteur – trop de prises inutiles quand la première était la bonne…

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Orgasm rappelle quelque peu Togetherness de Don Cherry, ou les Grachan Moncur III sur Blue Note. Par rapport à Don Cherry, la présence de Gato Barbieri et Charlie Haden n’est probablement pas étrangère à pareil ressenti ; Amiri Baraka quant à lui évoque Ornette Coleman. Les climats angoissés d’Orgasm ne sont pas très différents, non plus, de l’ambiance globale que dégage One Step Beyond de Jackie McLean, sur lequel figure d’ailleurs un morceau fort justement intitulé « Ghost Town », et, surtout, « Frankenstein » : Alan Shorter aimait les films d’épouvante, et plus particulièrement les Dracula et Frankenstein – drôle de hasard…

Jacques Bisceglia, qui connaissait bien Alan Shorter, a perdu sa trace après le printemps 1974 et sa prestation à Genève en compagnie du pianiste Narada Burton Greene. En 1971 est sorti le second et dernier opus d’Alan, enregistré un an auparavant : Tes Esat, véritable saut dans le vide dans lequel sont entraînés Gary Windo, Johnny Dyani et Rene Augustus

…Avant disparition soudaine au pays des ombres.

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