Le son du grisli

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Thymolphthalein : Mad Among the Mad (Immediata, 2015)

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Après Ni Maître, Ni Marteau, Mad Among the Mad – titre du second enregistrement publié de feu Thymolphtalein – atteste peut-être la distance que l’association d’Anthony Pateras, Natasha Anderson, Jérôme Noetinger, Clayton Thomas et Will Guthrie, avait prise avec la réalité. Avec ses habitudes et ses obligations, notamment.

Improvisations et compositions partagées (Pateras, Guthrie, Thomas), prises studio ou extraits de concerts : l’intention était la même (qu’une sentence ampoulée, « ouvrir les portes de l’inconnu et se risquer dans l’inouï », résume dans la pochette du disque) mais les formes pouvaient changer : électroacoustique sur le feu (même si l’électronique prend rapidement l’ascendant malgré les efforts des percussions), sonorités suspendues, minimalismes en décalage, timbres déformés, moteurs sifflants et feux de Bengale…

Jusqu’à ce qu’un gimmick de contrebasse emporte tout, si ce n’est ce dernier effet de bande qui décidera du terme et qui nous fait espérer qu’Immediata – dire ici l’élégant objet que le label a confectionné pour l’occasion – conserve d’autres trésors de Thymolphthalein à changer en disque(s).



Thymolphthalein : Mad Among the Mad (Immediata / Metamkine)
Edition : 2015.
CD : 01/ Awareness Of Time Is An Assault On Time [Prague] 02/ You Cannot Escape the 20th Century 03/ Supreme Nothingness 04/ Mad Among The Mad 05/ It Doesn’t Kill You, It Stops You Living 06/ Awareness Of Time Is An Assault On Time (Ljubljana)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Interview d'Anthony Pateras

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Peu de temps après avoir vu paraître aux Editions Mego Errors of the Human Body EST, le pianiste (d’origine) Anthony Pateras publie une rétrospective sobrement intitulée Selected Works 2002-2012. L’occasion pour lui d’en parler comme d’en dire à propos de Thymolphthalein ou encore du trio qui l’associait à Sean Baxter et David Brown.

... Encore enfants, mes parents ont émigré de Macédoine en Australie au début des années 1950. A Melbourne, toutes les communautés avaient coutume d’organiser des rencontres de danses et des pique-niques durant lesquels tous parlaient du « vieux pays ». A ces occasions, il y avait toujours de la musique. Ce dont je me souviens en particulier est d’un clarinettiste fabuleux mais dont le son était toujours très mauvais – il avait l’habitude de jouer faux, et puis il y avait trop de réverb, des larsens…  Ce qui donnait des danses macédoniennes complètement folles, bruyantes et qui crépitaient ! Les gens n’arrêtaient pas de danser en cercles, tandis que les autres enfants et moi essayions de briser ces cercles…

Quel a été l’instrument avec lequel tu t’es toi-même mis à la musique ? Ca a été le piano, que j’ai appris comme presque tous les enfants de banlieue à cette époque. Ca n’a pas été un choix, mais j’ai beaucoup aimé ça. J’ai commencé très jeune. Dès le début, mon apprentissage a été riche de musiques différentes – je me souviens avoir veillé souvent avec ma sœur pour regarder des clips, danser dans le salon sur David Bowie… Mais je jouais aussi du classique et j’écoutais les disques de folk de mes parents, qui venaient de Macédoine mais aussi de Bulgarie ou de Grèce. Ma mère appréciait aussi Nat King Cole – elle était obnubilée par la culture américaine des années 1950. Je regardait aussi beaucoup les Marx Brothers – Chico et Harpo ont été des influences précoces, dans The Big Store notamment. J’aimais aussi la façon dont la musique classique était utilisée dans les dessins-animés, comme dans The Cat Concerto de Tom & Jerry...



... Je suis arrivé au piano préparé parce qu’après quatorze années de musique classique, je n’en pouvais plus. Je jouais très bien le répertoire, mais je ne savais que faire de mes compétences dans un pays qui offrait peu de structures pour les représentations, la seule option restant d’enseigner à mon tour et de répéter le cycle. Je pense que la même chose est arrivée à beaucoup de musiciens « classique » qui ont un jour goûté à l’improvisation, à la préparation… On atteint le fond d’une impasse culturelle et il te faut trouver des solutions si tu tiens à rester musicien. Le piano préparé a été la mienne. Un de mes amis, violoncelliste, m’a conseillé de me rendre à LaTrobe, où se trouvait à cette époque le département de musique le plus avancé d’Australie : il comptait un studio de musique électronique, des classes d’improvisation, et les personnes qui enseignaient la composition étaient passionnantes… Aujourd’hui, il a fermé et ce genre d’endroit n’existe quasiment plus en Australie malheureusement. A LaTrobe, j’ai donc découvert des musiques importantes qui venaient d’Europe et des Etats-Unis, j’ai aussi beaucoup appris sur l’histoire de la musique expérimentale australienne – avec des gens comme Percy Grainger, Keith Humble, Felix Werder, et même Tristram Carey (qui est arrivé d’Angleterre au début des années 1970.

En relisant la chronique de Chasms, j’y trouve le nom de Ross Bolleter. Connaissais-tu ses activités ? La première fois que j’ai approché le travail de Ross, c’était à l’occasion de ma participation à Pannikin, un projet de Jon Rose qui se proposait, disons, d’évoquer une suite d’Australiens ayant une approche singulière de la musique. Sue Harding, par exemple, qui compose avec des imprimantes matricielles, ou encore, un type de l’Ouest qui pouvait à la fois chanter et siffler des fugues. Ross apparaissait sur la vidéo réalisée pour ce spectacle, et il me fallait improviser sur des images de lui en train de jouer d’un des pianos en ruines du sanctuaire. J’aime vraiment beaucoup ses disques.

Dans le livret qui accompagne Collected Works, tu parles notamment de Ligeti. Quels sont tes rapports avec les compositeurs de musique contemporaine ? Plus jeune, je jouais beaucoup ce genre de musique, alors, peut-être que quelques-unes de leurs manières de structurer les choses a eu un effet sur moi ; mais quand j’ai entendu pour la première fois Atmosphères, j’ai compris que l’orchestre pouvait être dirigé d’une tout autre façon. Ensuite, j’ai entendu de lui Volumina et Continuum qui m’ont fait comprendre que la vivacité pouvait transformer le son d’un instrument en quelque chose de totalement différent. Je pense qu’il a été une sorte de pont lorsque j’apprenais à m’ouvrir davantage aux propriétés de l’acoustique pour élaborer des textures sonores plus étranges… Pour ce qui est de mes influences, je dois ajouter qu’étant enfant, je jouais beaucoup aux jeux vidéo (Atari) chez mes voisins, qui possédaient beaucoup de disques de Jean-Michel Jarre. Nous jouions donc à Centipede au son d’Oxygene et Equinoxe. Je pense que cette façon physique et frénétique de jouer à ces jeux liée à la musique électronique a eu un effet non négligeable sur mon approche musicale.

T'es-tu intéressé aux synthétiseurs ? Oui, bien sûr. J’étais très jeune dans les années 1980, et quand les DX7s et ESQ1s sont apparu, un nouvel univers a ouvert ses portes. Un autre grand moment a été lorsque les musiques de jeux vidéo sont passé du mono au quatre pistes – je n’arrivais pas à croire qu’un ordinateur pouvait rendre des sons aussi sophistiqués (même si aujourd’hui je déteste l’inécoutable soupe pseudo-symphonique qui accompagne la plupart de ces jeux – vivent les bips !). J’ai toujours été très sensible au design sonore, notamment celui des films de science-fiction et des dessins-animés. La télévision australienne nous passait après l’école un épisode de Star Blazers, après quoi j’ai été obsédé par Tron, par exemple – les sons de Frank Serafine sont incroyables à entendre. L’architecture qui fait son lot d’un futur fantasmé, de vastes espaces, de vide, d’immeubles intergalactiques, de murmures mystérieux, j’adore tout ça… A l’heure où je te parle, j’ai THX1138 sur mon iPod, avec les interviews de Walter Murch, c’est incroyable… Mais c’est à LaTrobe que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la musique électronique ; c’est là aussi que j’ai entendu pour la première fois de la musique concrète… Maintenant, j’ai l’impression aujourd’hui que la musique électronique est devenue trop simple, qu’elle manque d’une discipline. L’électronique d’aujourd’hui me fait l’effet d’être trop nostalgique ou pas assez originale, parfois même les deux. Compte tenu de la façon dont internet a affecté les priorités créatives dans le sens où le réseau étouffe tout travail – je pense qu’il est besoin de s’opposer à ce qui se passe aujourd’hui avec des idées provenant d'une réalité physique bien établie. Nous pouvons utiliser des choses du passé, bien entendu, mais il est important pour les idées d’avoir un rapport étroit avec le moment présent. Le danger est celui de se complaire dans un fatras de représentations plutôt que d’être véritablement nous-mêmes. Le spectacle est une sinistre forme de contrôle, et beaucoup d’artistes se transforment facilement en professionnels du spectacle.  Maintenant, la chose la plus importante pour moi a été de voir Machine for Making Sense à l’Université de LaTrobe en 1997. Le concert était incroyable. C'est à partir de là que j’ai voulu mélanger musiques composée, improvisée et électroacoustique, et m’atteler à une musique qui serait la mienne propre. Je pense que Machine for Making Sense est le groupe le plus cool qui n’ait jamais existé.

Quelle distinction pratique fais-tu entre improvisation et composition ? L’une et l’autre révèlent-elles la même chose de tes vues musicales ? La différence entre composition et improvisation dépend vraiment du musicien. Je pense qu’il est possible d’improviser à un haut niveau d’intégrité compositionnelle tout autant qu’il est possible de composer avec une énergie égale à celle que l’on trouve dans l’improvisation, c’est d’ailleurs ce que j’essaye de faire. Est-ce que ça marche ? ça, je ne sais pas… en règle générale, je pense que les improvisateurs n’en savent pas assez sur la composition, et que les composeurs ignorent trop l’improvisation. L’une et l’autre demandent beaucoup de discipline et d’engagement. J’essaye de faire les deux du mieux que je peux, mais en ce moment j'approfondis surtout mes expériences d’improvisation avec des personnes qui ont su garder un sens du défi. Selon moi, par exemple, Pateras/Baxter/Brown en était arrivé à un point où ce que j’y entendais ne me surprenait plus du tout, et c’était un problème. Avec Thymolphthalein, nous travaillons à des structures fluides, mais qui ont aussi des desseins arrêtés. Rien de neuf, Earle Brown faisait ça il y a 60 ans, mais ce qui rend ce truc puissant c’est que nous pouvons réaliser des choses impossibles à faire en improvisation, tout en profitant de la vitalité de l’improvisation. Le caractère électroacoustique du projet apporte à la sonorité une certaine fraîcheur, tout comme le fait que tous les membres du groupe connaissent beaucoup de musiques différentes, ce qui multiplie les possibilités.

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Comment as-tu pensé Thymolphthalein ? Chaque année, la SWR organiste Total Meeting Music à l’occasion duquel ils proposent à des compositeurs de mettre sur pied un projet à mi-chemin entre jazz et musique contemporaine. C’est une sorte de concert de rêve dans le sens où tu choisis les membres d’un groupe avec lequel tu répètes une semaine durant dans un studio incroyable et qui donne ensuite trois concerts lors d’une tournée suivie par les gens de la radio, qui enregistrent le tout. L’un des plus célèbres projets de cette sorte est la rencontre entre Penderecki et Don Cherry au début des années 1970. Steve Lacy ou le Phantom Orchard ont aussi participé à cet événement. Donc, j’ai moi-même formé ce groupe, Thymolphthalein. C’était complètement fou, j’enseignais la composition à Perth à cette époque – l’idée qu’une radio allemande m’envoie en Europe, me demande de former mon propre groupe et de composer pour lui afin de diffuser le tout sur les ondes dépassait l’entendement. Alors, j’ai appelé Jérôme Noetinger, Clayton Thomas, Will Guthrie et Natasha Anderson, nous avons passé d’excellents moments et depuis nous continuons à jouer ensemble. A la fin, ça ne sonnait pas très jazz, mais en même temps j’ignore un peu la signification de ce terme, alors pas de surprise… Ce groupe est la raison pour laquelle je vis en Europe actuellement. A chaque fois que nous jouons, il se passe un truc terrible, alors qu’il est plutôt difficile de créer en quintette, d’obtenir à la fois de l’espace et de l’énergie sans se départir d’une certaine intégrité formelle.

On ne retrouve pas d’enregistrement du groupe dans tes Selected Works. Comment s’est fait le choix de son contenu ? Mon objectif était plus ou moins de clarifier ce que je fais – de dire que j’improvise et compose avec la même envie, et pour des instruments très différents. J’ai sorti quelques bons disques, des choses qui n’arrivent qu’une fois, et je voulais les partager avec toute personne qui pourraient y trouver quelque chose. Je pense aussi qu’il est intéressant de réunir les pièces pour orchestres et les pièces pour percussions à côtés d’improvisations au piano et à l’orgue : pour y déceler les liens qui les rapprochent, qui sait ?

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Anthony Pateras, propos recueillis en juillet 2012.
Photos : Sabina Maselli & Aaron Chua
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Will Guthrie : Nist-Nah (Black Truffle, 2020)

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En préambule d’un concert, Will Guthrie avait un jour dit regretter que l’on parle de « musiques expérimentales », toutes les musiques étant, pour lui, « un peu expérimentales ». Voilà pourquoi on ne sera pas étonné de l’entendre aujourd’hui interroger sa pratique des percussions au contact d’un art traditionnel, la musique de gamelan.

Si Nist-Nah est le nom d’un ensemble de huit musiciens que l’Australien emmène en concert, il sera seul sur le disque du même nom. Aux percussions de bois et de métal, bols, gongs…, Guthrie adresse un hommage à l’Indonésie qu’il a récemment visitée tout en composant avec ses divers intérêts sonores : sur le morceau-titre, il donne ainsi dans un minimalisme fleuri par combien de résonances pour tisser, sur Lit 1+2, une toile aussi sombre qu'industrieuse ; jouant de rumeurs, il passe ailleurs de mesure en envergure (Catlike, Elders) pour changer plus loin de légers tremblements en grandes respirations (Moy Moy).

On sait l’influence du gamelan sur l’improvisation et la musique contemporaine ; Guthrie, lui, en a fait sa chose. D’un air traditionnel (Kebogiro Glendeng), il façonne ainsi une comptine qu’il répète jusqu’à l’érosion : les lamelles de ses instruments ont rendu l’âme, et de la javanaise inspirante et de l’art de Will Guthrie. C'est cette âme que l'on retrouve maintenant sur disque.

Will Guthrie : Nist-Nah
Black Truffle 
Enregistrement : 2019. Edition : 2020. 
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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22 Mars 2020 - Festival Sonic Protest - Paris, FR
25 Mars 2020 - La Soufflerie, Rezé, FR
26 Mars 2020 - Confort Moderne, Poitiers, FR
27 Mars 2020 - Festival Pied Nu, Le Havre, FR
28 Mars 2020 - Ateliers Claus, Brussels, BL
30 Mars 2020 - Le 102, Grenoble, FR
31 Mars 2020 - Festival Archipel, Geneve, CH


The Ames Room : In St Johann (Gaffer, 2013)

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Au festival autrichien ARTFACTS, le 9 mars 2012, The Ames Room donna un concert. A Niort et Poznan (In), St Johann succède donc.

Une même énergie présida à cet autre échange, nœud de tensions qui, de seconde en seconde, subtilement se renforcent. Abrupte, la frappe de Will Guthrie* lâche le trio sur une pente dont il connaît l’inclinaison mais dont il ignore encore tout des reliefs. Envisageant son instrument comme d’autres élaborent de décisifs mouvements sur cube de Rubik, Jean-Luc Guionnet transforme de brefs motifs à force de répétitions. Plus lâche peut-être qu’à son habitude, Clayton Thomas, lui, oppose sa décontraction (feinte, peut-être) à la dynamique du torrent.

En seconde face, l’alto abandonne ses répétitions pour quelques fulgurances. De l’improvisation, le fil rouge est cassant ; alors, avec une égale implication, ses membres se désolidarisent : elle, gagne en éclats et détonations.

écoute le son du grisliThe Ames Room
In St Johann

The Ames Room : In St Johann (Gaffer)
Enregistrement : 9 mars 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ In St Johann
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

sonic protest 2014* Echappé de The Ames Room, Will Guthrie sera, ce vendredi soir en duo avec David Maranha, de l'ouverture de la dixième édition du festival Sonic Protest. Occasion de rappeler que le concours Merzbow / Sonic Protest est ouvert jusqu'au 7 avril.


Ensemble Cerbère, Lê Quan Ninh : 21 février 2014 à Nantes

cerbère + le quan ninh

Il est de ces fades traditions aujourd’hui encore respectées : le baptême de l’Ensemble Cerbère – à trois têtes, donc : Alexis Degrenier, Toma Gouband et Will Guthrie – nécessitait la présence d’un parrain. Lê Quan Ninh endossa la responsabilité ce 21 février 2014, 14 heures, au restaurant social Pierre Landais de Nantes.

Dans un endroit qui change – et fait même « respirer » – et les musiciens et le public venu les entendre, la cérémonie ouvrait la septième édition du festival CABLE. Pour en finir avec le baptême : passé le premier malaise – le préposé à l’ablution ne présentait-il pas, finalement, quatre têtes au lieu des trois annoncées ? –, l’ensemble de percussionnistes augmenté d’un quatrième apaisa les esprits. Au son de compositions – voilà pourquoi du cerbère on revendique l’ « ensemble » – signées (pour respecter l’ordre établi ce jour-là) Degrenier, Gouband, Lê Quan et Guthrie. S’il va sans dire que, dans ces quatre compositions, l’improvisation a son son à dire, on n’en sentira pas moins l’envie de les confondre : cohérentes ensemble, ce sont pourtant là quatre pièces qui se mesurent en binômes.

Atmosphériques, délicates, celles de Degrenier (grand amateur des silences suspendus de Feldman) et de Gouband (naturaliste capable d’écoute compréhensive) ont une puissance d’évocation qui laissera libre de ses propos tout spectateur les ayant entendues – on sait depuis Rorschach ce qu’on peut mettre de soi dans l’interprétation de la chose qui nous est soumise –,  des effets des quatre éléments aux ronflements des machines humaines (trains, grues, bennes... qu’importe) qui les exploitent et les font sonner. Sur éléments de batterie, les quatre percussionnistes jouent de savoir, d’astuces et d’artifices : matériaux divers jusqu’à l’inoffensif (en d’autres termes : jusqu’au végétal) frottant peaux, métal cutterisant, cymbales sifflant…

En miroir, les compositions de Lê Quan et de Guthrie obligent à davantage de volume : portable, moteurs, coups plus appuyés de mailloches et même de baguettes, font autrement résonner caisses et cymbales. L’art de l’ensemble augmenté est nettement plus grondant, mais son propos n’est pas seulement celui de maintenir en suspension ce grondement qui pèse, plutôt de l’apprivoiser. La chose est délicate ; la rumeur grave plie néanmoins, et sa soumission fait œuvre. Ainsi, quatre fois sur quatre temps, le Cerbère a su convaincre du bon droit de son éclosion – et dans son art, et dans ses attitudes. Dans sa musique, ce genre de musique qui vous environne qu’importe l’endroit – belle architecture, café-concert ou restaurant social – on décela la pulsation : rien d'héroïque, la pulsation y était.

Ensemble Cerbère + Lê Quan Ninh, Nantes, Restaurant Social Pierre Landais, 21 février 2014
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Will Guthrie : Sticks, Stones and Breaking Bones (AntBoy, 2012)

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En The Ames Room plus qu’ailleurs sans doute, Will Guthrie a démontré qu’il pouvait transformer son impétuosité de batteur en terrible moteur à explosion. Seul sur Sticks, Stones and Breaking Bones, il réitère.

Sur le conseil d’un caractère qu’on dira bien trempé, Guthrie s’occupe de déclencher d’artificielles avalanches dont les dégâts feront le gros de son expression personnelle. Le geste est sec, que permet d’enrichir sa régularité, installée : enfin, l’endurance aidant, le roulement se fait épais et évolue au gré des convulsions. Ailleurs, Guthrie peut nourrir avec application un drone  à force d'agacer une cymbale. Cachés derrière la résonance, ses vieux démons le reprennent pourtant : les tambours sont martiaux et chantent sous les coups maintenant précipités de grands airs de victoire au son desquels certains dansent et d’autres se mettent à battre la mesure.

Will Guthrie : Sticks, Stones and Breaking Bones (Antboy Music / Lespourricords / Gaffer / Electric Junk / Metamkine)
Enregistrement : 22 octobre 2011 & 7 janvier 2012. Edition : 2012.
CD / LP : Sticks, Stones and Breaking Bones
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Wu-Tang : Wu-Tang Forever (Loud / RCA, 1997)

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"I bomb atomically, Socrates' philosophies and hypotheses can't define how I be droppin these mockeries, lyrically perform armed robbery"
"Not a role model, I walk a hard role to follow, I sold bottles of sorrow then chose poems and novels"

Inspectah Deck steals the show on this one. Widely considered as the unsung hero of the Clan, Deck takes a step back, inspects, lets the others drown hard and fast in their image, style and persona defined quicksand, and comes out on top with maturity, fineness, and an efficacy of language which results in single lines speaking volumes. His rhythmic sophistication allows him to put it where ever he wants, in front, behind, or dead on, Deck dances around the beat like a boxer. "Words attack like british bulldogs", but Deck has more to give than just attacks, he remains humble, capable of great compassion, even sadness concerning his background and the plight of his peoples.

Hats off also to Street Life and Ghostface also for their ripping performance on Hellz Wind Staff, plus the superb frankenstein monster beat stitching RZA who by this stage could use whatever he wanted and make it sound amazing.

Wu-Tang : Wu-Tang Forever (Loud / RCA)
Enregistrement : 1994-1997. Edition : 1997.
2 CD : CD1 : 01/ Wu-Revolution 02/ Reunited 03/ For Heavens Sake 04/ Cash Still Rules / Scary Hours 05/ Visionz 06/ As High As Wu-Tang Get 07/ Severe Punishment 08/ Older Gods 09/ Maria 10/ A Better Tommorow 11/ It’s Yours CD2 : 01/ Intro 02/ Triumph 03/ Impossible 04/ Mittle Ghetto Boys 05/ Deadly Melody 06/ The City 07/ The Projects 08/ Bells of War 09/ The M.G.M. 10/ Dog Shit 11/ Duck Seazon 12/ Hellz Wind Staff 13/ Heaters14/ Black Shampoo 15/ Second Coming 16/ The Closing 17/ Sunshower
Will Guthrie © Le son du grisli


Jérôme Noetinger, Will Guthrie : Face Off (Erstwhile, 2011)

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Partenaires en Thymophtalein, Jérôme Noetinger et Will Guthrie enregistrèrent en 2010 les pièces d'électroacoustique remontée qui font aujourd'hui Face Off. Le premier est au Revox B77 et à l'électronique, le second à la batterie et aux objets amplifiés – Guthrie attestant-là, comme il le fit sur Spike-S pour Pica Disk, son goût pour les manipulations sonores détachées de toute mesure.

Douze dialogues profitent ainsi du rapprochement d'une pratique percussive claquante et d'une électronique agitatrice : improvisés à deux puis réécrits par l'un ou l'autre, ils composent un ouvrage d'une quarantaine de minutes passant à la vitesse de bandes agitées et de projectiles sifflant. La somme de trouvailles à repérer dans ces constructions abstraites est faramineuse : ses éléments disparates tiennent du bruit de moteur minuscule, de la rumeur d'éléments de nature ou du rythme empêché, captent et avalent un morceau de radio flottant dans l'air ou additionnent des saillies forcenées. D'un art de l'improvisation mêlé à des souvenirs de musique concrète naît alors une poésie débarrassée de mots, des chansons agitées et sans paroles soumises aux aléas de ses inventions et des retours de bâton qui leur sont associés.

Jérôme Noetinger, Will Guthrie : Face Off (Erstwhile / Metamkine)
Enregistrement : Mai 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Snide 02/ Creep Show 03/ Slo-Nife 04/ Swamp 05/ Le Analise 06/ Cymslake 07/ Saw 08/ Carpet Burn 09/ Atelier Forge 10/ Crackney 11/ Saikopasu-Komento
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 

 


The Ames Room : Bird Dies (Clean Feed, 2011)

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Après s’être souvenu sur In de concerts donnés à Niort et à Poznan, The Ames Room voit publiée sur Clean Feed une équation singulière : The Ames Room in Lille = Bird Dies. L’enregistrement date du 10 mars 2010 et renferme une pièce unique. Elle est, il va presque sans dire, recommandable à plus d’un titre.

Sur Bird Dies donc, l’association Guionnet / Thomas / Guthrie enfonce le clou à coups de bec, d’archet et de baguette : d’une pratique musicale wisigothe, d’une épreuve d’endurance et d’intensité, d’une scansion répétitive qui trouve son salut dans l’accident, d’un jeu de dupes enfin auquel se livre, bonhomme, la réunion de trois boutefeux.

D’abord, l’alto de Guionnet bute : ses partenaires filtrent ses premiers motifs (frappes joueuses de Guthrie) ou les lui renvoient au visage (claques assénées par Thomas sur contrebasse-catapulte). Là, Guionnet esquive et, obstiné, décide d’un autre plan : comme en un jeu de briques il fait tourner ses phrases courtes de degré en degré jusqu’à ce qu’elles s’imbriquent dans le mur épais que le trio élève. Qui impressionne, une fois terminé, à en croire le nombre d’oiseaux inertes retrouvés à son pied. 

The Ames Room : Bird Dies (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 10 mars 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Bird Dies
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

total_meetingJean-Luc Guionnet jouera à Paris ce vendredi 9 décembre en duo avec Seijiro Murayama (Jazz at Home). Le dimanche 11 décembre, il jouera à Tours, cette fois en Hubbub (Total Meeting).


Thymolphthalein : Ni maître, ni marteau (Editions Mego, 2011)

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Ni maître, ni marteau, prévenait récemment en concert à Bâle la formation Thymolphthalein, association d’Anthony Pateras (piano préparé, synthétiseur analogique), Natasha Anderson (flûte contrebasse, électronique), Jérôme Noetinger (magnétophone à bande, électronique), Clayton Thomas (contrebasse, préparations) et Will Guthrie (batterie, électronique).

La seule évocation de cette réunion en dit déjà long sur les choses qui en naîtront. L’écoute confirme toutes les prévisions et réserve même quelques surprises : comme oublié sur le feu, le groupe compose sous les effets de résistances et de tensions à accorder. Comme on dit « électrique », l’atmosphère avale cordes grattées et clusters, sifflements et motifs réduits qui tournent en boucle. L’indécision semble permanente, les treize pièces agissant comme autant d’aimants à combler le silence. Des flûtes fugitives sonnent le moment de la conclusion remontée : qui donne l’explication des interventions multiples qui l’ont précédée et les résume dans le même temps, avec une fougue déconcertante.

Thymolphthalein : Ni maître, ni marteau (Editions Mego / Metamkine)
Enregistrement : 15 novembre 2009. Edition : 2011.
LP : A1/ Meta-Tingue A2/ Soaked George A3/ Off the Wall A4/ Mosquito Squash A5/ L.B.O.K A6/ Streetcar Slugfuck A7/ Ayala – B1/ Jean Psycho B2/ Quince B3/ Lips B4/ Pierre Willy B5/ Greatest Hits B6/ Pim
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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