Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Jeph Jerman, Tim Barnes : Versatile Ambience (IDEA Intermedia, 2016)

jeph jerman tim barnes versatile ambience

Si je me plie aux règles du jeu qu’a l’air de me proposer ce beau (et lourd) vinyle, je devrais essayer de reconnaître les instruments utilisés par couche, les uns après les autres… Après un vieux magnéto-trifouille et une cigale synthétique (ô chant rapide, suspens ton vol), je dirais un violon joué à l’archet et une clarinette… Mais voilà que déjà se fait entendre un autre instrument… un orgue, non ?

Ce jeu, c’est celui de Jeph Jerman & Tim Barnes, qui collaborent depuis une douzaine d’années, mastered by Rashad Becker, & auquel on arrête de jouer assez vite. Non pas parce qu’on n’y comprend plus rien (je maintiens : une clarinette, ou un basson, et un archet au moins) mais parce qu’on a autre chose à faire et que cet autre chose c’est : l’écouter. D’autant que plus on avance et plus il y a de matière : après les instruments acoustiques (dans la pochette du disque, je trouve la liste des participants : Aaron Michael Butler, Ken Vandermark, Sara Soltau, Jacob Duncan, Rachel Short, Bret Berry), voilà le vent qui souffle et des bêtes qui vocifèrent.

Les indications ne disent pas par contre dans quelles conditions le disque a été enregistré, qui des field recordings ou des instruments sont arrivés le premier, par exemple, ou encore pourquoi le tout premier larsen de la face B détruit tout cet ouvrage de couches ? Pour un autre bel ouvrage, du reste : concret-brut-abstract-noise, avec voix & autres inserts préenregistrés, moteurs & souffleries… Versatile, pour sûr !, et un seul défaut avec ça : que ce 33 tours de taille tourne à la vitesse d’un 45…





jerman barnes

Jeph Jerman, Tim Barnes : Versatile Ambience
IDEA
Edition : 2016.
LP : A-B/ Versatile Ambience
Pierre Cécile © Le son du grisli



Jeph Jerman, Tim Barnes : Matterings (Erstwhile, 2015)

jeph jerman tim barnes matterings

Ce qui leur importe – et même : les travaille –, Jeph Jerman et Tim Barnes sont allés le capturer à et autour de Cottonwood, Arizona, et Louisville, Kentucky. Ces Matterings sont néanmoins pour les deux hommes – qui ont déjà plusieurs fois collaboré – devenus une habitude : transformation de field recordings en éléments de musique électroacoustique et jeu (souvent percussif) sur objets divers.

Découpant les arides paysages qu’ils explorent en zones de prospection, Jerman et Barnes pistent la rumeur géologique – pouls enfoui de la roche ou chant souterrain de l’érosion – pour la parer ensuite de battements sourds, de lignes d’aigus, de rythmes minuscules… Une fois fait, c’est à une réinvention de l’espace que s’attèle le duo, élaguant ses enregistrements ou les polissant afin de mettre au jour une musique différente, plus personnelle peut-être : ambient concrète que l’invitation faite à Rachel Short (cor et voix) et Jackie Royce (basson et voix) change, sur Bight, en refrain d’éther. Ainsi, de Cottonwood et de Louisville qu’ils ont prospectés, Jeph Jerman et Tim Barnes ont amplement élargi la périphérie.

Jeph Jerman, Tim Barnes : Matterings (Erstwhile / Metamkine)
Enregistrement : avril-décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Mammatus 02/ Relic Density 03/ In Situ 04/ Talus 05/ Bight
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Dave Rempis : Lattice (Aerophonic, 2017)

dave rempis lattice

Dave Rempis aura donc attendu avant de publier un disque qu’il aura enregistré seul. Dans les courtes notes qui accompagnent Lattice, il explique qu’après Coleman Hawkins, Eric Dolphy, Anthony Braxton, Steve Lacy, Joe McPhee, Ab Baars ou encore Mats Gustafsson, l’exercice était pour le moins difficile. Une tournée lui a pourtant permis de faire face à la gageure.

C’est que Dave Rempis a toujours fait grand cas de l’enregistrement de concert – dans le même temps qu’il publie cet enregistrement solo, il documente sur Aerophonic l’activité de son Percussion Quatet (Cochonnerie). Ainsi ces trente-et-un concerts donnés seul en vingt-sept villes différentes au printemps 2017 – à chaque fois, ce fut aussi l’occasion d’échanger avec quelques collègues éparpillés sur le territoire : Tim Barnes à Louisville, Steve Baczkowski à Buffalo, Larry Ochs à San Francisco… – tinrent de l’aubaine.

Quatre suffiront pourtant à composer ce premier disque solo d’un instrumentiste à la sonorité singulière. S’il fallait encore la « prouver », voici : deux reprises, en ouverture et en conclusion du disque, signées Billy Strayhorn (la mélodie n’en sera pas retournée, mais bouleversée plutôt, sous quelques coups qu’auraient pu admonester Daunik Lazro ou Nate Wooley) et Eric Dolphy (combien les sifflements de Rempis sur Serene convoquent-ils d’oiseaux ?). Entre ces deux chansons métamorphosées, des pièces d’une intimité rare.

Qu’elles paraissent attachées encore aux volutes d’Anthony Braxton (Linger Longer) ou fassent écho à cette relecture de soul estampillée Ken Vandermark (Horse Court), elles attestent une recherche certaine et, même, un objectif atteint : la voix de Dave Rempis y trace et même signe, finit par opposer à ses propres goûts un art confondant – ainsi, sur Horse Court encore, entendre un saxophone jouer de retours d’ampli comme une guitare pourrait le faire. L’art est confondant, oui ; mais vif, plus encore.

Lattice+Front+Cover

Dave Rempis : Lattice
Aerophonic
Enregistrement : 2017. Edition : 2017.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa, 2010)

ulrichsliComme moi, beaucoup iront écouter Fathom pour entendre ce qu’y fait Lee Ranaldo. D’autres viendront pour Alan Licht (comparse de Loren Mazzacane Connors) ou pour Tim Barnes (invité hier par Sonic Youth sur Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui). D’autres enfin pour le saxophoniste (baryton) Ulrich Krieger, que les plus pointilleux auront remarqué dans Zeitkratzer, avec Merzbow ou avec Jason Kahn (Timelines Los Angeles). Certains mêmes verront que le groupe d’Ulrich Krieger n’est autre que la mouture la plus récente de Text of Light

Mais qu’importe les noms : Fathom est un disque splendide. On connaissait les atmosphères fin de siècle, fin d’empire, voici venue l’heure de l’atmosphère fin de rock / fin de jazz (attention : on ne parle pas ici de post-rock !). Les musiciens éreintés ont déposé leurs instruments à terre. Les instruments à terre vomissent vers le ciel des drones et des larsens. Le saxophone de Krieger crie le plus fort de tous au départ. Le saxophone de Krieger se fait avoir par les variations post-minimalistes des guitares : il succombe. Une suite de mini-tonnerres ayant fait changer de ton le saxophone, la pièce en est devenue hallucinante. Fathom est une composition d’Ulrich Krieger. Voilà qui explique tout. Voilà qui change tout !

Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2005. Edition : 2010.
CD : 01/ Fathom
Pierre Cécile © Le son du grisli


Sonic Youth: Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui (SYR - 2006)

brackgrisli

En hommage au réalisateur Stan Brakhage, Sonic Youth et le percussionniste Tim Barnes improvisaient, le 12 avril 2003, l’accompagnement quasi idéal de la projection d’une sélection d’œuvres cinématographiques exigeantes.

Inaugurée par les répétitions d’un piano jouet, la bande-son tire rapidement parti de la mise en abîme des interventions. Réverbérations et oscillations, guitares peu intrusives, larsens raisonnables, tout est d’abord soumis aux manières du percussionniste. Jusqu’à ce qu’un cadre rythmique légitime apparaisse, et accueille impromptus et habitudes des solistes (guitares rendant leur millionième harmonique). Affable, la première partie aura couru au son d’un rock bruitiste et downtempo, engagé, pour finir, sur la voie d’une marche titubante et charmeuse.

Moins saisissable formellement, la deuxième partie de l’improvisation – la plus courte - mêle les mots rapportés sous saturation par Kim Gordon aux lavis sombres de guitares sous effets divers. L’intervention d’une grosse caisse ferme le dialogue, et fait le pont vers l’ultime tentative de résoudre l’équation interrogeant la composition instantanée et le noir et blanc des images.

Les notes passées à travers filtres tiennent alors la dragée haute aux interventions brutes, qui devront jouer d’une plus grande nervosité pour se faire entendre encore. Aux cordes torturées on ajoute les attaques sourdes et convulsives de la section rythmique avant d’allumer un poste de radio, d’où sortent les voix qui annoncent le moment irrémédiable du chaos. Grave, rien ne l’empêche d’être gonflé encore, sur les encouragements d’une batterie qui enfonce toujours plus profond une musique industrielle et sauvage.

Dernier enregistrement en date autoproduit par Sonic Youth, Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui est aussi un tour de force : celui effectué par un groupe qui a mille fois servi la posture improvisée tout en étant capable encore – quelle qu’en soit la cause : présence de Tim Barnes, joie de se plier aux règles d'un exercice particulier ou inspiration faste – d’offrir un peu d’inédit à sa maîtrise consommée.

CD: 01/ - 02/ - 03/ -

Sonic Youth - Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui - 2006 - SYR. Distribution Differ-ant.



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