Keiko Higuchi : Between Dream And Haze (Improvising Beings, 2016)
Piano butant sur les récifs, voix en demande de drames (Keiko Higuchi), cordes électriques enferrées dans le béton (Masami Kawaguchi, Louis Inage), fracas des métaux (Tatsuya Nakatani) : beau traité de déconstruction-dévastation ici.
Et puis cette voix. Cette voix qui rode, psalmodie, supplie, menace, plane. Le murmure est poison, le cri est délivrance. Mais il n’y aura pas de cri. Il n’y a que des formes en désordre, des calmes avant la tempête. Mais il n’y aura pas de tempête. Il y a cette voix, petite sœur de Linda S et grande sœur sortie du caveau de Nina S. le temps d’un bouleversé I’ll Be Seeing You. Et le jazz dans tout ça ? outragé, couché, terrassé. En haut : le rire du Malin.
Keiko Higuchi : Between Dream And Haze (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Summertime Devastated 02/ Burning 03/ 3 04/ Moon of Alabama 05/ Funeral Song 06/ Nothing Is Real 07/ 7 08/ 8 09/ I’ll Be Seeing You
Luc Bouquet © Le son du grisli
Chim Nwabueze : Fenêtre dissimulée (L'Harmattan, 2012)
Chim Nwabueze est joueur de scie (ou lame sonore). Dans son avant-propos à Fenêtre dissimulée – livre-disque –, il écrit : En 2001, j’ai eu une proposition de la Bibliothèque du 12e arrondissement de Paris pour faire un projet autour de la scie : Naissance des Mondes : Voyages de la Scie Musicale. Je ne voulais pas seulement faire une série de concerts. Ainsi, je suggérai, à mes risques et périls, un projet plus global fait d’images, poèmes, installations et rencontres. La première version de Fenêtre dissimulée est née de cette tentative de présenter une vision claire de mon rapport à l’art en général, la scie comme point de ralliement.
Passée la crainte d’avoir entre les mains un recueil-gadget de poèmes et de pensées mêlés, la surprise naît : les mots choisis de Chim Nwabueze – qu’ils nous entretiennent du délicat usage de cette scie à qui les dents ont été arrachées (Une chose à considérer est la virtuosité de la lenteur), dénoncent les habitudes de milieux satisfaits (les lieux dits « alternatifs » deviennent des nids de mafieux déguisés en brebis et de fonctionnaires sans grande marge de manœuvre : pourtant, les artistes de rue et du voyage sont de moins en moins libres, visibles, admissibles, pendant que d’autres se battent, souvent de façon machiavélique, pour enfin, pouvoir entrer dans le cadre d’un tableau municipal) ou composent des confidences-plaidoyers (L’oreille, aussi, veut pêcher / Loin des rivages) – font mouche.
Pour ne pas attendre après les partitions adaptées, Nwabueze a couru les collaborations. Sur le disque, il dialogue notamment avec Joëlle Léandre – avec la contrebassiste, il publia plus tôt Near and Far, concert donné en 2001 aux 7 lézards à Paris –, le percussionniste Tatsuya Nakatani ou la harpiste (de piano) Sylvie Menta. Seul, il insiste sur les performances percussives de son instrument (évidemment couplé sur Doublesaw), expérimente et brade toute virtuosité au profit d’un bizarre autrement saisissant, interroge les effets de l’amplification avec un goût pour les bruits « inconvenants », enfin, glisse quelques phrases sur la lame de fond bruitiste de Fugitive Stillness. Voilà qui attache d'une autre manière le mot à la musique, et conseille et la lecture et l’écoute de Fenêtre dissimulée.
Chim Nwabueze : Fenêtre dissimulée (L’Harmattan)
Edition : 2012.
Livre + CD : 01/ Doublesaw I 02/ Chant libre I 03/ Doublesaw II 04/ Saturn Turning 05/ Poussière d’étoile 06/ - 07/ Thoughtstreams 08/ Green Report 6 (extrait) 09/ A Sudden Shift 10/ Fugitive Stillness 11/ Inner Seas
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Le 14 avril, pour fêter la sortie de Fenêtre dissimulée, Chim Nwabueze improvisera en compagnie de Bobby Few à l'espace Le Scribe L'Harmattan, Paris.
Rafael Toral : Space Elements Vol. III (Taiga, 2011) / Rafael Toral, Davu Seru : Live in Minneapolis (Clean Feed, 2012)
Quelques mois après sa parution sur CD sous étiquette Staubgold, le label Taiga publie sur vinyle le troisième volume de Space Elements de Rafael Toral – élément enregistré d’un projet que l’intéressé présentait ici de la sorte : « The Space Program part d'une idée simple qui consiste à établir des manières de jouer de la musique électronique selon des valeurs qui trouvent leurs origines dans le jazz ».
Comme ses prédécesseurs, ce volume de Space Elements fait œuvre de collages et d’abstraction : Toral y déroute son discours et surprend son langage en empruntant autant à la pop qu’à la musique expérimentale et en recevant les propositions de quelques invités : le pianiste Riccardo Dillon Wanke, le guitariste Toshio Kajiwara, Victor Gama sur un instrument de son invention baptisé acrux, les percussionnistes Tatsuya Nakatani, César Burago, Afonso Simões et Marco Franco.
A l’électronique, Toral fait face au point de changer un capharnaüm en cabinet de curiosités rares : à la cisaille électrique, il taille structures rythmiques et cordes de guitares pincées ; à force d’ondes, il peut doubler la peau d’un tambour ou envelopper les bruissements du piano dans un même élan d’apaisement inspiré. C’est d’ailleurs là que se niche la nouveauté de ce troisième volume de Space Elements : dans la patience qui profite à l’arrangement des souffles et des rythmes atténués.
Rafael Toral : Space Elements Vol. III (Taiga)
Edition : 2011.
LP : 01/ III.I 02/ III.II 03/ III.III 04/ III/IV 05/ III.V 06/ III.VI 07/ III.VII 08/ III.VIII
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
C’est avec un autre percussioniste, Davu Seru, que Toral mettait en œuvre son Space Program et interrogeait ses usages de l’électronique. Daté du 8 mars 2011, ce Live in Minneapolis se découpe en trois temps : Toral contrant d’abord la forfanterie du batteur à coups d’aigus puis de graves ; Toral et Seru faisant ensuite preuve de trop de précautions pour s’imposer vraiment ; Seru martelant enfin pour que revienne une opposition plus frontale et autrement démonstrative. Ainsi donc, l’intérêt fluctue.
Rafael Toral, Davu Seru : Live in Minneapolis (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 8 mars 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ First Third 02/ Second Third 03/ Third Third
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Rafael Toral : Open Space (2020)
A l'occasion (et jusqu'à) la parution, à la fin du mois d'avril 2022, de l'anthologie du Son du grisli aux éditions Lenka lente, nous vous offrons une dernière salve de chroniques récentes (et évidemment inédites). Après quoi, ce sera la fermeture.
Rafael Toral dit vouloir revenir à la guitare (c'est même déjà fait, à l'heure qu'il est). Mais avant ça, il fait le bilan, sur Internet, du Space Program qui l’a occupé de 2004 à 2017 – l’idée de servir, selon ses propres termes, une « post-free jazz electronic music ».
Open Space consigne donc huit pièces qui mettent à mal l’ambient que Toral servait hier et composent avec des éléments épars et des intentions parfois différentes. Les instruments sont nombreux – dont on ne reconnaît pas toujours la nature – et leurs emboîtements souvent surprennent : aux violons étirés de II.V, à ses percussions autoritaires, répondent ainsi des sculptures sur feedbacks ou des trajectoires musicales en fuite. Et quand la batterie de III.III déconstruit jusqu’à l’idée même de rythme, les oscillations de Glove Touch en inventent un autre, irrésistible.
A l’écoute de cette compilation, pour comprendre de quoi retournait le Space Program de Rafael Toral, peut-être faudra-t-il aussi aller (re)lire l’interview donnée au Son du grisli, il y a une dizaine d’années : The Space Program part d'une idée simple qui consiste à établir des manières de jouer de la musique électronique selon des valeurs qui trouvent leurs origines dans le jazz. Enfin, raconté comme ça, c'est très simplifié, alors qu'en réalité ça commence à devenir assez complexe (…)
Tatsuya Nakatani : Abiogenesis (H&H, 2010)
Dix-huit pièces sans nom, datées de 2009, ont été assemblées sur Abiogenesis par Tatsuya Nakatani. Dix-huit pièces au fil desquelles le percussionniste construit un recueil pertinent d’airs chantants ou sinon percutants.
Ainsi fait-il à l’archet siffler cymbales et cloches sur une rumeur grave pour découper ensuite dans l’espace qu’il occupe des morceaux d’étoffes claires que l’on ne soupçonnait pas. Ailleurs encore, c’est un bric-à-brac fantastique que Nakatani retourne, une tempête qu’il commande sans autre intention que le jeu – la trouvaille, peut-être –, des râles qu’il élève patiemment sur cadres ou dans l’urgence sur éléments de bois. L'art est savant sans y paraître. Le recueil en question est donc impressionnant.
Tatsuya Nakatani : Abiogenesis (H&H / Metamkine)
Enregistrement : septembre 2009. Edition : 2010.
CD : 01-18/ Abiogenesis
Guillame Belhomme © Le son du grisli
Tatsuya Nakatani jouera à Mulhouse le 27 août, dans le cadre du festival Météo, en duo avec Michel Doneda (occasion d'aller relire la chronique de leur White Stone Black Lamp).
Tatsuya Nakatani, Kaoru Watanabe : Michiyuki (Kobo, 2011)
Le premier disque du label Kobo, qui présentait Tatsuya Nakatani en duo avec l'aérophoniste Michel Doneda (White Stone Black Lamp), trouve un pendant dans le Michiyuki que le percussionniste a enregistré, à l'automne 2010, avec un autre grand souffleur : le flûtiste (shinobue, noh kan, ryuteki) Kaoru Watanabe.
Si l'ambiance créée par les deux hommes prend d'abord des allures méditatives, il ne faut pas s'y tromper : la musique ne donne pas dans le cliché zen ; elle envoûte plutôt, sans racoler, par une sorte de tension intime et assez communicative. Au fil de ces huit improvisations délicatement contrastées, les résonances que Nakatani sait préserver ne l'empêchent pas de sculpter aussi de véritables vagues d'énergie sur lesquelles Watanabe (par ailleurs spécialiste du tambour taiko) invente ses trajectoires. Passionnant, qu'on adopte une écoute flottante ou plus attentive...
Tatsuya Nakatani, Kaoru Watanabe : Michiyuki (Kobo / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Taikyo 02/ Escapism 03/ Yume 04/ Amaterasu 05/ Kikyuu 06/ Icarus 07/ Michiyuki 08/ Omatsuri
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Tatsuya Nakatani, Michel Doneda : White Stone Black Lamp (Kobo, 2011)
Escorté de deux autres enregistrements – avec Rombola sur le label Con-V ; en compagnie de Kocher & Schiller chez Another Timbre – publiés en ce printemps et qui témoignent de l’activité de Michel Doneda (saxophones soprano & sopranino), ce disque gravé en septembre 2007 avec Tatsuya Nakatani (percussion) est une véritable aventure.
Aventure de matières, de son, d’écoute ; aventure de haute énergie, de haute altitude, de haute attitude ; aventure distincte de celle que les musiciens ont commencé à dessiner avec Jack Wright sur les deux disques de From Between ; aventure qui ne ramène pas plus au duo du souffleur avec Lê Quan Ninh, qu’à celui du percussionniste avec Assif Tsahar…
Aventure donc, d’un engagement complet dans une action d’une corporéité et d’un raffinement inouïs : scories dont il faut se défaire, crachées dans la dépense, dans les déboulés, jusqu’à l’acide, métaux et grandes peaux dont Nakatani use en leviers rauques, bien raclés, primordiaux. On s’épaule, on se fraie un passage ; agile, on se tient dans le sillage l’un de l’autre ou l’on s’écarte, attentif, disponible, actif, élargissant ces espaces mentaux, physiques, vibrants, où l’auditeur a sa place.
Tastuya Nakatani, Michel Doneda : White Stone Black Lamp (Kobo)
Enregistrement : 2007. Edition : 2011.
CD : 01/ You Come with All the Insects 02/ Circle Lamp 03/ Butterfly Hesitant 04/ Fagot 05/ Moon Is A Nail 06/ The Bee Is Short
Guillaume Tarche © le son du grisli
Oirtrio : Kanata (Not Two, 2010)
Lorsque d’autres projets – parmi lesquels trouver Zeitkratzer – ne l’en empêchent pas, Frank Gratkowski compose Oirtrio avec Sebastian Gramss (contrebasse) et Tatsuya Nakatani (percussions). Aux clarinettes et saxophone alto, il investit alors le champ d’une improvisation développée dans l’ombre.
Dans l’ombre et puis loin d’un lyrisme qui le tente souvent et l’a parfois perdu. Sur Kanata, disque qui revient sur un concert donné au Loft de Cologne en décembre 2008, c’est à l’horizontale que Gratkowski envisage toujours d’intervenir. En conséquence, la clarinette est traînante, réservant à quelques saccades le soin de relancer le mouvement sûr de ses longues notes en dérive. Contrebasse (archet répétitif) et percussions (cadence abandonnée aux plaintes) soutiennent les nappes graves et turbulentes que le trio suspend haut avant de leur réserver sa dernière attention : contredanse condamnant l’ensemble à suivre un perpétuel mouvement de balancier.
Oirtrio : Kanata (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Yuragi 02/ Nejire 03/ Karami 04/ Togire 05/ Nagashi 06/ Mitate 07/ Ahahi
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
From Between : No Stranger to Air (Sprout, 2006)
Profitant d'un concert donné le 1er Mars 2005 au Havre, From Between - trio formé par les saxophonistes Jack Wright et Michel Doneda, et le batteur Tatsuya Nakatani - expose sur No Stranger to Air l'actualité de sa pratique de l'improvisation.
Forcément expérimentale, au regard des personnalités présentes et de ce qu'elles ont déjà prouvé dans le domaine. Pas extrême, toutefois. Toujours, les coups vifs portés par le batteur et les plaintes polyformes sorties des saxophones surgissent d'une mesure imposée par l'expérience. Distribuant les souffles courts et les grincements, investis souvent dans l'élaboration des sifflements, Doneda (au soprano et sopranino) et Wright (au soprano et à l'alto) insinuent des parallèles le plus souvent aigus, et subitement déviés dans l'espoir de provoquer des rencontres à propos.
Interrogeant la retenue nécessaire lorsqu'il s'agit d'aborder l'improvisation expérimentale, le trio est aussi capable de suivre la voie d'une forme musicale moins opaque - Nakatani réussissant à convaincre les saxophonistes de respecter, l'espace d'une à deux minutes, le rythme qu'il dépose sur tom bas. Souvenir d'un concert convaincant, No Stranger to Air expose avec délicatesse une musique à la densité ramassée. Qui rend impossible toute explication pour être faite de failles insoupçonnables.
From Between : No Stranger to Air (Sprout)
Enregistrement : 1er mars 2005. Edition : 2006.
CD : 01 - 02/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli