Nurse With Wound : Dark Fat (Jnana, 2016) / Steven Stapleton, Christoph Heemann : Painting With Priests (Yesmissolga, 2016)
En marge des relectures (Musique pour Faits divers par Brian Conniffe, Dark Drippings par M.S. Waldron) et des rééditions (Soliloquy For Lilith, Echo Poeme: Sequence No 2…), Steven Stapleton extrayait récemment de ses archives de quoi composer encore. Sur Dark Fat, des enregistrements de répétitions, de concerts voire de balances, datant de 2008 à 2016, sont ainsi arrangés en seize morceaux d’atmosphère comme toujours hétéroclite.
D’autant que Nurse With Wound – Stapleton, ici avec Colin Potter, M.S. Waldron et Andrew Liles – invite (ou emprunte des interventions à) à cette occasion une kyrielle de musiciens extravagants : Jac Berrocal, David Tibet, Lyn Jackson, Quentin Rollet ou Stephen O’Malley, pour n’en citer que cinq. Sous l’effet d’une hallucination qu’on imagine partagée, ce sont alors des pièces différentes – mais aussi inégales – qui composent, comme par enchantement, une suite d’impressions floues ou de souvenirs rêvés. En refusant à ses enregistrements-matériau le seul statut de document, Stapleton arrange là une autre forme de poésie (sonore) décadente qui, malgré tout, enivre autant qu’elle interroge.
Nurse With Wound : Dark Fat
Jnana / Unit Dirter
Enregistrement : 2008-2016. Edition : 2016.
2 CD : CD1 : 01/ That Leaking Putrid Underbelly - Noble Cause Corruption 02/ Devil Dreamin' - Servants Of The Paraclete 03/ Congregatio Pro Doctrina Fedei 04/ Lost In The Ocean 05/ Banality With A Beat 06/ Whoosh (A Radicalized View) 07/ Doing What We Are Told Makes Us Free –CD2 : 01/ Congealed Entrance 02/ Devil Is This The Night 03/ Eat Shop Relax 04/ Rock N' Rolla 1959 05/ The Machinery Of Hearing 06/ I Put My Mouth To The Lips Of Eternity 07/ An Attempt By Badgers To Cull Worrisome Farmers 08/ Doing What We Are Told Makes Us Free (Embedded Version) 09/ Rock'n'Roll Station (Live)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
L’élévation sera lente. Hypnotique toujours. C’est dans le contrat bien sûr. L’érosion sera lente. Le cœur battra sans peur de la chute. Un piano coincera la digression. Digression, attendue, mais ne venant pas. Les déplacements n’en seront pas. On voudrait y voir des salmigondis zébrés, des spasmes réguliers : on y supposera la désintégration mais ce ne seront, ici, qu’amorces, désirs non aboutis. S’agripperont matières et faisceaux sur la surface du fil sonore. Jamais ne délivreront l’espace, toujours l’étoufferont. Steven Stapleton & Christoph Heemann l’estoqueront alors d’un pesant silence.
Steven Stapleton, Christoph Heemann : Paintings with Priests
Yesmissolga
Enregistrement : 2009. Edition : 2016.
CD : 01/ Painting with Priests
Luc Bouquet © Le son du grisli
La vierge de Nuremberg : Le retour de (Bloc Thyristors, 2012)
Elle aurait pu ne pas être originaire de Nuremberg, Dieu que cette Vierge aurait été pareillement affolante ! Dedans, tout ce que Jean-Noël Cognard et ses amis ont envie d’y fourrer (le rock bagarreur version France 3 Régions des débuts m’a quand même fait craindre le pire)…
Après quoi c’est du meilleur, et même du bon : une trompette (oui oui, celle de Berrocal) qui rend hommage à Don Cherry, une guitare et un saxophone qui s’affrontent à fleurets empoisonnés, une voix féminine (en anglais ça passe, en français pas loin de casser) qui pousse un air d’Americana (la trompette s’y envolera), des loops et des reverses qui dégomment tous les clichés du rock. C’est quoi donc en fait ? Une brocante farfelue qui surprend sans arrêt et où le charme agit même parfois.
La Vierge de Nuremberg : Le retour de (Bloc Thyristors / Metamkine)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
LP : A1/ Malpartida A2/ Constantinople A3/ Soundcheck A4/ Die Nacht A5/ Asba A6/ Kiss My Blood – B1/ Rock'n'Roll Station B2/ Karambolage B3/ Kurzshluss B4/ Carmilla B5/ Les Ghoules
Pierre Cécile © le son du grisli
Ce jeudi 13 décembre, La Vierge de Nuremberg se produira au Cirque électrique (Paris), dans le cadre d'une carte blanche offerte à... Chantal morte.
Interview de Quentin Rollet
A l'occasion de la parution de La chanson des vieux époux de Pierre Loti, illustré sur CD par Quentin Rollet et Vomir, nous reproduisons cet entretien de Quentin Rollet avec Philippe Robert, extrait du deuxième volume d'Agitation Frite.
Quentin Rollet, fils du batteur du Workshop de Lyon, insiste : il lui aura fallu des années en quête de liberté afin de désapprendre l'enseignement du conservatoire. Depuis, on a pu entendre son saxophone avec Prohibition, David Grubbs, Akosh S. Unit, The Red Krayola ou Nurse With Wound : soit un parcours singulièrement éclectique, allant du hardcore au free jazz, mais aussi de la pop à la chanson. Après une décennie passée à coproduire les disques d'une enseigne décloisonnée au cahier des charges tout aussi éclectique (à savoir Rectangle, en compagnie de Noël Akchoté), Quentin Rollet entame un nouveau chapitre et s'occupe du label Bisou avec Isabelle Magnon.
J'imagine que le contexte familial a été déterminant : ton père est batteur du Workshop de Lyon ! Et fondateur de l'Arfi, batteur de La Marmite Infernale et de nombreux autres groupes de l'Arfi, créateur de La Carrérarie, compagnie de spectacle pour enfants avec Maurice Merle, Steve Waring, etc. J'ai été très tôt confronté à la musique, que cela soit à la maison (mes parents écoutaient des disques mais aussi la radio), et surtout en concert, en direct. J'ai assisté à de nombreux concerts des groupes de l'Arfi ou à ceux qu'ils organisaient dans leurs clubs à la Croix-Rousse à Lyon (tout d'abord Les Clochards Célestes, puis le Via Colomès). Je me souviens d'un concert solo de Han Bennink au cours duquel il a crevé la peau de caisse claire, mis le feu au charleston et a fait semblant de se couper les oreilles avec une paire de ciseaux géante. Je me souviens aussi des tournées de La Marmite Infernale (pour le carnaval de Venise au début des années 1980, en Ukraine en 1990) et du Workshop de Lyon (en Allemagne en 1991). Ma mère, Maryse Franck, est également aussi dans la musique. Elle a travaillé sur les premières Fêtes de la Musique lorsqu'elle était au CENAM (Centre National d'Action Musicale) puis elle a fait partie de la première équipe de la Cité de la Musique, où elle est programmatrice des spectacles jeunesse à l'Auditorium du Musée de la Musique. Pour la programmation de la grande salle de la Cité (aujourd'hui Philarmonie 2), elle a aussi prodigué ses conseils.
Y a-t-il des disques qui t'ont motivé à passer à l'acte ? En tant que musicien ou producteur ?
En qualité de musicien d'abord. À vrai dire, je ne me souviens pas d'un disque particulier. Je pense que ce sont plutôt les concerts qui m'ont donné envie de jouer. J'ai toutefois écouté pendant toute ma jeunesse les disques vinyles de l'Arfi, notamment Musique Basalte et Anniversaire du Workshop de Lyon, É'guijecri (Jean Méreu, Guy Villerd, Christian Rollet), Sept jeunes et fiers maris du Marvelous Band et Moralité surprise de La Marmite Infernale.
Rien d'électrique ? Si, en réfléchissant je me dis que les disques de Caspar Brötzmann, Naked City et Painkiller y sont pour quelque chose...
Un grand souvenir de concert à cette époque ? La Marmite Infernale au Carnaval de Venise, le Workshop ou La Marmite dans les arènes à Nîmes, le solo de Han Bennink aux Clochards Célestes à Lyon. Le piège que m'ont tendu des musiciens de l'Arfi alors que je commençais le saxophone : Maurice Merle m'a demandé de les rejoindre car il manquait un saxophoniste, aussi me suis-je retrouvé à jouer deux thèmes avec Louis Sclavis, Jean Méreu, Maurice Merle et Guy Villerd ! Et lorsque j'ai vu mon père dans la salle, j'ai eu un trac énorme, qui fait que depuis ce jour-là, je n'ai plus du tout le trac avant de monter sur scène.
Des disques qui t'auraient également motivé à passer à l'acte, mais en qualité de producteur cette fois ? Je ne sais pas trop quoi te répondre, en fait : je ne fais pas forcément les liens ou rapprochements entre ce que j'ai écouté et ce que j'ai produit.
Qu'est-ce qui te motive à jouer du saxophone en particulier ? C’est plus un hasard qu'autre chose. Ça n'est pas un instrument qui me plaisait particulièrement plus qu'un autre – j'ai toujours (eu) envie de savoir jouer du trombone ou de la vielle à roue ! Il se trouve que quand j'ai finalement décidé de commencer un instrument, on m'en a prêté un. Et que parmi les amis de mes parents, il y en a qui m'ont un peu « poussé ». J'ai fait quelques années de conservatoire, classique. Avec un enseignement tout sauf motivant. Devoir étudier le solfège une année avant d'avoir le droit de toucher à un instrument, il y a pas mieux pour dégoûter dès le départ. J'ai donc commencé par un an à ARPEJ, parallèlement au solfège infligé.
Sur l'instrument, quels saxophonistes t'ont marqué et pourquoi ? Je pense que les saxophonistes qui m'ont le plus influencé sont Maurice Merle (son inventivité et son humour), Daunik Lazro (la justesse de l'émotion) et Anthony Braxton (le côté touche-à-tout, de l'équation mathématique au standard un peu limite). Là je parle du jeu même. Quand j'écoute des enregistrements de mes concerts, des fois ça me saute aux oreilles ! Au niveau de la scène, j'ai beaucoup appris avec Akosh Szelevenyi qui m'a pris dans son groupe sans vraiment m'avoir entendu jouer avant, et avec qui j'ai joué pendant plusieurs années dans tous types de conditions (bars, salles, festival). Là j'ai appris qu'on peut se reposer sur les autres. Et que quand on part dans une mauvaise direction, il ne faut surtout pas s'arrêter mais attendre que les autres musiciens te rattrapent. En dehors de ça, j'ai évidemment été épaté par Peter Brötzmann en concert ; j'admire le travail de Steve Lacy, surtout en solo ; et suis (encore maintenant) très touché par la musique et l'inventivité d'Albert Ayler.
Quand décides-tu d'engager ta vie dans la musique ? Et qu'est-ce qui vient en premier dans ta discographie ? Le 17 cm Aka Doug ? Au milieu des années 1990, j'associe surtout ton nom à Prohibition, groupe noise rock. A Bästard et Ulan Bator aussi, qui tous deux t'invitent sur un morceau... Je crois que j'ai très tôt apprécié les concerts et les tournées. Je me suis donc naturellement orienté vers la musique, pas immédiatement en tant que musicien d’ailleurs. J'ai commencé le saxophone à l'âge de 11 ans, une fois installé à Paris. J'ai joué dans un groupe de lycée dirigé par Tristan Macé, dans lequel on jouait presque exclusivement des compositions originales mis à part Chant bien fatal du Workshop de Lyon ! Puis, pendant que j'étais à la fac, j'ai rencontré successivement les gens de Distortion (jeune label plutôt pop au départ) et de Prohibition – en 1992, je crois. Je les ai présentés et ils ont commencé à travailler ensemble. Le premier album est sorti en 1993. Ils m'ont ensuite invité à partir en tournée avec eux en tant que roadie, et je me suis petit à petit retrouvé sur scène avec eux. À la même époque, j'ai travaillé au Passage du Nord-Ouest en tant qu'organisateur de la promo par « tractage ». Ce qui m'a permis d'assister à de nombreux concerts et aussi aux premiers cycles du Festival de l'Étrange. Puis d'y organiser un premier concert (Prohibition / Hems), ce qui m'a motivé à en organiser d'autres dans différents endroits : Théâtre Dunois, La Dame Bleue et Les Instants Chavirés. C'était l'époque des concerts Ortie, avec Marcel Perrin d'Heliogabale. Pendant une année j'ai co-animé l'émission Songs of Praise sur Radio Aligre. Et j'ai aussi participé à des fanzines comme Ortie, Peace Warriors, Octopus, écrit pour Jazzman pendant quelques années, et lancé un premier label, Rectangle, avec Noël Akchoté fin 1995. Tout ça pour dire que la musique occupait déjà beaucoup ma vie à cette époque-là. Dans ma discographie, le 45 tours Aka Doug est mon véritable premier disque, solo. Il est sorti en 1998, mais a été enregistré en 1994. Ma première apparition discographique avec Prohibition date de 1995 sur leur troisième album. À cette époque, la scène parisienne était composée de Prohibition, Ulan Bator, Sister Iodine, Heliogabale (qui ont a un moment pris un local de répétition ensemble, PUSH!), et les interactions entre ces groupes étaient courantes. Effectivement, les membres d’Ulan Bator m'ont invité à enregistrer avec eux dans leur local sous-terrain en banlieue, ce qui a donné Ursula Minor, qu'on trouve sur une face d'un split 7" avec Étage 34 (si je me souviens bien), ensuite réédité sur une compilation d'Ulan Bator. Quant à Bästard, je les avais fait jouer à Ris Orangis et les ai recroisés sur la route à plusieurs occasions. En tant qu'ex-Croix-Roussien (lyonnais) le courant est bien passé, si bien qu'ils m'ont invité (ainsi que Bif et Wil de Condense, autre groupe lyonnais) à jouer sur une reprise de Sun Ra pour un maxi qui est sorti chez Zeitgeist / Semantic, réédité dans leur anthologie chez Ici d'Ailleurs.
Quel genre de musique programmais-tu dans Songs of Praise ? De tout. Par odre alphabétique (sourire entendu) : Albert Ayler, Derek Bailey, Costes, Danielle Dax, eRikm, Fred Frith, Goz Of Kermeur, Alfred Harth, Ice, Joy Division, Henry Kaiser, Laïka, Vincent Malone, Nurse With Wound, Otomo Yoshihide, Painkiller, Quatrophage, The Residents, Shock Headed Peters, Throbbing Gristle, Ulan Bator, Victim's Family, Whitehouse, Xper Xr, Yona-Kit, Carlos Zingaro. Je ne me souviens pas tout ce que j'ai pu passer pendant cette année de co-programmation / co-animation (nous étions quatre animateurs je crois : Franq de Quengo, Cyril Hoffmeyer, Jean-Christophe et moi-même), mais c'était très éclectique, avec des émissions à thèmes.
Pour quelle raison montes-tu le label Rectangle avec le guitariste Noël Akchoté ? Quand nous nous sommes rencontrés, assez vite nous nous sommes rendus compte que nous étions d'accord sur pas mal de choses concernant le milieu du jazz et de la musique improvisée de l'époque. Le « jazz français » se gargarisait avec des projets sans grand intérêt, en vivant de subventions, d'aides, avec ce mépris pour les jeunes qui « cherchent » que peuvent avoir les musiciens « qui ont travaillé leur instrument » pendant des années. À l'époque, il ne faut pas oublier qu'il n'y avait pas ou très peu de connexions entre le jazz, la musique improvisée et le rock. Nous avions tous les deux des connections dans différents milieux : l'envie de croisements et de rencontres était là. Peu de disques proposaient pourtant ce type de rencontres. Nous ne nous retrouvions pas dans la production musicale de l'époque, à part chez nato peut-être. Donc, un soir de la fin 1995, au comptoir des Instants Chavirés, la décision a été prise de monter un label. Noël avait de l'argent, et moi du temps. On a proposé des disques à des gens dont nous aimions le travail en leur faisant rencontrer d'autres musiciens qu'ils ne connaissaient pas du tout, mais qui pourtant étaient connus dans leur milieu… En fait, nous avons sortis les disques que nous aurions aimé pouvoir acheter.
Pourquoi les avoir sortis en vinyle, tout du moins au début ? Au milieu des années 1990, il paraissait indispensable de « remplir » les CD, ce qui donnait des albums interminables de soixante-dix minutes, avec beaucoup de passages peu intéressants. Avec le vinyle, on a fait des disques courts, denses, sans baisse de qualité sur la longueur. Et les vingt et quelques minutes par face correspondent bien au temps de concentration que l'on peut avoir sans être interrompu dans l'écoute. Surtout que l'écoute de ces musiques dites « difficiles », « expérimentales », demande bien plus d'attention que des disques de pop, de rock, et même de jazz.
Vous avez aussi sorti des 17 et des 25 cm : par exemple les Xmas Songs avec Lol Coxhill et Phil Minton (dans l'esprit des productions nato) ou le duo Fred Frith / Noël Akchoté. Vous adaptiez le format à ce dont vous disposiez et vouliez sortir ? Il y a quand même eu du CD : Felk, de Red, n'est sorti qu'en CD me semble-t-il ? Le triple-CD de Luigee Trademarq, Bande original, compilant les musiques de films pornos de John B. Root est terrible ! Un format correspond à un type de musique, et inversement. S’il n'y a que vingt minutes vraiment intéressantes et cohérentes, pourquoi en mettre absolument plus ? Les disques des années 1960-1970 duraient dans les trente minutes et étaient pourtant considérés comme des albums à part entière. Concernant Felk, il y a eu deux raisons au choix du CD. Red est le premier artiste que l'on a « signé » (il n'avait jamais sorti d'album sous ce nom avant) et que l'on a « développé » : on a sorti aussi son deuxième album Songs From A Room, puis on a produit le troisième, 33, que l'on a vendu clé en mains à Universal Jazz. Red venait de quitter son travail alimentaire pour se consacrer entièrement à la musique, nous voulions donc lui offrir une plus grande « visibilité », d’où le choix du CD. La seconde raison, dont nous ne nous doutions pas au départ, est que Felk ne pouvait, à l'époque, être gravé en vinyle, en partie à cause des boucles électroniques de Red. Nous avions fait faire un test pressing qui a été catastrophique, aussi avons-nous laissé tomber l'idée du vinyle, y compris pour l'album suivant, composé un peu de la même manière, avec des boucles électroniques accompagnant la guitare et la voix. e même pour le triple-CD de Luigee Trademarq. Le public de ce genre de productions ne jurait à l'époque que par le CD. Cela a bien changé ! Peut-être avions-nous vingt ans d’avance ?
Le disque File Under Music me paraît symptomatique des croisements alors peu fréquets que tu évoquais. D'ailleurs, on y retrouve entre autres Prohibition, Bästard et Heliogabale dont tu parlais en début d'entretien. Serais-tu à l'origine de cette référence plus particulièrement ? Effectivement, ce disque était mon idée. Ce genre de collaboration paraît désormais évident. Sauf qu’à l'époque, il n'y avait (peut-être) que Gastr Del Sol ou The Ex qui s'acoquinaient avec des improvisateurs. Il était prévu deux suites à File Under Music : un album de rencontres entre groupes de rock et électro-acousticiens – un morceau avait été enregistré avec Quattrophage et NORSQ, et un autre entre groupes de rock et musiciens trad : j'avais branché Dominique Regef et Michel Godard... Ces projets étaient trop compliqués à mener à bout faute de temps et de moyens, malheureusement. Un autre disque de rencontres est Morceaux choisis dans lequel The Recyclers (version originale, avec Noël Akchoté et pas Christophe Minck) accompagnaient des chanteurs. Au départ étaient prévus Katerine, Ignatus, Dominique A, Françoise Breut et Sacha Andrès. Après désistement de Françoise et Dominique, Katerine a décidé de reprendre le morceau que Dominique avait choisi (et qu'il a finalement enregistré quelques années plus tard sur un de ses disques), et Irène Jacob que connaissait Benoît Delbecq a repris le morceau choisi par Françoise Breut. Malheureusement, ce disque n'a eu qu'un petit succès à cause de son format.
Chez Rectangle, il y a avait aussi l'idée de promotionner le travail de Noël et le tien. MOSQ par exemple, c'est eRikm, Charlie O., Akosh S et toi. Tu étais bien moins présent que Noël toutefois... Beaucoup d'enregistrements inédits à l'époque ne sont sortis qu'au cours des années 2010, mais pas sur support. Je pense au live aux Instants Chavirés de N.Q.O. par exemple... Rectangle n'a pas été monté pour sortir spécifiquement les disques de Noël et les miens. Il y en a eu pas mal avec Noël parce que nous les aimions bien – des projets plutôt à part de ce qu'il faisait à cette époque pour le compte du label Winter & Winter, comme la série des trois Joseph par exemple. Quant à moi, je n'avais pas de groupe à proprement parler, ni de projets au sein desquels ma vision musicale aurait été prédominante. J’étais surtout invité dans les groupes des autres : Akosh S. Unit, Herman Dune, Mendelson… Par contre, j'ai effectivement « monté » MOSQ, les autres membres du groupe n'ayant jamais joué ensemble, certains ne se connaissant même pas (musicalement) avant le premier concert au festival Rectangle à Mains d'Œuvres, qui a d’ailleurs donné l'album.
Où en est Rectangle, aujourd’hui ? Quelques années après la fin de Rectangle, nous avons eu envie de rendre disponible des bandes qui étaient restées inédites, des enregistrements de concerts – des morceaux orphelins. Le support (ou non-support) numérique nous a permis cela facilement, sans coût financier. Par contre, c'est une activité très chronophage.
Depuis 2015, avec Isabelle Magnon, tu t'occupes du label Bisou. Due à Graeme Allwright et Steve Waring que l'on retrouve en public en compagnie du tromboniste Alain Gibert entre autres, la première référence paraît faire le lien avec les productions de l'Arfi, et donc avec un passé se rapportant à ton père. Ce disque est plutôt la référence « zéro » de Bisou. Nous l'avons sorti à l'occasion d'un concert de Steve et Graeme dans un village des Monts du Lyonnais. Six cents personnes étaient là pour les écouter ! Des enfants et des adultes aussi. Le disque n'a ensuite pas été distribué, étant donné que chacun des deux artistes possède son label dédié. C'est donc un collector. Une version plus courte, plus axée « enfants », devrait sortir sur le label Victorie Musique. C'est Isabelle Magnon qui est à l'initiative du label Bisou et qui m'a motivé afin de recommencer à produire des disques. Nous avons pris pas mal de temps à choisir une structure et à nous lancer. Les deux véritables premières sorties ont été On Your Body's Landscape de Thierry Müller et moi-même, et La Bar Mitzvah du chien de Ghédalia Tazartès. Parmi les prochaines sorties, il y aura aussi un enregistrement du trio Eugene Chadbourne / Steve Beresford / Alex Ward, que l'on a réalisé à Londres avant même la création officielle du label.
Sur Bisou, en plus de l'album de Ghédalia Tazartès et du coffret consacré au Workshop de Lyon, est sorti projet singulier remarquable : un livre pour enfants accompagné d'un disque de Costes ! Isabelle a eu l'idée d'une ligne pour enfants. Elle a donc demandé à Costes, maintenant qu'il est père, si ça l'intéressait. L'idée l'a emballé, et il a donc fait son premier livre-disque pour enfant ! Evidemment, comme pour tout ce qu'il fait, c'était prêt moins d'un mois après qu'on lui ait fait la demande – la partie musique tout au moins. Il a fait les illustrations plus tard et on a enlevé un morceau (moins intéressant) d'un commun accord. Il a donc écrit l'histoire, fait les dessins, écrit les chansons, composé et enregistré la musique. Dans cette lignée, on a d'autres sorties prévues. La seconde sera l'album du guitariste Eugene Chadbourne illustré par Yaya (David-Ivar, d'Herman Düne). Il ne s'agira pas d'une histoire, mais de différentes chansons ayant rapport aux monstres, aux films d'horreur, et donc plus axé ados, en fait.
Tu as joué dernièrement avec Nurse With Wound, comment cela s'est-il fait ? Avant tout, je dois dire que je suis fan de Nurse With Wound que j'ai découvert en même temps que Current 93 en 1992, à l'époque où ils ont sortis chacun un album portant le même titre (Thunder Perfect Mind). Depuis, j'ai suivi ces deux groupes. E plus particulièrement le travail de Steven Stapleton, membre fondateur de Nurse With Wound ayant été également impliqué dans la plupart des disques de Current 93 jusqu'aux années 2000. Et aussi le travail d'ingénieur du son de Colin Potter (qui a enregistré la majorité des disques de Nurse With Wound depuis 1991 jusqu'à ce qu'Andrew Liles entre dans le groupe). Colin fait aussi partie de Nurse With Wound en tant que membre à part entière. Sur scène, c'est même lui qui a le mot de la fin, puisque c'est lui qui mixe en direct toutes sources des musiciens et qui décide de ce qui va sortir dans la sono ou pas. La rencontre s'est d'abord faite avec Colin que j'ai tout d'abord contacté par internet en 2012. Après quelques échanges, nous nous sommes donnés rendez-vous lors d'un séjour à Londres où Isabelle et moi étions venus pour enregistrer l'album d'Eugene Chadbourne à paraître sur Bisou prochainement. Nous avons échangé quelques disques et parlé un peu. Suite à cela, nous avons décidé d'essayer de jouer en duo, et le rendez-vous a été pris pour notre séjour suivant à Londres. L'enregistrement a eu lieu dans son studio, et la première prise a donné une pièce de vingt-quatre minutes que nous avons ensuite retravaillée et raccourcie. Pour cette pièce, Colin avait préparé des pistes et des pistes de sons et d'ambiances superposées qu'il faisait apparaître ou se chevaucher, et sur lesquelles j'ai improvisé au saxophone alto et au sopranino. J'ai été assez surpris du résultat, les sons étant très proches de ceux de Nurse With Wound. Quelques autres morceaux plus « improvisés » n'ont pas été retenus. Quelque temps après, en correspondant avec Colin, il me dit que Nurse With Wound joue à Lyon, aux Nuits Sonores (2013) et qu'ils m'invitent à jouer avec eux à cette occasion. Pour cette date, Matthew Waldron n'était pas disponible, et leur set allait être différent. Steven Stapleton m'a envoyé un CD-R avec des idées de morceaux pour le concert, mais lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, la veille de concert, ils avaient complètement changé leurs plans et m'ont demandé d'improviser sur leur masse de son. La position de membre de Nurse With Wound est assez particulière, parce qu'il faut jouer en permanence afin que Colin écoute ce que l'on produit comme son, et qu'il décide (ou pas) de le mettre dans le mix. C'est d'autant plus physique quand on joue d'un instrument à vent : si l’on ne souffle plus, le son s'arrête et on n’est pas dans le mix. Après ce concert, ils m'ont invité à jouer avec eux à Paris au festival Présences électroniques, au festival Convergence à Londres en 2016, et donc à Sonic Protest en 2017 à l'Église Saint-Merri à Paris. J'ai aussi collaboré à un album d’Andrew Liles, ainsi qu'Isabelle Magnon, qui, elle, a fait des voix sur deux de ses albums. Un travail est aussi en cours avec Matthew Waldron. Et la pièce enregistrée avec Colin Potter sera éditée chez Bisou sur une face de vinyle, alors que sur l'autre il y aura la première véritable collaboration entre Steven Stapleton et Edward Ka-Spel, des Legendary Pink Dots.
Tu participes aussi à Red Krayola… C'est Dominique Répécaud qui m'a fait découvrir Red Krayola lors de l’édition 1995 du festival MIMI. Il m'avait alors conseillé deux disques à acheter : un Derek Bailey solo, et un Red Krayola. On connait la suite...La rencontre en personne s'est faite par l'intermédiaire de David Grubbs que j'avais rencontré au Pop In en 1997. C'est l'un des tous premiers musiciens à avoir joué là-bas. J'étais venu en avance pour vendre des disques Rectangle à son concert, et il s'est précipité sur le vinyle qu'on venait de sortir de... Derek Bailey ! Suite à cette rencontre, on a commencé à correspondre par cartes postales, puis je suis allé le voir en concert à Londres afin de lui proposer de faire un disque chez Rectangle. Il a accepté, et nous avons pu enregistrer cet album l'année suivante à Paris. Il est venu avec Steven Prina (un des chanteurs de Red Krayola) et m'avait demandé de lui trouver des musiciens pour enregistrer. C'est ainsi qu'il a pu adapter une nouvelle de Stephen Crane pour trois chanteurs (lui-même, Steven Prina et Sacha Andrès, d'Héliogabale), deux trombones (Yves Robert et Thierry Madiot), un violoncelle (Didier Petit) – et lui donc, à la guitare. Pour la face B, il a composé une pièce jouée avec un petit harmonium, et a demandé à Noël Akchoté d'ajouter une nappe de guitare pour créer une masse sonore. Ce disque, enregistré dans un studio à l'intérieur des locaux de John B. Root, et dont la pochette a été réalisée par Albert Oehlen (aussi membre de Red Krayola à l'époque), reflète bien les influences et les réseaux que Noël Akchoté et moi avions à cette époque. David m'a ensuite demandé de partir en tournée avec lui en Europe – et même plus tard au Japon. Nous sommes devenus proches, et il m'a proposé de venir à Graz en Autriche pour voir Red Krayola sur scène. J'ai pris ça comme des vacances, et suis venu les mains dans les poches, n'imaginant pas ce qui allait se passer... La veille du concert, David demanda à Mayo Thompson s'il était possible que Charlie O. et moi jouions dans Red Krayola pour le concert. Mayo a d'abord été catégoriquement contre. Ils allaient être huit sur scène (Mayo Thompson, David Grubbs, Steven Prina, Tom Watson, Eliza Randazzo, Sandy Yang, George Hurley de Minutemen, Albert Oehlen). De toute façon, je n'avais pas d'instrument avec moi… Et, juste avant le concert, grand chamboulement : ils nous demandent d'intervenir sur scène ! Après quelques essais infructueux pour trouver un saxophone, il a été décidé que je jouerais de ce que je trouverais. Donc : premier Red Krayola à dix personnes sur scène, première version du groupe avec des Français ! Le concert a été incroyable, ils ont gardé la forme de leur premier disque, c'est-à-dire des « free forms freakout » entre chaque morceau. De la véritable improvisation libre ! Et les morceaux qu'ils ont joués avaient tous été écrits par Mayo avant le premier album de Red Krayola ! J'ai donc écrasé des gobelets en plastique sur les micros, pris des photos au flash en mettant l'appareil sur les micros-guitare de Tom Watson, fait des percussions, secoué une caisse de bières en bouteilles pendant que Charlie utilisait le clavier de Steven Prina ou faisait des percussions. C'était assez magique et complètement fou à la fois ! Après ce concert, Mayo m'a systématiquement contacté quand il y avait une date de Red Krayola à Paris. J'ai donc rejoué avec la version réduite du groupe (Mayo, Tom et une boîte-à-rythmes programmée par John McEntire) à Paris ainsi qu'au festival Printemps de Septembre à Toulouse, puis dans une version avec, en plus de Mayo et Tom, Alex Neilson et Sandy Yang, à l'Etrange Festival à Paris en 2005. Enfin, en 2008, Mayo me demande de venir jouer avec eux à Londres au Somerset House au bord de la Tamise. À cette occasion, le groupe était composé de Mayo, Gina Birch (The Raincoats) et d'un batteur de metal. J'ai improvisé sur les morceaux du groupe, et à la fin du concert, il m'a demandé de me préparer à venir enregistrer avec les mêmes musiciens sur le prochain album... Je suis donc sur tous les morceaux de Five American Portraits (Drag City), sur lequel un pianiste anglais est intervenu au studio, ainsi que Tom Watson en overdub. Après la sortie du disque, il y a eu deux concerts au cours desquels on a joué ce programme : un à l’ICA à Londres, et un autre au musée d'art contemporain de Graz, la ville où j'ai rencontré Mayo Thompson une dizaine d'années auparavant.
De la chanson au free jazz, de l'impro au noise en passant par le free-rock, tu ne fais jamais que ce qui te plaît... À l'image des labels Rectangle et Bisou, ouverts à tous les possibles décloisonnements... J'ai l'avantage de ne pas être un professionnel de la musique. Contrairement à pas mal de gens que je connais, et qui se trouvent dans la position de devoir intégrer des groupes dans lesquels ils ne s'épanouissent pas afin d'obtenir leurs « heures » (cela au détriment de leur propre musique, parfois même ils n'ont plus le temps de jouer leur musique et de faire avancer leurs projets). Certains achètent même des cachets pour ne pas perdre l'intermittence ! Je n'ai jamais été intermittent du spectacle : au départ c’était faute de moyens (pas assez de sous pour déclarer tout le monde dans le groupe) ; puis, voyant les frustrations et les angoisses des uns et des autres qui sont toujours limite sur le nombre de cachets, j’ai fini par trouver ma position plus que correcte. Cela fait des années que je travaille « à côté », de manière à ne faire que la musique dont j'ai envie. J'ai la chance d'avoir un travail qui me permet de prendre des congés afin de donner des concerts ou d’enregistrer. C'est une vraie liberté, dans un sens. Et il faut bien se rendre à l'évidence que la musique que je fais n'est pas facile, et même si elle a un réel public dans le monde entier, celui-ci est réduit. Il suffit d'aller voir n'importe quel concert de musique improvisée à Paris, Londres ou New York pour se rendre compte du peu d'intérêt général par rapport à ces musiques. Ma manière de faire est d'amener cette touche de musique improvisée, d'abstraction, d’humour, dans des musiques qui vont de la pop au rock, de l’electro à la poésie, sans me « vendre », sans concessions, mais toujours avec musicalité. C'est pour cela que je me suis retrouvé à jouer avec des gens et des groupes aussi variés que Mendelson, Herman Düne, Akosh S. Unit, Prohibition, The Big Crunch Theory, Villeneuve, Dragibus, La Vierge de Nüremberg, etc. : finalement, je suis un peu la cerise sur le gâteau.
Philippe Robert © Le son du grisli / Agitation Friite.
Entrechoc : Aux antipodes de la froideur (Trace / Bloc Thyristors, 2018)
Cette chronique de disque est l'une des soixante-dix que l'on trouvera dans le quatrième numéro papier du son du grisli. Qu'il faut commander, et même : dès maintenant !
C’est là – après Brigantin (avec Conrad et Johannes Bauer et Barry Guy) et L’étau (avec Keith Tippett, Michel Pilz et Paul Rogers) – la troisième (et dernière, faut-il croire) belle boîte de tissu estampillée Trace / Bloc Thyristors à renfermer des associations nées dans l’esprit de Jean-Noël Cognard, batteur qui improvise mais, d’abord : organise.
Organiser : pour un improvisateur, qu’est-ce à dire ? C’est qu’il en faut, des improvisateurs qui ne font pas qu’improviser sur demande, contre cachet, etc. Mais qui organisent aussi. Et qui imaginent, même : des associations nouvelles, respectueuses (de ce qui a été fait plus tôt) et concrètes enfin. L’organisation n’interdisant pas l’inspiration, c’est donc là, pour la troisième fois, une boîte de couleur qui en contient combien d’autres ? Non pas 5, mais au moins 5 au carré ; ce qui nous fait 25… bien. Or, à bien compter, puisqu'il faut toujours compter désormais et partout, on est en fait encore loin du compte.
Car d’une couleur à l’autre – voilà enfin (troisième paragraphe) les intervenants qui ici font impression : Michel Pilz (clarinette basse), Mark Charig (trompette), Quentin Rollet (saxophones), Marcio Mattos (contrebasse et violoncelle) et Jean-Noël Cognard (batterie) –, des rapprochements sont envisagés, qui bientôt « bavent ». Or, c’est dans la bave que l’amateur de musique créative trouve généralement son compte : dans le son de trop comme dans le silence : quelle est la différence ? Moins souvent dans l’accord tandis qu’il se fait entendre ; jamais, ou presque, dans l’unisson.
Ravi donc, l’amateur. Pour ce qui est des couleurs : bleu de Sienne (le jazz créatif des années 1960), ocre de Provence (c’est l’improvisation, au soleil, chapeau de paille jusqu’au nez), noirs de partout (ce que c’est qu’un tempérament, il faudra faire avec). Alors le quintette va : deux jours passés en studio en 2017 à Chatenay-Malabry et puis un concert donné un peu plus tard aux Instants Chavirés. A chaque fois, disques noirs ou disque rouge, c’est le fruit d’un compagnonnage Cognard, d’une confrérie non pas du souffle mais de la claque, qui vaut caresse – allez expliquer ça aux curetons de la « société civile ». Et puis non, n’allez pas expliquer, soyez à la hauteur de ce que vous avez entendu : gardez ça pour vous, et pour eux encore davantage. [gb]
Quentin Rollet, Jean-Marc Foussat, Christian Rollet : Entrée des puys de grêle (Bisou / Fou, 2018)
Le son du grisli entame donc la deuxième semaine d'une semaine française, à l'occasion de la parution du deuxième volume d'Agitation Frite de Philippe Robert. Après Richard Pinhas, Romain Perrot, Jean-Jacques Birgé et Jean-Marie Massou, c'est un trio de choix...
On ne dira rien de la relation particulière qui unit Christian et Quentin Rollet – il faudra aller lire Agitation Frite 2 (ou la deuxième phrase de cette chronique) pour en apprendre davantage. En février 2017, en présence de Jean-Marc Foussat, père et fils se retrouvaient donc – très bien : l’un, batteur du légendaire Workshop de Lyon et fondateur de l’ARFI, est le père de l’autre, qui a pu frayer avec David Grubbs, The Red Krayola ou Nurse With Wound : c’est ainsi le premier qui « alimentait » le feu de la marmite musicale (infernale ?) où le second a longtemps baigné.
Ces trois pièces nous rapportent donc les bruits d’une réunion de famille dont un arbitre vient changer les habitudes. Lointaine, et sur grand écho, la voix de Foussat raconte les premiers gestes : de la mise en place à la lutte programmée – sopranino et batterie rivalisant d’inventions et de coups portés –, c’est un free réinventé sur équipement past-moderne. « Hajime », dit ensuite l’AKS sans réussir à provoquer la première attaque : des propositions sont alors faites, auxquelles le saxophone alto répond ; plus loin, ce sera la batterie, qui impulse aux musiciens un air d’indien contrarié ou de sévère emportement – alors le sopranino est de retour, et tout finit par s’apaiser.
Assomé mais heureux, l’auditeur attend la suite : une batterie roule, ça tombe bien. L’alto s’y adapte quand le synthétiseur frotte à l’arrière – c’est une combinaison suspecte, donc, et pour tout dire : un fourre-tout sonore que les trois hommes – maintenant complices – transforment en corps capable de mouvement. Les voix (Foussat, mais aussi Rollet fils) qui en proviennent vous environnent et les divers battements vous obligent – j’aime le son du corps au fond des puys. Battre en retraite est une possibilité ; couper le son en est une autre. Or, on suit l’équipe et sa débauche de trinité ; Foussat en sain d’esprit, c’est pas tous les jours. Remerciements à la famille.
Quentin Rollet, Jean-Marc Foussat, Christian Rollet
Entrée des puys de grêle
Bisou / Fou, 2018
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Paw Music : Depositio de lixo garbage house (Ronda, 2010)
Ces adeptes de Paw Music ont des pseudonymes peu communs : Q (pour Quentin Rollet qui joue du saxophone, trifouille des objets et vocalise), ÉN (pour Pál Tóth qui joue avec ses dispositifs électroniques, trifouille des objets et vocalise) et AHAD (pour Zsolt Sorés qui joue du violon, trifouille des objets et vocalise). Le trio peut parfois accueillir HEyeRMEarS (pour Jozef Cseres, qui vocalise sans trifouiller).
Maintenant la Paw Music… A l’écoute du disque, on pourrait la définir de mélange expérimental foutraque. Le saxophone agresse des oiseaux électroniques, ces oiseaux-là se font abattre par des vents terrifiants, un larsen pointe de temps à autre le bout de sa lance, le même sax free sec pour lutter contre des créatures sorties tout droit d’un jeu d’arcades… Le résultat de tout ça est parfois heureux, parfois brouillon et parfois malheureux (l’électronique peut être d’un kitsch commun). La Paw Music, ce serait donc ça : un air de danse folle, heureux puis triste, triste puis heureux ?
Paw Music : Desposito de lixo garbage house (Ronda / Metamkine)
Enregistrement : 2002. Edition : 2010.
CD : Paw Music
Pierre Cécile © Le son du grisli