Christian Marclay, Okkyung Lee : Amalgam (Northern Spy, 2016)
Enregistré au printemps 2014 au Café Oto, c’est la rencontre d’un violoncelle et de platines – une dizaine d’années auparavant, c’était au Tonic de New York qu’Okkyung Lee et Christian Marclay avaient enregistré ensemble ce Rubbings consigné sur un des volumes de From the Earth to the Spheres, série de splits sur lesquels on trouvait à chaque fois My Cat Is An Alien.
En ouverture, c’est un vinyle retourné contre un archet qui gratte et même parfois coince. La suite rappellera le conseil donné par Marclay dans les notes de pochette qu’il signa pour Anicca, autre duo de Lee : « Beware, this is scarry stuff » – avant celui-ci, on trouvait la liste de sons étranges (noms pour la plupart tirés de verbes, donc d’actions) allant de « buzzing » à « whooping » ; après quoi, Marclay reconnaissait que les mots sont parfois pauvres pour décrire ce que peut receler un disque.
En français, on fera le même constat au son de ces crépitements et de ces boucles, de ces vrombissements et de ces glissades, de ces chuintements opposés à de beaux effets de pleurage, de ces rythmes incongrus que l’archet cherche presque aussitôt à enfouir, enfin de cet hymne branlant qui, au couple, servira d’impressionnante conclusion. Au temps d’Anicca, Marclay l’avait bel et bien saisi : la musique de Lee prend forme dans le verbe ; il ne lui restait qu’à suivre le mouvement.
Okkyung Lee, Christian Marclay : Amalgam
Northern Spy
Enregistrement : 25 avril 2014. Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ Amalgam
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Evan Parker : Seven (Victo, 2014) / Sant’Anna Arresi Quintet : Filu ‘e Ferru (2015)
Sur la pochette de ce disque, lire cet aveu d’Evan Parker : « Mon art de la composition consiste à choisir les bonnes personnes et à leur demander d’improviser. » Au 30e Festival de Musique Actuelle de Victoriaville, le 18 mai 2014, le saxophoniste donnait un concert en compagnie de Peter Evans (trompettes), Ned Rothenberg (clarinettes et shakuhachi), Okkyung Lee (violoncelle), Ikue Mori (électronique), Sam Pluta (électronique) et George Lewis (électronique et trombone). « Ceux-là sont les bonnes personnes », précisait-il.
C’est l’électronique qui se chargea d’abord d’arranger l’espace que l’ElectroAcoustic Septet aura tout loisir d’explorer : une forêt de sons brefs sous laquelle ont été creusé combien de galeries. Les musiciens s’y rencontreront, à deux, trois ou davantage, dans un jeu de poursuites ou au gré de conversations affolées. Ainsi aux notes hautes d’Evans et Lee, Rothenberg répondra ici par un motif grave et ramassé ; ailleurs, aux imprécations de l’électronique (dont les effets ne se valent pas tous), les souffleurs opposeront un alliage autrement expressif…
Mais à force de frictions, le terrain s’affaisse parfois et les plafonds de la galerie menacent. Et quand les vents ne retrouvent pas le chemin de l’air libre (ici le soprano de Parker, là le trombone de Lewis), les secondes peuvent paraître longues, aussi longues qu’elles sont bien remplies.
Evan Parker : Seven (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 mai 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Seven-1 02/ Seven-2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Moins nombreux, les musiciens à entendre sur Filu ‘e Ferru – Evan Parker (au ténor), Peter Evans (trompettes), Alexander Hawkins (piano), John Edwards (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), enregistrés début 2015 au festival de jazz de Sant'Anna Arresi, en Sardaigne – improvisèrent sous le nom de Sant’Anna Arresi Quintet. Sept fois, et dans le champ d’un jazz assez « cadré », l’association profite de l’accord que trouvent Parker, Evans et Edwards, qu’ont malheureusement du mal à saisir les délayages d’Hawkins et l’abattage de Drake.
Evan Parker : Filu ‘e Ferru (2015)
CD : 01/ Filu 1 02/ Filu 2 03/ Filu 3 04/ Ferru 1 05/ Ferru 2 06/ Ferru 3 07/ Ferru 4
Enregistrement : 2 janvier 2015. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Rhodri Davies, John Butcher : Routing Lynn (Ftarri, 2014) / Mark Fell : A Pattern for Becoming (The Tapeworm, 2015)
Ce sont trente-cinq minutes d’exception que renferme Routing Lynn, disque enregistré en concert (14 mars 2014) par John Butcher (saxophones amplifiés ou non) et Rhodri Davies (harpes) sur la lecture d’une composition quadriphonique de Chris Watson – faite déjà de Butcher et de Davies (éléments plus tôt glanés en concert à Routing Lynn) en plus d’environnements.
Ainsi aux pépiements et sifflements d’oiseaux affolés, Butcher oppose des souffles inattendus et Davies des vibrations qui, les uns comme les autres, semblent faire effet sur la bande enregistrée. C’est dire la force des réactions des musiciens : leurs longues notes tenues ou leurs vifs échanges proposant un chapelet d’extensions éphémères à la pièce de Watson. Sous l’effet de parasites agissant (et créatifs), la voici bel et bien agitée.
Rhodri Davies, John Butcher
Routing Lynn (extrait)
Rhodri Davies, John Butcher
Routing Lynn (autre extrait)
Rhodri Davies, John Butcher : Routing Lynn (Ftarri / Metamkine)
Enregistrement : 14 mars 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Routing Lynn
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
On retrouve Rhodri Davies sur une cassette Tapeworm contenant deux interprétations d’A Pattern for Becoming, pièce pour sept enceintes mouvantes et un soliste signée Mark Fell. Le 22 janvier dernier, le harpiste réagissait ainsi aux signaux de l’environnement qu’on avait préparé pour lui à la Blue Room de la Royal Festival Hall : ainsi les cordes – tremblantes, pincées ou vibrantes – délimitent-elles un irrésistible champ magnétique. Sur l’autre face c’est, au même endroit mais deux mois plus tard, Okyung Lee qui rayait à l’archet cette partition de signaux avant d’en faire fléchir le volume dans de grands et beaux gestes.
Mark Fell, Rhodri Davies, Okkyung Lee : A Pattern for Becoming (The Tapeworm / Touch Shop)
Enregistrement : 22 janvier 2015 & 26 mars 2015. Edition : 2015.
Cassette : A/ A Pattern For Becoming, with Rhodri Davies – B/ A Pattern For BEcoming, with Okkyung Lee
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Festival Météo [2015] : Mulhouse, du 25 au 29 août 2015
Cette très belle édition du festival Météo vient de s'achever à Mulhouse. Petit florilège subjectif.
Le grain de voix. Rauque, granuleuse, grave, éructante, crachant tripes et boyaux, poilue. C'est la voix d'Akira Sakata, monument national au Japon, pionnier du free jazz dans son pays. Ce septuagénaire est peu connu en France. C'est un des génies de Météo que de faire venir de telles personnalités. Au saxophone, Akira Sakata oscille entre la fureur totale et la douceur d'un son pur et cristallin. A la clarinette, il est velouté. Et, quand il chante, on chavire. Il y a du Vyssotski dans cette voix, en plus sauvage, plus théâtral. On l'a entendu deux fois à Mulhouse : en solo à la chapelle Saint-Jean et lors du formidable concert final, avec le puissant batteur Paal Nilssen-Love et le colosse contrebassiste Johan Berthling. Ils forment le trio Arashi, qui veut dire tempête en japonais. Une météo qui sied au festival.
La brosse à poils durs. Andy Moor, guitariste de The Ex, brut de décoffrage, fait penser à un ouvrier sidérurgiste sur une ligne de coulée continue. En guise de plectre, il utilise parfois une brosse à poils durs, comme celles pour laver les sols. Un outil de prolétaire. Son complice, aux machines, est Yannis Kyriakides (un des électroniciens les plus convaincants de cette édition de Météo). Il lance et triture des mélodies de rebétiko. Des petites formes préméditées, prétextes à impros en dialogue. Un bel hommage à ces chants des bas-fonds d'Athènes, revisités, qui gagnent encore en révolte.
L'archet sur le saxophone. Lotte Anker a joué deux fois. Dans un beau duo d'improvisateurs chevronnés, avec Fred Frith, lui bidouillant avec des objets variés sur sa guitare, elle très inventive sur ses saxophones, jouant même par moment avec un archet, frottant le bord du pavillon, faisant résonner sa courbure. Elle s'est aussi produite en solo à la bibliothèque, dans la série des concerts gratuits pour enfants (encore une idée formidable de Météo), sortant également son archet, et accrochant les fraîches oreilles des bambins.
Le naufrage en eaux marécageuses. Les trois moments ci-dessus sont des coups de cœur, vous l'aurez entendu. Affliction, par contre, lors du deuxième concert de Fred Frith, en quartet cette fois, le lendemain, même heure, même endroit (l'accueillant Noumatrouff). Et – hélas –, mêmes bidouillages que la veille, en beaucoup moins inspiré, sans ligne directrice, sans couleur, si ce n'est les brumes d'un marécage. Barry Guy, farfadet contrebassiste qu'on a eu la joie d'entendre dans trois formations, a tenté de sauver l'équipage de ce naufrage moite.
Les percussions du 7e ciel. La chapelle Saint-Jean, qui accueille les concerts acoustiques (tous gratuits), est très souvent le cadre de moments musicaux de très haute tenue, sans concession aucune à la facilité. Pour le duo Michel Doneda, saxophone, et Lê Quan Ninh, percussions, la qualité d'écoute du public était à la hauteur du dialogue entre les deux improvisateurs. La subtilité, l'invention sans limite et la pertinence de Lê Quan Ninh forcent l'admiration. D'une pomme de pin frottée sur la peau de sa grosse caisse horizontale, de deux cailloux frappés, il maîtrise les moindres vibrations, et nous emporte vers le sublime.
Et aussi... Le batteur Martin Brandlmayr, avec sa batterie électrique : son solo était fascinant. Le quartet Dans les arbres (Xavier Charles, clarinette, Christian Wallumrød, piano, Ingar Zach, percussions, Ivar Grydeland, guitare), totalement extatique. Le quartet d'Evan Parker, avec les historiques Paul Lytton, batterie, et Barry Guy, contrebasse, plus le trompettiste Peter Evans, qui apporte fraîcheur, vitalité et une sacrée présence, sous le regard attendri et enjoué de ses comparses. La générosité de la violoncelliste coréenne Okkyung Lee, qu'on a appréciée trois fois : en duo furieux avec l'électronique de Lionel Marchetti, en solo époustouflant à la chapelle, et dans le nonet d'Evan Parker : elle a été une pièce maîtresse du festival, animant aussi un des quatre workshops, pendant une semaine. Les quatre Danoises de Selvhenter, enragées, toujours diaboliquement à fond et pire encore, menées par la tromboniste Maria Bertel, avec Sonja Labianca au saxophone, Maria Dieckmann au violon et Jaler Negaria à la batterie. Du gros son sans finesse, une pure énergie punk. Et, dans le même registre, les Italiens de Zu : Gabe Serbian, batteur, Massimo Pupillo, bassiste et Luca Tommaso Mai, saxophone baryton : un trio lui aussi infernal, qui provoque une sévère transe irrésistible.
Festival Météo : 25-29 août 2015, à Mulhouse.
Photos : Lotte Anker & Fred Frith / Lê Quan Ninh
Anne Kiesel @ le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #14
Bielefeld, 118 mètres d'altitude. Là, le trio Leimgruber / Demierre / Phillips était attendu le 12 mai dernier. Pour y jouer, au Bunker Ulmenwall.
12 mai, Bielefeld, Allemagne
Bunker Ulmenwall
- The Bunker U. Played there a few times these past years, with Urs and Jacques, also with Malcom Goldstein. Wolfgang, the main man these past 20 years or so and who is still hanging in there tho it seems that he is not as much in charge as in the old days, was present and reminiscing. He and another face from the "old" days looking through the books and their own memories. "Oh Barre, do you remember playing here in 1974 with Paul & Limpe Fuchs?" Actually I don't. I do, of course remember Paul & Limpe and that we shared a few stage adventures we shared together 40 some years ago. I wonder what they're doing now? But these old fans, who ran the organizations that could put on concerts of the music of their choice... are slowly disappearing. Heinz Bonsack. Early 70's in the Ruhrgebiet. Heinz was a successful dentist who lost his parents during WW-2. During the war he kept his sanity together and hope in his heart aided by his sole possession, a 78 rpm jazz recording (I can't remember of which group). Taking care of this breakable disk became his purpose and Dada during that impossible time. After the war an uncle took charge of the family and dealt out orders to the younger members of what they should do. "Heinz, you will be a dentist." And Heinz followed orders, went to school etc.etc. and by the early 70's had made a success of it. So he started to "pay back" the spirit and force that had sustained him throughout the war. He started to organize concerts (and pay the deficits). I seem to recall the young Kurt Renker being a kind of "advisor" in terms of programming. And it was Free Jazz and other flavors that huddled around that jazz of the day that he programmed. He had a huge house and part of the deal was that you stayed there, for a day or two. And during the time in his house he was constantly taking photos, bits of film, of the invited musicians. Filming and or recording the concerts hadn't started yet. But Heinz was documenting the musicians stayiing in his house. He explained that he did it for his old age, when he would retire. To be able to listen to his vast collection of jazz LP's and look at the photos of all the musicians who had stayed at his house and whom he had filmed as they drank their way through his well stocked, quality liquor cabinet and wine cellar. He even re-did Stu Martin's entire mouth for free. A really loveable character. But that spirit, of giving a lot of time and money to jazz by producing it, seems to be dying out. Young people who have the energy, the will, the possibility to make things happen on their local music scene and do must be elsewhere than in contemporary jazz and free improvisation. Cycles - Times - No regrets. And the next train was early in the morning.
B.Ph.
Der Bunker Ulmenwall besteht seit 1956 und zählt zu den ältesten Jazzclubs der Nachkriegszeit in Deutschland. Die Aktivitäten des Bunkers sind Teil der städtischen Kultur- und Jugendförderung. In den frühen 70er Jahren hat hier fast die ganze internationale crème de la crème des Free Jazz gespielt. Mein erstes Konzert im Bunker führt auf eine meiner ersten Auslandtourneen 1974 mit der Gruppe „OM“ zurück. Seither hatte ich immer wieder die Möglichkeit aktuelle Projekte vorzustellen. Über lange Jahre hatte der WDR zahlreiche Konzerte im Bunker aufgezeichnet, historische Momentaufnahmen improvisierter Musik.
Der Konzertraum des Bunkers, eine ehemalige Untergrundstation, umfasst verschiedene, offene Räume, die nicht voneinander abgetrennt sind. Die Musiker spielen in der Mitte.
Die Ressonanz und die Halleinheiten im Raum unterscheiden sich, sie verändern sich, indem ich Richtung des Klangs beeinflusse. Das Publikum sitzt auf drei verschiedenen Seiten.
Eine neue Situation. Ein anderes Publikum. Wir spielen nicht in der gewohnten Aufstellung, denn das Klavier lässt sich nicht anders positionieren. Es steht da wo es steht.
Barre steht weder links noch rechts. Er steht gegenüber von Jacques und mir. Durch diese Positionierung entsteht eine andere Hörsituation. Wir spielen ein einstündiges Konzert. Ein langes Stück mit kurzen Unterbrüchen. Im Anschluss machen wir eine ungewohnte Pause, um uns nochmals von neuem auf dem Raum einzulassen. Danach spielen wir als Fortsetzung einen zweiten Teil. Die Zuhörer nehmen aufmerksam am musikalischen Prozess teil. Wolfgang Gross, seit 20 Jahren Verantwortlicher für das Programm im Bunker meint zum Schluss: „Bei solchen Konzerten wie heute Abend weiss ich wieso ich solche Konzerte organisiere. Die Arbeit und das Engagement durch die Musik wird voll und ganz belohnt“.
U.L.
La scène du Bunker Ulmenwall de Bielefeld est unique. A la fois peu commode et pourtant toujours agréablement surprenante. On y accède directement par une sorte d'arcade, une trouée dans le béton d'un couloir parallèle au bar et l'on s'y retrouve directement entouré par le public. Comme à chaque concert avec piano, les spectateurs sont assis de part et d'autre du K. Kawai, GS-40, 1791005, soigneusement parqué ce soir contre l'unique mur de scène. Je tourne le dos à une partie du public et je regarde l'autre droit dans les yeux. Un modèle d'instrument supérieur, plus long, n'aurait pas trouvé place sur cette petite scène. La position du trio est légèrement différente du fait de l'exiguïté de l'espace. Le saxophone est en partie caché par le flanc droit du piano japonais et son absence visuelle affecte mon écoute. Pour autant les corps de Barre et Urs sont plus présents que jamais, démultipliés par un large miroir accroché au mur, au-dessus de l'entrée de scène et par une multitude de surfaces miroitantes recouvrant plusieurs piliers qui rythment l'espace séparant le triptyque salle-scène-salle. En cours de balance, ces jeux de miroirs font surgir en moi, dans un souvenir parallèle, Okkyung Lee et Tchouang Tseu, deux noms que rien ne rapproche, si ce n'est leur sonorité asiatique à mes oreilles européennes. J'avais capturé l'image réfléchie et sud-coréenne de Okkyung, il y a deux ou trois ans, avant un concert en duo dans ce même lieu, où nous avions ôté le couvercle du piano et joué face à face, piano découvert contre violoncelle, faisant ainsi sonner, yeux dans les yeux, une croix formée par l'alignement des instruments et les regards croisés des spectateurs. Le regard de quelqu'un qui écoute, public ou musicien, est toujours troublant : à la fois présent et absent, comme si il était là pour garder un secret inconnu de lui-même - l'anagramme n'est sûrement pas fortuite -, là comme la trace d'un éblouissement intérieur face au vide dont parle précisément le philosophe chinois Tchouang Tseu, quand il associe esprit et miroir pour évoquer le vide de l'esprit accompli, qui tel le miroir, ne conserve rien n'y n'anticipe quoi que ce soit. Un vide qui permet de puiser dans l'infini des possibles et de réagir spontanément aux situations nouvelles qui se présenteraient. Cinq jours après le concert à Bielefeld, j'ai trop attendu. Le vide manque pour parvenir à terminer ce texte dans un même geste spontané que ceux qui ont accompagné mes précédentes contributions au carnet de route. Car ces courts textes, ces photos sont inséparables de leur moment d'origine. Proposé initialement par Guillaume Belhomme, le principe du carnet de route a progressivement et organiquement pénétré la tournée Listening, en ajoutant au parcours dessiné par l'enchaînement des concerts, comme une extension aux sons du trio, un entrelacs polyphonique de commentaires personnels et d'images. Et là aussi, comme cela a toujours été le cas pour notre musique, privilégiant la surprise et la découverte commune dans l'instant, sans que nous en parlions ensemble.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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The Pitch : Xenon & Argon (Gaffer, 2015) / Frozen Orchestra (Amsterdam) (Sofa, 2015)
Attention, quatuor inusité à l’horizon pour musique sublim(inal)e. Décliné en deux étapes où la basse, le vibraphone, l’harmonium et la clarinette tournent incessamment autour du point d’équilibre, et c’est pour souvent atteindre la grâce, Xenon & Argon du collectif The Pitch expose en deux langoureuses mélopées un attachement indicible à la micro-mélodie, mais aussi au drone, et il est tout en doigté introspectif.
Autour d’harmonies aussi étranges que sublimes, Morten Olsen, Koen Nutters, Boris Baltschun et Michael Thieke jouent avec nos perceptions sonores, qu’ils se plaisent à titiller à l’envi. Hors de toute sérénité malveillante, ils font grincer leurs instruments juste ce qu’il faut sur les 18 minutes de Xenon, même si le second titre, Argon, s’épanche avec moins d’originalité, en un épisode où le drone est marqué de l’empreinte hypnotique de Luigi Dallapiccola rencontrant My Cat Is An Alien et Peter Rehberg.
The Pitch : Xenon & Argon (Gaffer Records)
Edition : 2015
LP : 01/ Xenon 02/ Argon
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Le Frozen Orchestra, c’est The Pitch avec des invités, et pas des moindres : Lucio Capece, Johnny Chang, Robin Hayward, Chris Heenan, Okkyung Lee et Valerio Tricoli. Sur le drone d’harmonium il y a donc du monde, mais les choses se passent bien, si bien que les instruments acoustiques se confondent rapidement pour « densifier » l’architecture grandiose de ce live. Amateurs de drones et d’électroacoustique vibratoire, Frozen Orchestra (Amsterdam) est fait pour vous.
The Pitch : Frozen Orchestra (Amsterdam) (Sofa)
Enregistrement : 26 février 2012. Edition : 2015.
CD : 01/ Side A 02/ Side B
Pierre Cécile © Le son du grisli
Bill Nace, Okkyung Lee, Chris Corsano : Live at Stone (Open Mouth, 2015)
En plus d’augmenter d’un live le catalogue Open Mouth – qui édita plus tôt Live at Jack et Live at Spectacle –, cet enregistrement d’un concert donné à New York le 10 mai 2014 l’enrichit. Au Stone, étaient alors réunis Okkyung Lee, Bill Nace et Chris Corsano.
Sans détours, la rencontre des cordes (violoncelle, donc, et guitare électrique) opère dans les aigus quand la batterie, en arrière-plan, promet d’attiser tensions et points de friction. Divers (insistance de l’archet-scie, médiator agaçant les micros et baguettes au rebond), les artifices s’accorderont en première face sur une sirène à deux temps née d’un retour d’ampli.
C’est le bruit d’un jack que l’on branche qui ouvre la seconde face. Effleurant les cordes au niveau du chevalet, Nace met au jour des parasites-satellites qui graviteront autour de la rumeur grave entretenue par le violoncelle. C’est là l’ouverture seulement, puisque Corsano déplace la badinerie sur le champ grondant de l’improvisation bruitiste. Une improvisation dont les mailles, inextricables, ne permettent aux larsens ni aux répétitions d’envisager aucun solo. Leur réseau impressionnerait de toute façon toujours davantage par sa solidité et sa cohérence.
Bill Nace, Okkyung Lee, Chris Corsano : Live at Stone (Open Mouth)
Enregistrement : 10 mai 2014. Edition : 2015.
LP : A-B/ Live at Stone
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Frank Gratkowski, Achim Kaufmann, Wilbert de Joode, Okkyung Lee, Richard Barrett, Tony Buck : Skein (Leo, 2014)
Le 5 mai 2013, Okkyung Lee, Richard Barrett et Tony Buck, permirent au trio que forment Frank Gratkowski, Achim Kaufmann et Wilbert de Joode – dont le plus bel ouvrage est sans doute Palaë – de devenir sextette.
Si le nombre de musiciens est pair désormais, il n’assure pas pour autant l’équilibre nécessaire à l’improvisation. D’autant que les intentions divergent : les belles sonorités mises au jour par Lee ou Buck pâtissant ici d’une intervention de Barrett (dont on regrette souvent la désuète esthétique), là du romantisme débridé de Kaufmann. Et puis, les six pièces improvisées suivent les envies aussitôt faites nécessités de Gratkowski : noires et contemplatives (quand le souffleur prend plaisir à ramper) ou hâtivement constructivistes (quand il sacrifie toute subtilité à la verticalité). Si l’effectif du groupe a doublé, ce n’était donc que pour produire un enregistrement en demi-teinte.
Gratkowski / Kaufmann / Joode, Okkyung Lee, Richard Barrett, Tony Buck
Skein (extrait)
Frank Gratkowski, Achim Kaufmann, Wilbert de Joode, Okkyung Lee, Richard Barrett, Tony Buck : Skein (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 5 mai 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Tycho 02/ Axoneme 03/ Schacht 04/ Adze 05/ Limation 06/ Thrum
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Edwards, Lee : White Cable, Black Wires (Fataka, 2013) / Carrier, Lambert, Edwards, Beresford : ...to The Vortex (Not Two, 2013)
25 mai 2011, Welsh Chapel, Londres. Cinq improvisations contrebasse / violoncelle découperont à force d’applications appuyées (John Edwards, Okkyung Lee) et l’un et l’autre instrument.
De jeux de question-réponse en champs libres, Edwards et Lee vont et viennent, cognent et scient ; faisant parfois même le dos rond (scie à archet alors tenue à l’envers), fendent avec une autre efficacité, débitent avec un autre panache un bout de bois et de cordes dont les éclats percent sur partition. De celle-ci, le sujet est les dissensions que l’urgence impose et que White Cable, Black Wires répond gère à force d’acharnements qui impressionnent.
John Edwards, Okkyung Lee
WCBW III
John Edwards, Okkyung Lee : White Cable, Black Wires (Fataka / Metamkine)
Enregistrement : 25 mai 2011. Edition : 2013.
CD : 01-05/ WBCW I - WBCW V
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Le duo Carrier / Lambert associée à la paire Edwards / Beresford : l’occasion date du 6 décembre 2011 (concert donné au Vortex de Londres). Dans l’ombre, les tensions feront et déferont l’improvisation : l’alto évoluant, avec une légèreté de contraste, sur les passes de cordes et de batterie, avant de bouillir sous l’effet d’un motif répété par Edwards. Quelques flottements ici ou là, mais les relances sont souvent irrésistibles.
François Carrier, Michel Lambert, John Edwards, Steve Beresford : Overground to The Vortex (Not Two)
Enregistrement : 6 décembre 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Mile End 02/ Bow Road 03/ Archway 04/ Barkingside
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Peter Brötzmann : Long Story Short (Trost, 2013)
Cinq disques en coffret reviennent sur l’Unlimited Festival de Wels, qui s’est tenu du 3 au 6 novembre 2011. Quatre journées dont le curateur était Peter Brötzmann, qui put choisir de jouer (en formations régulières, parfois augmentées) ou de garder le silence.
Respectant la programmation, les plages des disques délivrent les unes après les autres des extraits de concerts parlants – non pas de l’évolution du jeu de Brötzmann, mais de son endurance et de sa capacité à provoquer encore. Sonore rompant l’attente le long d’un axe brisé dévoile sans attendre l’intérêt que trouve Brötzmann dans le trio : brillant en Full Blast (avec Marino Pliakas et Michael Wertmueller), il se montre néanmoins différemment inspiré avec Masahiko Satoh (piano) et Takeo Moriyama (batterie), Michiyo Yagi (koto) et Tamaya Honda (batterie), Eric Revis (basse) et Nasheet Waits (batterie), Jason Adasiewicz (vibraphone) et Sabu Toyozumi (batterie) – rencontre qui dit le mieux que, même de Brötzmann, un souffle peut être vain.
A quatre, le saxophoniste trouve un équilibre plus sûr : avec Bill Laswell, Maâllem Mokhtar Gania et Hamid Drake sous humeur exotique ; en Hairy Bones ensuite (avec Paal Nillsen-Love, Massimo Pupillo et Toshinori Kondo) en éternel jeune-homme ravi d’en découdre. En bande plus solide encore – Chicago Tentet augmenté de John Tchicai ou de Michiyo Yagi –, Brötzmann conduit une plage faite autant de réflexions collégiales que de free frontal puis une autre que se disputent des ombres imposantes à l’occasion d’un engageant Concert for Fukushima.
Lorsqu’il garde le silence, Brötzmann écoute : la lente dérive des cordes de Michiyo Yagi, Okkyung Lee et Xu Fengxia ; Maâllem Mokhtar Gania donner, au gambri, le la au quartette qu’il forme avec Joe McPhee, Fred Lonberg-Holm et Michael Zerang ; le DKV Trio faire œuvre d’entêtement en compagnie de Mats Gustafsson, Pupillo et Nilssen-Love ; Gustafsson, encore, subir avec intelligence de riposte les assauts électroniques de dieb13 et Martin Siewert ; McPhee, encore, croiser le souffle avec Mars Williams et Jeb Bishop ; Keiji Haino ou le Caspar Brötzmann Massaker faire œuvres noires de plaisir solitaire et d’incantations électriques. La rétrospective n’aurait pu être plus complète ni son éclectisme plus révélateur des vues musicales qui animent aujourd’hui Peter Brötzmann.
Peter Brötzmann... : Long Story Short (Trost)
enregistrement : 3-6 novembre 2011. Edition : 2013.
5 CD : CD1 : Sonore / Chicago Tentet with John Tchicai / Michiyo Yagi, Okkyung Lee, Xu Fengxia / Peter Brötmann, Masahiko Satoh, Takeo Moriyama – CD2 : Joe McPhee, Maâllem Mokhtar Gania, Fred Lonberg-Holm, Michael Zerang / Peter Brötzmann, Michiyo Yagi, Tamaya Honda / Peter Brötzmann, Jason Adasiewicz, Sabu Toyozumi / dieb13, Mats Gustafsson, Martin Siewert – CD3 : Keiji Haino / Peter Brötzmann, Bill Laswell, Maâllem Mokhtar Gania, Hamid Drake – CD4 : Jeb Bishop, Joe McPhee, Mars Williams, Jason Adasiewicz, Kent Kessler, Tamaya Honda / Hairy Bones / Masahiko Satoh / Chicago Tentet with Michiyo Yagi – CD5 : Peter Brötzmann, Eric Revis, Nasheet Waits / DKV Trio with Mats Gustafsson, Massimo Pupillo, Paal Nilssen-Love / Full Blast / Caspar Brötzmann Massaker
Guillaume Belhomme © le son du grisli