Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

My Cat Is An Alien, Joëlle Vinciarelli : > Eternal Beyond > (Arsenic Solaris, 2016)

my cat is an alien joelle vinciarelli eternal beyond

Pas assez d’être deux, pour Maurizio et Roberto Opalio. Ni d’être frères, à en croire les rencontres opérées ces dernières années sur disques par My Cat Is An Alien : Jackie-O Motherfucker, Thurston Moore, Jim O’Rourke, Okkyung Lee et Christian Marclay… dans la série From the Earth to the Spheres ; plus récemment Keiji Haino, Mats Gustafsson, Steve Roden ou Nels Cline. Cette fois, c’est Joëlle Vinciarelli (Talweg, La Morte Young) qu’ils ont rencontrée, non loin du Village Nègre du Col de Vence.

Comme par enchantement, l’échange (quatre jours de studio) a accouché de rumeurs musicales qui, toutes, épousent le modelé karstique. Pétri de noire métaphysique – Nietzsche et Emily Dickinson auraient, apprend-on, pu faire bon ménage –, les musiciens remuent un instrumentarium hétéroclite (piano droit, percussions, pédales d’effets et autre électronique… en plus d’instruments à cordes de leur fabrication) comme en souvenir du temps qu’ils sont en train de passer ensemble : là, des cris d’angoisse, ici comme une récitation ; ailleurs, un cuivre en peine contre l’union de cordes pincées et d’un sifflement électronique.

A même le rocher, le trio sculpte puis trace des signes dans lesquels on craindra de voir l’expression d’une menace au lieu des chemins qu’ils sont. Qui mènent à quelque univers parallèle – où le Ciel et la Terre s’y rejoignent au son d’Albert Ayler, nous indique le titre des morceaux – sur un air de manège oublié. Des chemins qui dérangent l’harmonie du premier paysage, avant de l’avaler. 

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My Cat Is An Alien, Joëlle Vinciarelli : > Eternal Beyond >
Arsenic Solaris
Edition : 2016.
LP : > Eternal Beyond >
Guillaume Belhomme  Le son du grisli

guillaume belhomme daniel menche d'entre les morts



Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.

musiques innovatrices 22 2014

Le festival intermittent – mais il s’agit tout de même de sa 22e édition ! – Musiques Innovatrices de Saint-Etienne est un peu parallèle à celui qui se tient en juillet, depuis 2001, à Marseille (MIMI). Il partage aussi avec lui le fait de se dérouler dans un lieu particulier. Les îles du Frioul pour ce dernier, le cadre du Musée de la Mine pour le Stéphanois. Se déroulant pendant les derniers jours d’une année scolaire, un peu avant les épreuves du bac, il m’a rarement été possible de m’y rendre. La configuration d’un emploi du temps combiné au weekend de la Pentecôte fut favorable à une troisième visite à ces Musiques Innovatrices.

Une programmation alléchante, sans être toutefois des plus avant-gardistes, motiva aussi ce déplacement de Strasbourg à Saint-Etienne. Certes, j’ai dû faire l’impasse sur la première soirée, qualifiée par l’organisateur de « soirée du souffle », souffle animé à la fois par les effluves issues du fado et de la bossa nova (Norberto Lobo et João Lobo) et les vents des Appalaches (Josephine Foster). Soirée qui suscita une forte adhésion.

La seconde se voulut plus aérienne, et servie avec un peu de psychédélisme, au fil de deux prestations. Celle du guitariste nîmois Thomas Barrière, suivie par celle que concoctèrent les deux italiens de My Cat Is An Alien. Devant un public quelque peu clairsemé, le premier sut remplir l’intéressante salle des pendus de la mine par des sons provenant d’une guitare à deux manches (douze et six cordes) et usant de divers procédés (frottages, dissonances, effets électroniques, ceux de la voix directement sur les cordes…) pour recréer une musique libre issue de détournement d’influences rock, blues voire arabisantes. Un peu plus tard, le concert de My Cat Is An Alien fut peut-être en-deçà des attentes. Fort d’une  bonne cinquantaine d’enregistrements sous tout format (et sans compter les albums solos et ceux parus sous d’autres noms), la formation des deux frères piémontais Maurizio et Roberto Opalio opère dans un style qu’elle qualifie de Psycho-System (coffret de six CD qui en détaille les divers aspects, sous les termes de delirium, catharsis, hallucination, enlightment…), une sorte de musique cosmique, générée ici principalement par les sons électroniques, offrant dans le déluge sonore quelques variations aux sonorités plus métalliques, parfois percussives et saccadées, mais qui rapidement semblent lasser une partie du public, laissant les autres sur leur faim.

my cat   konk

La troisième soirée s’annonça plus tellurique. Ce qui sied justement à cet endroit ouvert sur le ventre de la terre. En prélude et en fin d’après-midi, les festivaliers, plus nombreux que la veille, purent suivre la prestation de Toma Gouband pour un solo de lithophones et percussions. De grosses pierres et des cailloux plus petits étaient posés sur des cymbales et une grosse caisse. Et avec l’une ou l’autre de ces pierres, le musicien frottait, frappait les autres, esquissant des rythmes décalés qui s’interpénétraient, créant une atmosphère envoutante et curieusement aérienne. Peut-être un peu trop longue, la prestation perdit un peu de sa magie avec l’usage de la pédale de grosse caisse.

Le trio germano-britannique Konk Pack ouvrit la soirée par un set époustouflant, qui marqua la plupart des auditeurs, lesquels le considérèrent comme le climax du festival. Il est vrai que Tim Hodgkinson, Thomas Lehn et Roger Turner pratiquent leur improvisation de haut vol depuis une quinzaine d’années, forte de leur empathie et sans en bannir l’imprévisible. Armés l’un de sa guitare lapsteel, et accessoirement de sa clarinette, le second d’un synthétiseur analogique, et mus en permanence par l’impressionnant et imaginatif batteur, les musiciens créent une musique convulsive, tourbillonnante, électrique, alternant sauvagerie déferlante et accalmie parfois mélodique, une musique finalement très éruptive (un paradoxe dans un site minier…).

Plus prévisible fut le concert donné (en soliste) par Richard Pinhas. Un premier set d’une trentaine de minutes, un second d’une dizaine. Déclinant tous les deux des envolées étourdissantes nées du croisement de la guitare avec les ressources de l’électronique. Des sonorités parfois célestes pour lesquels on quittait l’environnement tellurique, d’autres plus incandescentes, entre terre et feu (on retrouve le côté éruptif de la prestation précédente !), ou plus majestueuses, les sons résonnant dans cette salle des pendus comme dans une cathédrale, dans laquelle les vêtements pendant des mineurs faisaient office d’exvotos ou de statuaires originales.

La Morte Young conclut cette troisième soirée. Les cinq musiciens, grenoblois, niçois et stéphanois conjuguèrent une musique qui partit d’un lent crescendo faussement planant pour aboutir à une saturation sonore bruitiste et bestiale, notamment par les effets de larsen, le travail sur les guitares et les diverses pédales (Thierry Monnier et Pierre Faure) sous-tendus par le batteur d’Eric Lombaert (Talweg), et le thérémine survolté de Christian Malfray et la voix de Joëlle Vinciarelli (Talweg). Plus onirique et apaisée fut la courte seconde pièce, bien que, elle aussi, s’acheva dans maelstrom étourdissant.

la morte young  lucio

Plus difficile de trouver un dénominateur commun à la quatrième et dernière journée de ces Musiques Innovatrices. Peut-être le souffle, si l’on associe le premier concert de l’après-midi (Lucio Capece) et le dernier avec son saxophone baryton (Joe Tornebene) ? Mais les deux autres… Finalement ce sera la journée des déambulations. Entre les lieux, entre les types de musique. Entre les lieux effectivement puisque le festivalier passa successivement de la salle des énergies vers celle des machines, avant de passer à l’auditorium et à la salle d’exposition. Entre les musiques aussi. La plus poétique fut celle que proposa Lucio Capece dans la salle des énergies : partant d’un souffle minimal cher aux adeptes du réductionnisme, il insuffla à sa musique une dimension particulière par l’emploi d’archet, ou de divers gadgets propres à varier les vibrations, avec des installations diverses, couplées ou non avec le saxophone, usant de petite boule, d’un ballon en déambulation, concoctant une mise en son de l’espace.

La salle des machines accueillit, elle, le duo Baise en ville, pour une confrontation entre une voix grave, usant d’onomatopées, de cris, de grognements (Natacha Muslera) et d’une guitare transpirant de sonorités sombres, de trituration des sons (Jean-Sébastien Mariage), s’inscrivant dans un univers d’improvisations plutôt rock, proposant, très occasionnellement, des passages plus évanescents, mais plus globalement dissonants et torturés. Sonar fut tout à fait différent. Plutôt rock aussi, ce quartet helvétique est une jeune formation (deux, trois ans) de vieux routiers, soit deux guitaristes (Stephen Thelen, Bernhard Wagner), un  bassiste (Christian Kuntner) – qui hantent la scène zurichoise depuis plus de deux décennies, en particulier le bassiste (Brom, Fahrt Art Trio, Kadash…) – et le batteur Manuel Pasquinelli, plus jeune et parfois en-deçà de la maitrise instrumentale de ses partenaires. Comme le suggère le nom de la formation, les quatre musiciens livrèrent une musique aux architectures sonores finement travaillées et ciselées, aux rythmes complexes, une musique percutante marquée par le sceau d’un rock progressif (Stephen Thelen aurait travaillé avec Robert Fripp !), aux lignes assez minimales et identifiables par l’usage d’accordages particuliers des deux guitares, une musique qui, au-delà de quelques riffs virevoltants, de quelques effets sur les cordes et de l’énergie qu’elle dégage, reste marquée par une approche calme, une sorte de lenteur suisse (cliché !), propre à illustrer le titre de leur troisième opus, Static Motion.

Un saxophoniste baryton quasi-inconnu eut la tâche de clore ces quatre journées de Musiques Innovatrices. Américain d’origine et lyonnais d’adoption, Joe Tornabene investit l’espace de la salle d’exposition en se déplaçant régulièrement, en proposant un travail sur le souffle continu et les sons multiphoniques. Un espace d’exposition qui fut, les trois premiers jours, investi par les installations de Thomas Barrière, faites de divers module, mobiles, avec des squelettes, répliques de bateaux à voile, mus par des ventilateurs et générant, bien sûr, des sons.

Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.
Photos : Bruno Meillier © Les proliférations malignes & Pierre Delange © Merzbow-Derek.
Pierre Durr © Le son du grisli


Arca, Mathias Delplanque, My Cat Is An Alien, Lee Ranaldo, Martin Vognsen, Bill Orcutt, Ramona Ponzini

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Arca : By the Window / By the Looking Glass (NovelSounds, 2010)
Arca est un duo constitué de Joan Cambon et de Sylvain Chauveau ; By the Window / By the Looking-Glass est leur quatrième projet commun. Un premier CD de chansons et un second CD d’instrumentaux inspirés par un vieux match de football. Une musique pas désagréable, qui ressasse ses influences (Tortoise, Talk Talk) et tourne en rond avec sans que cela ne nous dérange non plus.

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Mathias Delplanque : Passeports (Cronica, 2010)
Mathias Delplanque a enregistré des ambiances sonores dans plusieurs villes de France (Nantes, Dieppe, Lille) pour les utiliser sur Passeports. Parfois, cela fait penser à une musique de western (ou northern pour Dieppe et Lille). D’autres fois, des sons vous assaillent de toutes parts comme dans un immense hall de gare, et l’effet est percutant.

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My Cat Is An Alien, Ramona Ponzini, Lee Ranaldo : All Is Lost in Transition (Atavistic, 2010)
My Cat Is An Alien raffolent de collaborations. Sur All Is Lost in Transition, enregistré en 2008, ce sont Ramona Ponzini (chanteuse) et Lee Ranaldo (guitariste sonic culte) qui s’y collent. L’électronique ludique bouscule une vague planante de musique post-psyché (guitare à l’archet, drones et clochettes) et Ponzini récite des bouts de poèmes de Yosano Akiko : envoûtant même si plus tellement original.

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Martin Vognsen : King Hussein Bridge / Allenby Bridge Crossing Point (Jvtlandt, 2010)
Avec quelques amis (Yasuhiro Yoshigaki, Kumiko Takara…), le guitariste Martin Vognsen a imaginé State Changes According to a Wind, un grand projet dont deux premières parties ont paru en CD. King Hussein Bridge & Allenby Bridge Crossing Point sont deux invitations au voyage faits de field recordings et de la musique d’une formation guitare / vibraphone / batterie. Des ambiances de poste-frontières saupoudré de pop ou de folk, dans le meilleur des cas d’atmosphères nocturnes.

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Bill Orcut : A New Way To Pay Old Debts (Editions Mego, 2011)
Après la réédition vinyle Palilalia, la réédition CD Editions Mego. Si c’est Jean Dezert qui parle le mieux d’A New Way to Pay Old Debts de Bill Orcutt, encore fallait-il annoncer cette réédition CD, même en trois lignes… Voilà qui est fait !


My Cat Is An Alien : From The Earth To The Spheres Vol. 1 - Vol. 4 (Opax / Very Friendly, 2004)

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De la série de quatre albums partagés par My Cat Is An Alien et un invité, tirés chacun à une centaine d'exemplaires vinyl, rien de trouvable ne restait plus. Et vint l'idée fameuse de rééditer l'ensemble sur CD. Pour ne plus soupçonner jamais le rock expérimental de se satisfaire d'une poignée d'amateurs à l'affût de l'objet rare plutôt qu'intéressé, comme tout le monde, à agrandir son tissu relationnel.

Quatre volumes, donc : albums deux titres inaugurés toujours par l'exercice de l'invité (Thurston Moore, Thuja, Jackie-O Motherfucker, Christina Carter & Andrew MacGregor). Par ordre d'apparition - inaugurant donc l'intégrale -, Thurston Moore donne, frénétique, dans la pratique d'un piano déglingué. Trouvant un confort lénifiant dans l'usage des échos, il prône la liberté artistique pour mieux tout se permettre, sans jamais rien tenter. Au final, American Coffin n'est qu'un brouillon d'effets bruitistes grossiers exposés sous cloche, que viendra fendre d'une révolte plus concrète My Cat Is An Alien. Progression élégante, Brilliance in the outer space superpose l'oscillation de nappes de guitares électriques à une programmation électronique succombant petit à petit à ses parasites. L'envolée est bruyante, et tient de la noblesse ce qu'elle a de plus sûr : la crasse véritable.

Thuja peut donc poursuivre la célébration d'un son grouillant devenu presque unique objet d'attention. Sur décorum sombre, The magma is the brother of the stone n'en finit pas d'asséner des coups aux cordes et aux micros des guitares électriques, accueille favorablement quelques intrusions électroniques, en boucle certaines, multiplie les échantillons sonores, avant de retourner sa veste pour arborer enfin l'envers acoustique des choses : banjo et guitare concluant discrètement 18 minutes intenses. Utilisant la même méthode de superposition que précédemment, My Cat Is An Alien remonte ensuite une boîte à musique suspecte, crachant, répétitive, des bribes de ritournelle sur le bourdon instable des masses électriques (When the earth whispered your name).

Décevant, tout de même, sur From The earth To The Spheres, vol. 3, au son d'une progression sans charme en perte de vitesse, les Italiens laissent se porter toutes les attentions sur l'invité Jackie-O Motherfucker. Convaincant lorsqu'il défend une pièce répétitive et galactique charriant les chants étranges de sirènes mâles, le groupe finit par se contenter du minimum - deuxième partie de Braking, construction rythmique tiède abusant de voix d'ambiance. Et aurait permis à Christina Carter et Andrew MacGregor de ne rien craindre d'une comparaison.

Or, c'est à contre-pied que le duo engage We know when we are thinking about each other. Là, une guitare timide et une basse déposent une partition redondante, jouant du changement léger de la vitesse d'exécution et des apports fantasques des dissonances impromptues. Mêlant leurs voix à l'ensemble, Carter et MacGregor fabriquent sur la longueur une musique enivrante et riche, qui dérange autrement. Alors, la virginité retrouvée pourra reprendre des couleurs, au gré de l'ambient tournant à l'excès sonique qu'est The circle of life & death. L'éternel retour mis en musique par My Cat Is An Alien, conduisant From The earth To The Spheres des cendres originelles aux cendres définitives, le long d'un parcours chaotique rendu plus impraticable encore par quelques agités, afficionados des heurts et de la chute.

My Cat Is An Alien : From the Earth to the Spheres Vol. 1 - Vol. 4 (Opax / Very Friendly / Differ-ant)
Edition : 2004.
4 CD : CD1: From The earth To The Spheres, vol.1 : 01/ Thurston Moore - American Coffin 02/ My Cat Is An Alien - Brilliance in the outer space - CD2:
From The earth To The Spheres, vol.2 : 01/ Thuja - The magma is the brother of the stone 02/ My Cat Is An Alien - When the earth whispered your name - CD3: From The earth To The Spheres, vol.3 : 01/ Jackie-O Motherfucker - Breaking 02/ My Cat Is An Alien - Blank view - CD4: From The earth To The Spheres, vol.4 : 01/ Christina Carter & Andrew MacGregor - We know when we are thinking about each other 02/ My Cat Is An Allien - The circle of life & death
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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