Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Patrick Farmer : Wild Horses Think of Nothing Else the Sea – Tape Readings (Winds Measure, 2016)

patrick farmer wild horses

Hier, de longues promenades au pays de Galles inspiraient à Patrick Farmer un livre : Wild Horses Think of Nothing Else the Sea. Ce sont des extraits de ce petit ouvrage que six de ses amis lisent aujourd’hui, et même « interprètent », sur deux cassettes Winds Measure – deux éditions existant de cette référence : la première usuelle, la seconde livrée avec un morceau des notes ayant servi à l’écriture du livre.

Quel que soit le lecteur – dans l’ordre alphabétique : Antoine Beuger, Daniela Cascella, Bruno Guastalla, Jeph Jerman, Sally Ann McIntyre, Holly Pester et Michael Pisaro –, c’est là d’une face à l’autre le récit découpé des souvenirs d’un voyage que l’auditeur de ces cassettes pourra entendre entre les lignes. Et interpréter à sa convenance : brisées puis réagencées, les phrases choisies parlent de solitude et d’oiseaux-poètes, évoquent la correspondance de Lou Andreas-Salomé et de Rainer Maria Rilke ou tâchent de rendre un paysage désert encombré de bruits…  

« Nothing is ever heard one way only », dit la voix de Guastalla. D’un ton égal, celle de Beuger prononcera d’autres phrases en prenant soin d’y glisser des silences – avec le compositeur, même la page que l’on tourne est une partition envisageable – finit par s’entendre. Et cette autre idée qui court d’un lecteur à l’autre : « Nothing but in ideas ». Alors, à la sobriété de Beuger, Jerman préfère une lecture perturbée par les parasites sonores, Pisaro (un autre art de la mesure, du moment, du silence) dénombre des poissons venus grossir le trafic urbain, Cascella susurre puis précipite sa lecture de peur peut-être d’être entendue… 

L’exercice n’empêchant pas la mise en scène, et même de profiter de quelque artifice, McIntyre entame, elle, une marche au terme de laquelle elle se dédoublera, Guastalla arrange des tableaux qui opposent des nuées d’oiseaux et de drôles de machines – la menace de l’extinction des espèces pourrait faire écho à l’évocation, par Farmer, de Cuvier – quand Pester adapte sa voix frêle au rythme d’un « incident technique » (une autre sorte de souffle) qui aurait certainement pu, dans d’autres circonstances, empêcher sa lecture. Sans doute est-ce d’ailleurs elle qui révèle le mieux à quel point un texte est tributaire de son lecteur, ce lecteur des aléas de son métier et son éventuelle audience de la qualité de son loisir. 

écoute le son du grisliHolly Pester Wild
Horses Think of Nothing Else the Sea

patrick farmer

Patrick Farmer : Wild Horses Think of Nothing Else the Sea – Tape Readings
Winds Measure
Edition : 2016.
2 K7 : Wild Horses Think of Nothing Else the Sea – Tape Readings
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Keith Rowe, Michael Pisaro & ONsemble à Nantes

keith rowe michael pisaro onsemble nantes la fabrique 28 mai 2016 le son du grisli 2

Au terme d’un séjour d’un mois fait en Europe – qui lui permit, par exemple, de jouer avec John Tilbury à Glasgow, de retrouver Antoine Beuger à Haan et puis de passer par les Instants chavirés avec Didier Aschour et Stéphane Garin –, Michael Pisaro gagnait Nantes sur l’invitation de l’association APO-33. Au programme : l’enregistrement, en duo avec Keith Rowe, d’un futur disque Erstwhile (27 mai), et un concert donné avec le même Rowe et l’ONsemble qu’emmène Julien Ottavi (28 mai) à la Plateforme Intermédia de La Fabrique.

On trouvera ici et le souvenir d’un premier échange Keith Rowe / Michael Pisaro, qui date de janvier 2013. Ce 28 mai, la configuration n’est plus la même : non plus côte à côte mais face à face, à quelques mètres de distance, Rowe – guitare sur table éclairée, alors que le soir tombe, par combien de lumignons clignotant ? – et Pisaro – assis entre un pupitre et un ampli, guitare sur les genoux. C’est une partie d’échecs que les musiciens semblent entamer : en artisan serein – un horloger, peut-être –, le premier y mesure ses gestes, arrange crépitements, frottements et claquements, allume une radio d’où sort un air romantique qui, quelques minutes durant, fera vaciller les étincelles fusant de l’instrument – rappelant ce qu’entendait jadis l’écrivain Charles Barbara par « improvisation » : « combinaisons toujours nouvelles (qui) dégoûtent étrangement des meilleures symphonies du passé. » ; en chercheur encore inassouvi, le second multiplie, lui, les propositions : manipulant son seul ampli entre deux silences ou deux réflexions, arrachant des morceaux de ruban adhésif à proximité d’un micro, pinçant nonchalamment une ou deux cordes quand il ne décide pas plutôt de jouer de sa guitare électrique de façon plus conventionnelle – comme un étudiant qui tirerait la langue, il égrène alors quelques notes en rêvant d’arpèges clairs. L’un avec l’autre et aussi seul, de temps en temps, chacun avec son propre « système », Rowe et Pisaro inventent encore et, si ce n’est pas le cas de leurs gestes, leurs inventions sont coordonnées.

Certes, (à force de répétitions et de concerts donnés) Keith Rowe est un habitué de l’ONsemble ; mais, malgré la garantie et à la place du compositeur Pisaro, on pourrait craindre la compagnie d’un orchestre dont on connaît mal, voire pas, les différents éléments : huit musiciens (clavier, nouvelles guitares à plat, clarinette, contrebasse, percussions…) rejoignent le duo. Or la greffe prend avec un naturel confondant : les pendules (électroniques) mises à l’heure, l’orchestre alterne longs silences et éveils fragiles après lesquels il s’agira de ne pas menacer l’indolente discipline que l’expression de Pisaro chérit. A défaut de pouvoir dire tout à fait ce qu’une telle partition renferme – la licence laissée à l’interprète peut-elle expliquer que la pluie qui au-dehors tombe paraisse épouser l’idée qu’à l’intérieur on se fait de la musique ? –, le spectateur soupçonnera un relai d’amorces du même soulèvement (le souffle d’un ventilateur de poche ou le grincement d’un archet peuvent être à l’origine d’un effet papillon que des coups de mailloches dans l’air ou le souffle de Pisaro dirigé sur micro-pissenlit auront beau jeu de contrer) pour suivre ensuite le parcours ramassé d’une somme de précautions bruitistes : ainsi la partition lue, autant que ce duo augmenté d'un ensemble, frémit puis impressionne plusieurs fois avant que ses sons, qui échappaient déjà à l’entendement, s’évanouissent. A l’instant même où les musiciens ont commencé à ranger leurs instruments.

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Interview de Cristián Alvear

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Si le Wandelweiser répertoire (24 Petits préludes pour la guitare d’Antoine Beuger, Melody, Silence de Michael Pisaro, récemment) a révélé le guitariste chilien Cristián Alvear, ce n’est pas seulement à ses auditeurs, mais à lui-même encore. Ainsi l’interprète qu’il est a-t-il découvert de nouvelles manières de s’exprimer en musique, sur partitions quand bien même…



J’avais onze ans environ quand j’ai vu le petit ami de ma tante (son mari, aujourd’hui) jouer de la guitare électrique. Le son m’a profondément impressionné.

La guitare a-t-elle été ton premier instrument ? As-tu reçu un quelconque enseignement à l’instrument ? Mon père m’a offert une guitare électrique pour mon douzième anniversaire, en insistant sur le fait qu’il faudrait que je prenne des leçons au Conservatoire d’Osorno. Ce que j’ai fait, très brièvement néanmoins. J’ai continué à jouer de la guitare électrique dans mon coin pendant quelques années avant de reprendre des leçons à partir de l’âge de 17 ans. L’idée que je ne pouvais jouer de la musique sans entrer dans un groupe m’embarrassait tellement que me tourner vers la musique classique a fait sens : je pouvais enfin jouer de la musique sans avoir à dépendre de personne. Mon père possédait une guitare classique (il avait étudié l’instrument en Uruguay où il a passé une partie de sa scolarité) que je lui ai empruntée pour suivre les cours du conservatoire. Et quand un de mes amis m’a fait découvrir Invocación y Danza par Joaquín Rodrigo, j’ai décidé de me mettre vraiment à la guitare classique. Après ma scolarité, je suis entré au Conservatoire National de Santiago. J’y suis resté de 2000 à 2008. En 2012, j’enregistrais Invocación y Danza, cette pièce qui me hante depuis que je l’ai entendue pour la première fois.

Où put-on entendre cette interprétation ? As-tu enregistré des disques avant ceux que nous connaissons, publiés par Wandelweiser notamment ? On peut trouver certains de mes vieux enregistrements sur Itunes et sur mon Bandcamp. En 2012, après une longue tournée dans la campagne du sud du Chili, j’ai enregistré quelques pièces. Avant cela, j’ai enregistré dans un quartette de guitaristes puis dans un duo.

Quelle sorte de musique écoutais-tu quand tu as commencé à faire de la musique ? Du temps de la guitare électrique, j’écoutais surtout du heavy metal et du rock progressif : MetallicaMegadeth, Pantera, Jethro Tull, King Crimson, Pink Floyd, entre autres. A partir de mes 18 ans, je me suis focalisé sur la musique classique, sur Bach avant tout.

Ce désir de rester à l’écart des groupes a-t-il perduré ? As-tu jamais joué en orchestre, par exemple ? Durant ma scolarité, j’ai eu quelques groupes, mais aucun n’a vécu bien longtemps. Quand j’ai étudié la guitare classique, j’ai joué en tant que soliste dans plusieurs orchestres. La dernière fois, ça a été pour le Concierto Madrigal de Rodrigo, pour deux guitares et orchestre, un concert très difficile. A partir du moment où j’ai commencé à étudié la guitare classique, je n’ai plus intégré aucun groupe.

Comment t’es-tu intéressé à la musique contemporaine ? En 2010, j’ai assisté à un concert de Mauricio Carrasco (qui habite désormais Melbourne) au conservatoire de l’Université du Chili où j’étudiais la musique. J’ai été très impressionné. Mauricio est lui aussi d’Osorno, et j’ai d’ailleurs pris des leçons de lui quand j’y habitais encore. L’influence de Mauricio a été capitale dans ma découverte de la musique contemporaine. Il a toujours été très généreux avec moi. Il a toujours encouragé les décisions que je prenais concernant la musique. Je lui dois beaucoup.

Et pour ce qui est du collectif Wandelweiser. Comment as-tu découvert ses travaux ? En 2013, je cherchais de nouvelles idées et de nouvelles choses à jouer. Nicolás Carrasco m’a passé une partition, comme pour m’y essayer : c’était les Préludes pour la guitare d’Antoine Beuger. Le jour même, je commençais à y travailler. Une semaine plus tard, je les enregistrais. Ça pourra te paraître rapide, et ça l’a été en effet. M’essayer à la musique du Wandelweiser a eu sur moi un profond impact, et depuis tout a changé. Jouer cette musique est comme une évidence.

Quelle idée te fais-tu du silence, et de la place qu’il doit occuper dans la composition ? Avant Beuger, quels compositeurs ont eu sur toi un tel effet ? Eh bien, aujourd’hui, le silence joue un rôle considérable dans ma pratique de musicien, il m’aide aussi à me montrer plus attentif à tout. Mahler, Beethoven et Bach continuent de m’impressionner tout comme Romitelli, Alvin Lucier, Nic Collins, entre autres. Jouer la musique du Wandelweiser m’a permis de porter un regard frais et neuf sur toute la musique, en élargissant et en développant ce que je savais déjà.

Morton Feldman disait un jour qu’il préférait que les musiciens-interprètes respirent plus qu’ils ne comptent. Wandelweiser a-t-il changé ta manière de respirer, de ressentir une partition ? Plus que simplement « changé », il a élargi les perspectives, le champ et les possibilités de faire de la musique à partir d’une partition.

Tu continues néanmoins à servir l’ancienne musique classique. Te procure-t-elle le même plaisir ? Il n’y a pas de différence pour moi. Cela fait partie d’un même et très long souffle de création musical. Je travaille de la même façon des pièces classiques, expérimentales, contemporaines : il s’agit pour moi de trouver la meilleure manière de jouer une pièce et, plus important encore et même capital, d’être capable de savourer le jeu, le « faire » de la musique. Interpréter Bach ou Sugimoto ne fait aucune différence.

A quoi travailles-tu ces jours-ci ? En ce moment, je suis attelé à différents projets : une pièce en duo avec Alan Jones qui s’appelle Cinematics, un autre duo avec Barry Chabala, une pièce que Ryoko Akama a écrite pour moi (Hermit), la réalisation d’un CD pour Erstclass avec Greg Stuart et Manfred Werder et enfin deux pièces signées Taku Sugimoto et Antoine Beuger.

T’intéresses-tu particulièrement aux expériences de guitaristes ? De ceux qu’on trouve par exemple sur les compilations I Never MetaGuitar (Clean Feed) ou Spectra (QuietDesign) ? Parfois, cela dépend de la partition ou du ou des interprète(s). Je n’écoute pas tellement de guitaristes ces jours-ci. Pas autant que je ne l’ai fait il y a de cela des années en tout cas.

Pour conclure, j’aimerais savoir si ton approche de la guitare est susceptible de transformer ta façon d’envisager la musique ou si, au contraire, c’est ta façon d’envisager la musique qui est susceptible de transformer ton approche de la guitare. Une guitare, un piano, ne sont que des instruments, ils offrent des possibilités et sont des plateformes à partir desquelles tu peux proposer quelque chose. Le champ d’une telle pratique ne dépend que du musicien qui, en conséquence, forme (ou devrait former) sa pratique selon sa façon de penser et d’approcher la musique.

Cristián Alvear, propos recueillis en février et mars 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Michael Pisaro : Melody, Silence (Potlatch, 2015) / Cristián Alvear : Quatre pièces pour guitare... (Rhizome.S, 2015)

michael pisaro cristian alvear melody silence

Quelque part dans « la surface égarée d’un désert », pour citer René Char : voilà où le guitariste Cristián Alvear a pris l’habitude de glaner ses partitions. Hier, signées Antoine Beuger (24 petits préludes pour la guitare) ; cette fois, que Michael Pisaro paraphe. Est-ce un refuge qu’Alvear a trouvé en Wandelweiser ?

Si Robert Johnson (pour ne citer que celui-là) n’avait pas existé, le guitariste (comme tant d’autres musiciens) donnerait-il dans l’abstraction et le silence, dans la note rare et suspendue ? Au contraire, chercherait-il l’accord parfait ou le détail révélé sous les effets du médiator qui fait d’une simple chanson un hymne irrésistible ? C’est-à-dire ce à quoi Michael Pisaro – « Melody, Silence is a collection of materials for solo guitarist written in 2011 » – a tourné le dos.

Les préoccupations du compositeur sont en effet autres (antienne reléguée, distance mélodique, fière indécision…), qui vont à merveille au guitariste classique. Cordes pincées et feedbacks valant bourdons, dissonances et « sonances » : autant de choses que le silence et la guitare se disputent, sur les recommandations de Pisaro (douze fragments à interpréter, voire à renverser, librement). Or, c’est la guitare qui l’emporte : à fils et non plus à cordes, elle avale les soupirs et les change en morceaux d’un horizon de trois-quarts d’heure. Aussi intelligent soit-il, l’art de Pisaro requérait un instrumentiste expert : et c'est Cristián Alvear qui a permis à Melody, Silence d’exister vraiment.

Michael Pisaro, Cristián Alvear : Melody, Silence (Potlatch)
Enregistrement : 1er juillet 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Melody, Silence (for Solo Guitar)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

cristian alvear quatre pièces pour guitare et ondes sinusoïdales

A la guitare (classique, certes, mais amplifiée quand même), Alvear ajoute, pour l’occasion (interprétations de pièces signée Alvin Lucier, Ryoko Akama, Bruno Duplant et Santiago Astaburuaga) les ondes sinusoïdales. Sur un « bourdon Lucier », une note unique de guitare dérive et défausse, que la seconde plage multipliera et la troisième imposera enfin. Pour clore ce précis d’électroacoustique contemporain, Alvear interroge sa guitare (et non ses ondes) au point de la renier. Là où les bourdons n’avaient pas suffi, son approche parfait les effets d’intelligentes combinaisons opposant guitare et ondes et accouche d’une autre façon de faire impression.

Cristián Alvear Montecino : Quatre Pièces Pour Guitare & Ondes Sinusoïdales (Rhizome.S)
Edition : 2015.
CDR : 01/ On the Carpet of Leaves Illuminated by the Moon 02/ Line.ar.me 03/ Premières et dernières pensées (avant de s’endormir) 04/ Piezo de escucha III
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Håkon Stene : Etude Begone Badum (Ahornfelder, 2013)

håkon stene etude begone badum

Les fidèles sont au courant, la scène norvégienne contemporaine est des plus vivaces et intrigantes – et on ne vous fera pas l’injure de revanter les mérites du label Rune Grammofon. L’an dernier, l’éloge mérité de Lene Grenager a parcouru la presse spécialisée, un an plus tard, voici venu le temps de Håkon Stene et de son Etude Begone Badum.

Visiteur (très) inspiré des compositeurs Alvin Lucier, Marko Ciciliani et Michael Pisaro, le musicien scandinave inclut trois intermezzos de son compatriote Lars Petter Hagen, oui, l’arrangeur du totalement irremplaçable Elements Of Light de Pantha du Prince & The Bell Laboratory (album de l’année 2013 de votre serviteur).

Les œuvres présentées, un poil moins accessibles et percutantes, demeurent d’une constante dynamique où les flux des percussions jouent des techniques de frappe pour mieux les détourner. Parfois à la frontière des musiques concrètes, notamment chez Alvin Lucier et son Silver Streetcar for the Orchestra qui nous transporte dans un vieux tram échappé dans notre temps, la vision de Stene imprime à chaque seconde une pluie de sonorités où il est conseillé de laisser le parapluie au vestiaire.

écoute le son du grisliHåkon Stene
Silver Streetcar for the Orchestra

Håkon Stene : Etude Begone Badum (Ahornfelder)
Edition : 2013.
CD :0 1/ Lars Petter Hagen - Study #1 in Self-Imposed Tristesse 02/ Marko Ciciliani - Black Horizon 03/ Lars Petter Hagen - Study #2 in Self-Imposed Tristesse 04/ Alvin Lucier - Silver Streetcar for the Orchestra 05/ Lars Petter Hagen - Study #3 in Self-Imposed Tristesse 06/ Michael Pisaro - Ricefall
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli


Radu Malfatti : darenootodesuka (B-Boim, 2012)

radu malfatti darenootodesuka le son du grisli

En concert à Londres (Cut & Splice Festival), Radu Malfatti et le collectif Wandelweiser soignaient en 2011 l’esthétique parcimonieuse qu’ils ont en commun. Dans le disque publié sous étiquette B-Boim, une nouvelle citation de… Francis Brown : « Cessé-je d’exister entre des vagues de son ? ».

Malgré l’indice, noter que l’enregistrement se nourrit moins de silences que ne l’ont fait les derniers travaux improvisés de Malfatti. C’est que l’écriture commande au tromboniste et à ses partenaires –  Antoine Beuger (flûte), Jürg Frey (clarinette), Marcus Kaiser (violoncelle), Michael Pisaro (guitare) et Burkhard Schlothauer (violon) – de signifier davantage dans une note partagée. Dans les pas de quelques « maîtres » (Feldman, Wolff, Scelsi, Bryars), mais avec un penchant peut-être plus affirmé encore pour le délitement musical, le groupe interroge le pouvoir licencieux des harmoniques, à sons couverts : fréquences et vibrations.

Les souffles de Malfatti, Beuger et Frey, se superposent alors aux cordes frottées de Kaiser, Pisaro et Schlothauer. Et vice-versa. Dites du bout des lèvres et suspendues à de fragiles poignets, les notes longues franchissent des paliers qui sous leur poids soudain s’affaissent – puisque la partition ne fait entendre que ce qui est voué à disparaître. Enfin, la respiration des musiciens toujours met en danger les phrases qu’ils ont osées : le conflit sert l’ellipse, dont Malfatti a fait un art fabuleux.

Radu Malfatti : Darenootodesuka (B-Boim)
Enregistrement : 5 novembre 2011.  Edition : 2012.
CD (tirage de 78 copies) : 01/ darenooteduseka
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Michael Pisaro : Resting in a Fold of the Fog (Potlatch 2017)

A l’occasion de la parution d’Agitation Frite, livre de Philippe Robert consacré à l’underground musical français de 1968 à nos jours, le son du grisli publie cette semaine une poignée de chroniques en rapport avec quelques-uns des musiciens concernés en plus de deux entretiens inédits tirés de l’ouvrage...

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C’est sous pavillon français – le Potlatch de Jacques Oger, deux fois interrogé dans Agitation Frite – que Michael Pisaro sort aujourd’hui Resting in a Fold of the Fog. Ce sont là deux compositions que le guitariste explique : « Grounded Cloud expose la rencontre graduelle entre différents sons, notes et bruits, en une trame dense et serrée, à la façon de spores prenant conscience d’eux-mêmes et amenés à se reconnaître dès qu’ils réalisent leur proximité. » ; « Hearing Metal (4) explore les fréquences métalliques du glockenspiel joué à l'archet : un son surgit au centre d’un brouillard diffus de sons électroniques générés par l'ordinateur et par la guitare électrique. La musique obéit à une suite de transformations un peu à la manière de la série des sculptures de L'Oiseau dans l’espace de Brancusi. »

Chacune des compositions requiert guitare électrique (celle de Didier Aschour, dont l’ensemble Dedalus démontra jadis sur des compositions de Jürg Frey et d’Antoine Beuger sa « compatibilité » avec l’esthétique Wandelweiser), percussions (Stéphane Garin) et électronique (Pisaro). Passée au tamis, la trame de Grounded Cloud révèle des souffles sur le retour, des notes d’une évidence manifeste qu’on n’avait pourtant pas entendues naître, des coups mesurés (Aschour allant parfois sur micros du tranchant de la main) et de lents glissements de terrain, des boucles aussi parachevée par le réemploi toujours sagace de notes dites un peu plus tôt.  

Sous-titré « Birds in Space », Hearing Metal (4) rend donc hommage à cette œuvre de Brancusi auxquelles les douanes américaines refusèrent en son temps le statut d’œuvre d’art. Transatlantique, le trio offre ainsi un supplément d’âme à une composition qui joue de longues notes tenues. De rapprochements en harmoniques, leur patient tressage est nourri de courtes interventions comme de silences et se montre capable de faire trembler l’ordinateur ou d’étendre la durée du son de cordes délicatement pincées – on trouvera ici un peu de l’atmosphère électrique du YMCA qu’Alan Licht enregistra seul à la guitare.

Sans savoir de quelle manière « sonnèrent » ces deux compositions dans l’interprétation qu’en donna le trio le jour d'après aux Instants chavirés, on célébrera une autre de leurs caractéristiques remarquables, qui est leur durée : à peine Grounded Cloud s’achève-t-elle que son dernier souffle s’en trouve expliqué ; quant à Hearing Metal, c'est au moment même où elle se termine qu’elle occupe tout l’espace.


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Michael Pisaro : Resting in a  Fold of the Fog
Potlatch / Orkhêstra International
Enregistrement : 10-11 mai 2016. Edition : 2017.
CD : 01/ Grounded Cloud 02/ Hearing Metal (4) (Birds in Space)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Michael Pisaro : black, white, red, green, blue (voyelles) (Winds Measure, 2014)

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Le titre de ce disque double (trois rééditions différentes, au son amélioré, d’une cassette Winds Measure publiée en 2010) associe les noms, empruntés à Rimbaud, des deux compositions à y entendre : black, white, red, green, blue, de Michael Pisaro, interprétée par le guitariste Barry Chabala, et (voyelles), composition inspirée à Pisaro par ladite interprétation de Chabala.

Disposé à toutes discrétions, Chabala fait, sur le premier disque, œuvre de précision : coups légers régulièrement adressés à un unique accord, bends variant la hauteur de notes longues, pincements de deux à trois cordes changeantes, domptages de retours d’ampli et silences nombreux, sont les éléments qui régissent une succession de plan-séquences dont les couleurs nous empêchent de distinguer toutes figures – on trouvera ici la partition de Pisaro.

Régurgité, black, white, red, green, blue revient alors à Pisaro. Dans l’interprétation du guitariste, le compositeur trouve de quoi former d’autres paysages. Encore reconnaissable, l’instrument fait avec la compagnie de rumeurs nouvelles et assiste parfois à la naissance (latente) d’un léger larsen ou de grisailles éparses dans le sillage d’un accord qu’il avait suspendu. Plus sensible à l’illusion, la seconde composition impressionne mais ne saurait faire effet sans l’écho qui, en avance sur son temps, l’a précédé : cinq couleurs, origines qu’elle réinvente.

écoute le son du grisliBarry Chabala
black, white, red, green, blue (extrait)

écoute le son du grisliMichael Pisaro
(voyelles) (extrait)

Michael Pisaro : black, white, red, green, blue (voyelles) (Winds Measure)
Réédition : 2014.
CD / K7 : CD1 : 01/ black, white, red, green, blue – CD2 : 01/ (voyelles)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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