Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Keith Rowe, Martin Küchen : The Bakery (Mikroton, 2016)

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A l’automne 2013, Martin Küchen était en résidence à Vienne* pour quelques semaines – combien d'heures passées dans une ancienne boulangerie industrielle ? Ce qui lui laissa le temps d’y inviter Keith Rowe, de l’attendre un peu (de l’entendre venir peut-être) et enfin d’improviser avec lui. L’enregistrement que consigne The Bakery date du 15 octobre 2015.

Dans les studios de Christoph Amann, Küchen mit saxophones alto et baryton – noter qu’il fit usage aussi d’un poste de radio et d’un iPod – au service de notes longues qui l'une après l'autre, avoir été déclenchées par les gestes minutieux de son partenaire. Souvent graves, les souffles enveloppaient alors les grésillements de la guitare et les rumeurs du guitariste : Rowe et Küchen s’entendaient ainsi sur le rythme d’une même respiration.

Aux graves du baryton, l’électronique ajouta ensuite les siens propres avant de se frotter à un alto décidé à se faire entendre davantage. Ce qui n’empêcha pas les silences, entre lesquels une note fragile pouvait tenir quelques secondes, sur un paquet de grisailles électriques ou sur le murmure de parasites. Soufflée il y a un an, la note fragile, quelle qu’elle soit, tient encore : et la promesse du duo et son accord.

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* sur invitation de l'artiste autrichien Johannes Heuer, qui illustre Bagatellen, recueil de sons et de poèmes de Martin Küchen que les éditions Lenka lente publieront dans quelques jours. 

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Keith Rowe, Martin Küchen : The Bakery
Mikroton / Metamkine
Enregistrement : 15 octobre 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ The Bakery 1 02/ The Bakery 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Michał Libera, Martin Küchen, Ralf Meinz : Tyto Alba. 13 Portraits of Melancholics, Birds and Their Co-Hearing (Bolt, 2015)

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C’est le genre de disque difficile à présenter, ce qui ne m’empêchera de le faire, en reprenant à mon compte le terme de « sound essay » pour une oreille qui souffre. Maintenant, notons que c’est un travail littéraire de Michał Libera et que ce Michał Libera est accompagné par Martin Küchen & Ralf Meinz.

C’est le tic-tac du réveil qui prévient l’auditeur du commencement du projet. Une voix nous en parle en intro : c’est Libera, qui raconte sa vie, des souvenirs, on dirait… A un moment, un piano passe une queue puis arrivent des samples de classique, puis on nous parle d’acouphènes… Il y a des extraits d’œuvres signées de « maîtres » qui ont donné leurs noms aux plages du CD et le sax de Küchen qui tourbillonne parfois dans le coin.

Petit à petit la voix s’éloigne et un battement qui monte fait de cet éloignement un must de design sonore. Comme ça, on arrête de nous parler ? L’oreille (même sifflante) peut se laisser aller à la musique, une musique d’ambiance qui laisse rêveur (puisqu’on n’a pas tout compris, on peut toujours rêver). Tak, Michał !



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Michał Libera, Martin Küchen & Ralf Meinz : Tyto Alba: 13 portraits of Melancholics, Birds and Their Co-Hearing
Bolt / Metamkine
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Michel Serres 02/ W.G. Sebald 03/ Philomela 04/ Max Ernst 05/ Alvin Lucier 06/ Giorgio Agamben 07/ Bedrich Smetana 08/ Andean Solitaire 09/ Auguste Rodin 10/ Tyto Alba 11/ Georges Perec 12/ Whilhelm Heinrich Dove 13/ Javier Marias
Pierre Cécile © Le son du grisli

 


Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow / Küchen, Berthling, Noble : Night in Europe (NoBusiness, 2015)

martin küchen melted snow

En plus de donner à entendre une sonorité particulière aux saxophones (la sienne propre, ici au ténor et au soprano), on reconnaîtra à Martin Küchen l’élaboration méticuleuse d’un corpus capable de servir différentes formations.

Le trio qu’il forme avec Jon Rune Strøm à la contrebasse et Tollef Østvang à la batterie – soit: deux tiers d’Universal Indians – interprétera ainsi deux fois cet air qu’il servait encore récemment en All Included: Satan In Plain Clothes. En introduction du disque (dans les graves comme dans les plus aigus, le thème est le même, que Küchen répète et fait plier afin qu’il respecte l’allure de ses deux partenaires) et en conclusion aussi (seul plage dispensable des sept que compte le disque, question de « batterie rock »).

Presque autant que le solo, le trio convient à Küchen : sous l’orage, il convainc ses partenaires de trouver refuge dans un sillon grave (I’ve Been Lied To) ; sous l’averse seulement, il feint le free ancien (Three Courses) ou relativise un thème plus désinvolte (Melted Snow, précisément). Et lorsqu’il parvient à faire disparaître son alto dans un paquet de cordes (Stein) alors le trio fait son affaire : Melted Snow, justement.

Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow (NoBusiness)
Enregistrement : 9 avril 2014. Edition : 2015.
LP : A1/ Satan in Plain Clothes (Breakdown) A2/ I’ve Been Lied To 03/ Tune for Martin – B1/ Melted Snow B2/ Three Courses B3/ Stein B4/ Satan in Plain Clothes (Beat Up)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

martin küchen johan berthling steve noble night in europe

Sous cette pochette grise qui rappelle les noirs d’Odilon Redon, Martin Küchen se fait entendre en concert : 15 et 16 décembre 2014 au Glenn Miller café en compagnie de Johan Berthling et Steve Noble. Sur cymbales et cordes graves, le duo d’accompagnateurs sait attiser le jeu du saxophoniste : faussement contrarié, abrasif ensuite, Küchen répond avec un à-propos qui rehausse de déjà beaux éclats de batterie et d’impressionnants solos d’archet. Ainsi le trio fait-il concurrence, sans pour autant lui faire d’ombre, à celui de Melted Snow.

Martin Küchen, Johan Berthling, Steve Noble : Night in Europe (NoBusiness)
Enregistrement : 15 & 16 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Night in Europe 1 02/ Night in Europe (again) 03/ Night in Europe 02
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Martin Küchen, Landæus Trio ‎: Four Lamentations and One Wicked Dream of Innocence (Moserobie, 2014)

martin küchen landaeus trio four lamentations

Four Lamentations and One Wicked Dream of Innocence : le titre du vinyle s’explique, et même, se comprend : quatre compositions de Martin Küchen, d’un abattement inspiré, augmentées d’une composition « innocente » que l’on doit au pianiste de la section rythmique qui accompagnait le saxophoniste ce 19 avril 2013, Mathias Landæus.

Des années après India ou Olé, le modal (et l’ « exotique ») inspire encore Küchen : ses mélodies sont attachantes, mais surtout sublimées par ses façons d’instrumentiste. Ainsi, les saxophones (alto, ténor, baryton) invitent-ils la section rythmique à les rejoindre pour mieux, ensuite, la traîner à terre ; et quand ils vacillent sur un swing ralenti – qui pourra évoquer le vieil Hawkins (Tres Palabras) ou le jeune Kenyatta (Until) – leurs vibrations font effet.  

On remerciera Johnny Åman (contrebasse lâche) et Jonas Holgersson (batterie mesurée) des discrétions qu’ils dispensent. Mais n’étant « que » membres du Landæus Trio, leur élégance ne compte pas en comparaison du bavardage mélodique – à la McCoy Tyner, alors qu’on aurait apprécié ici la ponctuation d’un Fred Simmons (Until encore) – de leur leader de pianiste. Inquiet de placer quelques notes au-dessus de celles du soliste, Mathias Landæus démontre en effet un goût pour le clinquant qui finit par embarrasser l’auditeur – après absorption de pilule Küchen, voici qu’il entend TSF.

L’auditeur en question devra donc faire un effort (en seconde face, surtout) : et consacrer toute son attention au timbre singulier de Martin Küchen en imaginant le pianiste suédois – mais, au son, déjà franco-italien – accompagner, et accepter d’accompagner seulement, l’épatant saxophoniste sur piano Bolleter.

Martin Küchen, Landaeus Trio : Four Lamentations and One Wicked Dream of Innocence (Moserobie)
Enregistrement : 19 avril 2013. Edition : 2014.
LP : A1/ Post Injuries A2/ Don’t Ruin Me – B1/ En Jämtländsk Xe B2/ Du Rör Dig Så Sakta… 03/ One Minute of Innocence
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Angles 9 : Injuries (Clean Feed, 2014)

angles 9 injuries

On pourrait dire d’Angles (sextette qui, augmenté, peut devenir octette ou nonette) qu’il est le groupe avec lequel Martin Küchen fanfaronne. Et encore : ses thèmes sont pratiques, au creux desquels le saxophoniste peut glisser d’autres plages d’inquiétude (Eti).

Sur Injuries, Angles joue donc à neuf. L’alto – parfois soprano contrefait – y vibrionne et tire parti de percussionnistes vaillants : vibraphone de Mattias Ståhl, batterie d’Andreas Werliin et même piano d’Alexander Zethson. Un écueil, toutefois : cet intérêt pour le flamboiement (qui rappellera ici Carla Bley, ailleurs Gato Barbieri) auquel le groupe quelquefois se brûle. Il fallait bien expliquer le titre donné à l’album.

Angles 9 : Injuries (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 15 et 16 décembre 2013. Edition : 2014.
CD / LP : 01/ European Boogie 02/ Eti 03/ A Desert on Fire / I’ve Been Lied to 04/ Ubabba 05/ In Our Midst 06/ Injuries 07/ Compartmentalization
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



All Included : Satan in Plain Clothes (Clean Feed, 2015)

all included satan in plain clothes

S’il n’est pas le plus documenté des nombreux projets qu’emmène Martin Küchen, All Included – à l’intérieur : Mats Äleklint (trombone), Thomas Johansson (trompette), Jon Rune Strøm (contrebasse) et Tollef Østvang (batterie) – intéressera par les façons qu'a le saxophoniste d’envisager les compositions d’un autre que lui : Strøm, en l’occurrence.

Contrebassiste entendu dans les formations de Frode Gjerstad ou Paal Nilssen-Love, Strøm signe-là trois pièces qui démontrent un intérêt pour le refrain et un certain sens du swing. L’un et l’autre portant le groupe dans le même temps qu’il assure une franchise à la fantaisie de ses solistes : sortis des unissons de rigueur, Äleklint, Johansson et Küchen rivalisent d’artifices et d’espièglerie.

Agréable sur les compositions du membre de Friends & Neighbors, All Included gagne en présence sur celles du saxophoniste. Sur l’hymne grave de I’ve Been Lied to, la formation opère sa mue : loin de la rengaine permissive, la voici travaillant à une épaisseur qui la rehausse.  

All Included : Satan in Plain Clothes (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Tune for Martin 02/ I’ve Been Lied to 03/ The Gap 04/ Despair Is in the Air 05/ Three Courses 06/ Satan in Plain Clothes
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Trespass Trio, Joe McPhee : Human Encore (Clean Feed, 2013) / Beresford, Küchen, Solberg : Three Babies (Peira, 2013)

trespass trio joe mcphee human encore

A Coimbra (trois soirs de concerts) en compagnie de Joe McPhee, le Trespass Trio de Martin Küchen (qui signe cinq des huit titres de ce disque), pas contrariant, pas regardant, pas rancunier, en redemandait : Human Encore

L’œil était dans l’obus, et regardait McPhee (qui, lui, soufflait en trompette piccolo). L’ouverture est en conséquence prudente : A Desert On Fire, A Forest tenant du morceau d’atmosphère porté par une contrebasse mesurée (Per Zanussi) que Küchen tiendra malgré tout à agiter. La suite convolera en motifs souterrains (Bruder Beda Ist Nicht Mehr, Xe) avec un art de l’à-propos rentré : le jazz du quartette d’exception jouant de délicatesses et d’inventions malignes.

Jazz encore : ce sont-là les improvisations, que découpent les rapides baguettes de Raymond Strid. Trompette et saxophone s’y mêlent sur un air de free terrible ou l’allure d’un swing dont les pulsations varient d’un instrument à l’autre. En conclusion, alors, cet Human Encore attendu : l’archet grave de contrebasse, le baryton et la trompette enlacés, sur un de ces hymnes prégnants dont Joe McPhee a le secret. Imparable. Indispensable.

Trespass Trio, Joe McPhee : Human Encore (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 31 mai, 1er-2 juin 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ A Desert on Fire, A Forest 02/ Bruder Beda Ist Nicht Mehr 03/ Xe 04/ Coimbra, mon amour 05/ A Different Koko 05/ In Our Midst 07/ Human Encore 08/ A Desert on Fire, A Forest (First Day Take)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

beresford küchen solberg three babies

2012, 6 octobre, Londres (Café Oto) : Steve Beresford, Martin Küchen et Ståle Liavik Solberg, soit : piano et objets, saxophone sopranino et percussions. Three Babies, peut-être, parce qu’ils se laissent aller à une improvisation loufoque (plus qu’iconoclaste) et surtout parler leur instinct. Et c’est le saxophoniste qui consolidera trois structures fragiles à coups d’intimidations presque adultes. A moins que ces Three Babies soient les pièces dont le trio a accouchées : le disque plaiderait ainsi en faveur de la tare réservée à l’aîné.

Steve Beresford, Martin Küchen, Ståle Liavik Solberg : Three Babies (Peira)
Edition : 2013.
CD : 01/ Steel Babies 02/ Car Babies 03/ Kitchen Babies
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Atolón, Chip Shop Music : Public Private (Another Timbre, 2013) / Atolón : Concret (Intonema, 2012)

atolon chip shop music public private

La rencontre barcelonaise d’Atolón (Ruth Barberán, Alfredo Costa Monteiro et Ferran Fages) et de Chip Shop Music (Erik Carlsson, Martin Küchen, David Lacey et Paul Vogel) date du 3 février 2012 et s’est faite en deux temps : avec public, et puis sans.

Avec, ce sont près de trois quart d’heure d’improvisation nocturne – Dans le noir, nous verrons clair, mes frères ! –, qui cherche d’abord à occuper l’espace à coups de propositions timides : tintement répété, souffle grave, frottements et craquements, maintenant aigus. Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite ! – Pièces-modules imbriquées et, aux croisements, des coups portés (de rage ? d’impatience ?) aux instruments par simple principe offensif – Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?

Sans public, c’est un peu plus de vingt minutes et davantage d’allant. L’accordéon sur deux notes, l’électronique perçant et les techniques rentrées des instruments à vent dressent une inquiétante machine à son – Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes ! – que fuit un bestiaire forcené – Comme je vais t’écarteler !

Est-ce la radio de Martin Küchen qui, en interférences, a craché des morceaux de Michaux : Contre !, pour dire tout l’inverse.  

Atolón, Chip Shop Music : Public Private (Another Timbre)
Enregistrement : 3 février 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Public 02/ Private
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

atolon concret

Ce Concret, enregistré le 15 janvier 2011, trouve d’abord ses marques en deux notes d’accordéon. Lentes à renier leur origine, celles-ci font face aux plaintes d’objets rayés et à quelques grincements. Au mitan de l’enregistrement long de vingt-cing minutes, le trio commence à intéresser : une trompette tremblante attire à elle des morceaux de ferraille que l’on traîne et dont on entend jusqu’à la rouille. L’accordéon peut conclure.

écoute le son du grisliAtolón
Concret

Atolón : Concret (Intonema)
Enregistrement : 15 janvier 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Concret
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Looper : ųatter (Monotype, 2013)

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Redire que Looper est ce trio formé de trois des plus remarquables improvisateurs d’hier (déjà), du jour (sûrement) et de demain (sans doute) : Martin Küchen, Nikos Veliotis et Ingar Zach. Noter aussi que Looper est ce cœur fragile que l’on entend battre sur le début de ųatter, vinyle dont la pochette – juxtaposition d’images, tirées d’une vidéo de Veliotis, qui nous propulse en salle d’opération – pour lui nous fait craindre le pire, mais dont la musique, du même, atteste l’endurance et même la force subtile.

Il faudra pour cela fondre d’abord tous les matériaux : saxophone alto, violoncelle, percussions et radio. L’opération est délicate, dans tous les sens du terme, qui ajoute à sa propre rumeur les chants d’instruments lustrés avec application : claire et grosse caisses effleurées, saxophone réservé, violoncelle maniaque. Au rapport, ce-dernier l’emporte donc et dessine, d’un archet amplifié, la ligne de laquelle le groupe ne déviera plus. Jonchées d’inquiétudes, celle-là, et de graves impératifs. Malgré les unes et les autres, sur sa ligne le trio danse : en appelle à l’accident, s’en remet au péril.

écoute le son du grisliLooper
Alignement

Looper : ųatter (Monotype / Metamkine)
Edition : 2013.
LP : 01/ Slow 02/ In Flamen 03/ Alignement 04/ Our Meal
Guillaume Belhomme © Le son du grilsi


Martin Küchen : Hellstorm (Mathka, 2012)

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Sur Mathka, label qui accueillit déjà The Lie & the Orphanage – disque solo de Martin Küchen qui suivait Sing with Your Mouth Shut, Music from One of the Provinces in the Empire et Homo Sacer –, paraît aujourd’hui Hellstorm. Deux faces d’un trente-trois tours sur lesquelles le saxophoniste (muni d’une radio, d’un tampoura électronique et d’une brosse à dents électrique) renverse un autre paysage : de neige, dit la photo de couverture, anonyme mais datée de 1944.

On sait que l’histoire et ses conflits travaillent Martin Küchen, et donc son œuvre. Obnubilé par l’ouvrage de Thomas Goodrich qui donne son nom à ce disque et avec en tête une phrase tirée du journal de guerre de son père (Man erkennt langsam das Elend, dass über uns gekommen ist), il gagnait le 18 décembre 2010 une église de Lund, en Suède. Enregistrées par Jakob Riis, cinq improvisations : Allemagne Année Zéro, The Russia We Lost, Sarajevo, 10 000 Jahr, Ritual Defamation.

C’est, par l’effort et le souvenir, son propre rapport au monde qu’envisage Küchen : une fois levés les brouillards, baryton lent sur drone vaporeux, c’est la découverte des ombres : notes d’alto aux attaches fragiles, voix qui ne tiennent qu’à un souffle mais qui, par le recueillement d’un interprète, finissent par se faire entendre. Comme la flamme portée vers le haut, les notes s’échappent du tube de l’instrument plus que de son pavillon : alors, leur tristesse se change en chants profonds qui font toute la valeur d’Hellstorm.

Martin Küchen : Hellstorm (Mathka)
Enregistrement : 18 décembre 2010. Edition : 2012.
LP : A1/ Allemagne Année Zéro A2/ The Russia We Lost B1/ Sarajevo B2/ 10 000 Jahr B3/ Ritual Defamation
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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