Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Martin Küchen : Live at Vilnius Jazz Festival (NoBusiness, 2016)

martin küchen live at vilnius jazz festival

C’est la bande-originale d’un film muet – The Lost World (1925), arrangé pour l’occasion par Artūras Jevdokimovas – que le trio Martin Küchen / Mark Tokar, contrebassiste entendu sur disque avec Vandermark (Resonance) ou Sabir Mateen (Collective Four) / Arkadijus Gotesmanas, batteur sorti du Vilnius Jazz Orchestra et récemment remarqué sur le même label au côté de Charles Gayle (Our Souls: Live in Vilnius) improvisa le 17 octobre 2016 dans le cadre du Vilnius Jazz Festival. La manifestation vit aussi Küchen se produire seul et à la tête d’Angles 8.

A l’écoute du disque, manqueront bien sûr les images de cette première adaptation cinématographique du Monde perdu de Conan Doyle. Mais il suffit de quelques secondes au trio – bien que débutant – pour focaliser notre attention sur la seule musique. C’est d’abord la trace d’une « blessure » qu’un saxophone laisse sur son passage puis le baume d’une flûte qui recadre l’épreuve. On pense alors à Roland Kirk sur moments lâches ou à certains airs du Straight Ahead d’Abbey Lincoln et Max Roach.

Mais l’improvisation, détachée des images qu’elle a illustrées, gagne forcément en abstraction : alors, entre Clo's Blues de Coleman Hawkins et New York Eye And Ear Control d’Albert Ayler, Küchen élabore un no man’s land dans lequel injecter beaucoup de ses préoccupations (recherches sur le timbre de l’instrument, expressions dissimulées en souffles, déséquilibres imposés par un va-et-vient entre relâchement et tension…), ce que saisissent ses partenaires. De circonstance, l’association Tokar / Gotesmanas l’est ainsi à plus d’un titre : les cordes élastiques du premier relançant sans cesse le saxophone quand la frappe du second l’enveloppe en toute discrétion. C’est ici donc un live particulier, qu’il est nécessaire de rattraper.

Kuchen-Gotesmanas

Martin Küchen : Live at Vilnius Jazz Festival
NoBusiness
Enregistrement : 17 octobre 2016. Edition : 2016.
LP : A-B/ Live at Vilnius Jazz Festival
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Undivided : Moves Between Clouds (Multikulti, 2011)

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De ce quintet qui fait corps, évoquons tout d’abord les membres. Aux côtés du jeune leader,  le clarinettiste polonais Waclaw Zimpel, on trouvera son compatriote Mark Tokar à la contrebasse et l’allemand Klaus Kugel à la batterie. Avec eux, deux  vétérans américains du plus fier des free jazz : le pianiste Bobby Few (ancien compagnon de Steve Lacy et Albert Ayler) et le souffleur Perry Robinson (que l’on entendit aux côtés d'Archie Shepp, Henry Grimes ou encore Rashied Ali).

Dès les premières mesures et leurs lentes précipitations de notes, on sait que l’on nous offre ici un disque (leur second) d’importance. Les cinq hommes délivrent une musique resserrée et intense telle une flamme vivace qui percerait la nuit. Petite armée obstinée, elle avance sûrement et la première excursion solitaire, celle du piano de Bobby Few, propose les premiers moments d’exception. Ses amples vagues emporteront tout sur leur passage. Telles celles d’un Cecil Taylor, les notes de Bobby Few percutent l’auditeur pour ensuite l’assaillir avec douceur, tendresse presque, vertige toujours.

Alors, le disque, recueil de trois longs morceaux livrés par le 5tet lors d’un concert à Varsovie, fera montre d’une intensité jamais relâchée. Le cœur du disque, sa plus belle pulsation, est assurément le second titre, Moves Between Clouds. Après ce moment d’une grâce étonnante (fausse légèreté, vraie solennité), on ne pourra que regretter les égarements d’un troisième morceau qui aura tendance à se perdre parfois dans des divagations verbeuses. Mais faisons fi de ce bémol prononcé de fine bouche, et revenons au cœur. Les entrelacs hésitants des souffles de Perry Robinson et Waclaw Zimpel ne se feront pas de sitôt oublier, et les paysages traversés dans leur sillage ne demanderont qu’une chose : être arpentés encore, par leurs marges, en de sinueux détours que seuls ces cinq-là semblent pouvoir emprunter.

Undivided : Moves Between Clouds, Live in Warsaw (Multikulti Project)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Hoping Between Clouds 02/ Moves Between Clouds 03/ What A Big Quiet Noise
Pierre Lemarchand © Le son du grisli


Tim Daisy, Wacław Zimpel : Four Walls (Multikulti, 2008)

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Sur Four Walls, Wacław Zimpel – soit : le plus vandermarkien des clarinettistes polonais – échange avec Tim Daisy – soit : le plus vandermarkien des percussionnistes vandermarkiens. Sur deux titres, la paire est augmentée de Dave Rempis et Mark Tokar.

Brute, la clarinette sert d'abord une mélodie saillante et graduée (Wood and Wire, qui sera repris plus tard en quartette) ; changeante, la clarinette basse donne ensuite dans des circonvolutions graves et puis choisit l'option méditative, Zimpel apaisé sans doute par la maîtrise quiète de Daisy (Red Door). Sur le morceau-titre, c'est d'ailleurs Daisy qui l'emporte : le dialogue net est celui qu'il commande, la concentration partagée capable de découpages convaincants est presque de son seul fait.

Et puis, sur Ladder Song, Zimpel dépose une autre mélodie mince et choisit de vociférer : soudain rebelle à toute autorité percussive, il agit avec force mais la poursuite s'engage, Daisy le poussant dans ses derniers retranchements – faux airs, déjà, de Basement of Joy. Avec Rempis et Tokar, le duo fait oeuvre de linéarité jouant d'unisson avant que naissent de beaux reliefs sous l'actions de solos à se succéder. Rien à redire, là non plus : Four Walls à entendre.

Tim Daisy, Waclaw Zimpel : Four Walls (Multikulti Projekt)
Edition : 2008.
CD : 01/ Wood and Wire 02/ Red Door 03/ Four Walls 04/ Ladder Song 05/ Chorale 06/ Basement of Joy 07/ Wood and Wire
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Ken Vandermark : Resonance (10 CD Box Set) (Not Two, 2009)

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Comme jadis avec l'Alchemia, le label Not Two se distinguait récemment en publiant une longue boîte de Resonance : à l’intérieur, le résultat d’un « work in progress » de taille puisqu’il impliquait, entre le 12 et le 18 novembre 2007, Ken Vandermark et quelques autres musiciens (compatriotes mais aussi Suédois, Polonais et Ukrainiens) –  pour les citer tout de suite et dans l'ordre alphabétique : Magnus Broo (trompette), Tim Daisy (batterie), Per-Ake Holmlander (tuba), Dave Rempis (saxophones alto et ténor), Steve Swell (trombone), Mark Tokar (contrebasse), Mikolaj Trzaska (saxophone alto et clarinette basse), Yuriy Yaremchuk (saxophones ténor et soprano, clarinette) et Michael Zerang (percussions).

En Pologne, de répétitions (à l'Alchemia de Cracovie) en concerts (au Manggha Hall de Cracovie), Vandermark composait avec eux quinze formations restreintes (le plus souvent quartettes) qui ne l'impliquaient pas forcément, avant de conclure l'expérience à dix, soit : de quoi fournir dix disques d'échanges abrupts, d'ombres traînantes, d'insistances insatiables, de tensions

Parfois donc, les propositions sont véhémentes (pétries de soul ici, de rock là, de free jazz ailleurs) et d'autres fois minimalistes, concentrées et commandées par un art savant de la frustration à qui il arrive d'enrouer la progression d'une pièce pour soigner le moment de sa libération : développement réamorcé qui demande la participation de toutes les fougues. Bref, les bonnes méthodes de Vandermark qu'appliquera pour finir la réunion des dix musiciens convoqués plusieurs fois. A l'intérieur de la boîte, des planches imprimées rendent les interviews de chacun d'eux, qui reviennent évidemment sur l'expérience mais surtout sur l'espace qu'ils auront trouvé auprès de Ken Vandermark.

Ken Vandermark : Resonance (10 CD Box Set) (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2007. Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Yuriy Yaremchuk, Mark Tokar, Klaus Kugel : Yatoku (Not Two, 2007)

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Le batteur Klaus Kugel, le contrebassiste Mark Tokar et le multi instrumentiste ukrainien Yuriy Yaremchuk, improvisent les combinaisons possibles d’un triple portrait : Yatoku  et ses palindromes.

Sur mouvement lent, le trio défend d’abord un free qui gagne en densité, avant d’hésiter entre les manières à appliquer à ses pratiques instrumentales : frénétiques (saxophone soprano sur Tokuya, section rythmique défaite sur Kutoya), incertaines, voire, expérimentales (clarinette basse et contrebasse adeptes de détournements mélodiques sur Toyaku), ou plus rassurantes (développement de Kuyato et écarts de langage disposés en cercles sur Yakuto).

S’écartant peu à peu des usages entendus, les trois hommes finissent par mettre la main sur une singularité sophistiquée et, pour tout dire, inattendue.

CD: 01/ Yatoku 02/ Tokuya 03/ Kuyato 04/ Yakuto 05/ Toyaku

Yuriy Yaremchuk, Mark Tokar, Klaus Kugel - Yatoku - 2007 - Not Two.



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