Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

LDP 2015 : Carnet de route #19

ldp 2015 5 & 6 pctpbre

Désormais à Londres, les deux-tiers du trio ldp : au Cafe Oto, où se pressent quelques habitués du grisli et où Jacques Demierre entame un intéressant entretien avec la violoniste et chercheuse Anouck Genthon

5 & 6 octobre, Londres, Royaume-Uni
Cafe Oto

05./06.10. – Konzerte, Cafe OTO London
Ein ähnliches Programm wie in Luzern führen wir in London auf. Am ersten Abend spielen wir im Anschluss an die Gruppe AMM zusammen mit Roger Turner im Trio.
Der zweite Abend wird mit dem Video von Barre Phillips eröffnet. Im letzten Teil des Videos spielen die Musiker des Quintetts zusammen mit Barre. Nach einer Pause spielt das Quintett mit Angharad Davies, Urs Leimgruber, Rhodri Davies, Jacques Demierre und Hannah Marshall ein Konzert als zweiten Teil. Im Sinne ein anderer Raum – ein neues Konzert.
U.L.

C'est en observant le piano Yamaha C3, placé côté jardin de la scène du Cafe OTO londonien et portant le numéro 61922428, que John Tilbury me parle de son désir de clavicorde. J'y entends immédiatement un lien entre la discrétion sonore de cet instrument et la qualité unique des attaques que le pianiste anglais parvient à produire dans ses interprétations de Morton Feldman. Ou en improvisant, comme ce fut le cas ce même soir en compagnie de Eddie Prévost, dont les regards vers son collègue totalement absorbé par son jeu magnifiquement radical de semi-intentionnalité sont restés profondément inscrits dans ma mémoire. Impression de me trouver à la frontière d'une solitude abyssale. Le tranchant du trio avec Roger Turner et Urs m'a rappelé certaines épices particulièrement relevées que nous avions expérimentées, il y a peut-être deux ans de cela, avec Barre et Urs, dans ce restaurant turc où les artistes visuels Gilbert et George ont leur Stammtisch depuis de nombreuses années. Nous les avions croisés, sortant du lieu avec classe et modestie dans un murmure d'une discrétion royale. Depuis trois jours qu'a commencé le Fall Tour, nous projetons chaque soir, en début de première ou de seconde partie, une vidéo faite d'un montage d'images où l'on voit Barre parler, Barre jouer, Barre jouer et parler. Son absence est grande, sa présence aussi. Certains de ses mots prononcés tournent en boucle en moi, des mots qui parlent de cette longue route qu'il n'a cessé de dérouler depuis 50 ans, cette longue route qui le mène aujourd'hui encore à essayer de comprendre ce qu'est la musique, ce qui est en jeu durant un concert, ce que nous retirons d'un concert passionnant ou d'une expérience musicale particulièrement inspirante. Ce sont ces questions qui viennent d’être abordées dans un entretien mené en vue de la création radiophonique "expérience sonore", réalisée par Anouck Genthon et Emmanuelle Faucilhon, dans le cadre de la "Nuit de la découverte" initiée par France Culture. De cet entretien, j'ai transcrit les passages qui me semblent les plus représentatifs de mon état d'esprit à l'écoute répétée de ces mots de Barre. J'y entends le sens bien sûr, mais au fur et à mesure de la répétition des écoutes, le son devient primordial, l'expérience du son de la voix de Barre, comme une expérience sonore autonome et non duelle. Je suis redevable à la violoniste et chercheuse Anouck Genthon (AG) d'avoir abandonné cet interview enregistré à la subjectivité de ma transcription, où, à l'inverse des autres courts textes de ce Carnet de Route, j'ai voulu conserver la trace sonore du langage parlé.
JD- C’est toujours difficile de parler d’une expérience sonore… d’une expérience sonore vécue, j’ai l’impression que c’est une chose qui est loin des mots et que si on la met en mots, forcément on la trahit, forcément on trahit cette expérience du son…on est davantage dans la description de comment on perçoit cette expérience, mais on n’est pas dans la description de l’expérience elle-même qui reste presque indescriptible…en même temps tout cela est très intéressant puisque pour pouvoir ré-élaborer des choses ensuite ou simplement jouer, on travaille finalement plus sur comment on perçoit les choses, comment est-ce qu’on vit une expérience du son plutôt que sur l’expérience du son elle-même, j’ai vraiment ce sentiment-là…
AG- C’est comme une deuxième lecture d’une certaine manière, on est dans la résonance de ce vécu-là. L’idée n’est pas de pouvoir décrire mais plus de raconter ce qui reste, de mettre à jour les traces de cette expérience…
JD- J’ai l’impression qu’il y a deux plans, le plan de l’expérience elle-même et le plan de l’amont-aval de l’expérience, comme l’adret et l’ubac qui ne peuvent dire la montagne autrement que dans le mouvement menant de l’un à l’autre…l’expérience du son est elle-même issue de niveaux très différents, de réalités qui peuvent être très très différentes, qui peuvent être musicales, qui peuvent être non-musicales, qui peuvent être d’ordre acoustique, qui peuvent être d’ordre émotionnel, d’ordre social….de tout ça l’expérience sonore va se nourrir pour exister, comme une espèce de matériau textuel, textuel au sens large du terme…ce soir-là en l’occurrence on a donné un concert où pour des raisons de santé Barre est absent, un concert où on célébrait son anniversaire, cette absence finit forcément par être jouée, elle aussi…un film sur Barre est projeté dans ce même lieu, un théâtre, à l’acoustique assez sèche, assez peu faite pour le son instrumental, peut-être davantage pour la parole, un lieu rarement utilisé pour la musique improvisée, avec éventuellement des tensions entre les gens du théâtre et les gens qui l’investissent pour l’occasion, enfin il y a comme toute une série de textes, de textes de base qui vont agir sur l’expérience sonore, et j’ai l’impression que l’expérience sonore, en tous les cas vue en amont, se constitue bien avant, les conditions de cette expérience sonore  démarrent longtemps en amont, elles peuvent dépendre par exemple du train que l’on va prendre le matin, elle dépend des mails échangés avec l’organisateur, enfin il y a une dimension sociale, pratique, et pas uniquement musicale, j’ai l’impression que c’est à travers ces éléments-là que va se constituer l’expérience sonore et j’ai l’impression que la virtuosité la plus grande c’est d’arriver à jouer avec tous ces éléments-là, à jouer avec l’absence de quelqu’un, avec l’émotion que cela peut susciter, avec le saxophoniste qui doit trouver une anche qui soit acceptable dans un tel espace… il y a une sorte de virtuosité qui ne relève pas que du son, mais qui relève d’une série d’expériences beaucoup plus larges dont on ne parle pas vraiment avant de jouer, mais  qui constitue le texte de cette musique improvisée, c’est un peu un paradoxe, mais j’ai absolument l’impression qu’il y a un texte qui sous-tend tout ça, que de toutes façons, c'est un texte qu'on joue...(à suivre)
J.D.

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Ste. Philomène - 6 october 2015
My friends are now in London and I'm still home.   It feels strange but right in the way of what I must do to be able to join them later.   Yesterday the movers came and took away the hospital bed.    Like removing the tube from my nose some days before it was yet another step, a new level of this ongoing adventure.   Tomorrow the nutritionist will come to check up on me and take away all the rest of the gear, artificial food bags and accompanying paraphernalia.   And yesterday I took the bag off of the bass, for the first time in four months.    My ear/brain still remembered the right pitches for tuning the bass.   I started by playing a few notes pizz.   As I played more jazz than classical music from my beginnings in 1947 my foundations are basically pizzicato.    I had been looking forward to this moment for some weeks.   Four months without touching a bass.   It is the first time in my life to not touch a bass for so long.    I couldn't imagine what would happen.    I knew that I wasn't going to look to regain the technique I had lost by not playing but to remain open to whatever would come out and work with that.    From the first note - an A natural on the G string, my ears went right back to the last concert I had played, with Urs and Jacques in Arles, France on the 21st of May.    Amazing.   My body wasn't all there, but mostly.   The finger tips have no more callous.   The muscles in my hands are flabby and need stretching.    But my mind and my ear went right back to where I left off.     What a surprise.   But I accepted it.   Thirty minutes of playing, all pizz, and I had to stop.    Ouch!   That hurts!   And today I have been busy at the computer and running errands but this evening we will meet again and carry on the adventure. Amen!   Wait, Wait a bit more.   Here I come.
B.Ph.

Pour en revenir à l’idée de “texte” évoquée dans le feuillet précédent, les conditions en amont de cette soirée londonienne du 6 octobre font que "mon" piano Yamaha numéro 61922428 ne sonne pas comme hier, bien que sa facture n’ait en rien changé. J’observe mon instrument comme soumis à différents régimes de pressions, acoustiques, sociales, musicales, technologiques, professionnelles, etc., et comme pris dans un mouvement d’effet sonore qui raconte le point de vue, le point d’écoute privilégié que devient cet objet piano. Le quintet harpe, violoncelle, saxophone, violon, piano, placé dans cet ordre sur scène, de cour à jardin, déploie une musique horizontale traversée de fulgurances verticales. Et toujours la même difficulté de dire cette musique après l'avoir jouée, de décrire à Baobao, jeune pianiste chinoise avide de comprendre l'incompréhensible, les hasards et la non-intentionnalité qu'il a fallu pour que surgisse un son tel que nous l'avons partagé ce soir. Evoquant le clavicorde, un auditeur, mélomane turc et particulièrement avisé, Serdar Akman, attire mon attention sur la musique de Muzio Clementi, et plus particulièrement sur l’interprétation du duo de Hammerklavier formé par Galina Draganova & Vasily Ilisavsky, jouant des pianos Broadwood 1798. Il m'ouvre aussi un champ de possibles insoupçonnés en tissant librement des liens entre les oeuvres de ce musicien-compositeur contemporain de Beethoven avec les enjeux pianistiques des deux musiciens pianistes en présence ce soir au Café OTO, en l’occurrence John Tilbury et moi-même. Le surgissement impromptu de ces réalités temporellement et spatialement croisées me ramène à la matière de l'interview, là où je l'ai laissée, là où je dis que, de toute façon, c’est un texte que l’on joue…
AG- Parce que ça s’inscrit dans un contexte…
JD- Ça s’inscrit dans un contexte, mais on arrive pas dans ce contexte depuis l’extérieur du contexte, c’est un processus qui s’est construit au fur et à mesure et cette expérience du son, c’est comme une cristallisation de tous ces éléments qui préexistent et qui tout à coup prennent forme sonore, qui sont fonction de l’empreinte acoustique du lieu, du nombre de personnes, du nombre de gens qui sont venus peut-être davantage pour la deuxième partie, tous ces paramètres sont des éléments qui font partie du texte et qu’on ne maîtrise pas non plus, qu’on maitrise d’une manière peut-être inconsciente, d’une manière spontanée, et qui sont à la base de cette expérience sonore…après avoir vécu cette expérience sonore, en aval du moment vécu, j’ai l’impression que l’on se retrouve dans cette même impossibilité de décrire cette expérience parce que les conditions du texte ont disparu…si on essaie de décrire l’expérience du son par la simple explication ou la description de toutes ces conditions qui ont amené l’expérience sonore, on ne la retrouve pas, c’est trop pauvre aussi… je pense que l’expérience du son est une chose extrêmement étrange, je parle là de la musique improvisée, avec la musique écrite c’est un peu différent, il y a création d’un objet qui est quasi préexistant et qu’on va mettre dans un certain cadre temporel, alors que là on essaie de se situer à l’intérieur du flot des événements où l’on tente de se positionner le mieux possible afin de produire du son à l’intérieur de cette continuité, cela semble pour moi être un lieu à la fois très difficilement prévisible et aussi très difficilement traduisible après coup, c’est une expérience de l’ordre de l’expérience, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler, évidemment, là d’ailleurs on en parle, mais on est tout le temps en manque de termes adéquats… il faudrait pouvoir presque en parler en même temps, il faudrait presque pouvoir exprimer en même temps l’effet que produit sur nous cette expérience du son…on trouve ça dans d’autres cultures, ça peut être à travers la danse, ça peut être des cris, dans notre culture aussi, à l’opéra, les gens qui applaudissent au milieu d’un air, les gens qui sifflent, qui crient, c’est un rapport qui est beaucoup plus direct et qui est lié au même temps, pour moi cet aspect temporel est très fort, il unifie, c’est le temps vécu ensemble par les musiciens et le public qui unifie leurs expériences sonores, quand on sort de cette unité de temps il nous manque finalement l’élément le plus important, on est dans un autre temps, on parle d’un objet qui n’existe plus temporellement, on est dans la description d’un objet qui a perdu sa spécificité, mais ce n’est pas particulier à la musique d’ailleurs…
AG- …qui a perdu sa substance car il est ancré dans ce présent-là, comme une entité à laquelle tout le monde prend part, comme si il y avait un élément agglomérant qui existait comme une tension dans la réunion par l’écoute de toutes ces choses, et quand ça prend fin il y a un relâchement…
JD- Oui, mais si on en parle, si par exemple ce sont des textes écrits après coup, je pense que les textes les plus intéressants sont les textes qui décrivent l’expérience de l’après coup la plus intéressante, la description de quelqu’un qui arriverait à décrire sa propre impossibilité à parler de l’instant présent mais qui arrive à décrire quelle a été sa manière de percevoir cette expérience du son, plutôt que l’expérience du son en tant que telle…
AG- Même si on fait partie prégnante de cette entité-là qu’on partage, chacun a ses oreilles, chacun a sa propre perception par rapport à son propre contexte…
JD- Oui mais comment expliquer que l’on puisse vivre une même expérience, il y a tout de meme des éléments vécus en commun…
AG- J’ai l’impression qu’à un endroit donné on accepte de lâcher une partie de nous, qu’on dépose quelque chose, je viens évidemment écouter avec ce que je suis, mais je viens aussi en me déchargeant d’une partie de ce que je suis que je dépose pour m’ouvrir à cette expérience du son…comme si à cet endroit-là je pouvais déposer les armes, enlever les couches de mon moi. Pour se plonger dans une écoute il faut accepter, me semble-t-il, une certaine mise à nu, tout autant que les musiciens qui sont eux-mêmes également dans cette mise à nu en jouant. Et c’est possible par la confiance de cette microsociété faite de respect et de partage entre individus qui sont présents pour vivre communément quelque chose… (à suivre)
J.D.

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Photos : Jacques Demierre

> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE



Keith Rowe, John Tilbury : Enough Still Not to Know (SOFA, 2015)

keith rowe john tilbury enough still not to know

C’est à la demande Kjell Bjørgeengen que Keith Rowe et John Tilbury se sont retrouvés en studio, les 17 et 18 juillet 2014. Il s’agissait de mettre en musique une installation vidéo de l'artiste : si le beau coffret nous prive de l'image, il n’en consigne pas moins quatre disques capables de remplir cet écran noir aux airs de reps qui a commandé les couleurs de l’objet.

Partageant avec Rowe et Tilbury un goût pour la poésie de Beckett, Bjørgeengen nomme, dans un livret, le titre du dernier poème de l'écrivain, What is the word : voir —/ entrevoir — / croire entrevoir — / vouloir croire entrevoir — / folie que de vouloir croire entrevoir quoi — / quoi — / comment dire.  Il suffira de substituer « entendre » à « entrevoir » pour chercher ensuite à dire comment le duo est parvenu à emprunter à Beckett son savoir-faire sur le fil.

En équilibre, ce sont là d’autres silences et d’autres rumeurs, des accords en progrès (au début de la troisième partie, Tilbury lui-même les dit, une fois n’est pas coutume, « envahissants ») ; en déséquilibre, un piano timide d’où chutent de rares notes et des bruits divers jetés dans l’espace (crissements et crépitements, bourdons graves, ronronnements de moteurs et air de violon que diffuse la radio…).

Peut-être la vidéo montre-elle, malgré ses noirs, deux surfaces planes qui se frôlent et, pour peu qu’on les envisage à distance, ne font bientôt plus qu’une, agacée bientôt par les lignes de fuite qu’arrange la bande-son : Enough Still Not to Know, qui atteste à son tour, comment dire… que Keith Rowe et John Tilbury font à la manière de Pénélope, soit : pour mieux défaire ensuite, en secret.  

Keith Rowe, John Tilbury : Enough Still Not to Know (SOFA)
Enregistrement : 17-18 juillet 2014. Edition : 2015.
4 CD : 01-04/ First Part-Fourth Part
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


John Edwards, Mark Sanders, John Tilbury : A Field Perpetually at the Edge of Disorder (Fataka, 2014)

john edwards mark sanders john tilbury a field at the edge of disorder

Quand ils n’improvisent pas en duo, John Edwards et Mark Sanders ont, semble-t-il, pris l’habitude d’interroger la pratique musicale qu’ils ont en commun auprès d’invités d’importance (Evan Parker, Frode Gjerstad, Veryan Weston…). Depuis le 17 juin 2013 (date d’un concert donné au Café Oto), John Tilbury est de ceux-là.

Est-ce affaire de contrepoids ? L’équilibre de ce « champ » qui, perpétuellement, affleure le désordre – la « confusion », même, menacerait-elle ? – trouve un point d’appui en contrastes subtilement accordés : affirmations brèves mais franches du percussionniste contre répétitions étouffées du pianiste, endurances de mouvements d’archet contre propositions sourdes (mais toujours terriblement décisives) ou accords amputés…

Malgré l’équilibre en question, et même l’allant de la composition, Tilbury peut soudain adopter les codes compulsifs de ses partenaires : la musique est alors de connivence, qui échange ses effacements au profit d’une tension changeante, grondante même parfois. Comme ces « bird calls » que Tilbury extrait en début d’enregistrement de quelle besace, l’air que le trio compose en deux temps allie plus qu’il n’oppose éther et fragilités.

John Edwards, Mark Sanders, John Tilbury : A Field Perpetually at the Edge of Disorder (Fataka)
Enregistrement : 17 juin 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Part I - 38:11 02/ Part II - 29:26
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


John Butcher, Thomas Lehn, John Tilbury : Exta (Fataka, 2013)

john butcher thomas lehn john tilbury exta

Le titre de l'enregistrement (comme les intitulés de ses cinq improvisations) a beau annoncer des entrailles tirées de quelque cérémonie antique, la photo de pochette promettre des viscères pendus sur crocs, le beau sang de bœuf du disque préparer à l'hémoglobine, l'audition de cette heure de musique (extraite d'une séance de studio en juin 2012) ne révèle aucun étal de tripier...

C'est pourtant à l'écoute d'un organisme – celui que forment et sondent John Butcher (saxophones ténor & soprano), Thomas Lehn (synthétiseurs) et John Tilbury (piano) – dans sa temporalité propre, sa pénombre, son mystère, qu'il faut se placer : un pouls insensible, des villosités parcourues de fines ondes électriques, des cavités qu'ouvre le synthétiseur échographe.

Inédite, l'association de ces trois musiciens qui se sont indépendamment fréquentés dans AMM, MIMEO, Thermal ou le Cortet de Fuhler, installe chacun au plus discret, dans une suspension qui agit comme une force d'attraction sur l'auditeur ; frôlant parfois une sorte de torpeur hypnotique, penché sur les humeurs et rumeurs de ce corps, l'exercice est d'une absorbante splendeur.

EN ECOUTE >>> Pulmo II

John Butcher, Thomas Lehn, John Tilbury : Exta (Fataka)
Enregistrement : juin 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Pulmo I 02/ Cor 03/ Pulmo II 04/ Iecur 05/ Fel
Guillaume Tarche © Le son du grisli

meteoJohn Tilbury se produira ce jeudi 29 août à Mulhouse, en compagnie d'Isabelle Duthoit, Keiji Haino et Franz Hautzinger. Deux jours plus tard, dans la même ville, John Butcher apparaîtra seul à la Friche DMC. Dans les deux cas, le cadre sera le même, qui a pour nom Météo.


AMM : Two London Concerts (Matchless, 2012)

amm two london concerts

Deux concerts londoniens enregistrés les 6 mars 2011 et 27 novembre 2011. AMM (duo) : John Tilbury au piano et Eddie Prévost à la batterie, & dans la brume. London in the fog : Tilbury & Prévost in the mist. Nous, assis, qui respirons cette somme d’atmosphères.  

Un cluster prend le temps de s’évanouir dans l’air mais un autre le remplace, les deux sont reliés par un bourdon de cymbale allumé par une mèche. Les accords de piano se rapprochent, Tilbury tire sur une des cordes de son piano, prise au hasard, et il n’en voit pas le bout : parce qu'il n’a qu’une corde à son piano, de plus en plus fine.

La batterie de l'adroit Prévost lui décoche des flèches de rouille ou inquiète un tom pour la faire trembler : le piano s’en méfie, se fait discret mais pas oublier, on entend partout sa respiration. A Londres, la brume s’est dissipée pour laisser place à un brouillard frémissant. Nous, pourtant assis loin de lui, avons frémi avec lui.  

AMM : Two London Concerts (Matchless)
Enregistrement : 6 mars 2011 & 27 novembre 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ E1 AMM 02/ SE1 AMM
Héctor Cabrero © Le son du grisli



Tilbury, Chang, Drouin... : Variable Formations (Another Timbre, 2013) / Tilbury : Triadic Memories (Atopos, 2008)

johnny chang jamie drouin john tilbury angharad davies lee patterson phil durrant various formations

Au Café Oto le 16 février 2013, Johnny Chang et Jamie Drouin invitèrent John Tilbury, Angharad Davies, Phil Durrant et Lee Patterson à composer au gré de formations changeantes : solo du pianiste, duo Chang / Drouin, trio Davies / Durrant / Patterson, enfin, sextette à entendre sur ce disque.

En faisant écho à la musique jouée plus tôt (celle d'Eva-Maria Houben, par exemple, pour le trio), les musiciens improvisèrent ensemble : le piano, sur deux notes, attire à lui l'archet du violon et une ligne électronique tremblante ; un lot de cordes lasses accentue les appréhensions, et même les angoisses, d'un clavier sur l'éternel retour ; une délicatesse partagée soigne les reliefs d'une pièce de musique électroacoustique où les évocations et les références enrichissent une électroacoustique de belle déconvenue.

John Tilbury, Johnny Chang, Jamie Drouin, Phil Durrant, Lee Patterson, Angharad Davies : Variable Formations (Another Timbre)
Enregistrement : 16 février 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Variable Formations
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

john tilbury triadic memories

En concert à Londres, le 6 octobre 2008, Triadic Memories par John Tilbury. Cette note aigue, encore, non pensée mais révélée par Morton Feldman, qui à sa traîne en commande deux ou trois autres, plus graves qu’elle mais qu’elle fait tourner au rythme d’un balancement perpétuel. Dont les effets sont imprévisibles. Plus loin, Tilbury interprète Notti Stellate a Vagli, hommage à Feldman signé Howard Skempton. Les notes sont liées davantage mais la délicatesse est de rigueur encore. Tout est une autre fois affaire de notes défaites et suspendues.

John Tilbury : Triadic Memories / Notti Stellate A Vagli (Atopos)
Edition : 2008.
2 CD : CD1 : 01/ Triadic Memories Part 1 – CD2 : 01/ Triadic Memories Part 2 02/ Notti Stellate A Vagli
Guillaume Belhomm © Le son du grisli

musique action

Ce dimanche 1er juin à 14 heures, John Tilbury sera de concert avec Isabelle Duthoit, Anne-James Chaton et Frantz Hautzinger, à Vandoeuvre, dans le cadre du festival Musique Action


AMM : Place sub. v. (Matchless, 2014)

amm place

Dans quel bas-fond de Lublin, Pologne, John Tilbury et Eddie Prévost ont-ils, avec la savante mesure qu’on leur connaît, extrait pour la polir cette nouvelle pierre à marquer leur maturation lente ? De l’endroit, AMM se fait un devoir et, bientôt, joue sur les mots : « a place » / « to place ».

Par petites touches, le duo sarcle, avise et creuse : permet déjà à la lumière de percer, qui dérangera quelques bêtes enfouies – le ventre du piano s’en fait gravement l’écho quand ce n’est pas la batterie qui chasse une horde de corneilles. Si l’exercice requiert de la précaution, c’est qu’AMM est venu jusque-là – cet « endroit où être » – pour marquer un territoire qui n’appartient qu’à lui et qu’il développe depuis toujours à l’intérieur même de ses frontières : frappes retenues, ritournelles naissantes et puis empêchées, accords courts étouffant sous les longs sifflements d’une cymbale sous archet, et voici que Place sub. v. a, dans un souffle, épousé l’endroit – point, parages et même pays.

AMM : Place sub. v. (Matchless Recordings)
Enregistrement : 16 mai 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Place
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Morton Feldman : Music for Piano and Strings, vol. 2 (Matchless, 2012)

morton feldman smith quartet john tilbury music for piano and strings vol 2

Comme son prédécesseur dans la série – qui réunissait For John Cage (1982) et Piano & String Quartet (1985) –, le second volume de Music for Piano and Strings estampillé Matchless Recordings rapproche deux œuvres de Morton Feldman : Patterns in a Chromatic Field (1981) et Piano, Violin, Viola, Cello (1987). Comme son prédécesseur, le disque (DVD) consigne des interprétations de John Tilbury et du Smith Quartet (Ian Humphries, violon ici absent, Darragh Morgan, violon, Nic Pendlebury, alto, Deirdre Cooper, violoncelle) données à l’Huddersfield Festival of Contemporary Music en 2006.

Patterns in a Chromatic Field. Tilbury et Cooper noyant leurs obsessions sur une trame en déroute ; allant répétitifs, butant, éclatants, de cellules isolées en conversations courtes ; l’archet en délitement sur un accord qui résonne, un piano reprenant à son compte une note que le violoncelle avait à peine effleurée, duo balançant enfin pour prendre de la hauteur et repérer l’endroit par lequel échapper à l’éternel retour des choses et des envies ;  la hantise de la note à suivre imposant une esthétique de changement, certes toujours insatisfaite – la nouveauté est une répétition comme une autre ? –, mais captivante.

Piano, Violin, Viola, Cello. Piano augmenté de trois cordes (Cooper encore, Pendlebury, Morgan) – ce que, depuis 1987, la partition commande. L’air détaché de Tilbury semble là suivre la cadence de partenaires-porteurs ; à force de décalages, le flottement gagne l’entière composition, la baigne dans une brume derrière laquelle violon, alto et violoncelle, de plus en plus distants déjà, finiront par disparaître. Alors, une autre fois, un disque « de » Morton Feldman passe, dont les dernières notes emportent du compositeur la délicatesse et le mystère, le rire et l'épouvante.    

Morton Feldman, The Smith Quartet with John Tilbury : Music for Piano and Strings, Volume 2 (Matchless Recordings)
Enregistrement : 2006. Edition : 2012.
DVD : 01/ Patterns in a Chromatic Field 02/ Piano, Violin, Viola, Cello
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


John Tilbury, Keith Rowe : EE Tension and Circumstance (Potlatch, 2011)

keith rowe john tilbury ee tension and circumstance

Si les ombres des Duos for Doris planent sur cette rencontre enregistrée en 2010 aux Instants Chavirés, c’est que deux camarades de longue date ne peuvent compter seulement sur leur complicité pour donner une tournure agréable à leur conversation. Parfois, les mots manquent, ou alors ce sont les mêmes que ceux qui furent utilisés la fois précédente qui vous montent à la gorge.

Comme pour parer la redite, les débuts d’EE Tension and Circumstance sont de précaution, voire de timidité : la radio y crépite encore, les notes de piano sont passées au tamis, un membre du public tousse. Après quoi : un aigu de guitare percera les cercles nébuleux mais les cordes pincées n’y porteront la moindre attention, sûr qu’une partie de l’assistance cherchera alors du regard – scrutant visages et instruments – ce que cherchent à l’oreille et Keith Rowe et John Tilbury.

Toujours la cohésion est évidente ; jamais son maintien n’est garanti – l’intensité de l’exercice faiblit en conséquence. Alors, Tilbury décide d’un repli que l’on dira feldmanien : faite motif, une poignée de notes progressera face au souffle d’un petit moteur actionné par son partenaire ; devenue accord frêle, sa répétition fragilisera de plus en plus ce frêle accord qu’elle est. De son côté, Rowe nourrit des parasites arrangés en société d’agitateurs de circonstance. Ici, le dialogue fait effet.

De temps à autre, le dialogue fait effet. C’est qu’EE Tension and Circumstance est un disque sur lequel John Tilbury et Keith Rowe se cherchent longtemps avant de se reconnaître, de renouer au son d’un langage commun, puis de se perdre et d’évoluer l’un sans l’autre. Mais ces temps différents ne se succèdent pas si confortablement : ils ont été mis en pièces et leurs fractions s’imbriquent les unes aux autres. Voici l’improvisation réfléchie par un labyrinthe de miroirs – angles morts et éclats sont en conséquence de la composition.

Keith Rowe, John Tilbury : EE Tension and Circumstance (Potlatch / Orkhêstra International)
Rec : 17 décembre 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ EE Tension and Circumstance
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Quatre vues de Sept pianos

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Quatre vues du quatrième hors-série du son du grisli dont le sujet est le piano. Portraits de Sophie Agnel, Charlemagne Palestine, John Tilbury, Jacques Demierre, Cecil Taylor, Alexander von Schlippenbach et Mal Waldron accompagnés de chroniques choisies. Soixante pages et leur notice en étui plastique numéroté. Dernières exemplaires déposés à Metamkine.

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