Chicago Trio : Velvet Songs (Rogue Art, 2011)
Dans la lignée loquace et sensible du regretté Fred Anderson, à qui cet enregistrement est d’ailleurs dédié, voici le Chicago Trio (Ernest Dawkins, Harrison Bankhead, Hamid Drake). Captées live les 11 et 12 août 2008 dans l’antre du Velvet Lounge, ces douze plages réunies en deux CD naviguent entre splendeurs et misères.
Splendeurs pour l’appétit et l’abattage du saxophoniste, pour son art du renouvellement et du resserrement, pour son alto vrillant toujours la bonne direction (You Just Crossed My Mind, Waltz of Passion), pour son soprano volubile et virevoltant (Peace & Blessings, Moi Tre Gran Garcon). Splendeurs que les interventions solistes d'Harrison Bankhead, contrebassiste (Woman of Darfur ou l’art de creuser en profondeur) et violoncelliste (Peace & Blessings) inspiré. Splendeurs, enfin, que ces plages de totale liberté dans lesquelles le free n’est plus spectre mais entité palpable et florissante (The Rumble, Galaxies Beyond).
Misères que ces blues poussifs, ces faux reggaes, ces écoutes avortées, ces solitudes sans armes. Misères que ces saxophones activés simultanément sur fond de funk virant, peu à peu, New Orleans (Down n’ the Delta). Misères que le jeu sec et prévisible d’un Hamid Drake en panne de souplesse. Mais, fort heureusement, One for Fred, improvisation enflammée et soutenue, de venir conclure et ressusciter la figure tutélaire du grand Baba Fred Anderson.
Chicago Trio : Velvet Songs. To Baba Fred Anderson (Rogue Art / Souffle Continu)
Enregistrement : 11 et 12 août 2008. Edition : 2011.
CD 1 : 01/ Astral Projection 02/ Sweet 22nd Street (The Velvet Lounge) 03/ You Just Crossed My Mind 04/ The Rumble 05/ Peace & Blessings (To Fred) 06/ Down n’ the Delta – CD 2 : 01/ Jah Music 02/ Galaxies Beyond 03/ Woman of Darfur 04/ Waltz of Passion 05/ Moi Tre Gran Garcon 06/ One for Fred
Luc Bouquet © Le son du grisli
Farmers by Nature : Out of This World's Distorsions (AUM Fidelity, 2011)
Farmers by Nature (Gerald Cleaver, Craig Taborn, William Parker) improvisent une sonate et la dédient à Fred Anderson, décédé la veille (For Fred Anderson).
Pendant dix-huit minutes, Farmers by Nature idéalisent une énergie brute sans baisse ni surcroît de régime. Monk, Cecil T et le blues dans la même bouteille : grand cru et florilège de rythmes brisés (Tait’s Traced Traits).
Farmers by Nature laissent William Parker introduire la ballade. Entre douceur et douceur. Entre statut-quo et statut-quo et sans sortie possible (Out of this World’s Distortions Grow Aspens and Other Beautiful Things).
Farmers by Nature dénudent les sons, traînent leurs voix, doutent exagérément de la forme, trouvent le salut par le rythme et n’y perdent jamais leur âme (Sir Snacktray Speaks).
Farmer by Nature ne laissent jamais taire l’archet de leur contrebassiste. Voici le guide : William Parker, ivre de dire et redire combien le rythme est porteur d’insolentes perspectives (Cutting’s Gait).
Farmers by Nature twistent d’improbables timbales, stoppent les avancées ennemies d’une contrebasse large et boisée. Toujours plus encore, installent le mouvement et se rapprochent de l’autre : du musicien, de l’auditeur (Mud, Mapped).
Farmers by Nature signent leur premier disque studio. Belle réussite me semble-t-il.
EN ECOUTE >>> Tait's Traced Traits >>> Sir Snacktray Speaks >>> Mud, Mapped
Gerald Cleaver, William Parker, Craig Taborn (Farmers by Nature) : Out of This World’s Distortions (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ For Fred Anderson 02/ Tait’s Traced Traits 03/ Out of This World’s Distortions Grow Aspens and Other Beautiful Things 04/ Sir Snacktray Speaks 05/ Cutting’s Gait 06/ Mud, Mapped
Luc Bouquet © Le son du grisli
Muhal Richard Abrams : SoundDance (Pi, 2011)
Un double CD pour ne pas oublier Muhal Richard Abrams, membre fondateur de l’AACM et pianiste trop discret.
Avec le saxophoniste ténor Fred Anderson, décédé quelques mois plus tard et dont voici sans doute le dernier enregistrement, les idées fusent, le répit n’existe pas. On pourrait parler d’une course-poursuite entre ténor et piano mais ce serait bien trop réducteur. Car les deux musiciens s’écoutent et réagissent spontanément aux propositions de l’autre. Et surtout, développent sans zapping ni cassure. Et ce que l’on a souvent reproché à Fred Anderson, à savoir sa solitude de coureur de fond, s’en trouve balayé d’un revers d’anche ici. Contre-points déliés, lyrisme assumé, maîtrise des langages ; autant de moments forts contenus dans ces trente-huit minutes de troublante beauté.
Avec George Lewis, ce sont d’hirsutes petits lutins qui s’échappent de la boite à electronics. Face à ces diablotins de peu d’évidence, le pianiste – en quelque sorte, laissé seul maître à bord – convoque échos, espaces, résonnances et fantaisies. En solo, il milite pour un enfer pavé des meilleures intentions, claironnant une inquiétude impie. Et quand le trombone de Lewis retrouve de sa superbe, le voici ravi de l’aubaine : le dialogue reprend ses droits et toutes les géographies-géométries sont, à nouveau, possibles. Et on s’y engouffre avec délectation.
Muhal Richard Abrams : SoundDance (PI Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009 & 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ Focus, ThruTime… Time Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3 04/ Part 4 – CD2 : 01/ SoundDance Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3 04/ Part 4
Luc Bouquet © Le son du grisli
Fred Anderson (1929-2010)
Fred Anderson [1929-2010].
Fred Anderson's influence has been phenomenal. He is a great humanitarian while continuing to perpetuate the music but he also been a tremendous influence and inspiration for younger musicians. Hamid Drake, in Music and the Creative Spirit.
Fred Anderson : 21st Century Chase (Delmark, 2009)
Fred Anderson fêtait récemment ses 80 ans. Pour l’occasion, donnait un concert en trio dans son endroit, le Velvet Lounge, en compagnie du saxophoniste Kidd Jordan, du guitariste Jeff Parker, du contrebassiste Harrison Bankhead et du batteur Chad Taylor. Comme souvent maintenant (et comme il l’avait déjà fait avec Fred Anderson pour Timeless), le label Delmark a choisi de produire le même enregistrement sous forme de CD et de DVD.
Si l’image n’est pas obligatoire (en bonus, le film donne la parole à Henry Grimes), elle permet quand même de suivre les gestes d’Anderson, silhouette à la courbe fière, qui laisse Jordan ouvrir seul la première des deux parties de 21st Century Chase. Déjà, le son est profond, la musique intense et l’ensemble astreignant : impossible à l’auditeur de se détacher du discours ici mis en place, d’autant que l'octogénaire rattrape maintenant son partenaire intempestif. Reste à la fougueuse section rythmique d’accompagner le tout et à Parker de changer rapidement ses premières saillies mièvres en colliers d’aigus autrement convaincants, qu’il destine à sa soudaine coalition avec Jordan, insistant lui aussi dans les hauteurs. La seconde partie du titre verra le guitariste jouer davantage l’incitateur éclairé et mener les musiciens d’expérimental minimaliste en free jazz apothéotique [soumettre un autre adjectif].
En conclusion, Ode to Alvin Fielder, malgré l’hommage, peine à convaincre sur un swing gauche : restent seulement les entrelacs des saxophones ou la solution du retour aux deux premières plages.
Fred Anderson : 21st Century Chase (Delmark / Amazon)
Enregistrement : 2009. Edition : 2009.
CD / DVD : 01/ 21st Century Chase Part 1 02/ 21st Century Chase Part 2 03/ Ode to Alvin Fielder
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Peter Kowald: Off The Road (Rogue Art - 2007)
Deux ans avant sa mort, en 2000, le contrebassiste Peter Kowald sillona les Etats-Unis en compagnie de Laurence Petit-Jouvet, caméra au poing. Dans une Chevrolet achetée sur place, le couple relie les endroits où le contrebassiste est attendu, pour donner concerts auprès d’autres personnages de la Creative Music.
Sur le premier film, les à-côtés d’un périple marqué par les collaborations musicales : avec Kidd Jordan, William Parker, George Lewis, mais aussi Eddie Gale, Marco Eneidi ou Anna Homler. A chaque fois, la simplicité et l’humilité de Kowald densifient les échanges, tous tranquilles, presque tous précis. Au hasard d’autres rencontres, le contrebassiste en apprend sur la vie des déclassés, la politique d’éducation des Etats-Unis ou les discriminations toujours bien présentes.
Plus axé sur la musique, le second film donne à voir Kowald à Chicago : en studio auprès de Ken Vandermark, ou sur scène aux côtés de Günter Baby Sommer et Floris Floridis, ou de Fred Anderson et Hamid Drake. Tous musiciens s’entendant sur les origines du jazz et sur l’importance qu’aura eu sur sa forme actuelle une musique improvisée ayant profité des pratiques différentes, notamment européenne et américaine. En guise de conclusion, un disque reprend les thèmes que le contrebassiste aura abordés durant son voyage, bande-son originale d’un road movie unique et passionnant, complément indispensable de l’hommage élégant.
DVD 1: Off The Road - DVD 2: Chicago Improvisations - CD: 01/ Introduction 02/ New York March 17 2000 03/ New Orleans April 6 2000 04/ Houston April 9 2000 05/ San Diego April 14 2000 06/ Los Angeles April 15 2000 07/ Berkeley May 3 2000 08/ Chicago May 10 2000
Peter Kowald, Laurence Petit-Jouvet - Off The Road - 2007 - Rogue Art.
Fred Anderson, Harrison Bankhead : The Great Vision Concert (Ayler Records - 2007)
Enregistré en 2003 au Vision Festival de New York, le duo Fred Anderson (saxophone ténor) / Harrison Bankhead (contrebasse) s’offre un set ravageur qui tient de l’évidence.
Sereins d’un bout à l’autre, les musiciens défendent un jazz chaleureux fait de gimmicks et d’esquisses mélodiques qu’ils distribuent comme autant de propositions humbles (Cloverleaf), ou tiennent une poursuite ludique qu’Anderson, courbé sur son instrument, terminera au son d’un dérapage évidemment contrôlé (Trying to Catch the Rabbit).
Introduit par Bankhead à l’archet, Wandering s’avère être la pièce de choix du dialogue. Y tissant des entrelacs déviants avant d’imposer un swing impeccable développé par un grand solo de contrebasse, le duo finit par en découdre au son d’un emportement altier, cure de jouvence que Fred Anderson s’auto prescrit régulièrement. Et dont les effets lui font investir ensuite un blues bon enfant : The Strut, conclusion heureuse d’un concert de choix.
CD: 01/ Cloverleaf 02/ Wandering 03/ Trying to Catch the Rabbit 04/ The Strut
Fred Anderson & Harrison Bankhead - The Great Vision Concert - 2007 - Ayler records. Distribution Orkhêstra International.
Joseph Jarman: As If It Were The Seasons (Delmark - 2007)
En 1968 - soit, avant d’avoir intégré l'Art Ensemble of Chicago, le saxophoniste Joseph Jarman construisait entre amis triés sur le volet A.A.C.M. (Muhal Richard Abrams, Fred Anderson, John Stubblefield, entre autres) une ode foutraque à un free d’expression spirituelle.
Sorti d’une jungle percussive dépeinte en ouverture, As If It Were The Seasons ose une impression d’Afrique apaisée sur laquelle s’invitent les irruptions free que Jarman s’autorise entre des phrases sages et soul déposées à l’alto. Après que Sherri Scott aura donné de la voix, le contrebassiste Charles Clark imposera un gimmick fait pour lancer Song To Make The Sun Come Up, charge plus revendicatrice gonflée par la batterie de Thurman Baker.
Rejoint par six autres musiciens (dont Abrams, Anderson et Stubblefield), le quartet entreprend ensuite Song For Christopher. Free collégial habité par les us et coutumes du gospel, le morceau se fait lyrique lorsque intervient Scott, refuse, régénéré sans cesse par le piano d’Abrams, toute compromission, pour consacrer enfin ses dissonances lestes au son de l’intervention puissante des trois saxophones. L’art et la manière de glorifier un free bouleversant, qui disparaîtra comme il était apparu, parmi les percussions multiples et annonciatrices de retour, As If It Were The Seasons / Repeat all.
CD: 01/ As If It Were The Seasons / Song to Make The Sun Come Up 02/ Song for Christopher
Joseph Jarman - As It It Were The Seasons - 2007 (réédition) - Delmark. Distribution Socadisc.
Fred Anderson: Timeless (Delmark - 2006)
Membre encore actif de l’A.A.C.M., le saxophoniste Fred Anderson démontre à domicile – en son Velvet Lounge de Chicago – l’impeccable longévité d’un free jazz que d’autres ont depuis longtemps échangé contre un bâillon de velours.
Aux côtés de sidemen aussi irréprochables qu’Harrison Bankhead (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), le ténor déverse ses propositions mélodiques au gré d’un souffle hors d’atteinte, tenté d’abord par la déconstruction innocente (Flashback). Sur un gimmick lancé par Bankhead, il sert ensuite un Ode to Tip renouant avec une structure établie, bousculée néanmoins par les digressions fastes de la section rythmique.
Délaissant sa batterie pour un simple tambour de rythme, Drake mène ensuite By Many Names, pause rafraîchissante dans laquelle s’insinue discrètement un free minimaliste rendu par les graves du ténor et quelques schémas répétés par la contrebasse. Le batteur y dépose aussi sa voix, raisonne les intentions sourdes, avant d’engager enfin à la reprise des hostilités.
Au son d’une soul fiévreuse, d’abord, qui introduit Timeless, morceau aux couleurs changeantes parmi lesquelles se glissent quelques références funk ou rythm’n’blues, avant que le trio n’opte pour la césure faite de pizzicatos légers, d’interventions de percussions minuscules et de souffles retenus. La conclusion peut alors en revenir à ce genre d'essentiel qui plaide en faveur d’un free pugnace mais réfléchi, d’un jazz évoluant haut et d’instinct*.
[*Musique que Fred Anderson affirme vouloir prodiguer jusqu’à son dernier souffle, dans l’interview que renferme l’édition DVD de Timeless.]
CD: 01/ Flashback 02/ Ode to Tip 03/ By Many Names 04/ Timeless
Fred Anderson - Timeless - 2006 - Delmark. Distribution Socadisc.
Vision Volume 3 (Arts for Art - 2005)
Depuis dix ans, le Vision Festival de New York célèbre le jazz moderne. Chaque année, à sa manière délicate et irréprochable, savamment distillée en petits lieux. Preuves apportées par Vision Volume 3, double compilation revenant sur les moments forts de l’édition 2003, et plateau exceptionnel de présences.
Le temps de 9 extraits choisis, le disque démontre les allures diverses ou le teint changeant de jazzmen qui, toutes générations confondues, servent, en sereins continuateurs du free jazz des premières heures, la création sur l’instant. Envoûtés par les classiques du genre et leurs façons de sonner, comme Fred Anderson (Trying to Catch the Rabbit) ou Rob Brown (expliquant aux côtés d’Henry Grimes les saveurs polyrythmiques sur Resonance excerpt No.1) ; partis à la recherche d’un modèle inédit de musique appuyée comme Matthew Shipp et Daniel Carter (Surface and Dream - Excerpt No.1) ou Patricia Nicholson (imposant avec Joseph Jarman et Cooper-Moore un blues rugueux jouant des diversions free sur Rise Up) ; aux intentions plus lestes privilégiant l’émulsion brute, suivant le modèle déposé par William Parker.
Contrebassiste incontournable, Parker ne ménage pas ses efforts et se glisse dans des combinaisons variées, toutes concluantes. Auprès de Joe McPhee et Roy Campbell, il souligne le jeu éclairé du batteur Warron Smith avant de décider d’un riff lancinant entraînant l’ensemble de ses partenaires à sa suite (War Crimes and Battle Scars : Iraq). De taille à donner la réplique aux facéties et départs masqués d’Andrew Cyrille (Quilt), il dirige enfin les 17 musiciens de son Jeanne Lee Project sur Bowl of Stone Around the Sun. Là, quatre chanteurs – dont Thomas Buckner – établissent des canons et rivalisent d’idées sur les reliefs d’un décor instrumental répétitif.
Comme la vue ne pourrait se passer d’images, Vision Volume 3 rassemble sur un DVD d’autres extraits de concerts et quelques interviews. Le Jeanne Lee Project de prendre encore plus d’ampleur (Song for Jeanne Lee), Roscoe Mitchell invitant Thomas Buckner à gagner la scène (Improvisation No. 1073) ou Jin Hi Kim dans une démonstration de komungo - ancien instrument à cordes coréen (Once Again). Complet autant que déroutant, l’exposé tient du miracle et du dosage chanceux. L’ensemble reste en place alors même qu’il explose.
CD / DVD: 01/ WHIT DICKEY QUARTET: Coalescence One 02/ FRED ANDERSON/HARRISON BANKHEAD: Trying To Catch The Rabbit 03/ MATTHEW SHIPP QUARTET : Surface and Dream - Excerpt #1 04/ ROY CAMPBELL / JOE McPHEE QUARTET: War Crimes and Battle Scars: Iraq 05/ THOMAS BUCKNER : Improvisation #1073 - Excerpt #1 06/ ANDREW CYRILLE / KIDD JORDAN / WILLIAM PARKER: Quilt 07/ PATRICIA NICHOLSON'S PaNic : Rise Up 08/ ROB BROWN's RESONANCE : Resonance Excerpt #1 09/ WILLIAM PARKER's JEANNE LEE PROJECT: Bowl of Stone Around the Sun
Vision Volume 3 - 2005 - Arts for Art. Distribution Orkhêstra International.