Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Noah Howard : Music in My Soul (Buddy's Knife, 2011)

noah howard music in my soul

Disparu en 2010, Noah Howard fait aujourd’hui réentendre sa voix à l’occasion de la parution, aux éditions Buddy’s Knife, de son autobiographie : Music in My Soul.

Le témoignage est factuel et fort : il est celui d’une enfance heureuse passée à la Nouvelle-Orléans, de longs séjours faits sur la Côte Ouest, puis à New York, Paris, Nairobi, Bruxelles ; celui d’un jeune homme qui apprend la trompette auprès de Dewey Johnson avant de la faire entendre dans l’Arkestra de Sun Ra ou de l’ « opposer » aux salves d’Albert Ayler, Archie Shepp, Dave Burrell, Frank Wright – la parole d’Howard est ici augmentée des souvenirs de quelques-uns de ses partenaires.

Eclairant le quotidien des musiciens qui œuvrèrent au free jazz dans les années 1960, Music in My Soul dépeint aussi les vues plus larges de Noah Howard : volonté de faire de sa musique un outil de langage qui commande à son vocabulaire d’accepter les retouches (quelques enregistrements qu’il autoproduira sur AltSax attestent de contacts établis entre le jazz et le funk ou le folk). Si le discours est honnête et engageant, l’amateur préférera sans doute, pour accompagner sa lecture, revenir aux premiers sons : The Black Ark (récemment réédité par Bo’Weavil) ou Alabama Feeling avec Arthur Doyle, One for John ou Uhuru Na Umoja avec Frank Wright, ou encore Patterns avec Misha Mengelberg et Han Bennink.

Noah Howard : Music in My Soul (Buddy’s Knife)
Edition : 2011.
Livre (en anglais) : Music in My Soul
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Frank Wright : Uhuru Na Umoja (America, 1970)

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Ce texte est extrait du deuxième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Dans Music in My Soul, autobiographie publiée aux éditions Buddy Knife, Noah Howard raconte : J’ai rencontré Frank Wright  à l’été 1962, je me souviens bien de ce jour, j’avais répété avec Dave Burrell de l’autre côté de la rue où j’habitais alors, c’était une de ces journées très chaudes dans le Lower East Side, plus de 38 degrés et une forte humidité. On était tous sur le trottoir à parler – Dave Burrell, Norris Jones, Bobby Kapp, Marion Brown et Sonny Sharrock – quand une Cadillac s’arrête d’où sort Sunny Murray avec ce grand noir qui balance de sa grosse voix : « Je suis Frank Wright ! (…) Frank avait déjà ce franc-parler et une personnalité très affirmée. Il était difficile à ceux qui le rencontraient de ne pas l’apprécier. De l’association Frank Wright / Noah Howard – dans le même livre, le second précise que de son arrivée à Paris, à la suite de Wright, naît le « Frank Wright-Noah Howard Quartet » –, quatre enregistrements sont connus : One for John, enregistré en 1969 ; Uhuru Na Umoja, Space Dimension et Church Number Nine, datant de l’année suivante.

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A chaque fois : Wright est au ténor, Howard à l’alto, Bobby Few au piano. A la batterie sur One for John et Church Number Nine : Muhammad Ali (que Wright trouve un matin sur le pas de sa porte après avoir signifié à son frère, Rashied, qu’il cherchait un batteur) ; sur Uhuru Na Umoja et Space Dimension, Art Taylor le remplace. On ne sait où vont se nicher les causes des préférences : pour Uhuru Na Umoja, disque publié sous le nom de Wright par le label America, la préférence tient elle aussi du mystère. Ou peut-être de Taylor ? Sur la couverture, l’ancien soutien rythmique de Bud Powell et Red Garland y affiche sa présence dans le contraste. Si non, serait-ce des cinq compositions signées Howard qu’on trouve sur le disque ? En ouverture, « Oriental Mood » : chinoiserie fantastique dont un free abrasif fera sa chose. La coalition des saxophones vitupère, siffle, attise le feu dont « Aurora Borealis » s’emparera pour composer un vaste paysage fait de rouge et d’ors. Les arpèges de Few, appuyés, feront la transition jusqu’à « Pluto » – avant d’y arriver, le quartette aura servi deux promesses : « Grooving » et « Being ». L’ascension est imposante et les lignes de conduite brisées de plus en plus : en conséquence, l’ardeur avec laquelle la formation progresse est furieuse.

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Après avoir abandonné le Mississipi pour Cleveland où il s’est fait entendre à la contrebasse avant d’adopter le saxophone ténor sous l’influence d’Albert Ayler – « cet expressionnisme abstrait est devenu son message », écrit encore Howard Wright gagna donc New York. Investir la scène du Village Gate avec Coltrane, enregistrer avec Ayler un Holy Ghost de légende, et puis arpenter le secteur en Cadillac. Dire que sa rencontre avec Howard a fourni les preuves les plus évidentes de l’art avec lequel Wright a œuvré à transformer le jazz ancien à en perdre haleine n’atténuera ni les qualités des disques qu’il enregistra par la suite sous la bannière Center of the World avec Alan Silva et les mêmes Few et Ali ni la superbe de ses apparitions dans l’Orchestra of Two Continents de Cecil Taylor – pour citer Howard une dernière fois : « Frank a joué brièvement avec Cecil Taylor, et je crois qu’il a été le seul saxophoniste que Cecil a vraiment entendu. »

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Free Jazz Expéditives : Joe McPhee, Mikołaj Trzaska, Peter Brötzmann, William Parker, Gunter Hampel, Frank Wright, Louis Moholo

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gunter_hampel_nownessGunter HampelThe Essence in the Nowness of Reality (Birth, 2010)
Après avoir invité Daniel Carter, Sabir Mateen et Steve Swell, à augmenter le quartette qu’il forme avec Johannes Schleiermacher, Andreas Lang et Bernd Oezsevim, Gunter Hampel enregistrait en studio le 30 septembre 2009 cet Essence in the Nowness of Reality. S’il concède plusieurs fois et même allègrement la direction à l’un ou l’autre de ses partenaires, Hampel démontre d’une écriture assurée qui ne s’interdit pas de donner souvent dans un free collégial. Et puis, toujours, cette évocation de figures musicales qui, même si d’avant-garde, ne renièrent pas la tradition : Eric Dolphy, Steve Lacy

moholo_spiritual_knowledgeLouis Moholo : Spiritual Knowledge and Grace (Ogun, 2011)
Un concert empêché des Blues Notes à Eindhoven et Frank Wright qui traînait par là : la rencontre du ténor et de Louis Moholo (batterie), Dudu Pukwana (saxophone alto, piano, voix) et Johnny Dyani (contrebasse) date de 1979. Le temps de prouver que deux saxophones virulents peuvent s’entendre sur une valse avant d’emprunter un motif aux allures de folklore (Ancient Spirit). Et puis d’élever, après échange d’instruments, une pièce de musique intensive dont le nom révèle la nature de ce qui l’anime : Contemporary Fire.

kali_fasteau_alternate_universeKali Z. Fasteau, William Parker, Cindy Blackman : An Alternate Universe (Flying Note, 2011)
Certes, la prise de son de cet Alternate Universe enregistré en 1992 par Kali Fasteau (piano, violoncelle, saxophone soprano…), William Parker (contrebasse) et Cindy Blackman (percussions), est assez médiocre. Pourtant, on y entend quand même deux archets qui en imposent au point de faire oublier toutes longueurs (divagations au clavier électrique) et frappes frustes. Un soprano, enfin, qui peine à innover sous l’influence de Coltrane.

mcphee_synchronicityJoe McPhee Survival Unit III : Synchronicity (Harmonic Convergence, 2011)
Dans le Survival Unit III on trouve Joe McPhee à la clarinette et au saxophone alto, Fred Lonberg-Holm au violoncelle amplifié et Michael Zerang à la batterie. Sur Synchronicity – 33 tours qu’accompagne un CD du même enregistrement augmenté d’un titre –, McPhee divague en écorché sur les reliefs subtils que dessine Zerang et fait front aux assauts de l’archet crachant de Lonberg-Holm. Ici un hommage à Maryanne Amacher, là un clin d’œil à Hendrix : plus que libre, le trio attache des noms à son condensé de musiques inspirées.

trzaska_clarinet_quintetIrcha, Joe McPhee  : Lark Uprising (Multikulti, 2010)
Pour transformer l’Ircha de Mikołaj Trzaska en Clarinet Quintet, McPhee retrouvait l’instrument à Poznan en 2009 – les trois autres clarinettistes : Waclaw Zimpel, Pawel Szambuski et Michal Gorczyski. La marche lente d’une coalition promettant le soulèvement prochain, la peine à suivre changée en mélodie, les revirements et les sursauts, forment un hymne de clameurs et de répétitions hors norme. Après le Clarinet Summit de John Carter ou la Clarinet Family d’Hamiet Bluiett, une réunion de clarinettistes trouve donc encore à dire sous la conduite de Trzaska.

peter_brotzmann_goosetalksPeter Brötzmann, Johannes Bauer, Mikołaj Trzaska : Goosetalks (Kilogram, 2010)
Sur ce Goosetalks enregistré au Dragon Club de Poznan en février 2008, Mikołaj Trzaska encore, aux côtés de Peter Brötzmann et Johannes Bauer. Saxophones alto et ténor, clarinettes et trombone, donc, servent un art de la mesure qui a fait fi du temps puis des pièces d’insistance volontaire. A mi-parcours, un chahut de basse-cour amusée ; en conclusion, un air d’Albert Ayler : l’altercation tranquille. 


Frank Wright: Unity (ESP - 2007)

wrightsliEnregistré  le  1er Juin 1974  au  Moers  Festival,  Unity présente Frank Wright en leader humble d’un quartette explosif, et vient compléter The Complete ESP-Disk’Recordings du saxophoniste, récemment édité.

7 notes de contrebasse répétées par
Alan Silva introduisent la première partie du concert. Porté par le piano de Bobby Few, véritable machine à débiter un fonds sonore aussi mélodique que brouillon, Wright part sur les traces de Coltrane, passe sans sourciller des graves aux aigus de son ténor, ânonnant parfois sur le crescendo institué par le batterie de Mohammad Ali.

Arrivé à l’aigu ultime, le leader laisse sa place au trio de ses sidemen: notes réverbérées de piano rappelant
Sun Ra perdu en piano bar des débuts du film Space is the Place, cymbales portées toujours plus haut, et excellence du jeu de Silva à l’archet. Unity tient là de ce qui a été fait de plus intense en petits comités défendant free jazz, du niveau de Sonny’s Time Now de Sunny Murray.

Sur la deuxième partie, Ali impose un rythme étrangement latin, batucada bousculée, bientôt investie par Few, exploitant son piano d’un bout à l’autre. Déposant quelques notes graves en réponse aux aigus frénétiques glissés par l’archet de Silva, Wright reprend le dessus et ose un semblant de mélodie reprise ensuite par la piano, pour enfin conclure le set au son expansif d’un barnum fanfaron. L’avant-garde éclairée tenant de la grande illusion : indispensable.

CD: 01/ Unity Part I 02/ Unity Part II

Frank Wright - Unity - 2006 (réédition) - ESP Disk. Distribution Orkhêstra International.


Albert Ayler : Holy Ghost (Revenant, 2004)

albert ayler holy ghost

Elever un monument sonore à Albert Ayler, telle était l’idée du label Revenant. Concrétisée, sous la forme de 9 disques, d’un livre de 200 pages et de quelques fac-similés, réunis dans un coffret. Une boîte noire, retrouvée coincée entre le cœur et le cerveau d’un corps repêché dans l’East River, dans laquelle est inscrite un parcours peu commun.

En un coup porté, l’objet répertorie bon nombre des mille éclats d’Ayler, de la toute première session, enregistrée auprès d’Herbert Katz en 1962 (au Summertime prêt à en découdre avec qui voudrait encore mettre en doute la maîtrise technique du saxophoniste), à la captation de sa dernière prestation, au sein du sextet de son frère Donald, en 1969.

Entre ces deux moments, Ayler aura su trouver une forme musicale adéquate à une vérité qu’on a plutôt coutume d’infliger sous forme de claques retentissantes. Rouges, les oreilles auront eu de quoi siffler : Ayler, Murray et Peacock, au Cellar Café de New York, en 1964, instaurant l’ère des free spirituals (Ghosts) ; en quintette, deux ans plus tard à Berlin, transformant une marche folklorique en hymne à la vérité, perspicace et bancal, se souciant aussi peu de justesse que le monde de justice (Truth Is Marching In) ; crachant ailleurs un rythm’n’blues insatiable, genèse d’un free jazz pour lequel Ayler œuvre, s’en souciant pourtant moins que d’établir le contact avec n’importe quel esprit.

D’esprit, justement : les vivants d’en manquer souvent, c’est auprès d’une armée de fantôme qu’Ayler trouvera le réconfort nécessaire et transitoire. Dans une interview donnée au Danemark, il dit être sûr qu’un jour on comprendra sa musique. Aurait-il pu croire que l’intérêt irait jusqu’à la récolte proposée l’année dernière par Revenant ?

Albert Ayler : Holy Ghost, Rare and Unissued Recordings (1962-1970) (Revenant)
Edition : 2004.
9 CD : Holy Ghost
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Frank Wright: The Complete ESP'Disk Recordings (ESP - 2005)

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La réédition des deux albums qu’il signa en tant que leader pour le compte du label ESP, accompagnés d’une interview, nous rappelle aujourd’hui la singularité de Frank Wright, personnage discret et saxophoniste aux fondements du free jazz le plus déluré.

Enregistré en 1965 en compagnie d’Henry Grimes et de Tom Price, The Earth prône l’avantage aux escapades individuelles. Capable de rondeurs lorsqu’il instaure un free défensif baignant dans les excès, Wright attise son propos jusqu’à laisser la parole à la section rythmique. Le contrebassiste joue alors de breaks minuscules pour régénérer au mieux les impulsions (Jerry), quand Price, d’une sobriété à la limite de la gêne, explore les possibilités des toms (The Earth).

En 1967, en quintette, le saxophoniste mène des efforts sur lesquels on a su s’accorder. Sur chaque morceau, les musiciens jouent le thème à l’unisson avant d’en improviser des digressions et, enfin, de le rapporter. Au passage, on a gagné un batteur : Muhammad Ali, fabuleux d’inventivité (The Lady, Train Stop).

Les phrases lascives du saxophone de Wright et de la trompette de Jacques Coursil imposent la marche à suivre, qu’égaye souvent l’alto d’un Arthur Jones en verve (No end). Sans limites, aussi, le groupe se laisse aller à un concert de stridulations porteuses de doléances, capable de sérénité, même si éphémère (Fire of Spirits).

Moins prévisible encore, le blues angoissé qu’est Your Prayer, interrompu par des cris d’encouragement sortis du tréfonds des musiciens. L’expérience est fluctuante, provoque le moindre équilibre installé, et porte à la lumière un free jazz vieilli en cave. Assez pour se souvenir aujourd’hui d’un musicien de choix. Sideman recherché après s’être attaqué avec grâce aux exercices de leader.

CD1: 01/ The Earth 02/ Jerry 03/ The Moon 04-12/ Interview - CD2: 01/ The Lady 02/ Train Stop 03/ No End 04/ Fire of Spirits 05/ Your Prayer

Frank Wright - The Complete ESP'Disk Recordings - 2005 (réédition) - ESP Disk. Distribution Orkhêstra International.



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