Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Han Bennink : en conversation avec Garrison Fewell

han bennink interview par garrison fewell

Cette conversation est extraite de De l'esprit dans la musique créative, ouvrage dans lequel Garrison Fewell converse avec vingt-cinq musiciens improvisateurs, parmi lesquels, outre Han Bennink, on trouve Joe McPhee, Wadada Leo Smith, John Tchicai, Steve Swell, Irène Schweizer, Oliver Lake, Milford Graves, Henry Threadgill... C'est à la fin de ce mois de mars que paraîtra le livre, aux éditions Lenka lente.

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GARRISON FEWELL : Quelle est l’importance de l’esprit ou de la spiritualité dans votre musique et dans votre art ? Comment ont-ils influencé vos capacités d’artiste créatif ?

HAN BENNINK : Quand j’étais très jeune, j’ai toujours pratiqué deux disciplines, le dessin et la batterie. Mon père était batteur professionnel. Depuis mes quatorze ans, je n’ai rien connu d’autre de mieux, ou de différent. Bien sûr, j’étais alors plus intéressé par la musique de l’époque, comme le hard bop et ce genre de trucs, mais j’ai évolué pour arriver où j’en suis aujourd’hui et le résultat de tout cela c’est l’art musical. Si c’est « spirituel » ou je ne sais quoi d’autre, je n’en sais rien. Je ne peux pas répondre à ces questions car je joue de la musique. Du moins, j’espère jouer de la musique, et j’ai l’espoir que chaque soir sera un bel échange et que tout le monde fera de son mieux pour que ce le soit. Cependant, pour moi, lui donner ce nom est trop lourd. Je n’aime pas mettre un nom sur les choses. J’aime sauter d’une boîte à une autre et être, dans le bon sens du terme, « sans étiquette », pour proposer mon propre truc. C’est comme lorsque je réalise des collages : je fais avec ce que je trouve autour de moi, des objets trouvés, et mon jeu se construit de la même manière. C’est un peu de ceci, un peu de cela et on peut indéniablement l’entendre. Je n’aime pas utiliser des mots lourds de sens. J’espère que je fais de la musique, je m’entraîne comme un fou car j’ai maintenant soixante-dix ans et ma tombe est entrouverte, alors on ne peut qu’espérer le meilleur. Non, je n’utilise pas des mots comme « spiritualité ».

GF : Avez-vous des habitudes qui nourrissent votre créativité après toutes ces années ?

HB : Fumer de la marijuana. Ça m’aide énormément à me concentrer, et continuer à travailler l’instrument. Certains aiment boire, ou faire autre chose. J’aime boire un peu également mais ce n’est pas vraiment mon truc. Mais pour parvenir à bien me concentre, ça m’aide quand même beaucoup. Pour ce qui est du quotidien, je suis quelqu’un de très simple. Par exemple, quand je me lève, j’aime manger un œuf et une tomate, presque tous les jours, puis je m’entraîne sur mon instrument pendant une heure. Mais je suis tombé il y a deux ans et j’ai eu des problèmes avec mon pouce. Donc, ça peut dépendre des circonstances, car une toute petite chose peut dans ce cas devenir une énorme tâche à accomplir. Quand j’étais jeune, je me disais toujours qu’à soixante-dix ans, j’aurais du temps ; mais je n’en ai en fait plus du tout. Je prends l’avion dans quelques heures pour rentrer chez moi, j’y resterai une demi-journée puis je filerai à Londres avec l’ICP Orchestra pour quatre ou cinq jours, et c’est tout le temps comme ça. Mon autre discipline artistique est de faire de l’art mais en tournée c’est impossible car on doit être avant tout musicien. Donc : parfois je suis musicien, parfois je suis plus artiste.

GF : Je connais bien le problème : maintenir une discipline sur la route est compliqué.

HB : Absolument. Nous avons eu de la chance avec le temps en cette période de l’année à Montréal, nous n’avons eu qu’un vrai froid : il faisait -30, je n’avais jamais ressenti un tel froid de toute ma vie. Mais nous n’avons pas eu de neige sur la route. Notre tournée a été fantastique et ce genre de chose me rend heureux. C’est un peu le but de la vie, en quelque sorte. Quand tout va bien, c’est cool.

GF : J’ai écouté votre interview avec Terry Gross dans l’émission de radio Fresh Air. Vous y avez déclaré : « Les sons sont partout, c’est juste le contexte dans lequel vous les trouvez qui change. »

HB : Les sons sont partout, oui. Je les vois plus comme des formes, en fait. Nous avons bien évidemment besoin de ces sons ; le son est partout. C’est pour cela que Terry Gross a réalisé une sorte de batterie pour moi avec des choses trouvées sur son bureau, un pot à encre, une théière, des trombones. Quand vous êtes un enfant – et je suis probablement encore un grand enfant qui n’a pas véritablement grandi –, le batteur que vous êtes joue avec des pots, des poêles et des chaises, ce que je fais encore aujourd’hui. Je n’ai pas besoin d’une vraie batterie pour m’exprimer, je peux le faire avec une chaise également.

GF : Vous êtes effectivement tout à fait capable de libérer les sons qui sont emprisonnés dans des objets ordinaires, et même peu ordinaires.

HB : C’est mon but.

GF : Avez-vous déjà été totalement saisi par surprise par le son d’un objet ?

HB : D’abord, je vois l’objet. Comme hier, j’ai trouvé derrière la scène un gros bol en fer avec des bouts de bois dedans, c’était très attirant. Quand vous décidez de poser le bol sur la batterie, instantanément tout le monde se met à penser : « Quand va-t-il jeter toutes ses baguettes ? » Remarquez, peut-être que personne ne pense rien. Vous avez tous les choix possibles. Vous pouvez prendre un seul bout de bois ou bien vider le bol d’un coup. Tout est une question de moment. Vous pouvez aussi décider de ne rien faire et de reposer le bol. Vous avez toutes les possibilités, et j’aime les possibilités.

GF : C’est fantastique, j’aime votre idée du suspense et de l’improvisation. Votre jeu et votre son contiennent des éléments du jazz originel, des fanfares de la Nouvelle-Orléans au swing, du morceau à deux temps au be bop. Mais ce qui est encore plus marquant, et je le ressens quand vous jouez – hier encore, très clairement –, c’est que vous percevez le temps sans que cela provienne de votre tête. De quelle manière envisagez-vous la connexion entre le free jazz, la musique créative, l’improvisation, et la tradition du jazz et du blues en Amérique ?

HB : Avant tout, selon moi, il n’y a pas de « free jazz ». J’ai beaucoup fréquenté la Free Music Production Company à Berlin quand je jouais avec Peter Brötzmann. A cette époque, Frank Wright en était également, et répétait : « Eh, mec, qu’est-ce que t’entends par ‘‘free music’’, au juste ? Il n’y a rien de ‘‘free’’ ! Est-ce que ‘‘free’’ sous-entend que les musiciens ne sont pas payés ou alors que le public vient nous voir gratuitement ? Ca veut dire quoi ?! ». Depuis, j’ai beaucoup de mal avec le terme « free music ». Pour moi, tout cela demande beaucoup de discipline. Quand j’entends « Ça a swingué », j’ai envie de répondre : « Bah, évidemment ! ». Mes modèles ont été Kenny Clarke, Art Blakey et Philly Joe Jones, et je les admire toujours. Cependant mon autre intérêt, comme je l’ai dit, c’est la peinture. Dans ce domaine, je m’intéresse à Dada, Francis Picabia, Man Ray, à tous ces gens, qui vous donnent des idées. Vous pouvez utiliser ces idées quand vous jouez. Si une chaise tombe à un moment précis, ou si vous mettez une chaise sur la batterie, ou si je pose mon pied dessus afin d’en changer la tonalité, voilà encore des tonnes de possibilités. Le fait d’utiliser son pied, par exemple, a déjà été fait en 1937 par Baby Dodds. Il faisait ça sur un tom, debout ; moi, je le fais assis pour pouvoir utiliser mon autre pied sur la pédale. Il y a une multitude de combinaisons.



GF : Quels sont vos premiers souvenirs d’improvisation ?

HB : Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai improvisé toute ma vie car je ne sais pas lire les notes. Les notes de musique sont pour moi toutes des crottes de mouche sur une page blanche, j’ai donc toujours joué à l’oreille et avec le cœur. J’ai été très vite intéressé par Charlie Parker. J’ai commencé par le be bop bien sûr, j’étais jeune et je suivais la tendance, puis les albums ESP avec Albert Ayler sont sortis. Je me souviens de la première fois que j’ai rencontré Albert Ayler et Don Cherry. J’ai beaucoup joué par la suite avec Don. Je louais ma batterie à Sunny Murray pour trente-cinq florins car il voyageait sans son instrument. Je suis allé voir ces gens jouer live de nombreuses fois. A cette époque, je réarrangeais ma batterie : j’avais une grande grosse caisse, des blocs chinois, des timbales et un marimba. J’ai aussi joué du tabla en duo avec Nina Simone pour la télévision. Je ne suis pas un joueur extraordinaire de tabla, c’est très très très très difficile. Il faut vouer sa vie entière au tabla et jouer de la musique indienne. Comme ma culture musicale est européenne, et donc très différente, il faut savoir se familiariser. Je fais une sorte de collage, un assemblage pour mes sons en utilisant un peu de tout. Aujourd’hui je suis revenu à la batterie simple. Après avoir joué sur cette énorme batterie, j’ai réduis et, de nos jours, je suis connu pour amener une simple caisse claire avec laquelle je joue pendant tout le concert. Je peux même évoluer avec un big band entier uniquement accompagné de ma caisse claire. On dit aux Pays-Bas que « tout passe par le regard ».

GF : Votre musique parle à toutes les générations. J’ai vu des enfants fascinés par votre jeu, ce qui est plutôt réconfortant...

HB : Ca a toujours été le cas. Des gens qui ont aujourd’hui la trentaine viennent encore me voir alors qu’ils accompagnaient leurs parents à mes concerts quand ils avaient cinq ou sept ans. Je reçois encore des lettres du Japon où certains m’ont vu étant enfant, il y a des années de cela. C’est très, très gentil. Je pense qu’à soixante-dix ans – dieu merci, je ne me sens pas si vieux –, je joue pour les jeunes et les moins jeunes, les punks et les autres, j’aime jouer pour tout le monde.

GF : Avez-vous des conseils à donner aux Américains afin qu’ils montrent davantage d’intérêt pour la musique improvisée et le jazz ?

HB : Bien sûr, c’est très dommage qu’il n’y ait pas d’argent pour le jazz ici et, quand il y en a, il est destiné à Wynton Marsalis et à son club. Je trouve ça triste car depuis que les blancs sont arrivés en Amérique et ont tué tous les Indiens, la seule chose qui reste c’est le jazz. Le jazz a tellement à offrir, qu’il soit noir ou blanc, c’est une partie importante de la culture américaine et les Américains devraient être très fiers de cela. L’argent ne devrait pas être donné à ceux qui en ont déjà, comme Herbie Hancock et d’autres. Ils devraient vraiment prendre soin de ce qu’ils ont en Amérique et être fiers de ce que tous ces artistes de l’improvisation apportent à la musique. C’est la même chose aux Pays-Bas maintenant, nous avons suivi le système américain, c’est dommage. C’est même pire, en tant que musiciens européens nous devons acheter un permis de travail pour jouer en Amérique. Si vous mentez à la frontière, ils vous renvoient chez vous. Je connais beaucoup de musiciens qui ont menti à la frontière en disant qu’ils n’étaient pas là pour jouer et qui ont été renvoyés direct. Un permis coûte mille euros par an. J’en ai un pour trois ans. Si tu fais un concert à New York, tu as déjà investi trois mille euros et ensuite tu dois payer ta chambre d’hôtel, le taxi et éventuellement de quoi manger de temps en temps. Au final, tu joues pour rien ! Il y a un problème, là ! Les musiciens américains viennent en Europe très souvent, eux, car notre système est tout à fait différent. Vous voyez, les choses ne sont pas si simples.

GF : L’été, je vis en Italie et j’y joue régulièrement ; je comprends parfaitement ce que vous dites. J’espère que nous saurons nous ouvrir davantage, la musique créative et ceux qui l’écoutent auraient à y gagner. A ce propos, quel rôle la musique créative peut- elle jouer dans la société et peut-elle faire évoluer ce genre de situation ?

HB : Eh bien, il faudrait davantage de concerts et de soirées comme celle d’hier, avec la pleine lune, une standing ovation et des gens qui en redemandent. Il y a un besoin palpable de bonne musique et un intérêt pour ce genre de jeu. Nous avons déjà ressenti ce genre d’ambiance, comme quand nous avons joué avec l’ICP Orchestra. Nous ressentons cette atmosphère pratiquement à chaque fois. Il y a donc un vrai besoin, et si ce besoin existe il faut y répondre : nous avons donc besoin d’argent pour organiser des concerts. C’est logique. Ça ne sera jamais une musique populaire comme la pop, puisque « pop » veut dire populaire, à la Paul Anka ou d’autres. Mais il devrait y avoir plus d’argent pour organiser des concerts. Et s’il y a plus de concerts, il y a automatiquement plus de possibilités offertes d’aller écouter cette musique. Ça devient de plus en plus difficile. Je vous le dis, je ne peux pas me plaindre mais je crains pour les générations à venir. Le monde va si vite. Je ne sais pas utiliser l’ordinateur, j’ai besoin d’aide pour cela. Ma femme s’en occupe pour moi car je suis un analphabète, je ne peux même pas allumer ce truc correctement. Je m’enfonce dans un monde qui n’est plus le mien mais je peux encore y apporter ma contribution. On devrait faire plus attention aux musiciens qui jouent bien ici et on fait exactement le contraire. Pour moi ça va, car le 23 avril je recevrai le prix du Jazzahead-Škoda, ce qui représente une somme de 15000 euros environ.

GF : Félicitations, c’est fantastique ! Vous êtes un artiste dont la musique dépasse toutes les catégories. Bien sûr, nous venons tous de quelque part et pouvons être fiers de nos racines, mais je suis tellement heureux que vous veniez jusqu’ici pour permettre au public de vous écouter et de faire vivre au public une telle expérience... Il me reste quelques questions à propos de votre façon de jouer, comme hier en concert avec The Whammies : en une chanson, vous avez tous joué des idées courtes en répondant les uns aux autres et en usant de silences entre les dialogues. J’ai choisi cinq musiciens avec qui vous avez joué dans votre carrière, j’aimerais vous demander de les évoquer en trois mots. Ces musiciens ne sont plus parmi nous aujourd’hui, vos confessions pourraient nous permettre de les connaître davantage, d’autant que votre expérience avec eux fut très significative. Prenons d’abord Eric Dolphy...



HB : Ouais, mec. En trois mots... Mais, en fait, il n’y en a qu’un : fantastique ! Je ne peux pas décrire cette expérience, ça a été fantastique de travailler avec lui. Je ne fréquente plus trop la scène aujourd’hui mais, à l’époque, je jouais avec Hank Mobley, Johnny Griffin et Don Byas et, tout à coup, Dolphy apparaît et c’est une expérience totalement différente. Le type qui organisait les concerts pour les musiciens que je viens de citer ne voulait pas le faire pour Eric, parce que c’était un peu trop marginal. Mais comme je jouais déjà avec Misha Mengelberg, ça tombait à pic : inoubliable !

GF : Maintenant, l’un de mes musiciens préférés : Derek Bailey.

HB : Ouais aussi ! L’inventeur de la guitare ! Il a inventé un style totalement nouveau pour la guitare.

GF : Steve Lacy ?

HB : Oh, avec Steve j’ai tellement bourlingué et bien sûr donné tellement de concerts avec lui et/ou ses compositions. Quand je les rejoue encore maintenant, j’ai l’impression d’être de retour dans mon lit ! Steve ne m’a jamais imposé une façon de jouer ses compositions, je pouvais tout simplement faire ce que je voulais. Aujourd’hui, je connais bien ses morceaux et je les interprète avec un ensemble plus large. Je pense que je peux les interpréter avec beaucoup plus de maturité que quand je les jouais avec Steve. Ouais, Steve était un ami et il me manque terriblement.

GF : Marion Brown ?

HB : Oh, Marion, ouais ! Marion et moi nous sommes rencontrés pour la première fois chez moi. Je me souviens que nous avons joué sur ma péniche. Le disque que nous avons enregistré ensemble s’appelle Porto Nuovo.

GF : Et John Tchicai ?

HB : Ah, John Tchicai, c’est une autre histoire. J’aimais beaucoup John. Sur le deuxième disque d’Instant Composers Pool, c’était le choix de Misha, nous avons réalisé un enregistrement avec John. Plus tard, histoire de rendre les choses vraiment plus compliquées, voire impossibles car ils ne s’entendaient pas, il y a eu le disque avec Derek Bailey et John Tchicai (Fragments, ICP 5).

GF : J’ai cet enregistrement chez moi. Je le trouve super !

HB : Ce n’est pas l’avis de Derek ni celui de John. Je me souviens qu’ils se respectaient mais n’étaient pas amis, en tout cas pas vraiment.

GF : Et un dernier, qui est cette fois toujours parmi nous : Cecil Taylor.

HB : Oh, Cecil, Cecil, ah ! (Rires). Je dois vous raconter cette histoire, même si ça fera plus de trois mots ! A une époque, je jouais beaucoup avec Cecil, puis nous avons fait un album à deux pour Free Music Production (Spots, Circles, and Fantasy). J’étais emballé par ce disque et un type de Village Voice est venu m’interviewer. J’ai dit un truc que Cecil n’a vraiment pas apprécié, si j’en crois sa réaction d’alors : « Mec, pourquoi t’as dit ça ?! » Ce que j’ai dit au journaliste n’était rien d’autre que : « J’aime bien jouer avec Cecil et écouter toute cette merde ». J’avais utilisé le terme « shit ». Ce fut pour Cecil très duuuur à digérer. Depuis ça, je n’ai jamais rejoué avec lui.

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GF : Cecil n’a pas compris le sens dans lequel vous aviez utilisé ce mot.

HB : Effectivement. Ce fut une semaine fantastique en plus, j’ai joué et enregistré avec lui puis je suis parti jouer ailleurs. Ce n’était pas avec Otis Redding mais avec un autre type qui chantait « Sitting on the Dock of the Bay ». Il était connu en tant que chanteur soul et il m’avait engagé parce qu’il avait un groupe qu’on avait composé pour lui en Allemagne mais qui, selon lui, manquait de swing. J’ai oublié son nom mais j’ai largement préféré jouer avec lui qu’avec Cecil. Quand je joue avec Cecil, c’est un peu comme être dans une rue à sens unique. Pour faire un contrepoint je joue une marche. Par exemple, Tony Oxley ne fait jamais ça. Tony swingue, nage avec Cecil, en sortant toutes ces notes. J’aime aussi les formes qu’il crée, toutes ces petites formes. J’aime incorporer une marche ou un truc très carré afin de faire un contrepoint.

GF : Pour vous avoir entendu jouer souvent avec des musiciens différents, je peux dire que vous êtes vraiment dans l’instant présent, réagissant, répondant et nourrissant les autres musiciens avec vos contrepoints. J’ai vu beaucoup d’aspects différents de votre musique et ai réalisé que tout, chez vous, peut arriver, et à n’importe quel moment en plus. Il ne faut pas hésiter : il faut écouter son instinct et faire le grand saut sans attendre.

HB : On ressent cela tout de suite. Il faut le ressentir tout de suite. Il faut saisir le moment, il faut y aller. L’erreur n’existe pas, c’est de cette manière qu’on apprend. Misha et moi trouvions parfois intéressant de ne pas jouer l’un avec l’autre mais plutôt l’un contre l’autre.

GF : Vous pouvez donc jouer contre quelqu’un tout en jouant avec lui.

HB : Oui, bien sûr ! On joue dans un groupe, donc, si ce que jouent les autres ne vous convient pas, il faut partir dans une autre direction, interférer, et la musique change tout de suite. Les gens pensent que si je mets mon pied sur la batterie, ou que je joue par terre, c’est pour faire le show. Ce n’est pas pour le show, pas du tout ! Je change l’acoustique grâce à cela, vous comprenez ? Ça fait une grosse différence. Quand je me lève et que je joue dans le hall ou sur des chaises, je suis dans le public, je fais partie du public tout en restant en lien avec ce qu’il se passe. Et en même temps, je modifie l’acoustique.

GF : Merci beaucoup, Han, vous êtes aussi généreux en paroles qu’en musique...

HB : Je vous souhaite tout ce qu’il y a de meilleur !

Garrison Fewell : De l'esprit dans la musique créative (Lenka lente, 2016)
Traduction : Magali Nguyen-The
Photographie d'Han Bennink : Luciano Rossetti

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Image of A paraître : Eric Dolphy de Guillaume Belhomme



Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! (Intakt, 2014)

aki takase alexander von schlippenbach so long eric

L’heure (décembre avancé) est encore à l’hommage, obligé presque par un anniversaire – il y  a cinquante ans, disparut Eric Dolphy. Celui adressé par le couple de pianistes (et arrangeurs pour l’occasion) Aki Takase / Alexander von Schlippenbach a été enregistré plus tôt (19 et 20 juin 2014), en public, à Berlin – où disparut Dolphy.

Les comparses sont plus ou moins anciens – Han Bennink et Karl Berger, jadis recrues du Globe Unity, le saxophoniste alto Henrik Walsdorff ou encore Axel Dörner et Rudi Mahall, moitié de Die Enttäuschung avec laquelle Schlippenbach interprétait encore récemment l’entier répertoire de Thelonious Monk (Monk’s Casino) – qui interviennent sur des relectures que l’audace de Dolphy aurait peut-être pu inspirer davantage.

Ainsi, si de courts solos déstabilisent encore Les, si les dissonances courent d’un bout à l’autre du disque (pianos en désaccord d’Hat and Beard ou embrouillés en introduction d’Out There) et si l’on assomme le motif mélodique à force de décalages rythmiques (Hat and Beard) ou de langueur distante (The Prophet), les forces en présence font avec un manque d’allant jamais contrarié et se satisfont souvent d’évocations entendues. Après être revenu à Dolphy par l’hommage, l’heure (décembre avancé toujours) est désormais à l’envie d'aller l'entendre, lui.

écoute le son du grisliAki Takase, Alexander von Schlippenbach
So Long, Eric! (extraits)

Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! Homage to Eric Dolphy (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 et 20 juin 2014. Edition : 2014.  
CD : 01/ Les 02/ Hat and Beard 03/ The Prophet 04/ 17 West 05/ Serene 06/ Miss Ann 07/ Something Sweet, Something Tender 08/ Out There 09/ Out to Lunch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Image of A paraître : Eric Dolphy de Guillaume Belhomme


Eric Dolphy : Musical Prophet. The Expanded 1963 New York Studio Sessions (Resonance, 2018)

eric dolphy musical prophet

Le 18 avril 1963, Eric Dolphy emmène J.C. Moses, Richard Davis et Ed Armour, sur la scène du Carnegie Hall, puis doit attendre la fin du mois de juin pour retrouver le chemin de la scène – celle, en l’occurrence, du Take Three. Sans le savoir, au fil de ces concerts, le musicien met sur pied la formation qui le suivra bientôt en studio à l’invitation du producteur Alan Douglas. (…) Début juillet 1963, sont ainsi organisées, de 16 heures à 3 heures du matin, quelques séances pendant lesquelles Dolphy essaye différentes formations, faisant appel à certains de ses partenaires réguliers (Richard Davis, J.C. Moses, Eddie Khan) aussi bien qu’à de nouvelles recrues (Sonny Simmons, Prince Lasha et Bobby Hutcherson, qui occupe au vibraphone la place laissée vacante dans le groupe par Herbie Hancock). À souligner, aussi, le remplacement d’Ed Armour par Woody Shaw, et l’intervention de Clifford Jordan au saxophone soprano. [Eric Dolphy, éd. Lenka lente, 2018]

Au son du grisli, Alan Douglas s’était souvenu : « Un jour, Monty Kay me présente Eric Dolphy, à qui je m’empresse de demander ce qu’il aimerait vraiment enregistrer. Il m’a alors parlé de ce qu’il rêvait de faire, et puis nous avons passé une semaine en studio, lui, les musiciens qu’il avait choisis et moi. Nous ne cessions d’enregistrer. » De la somme d’enregistrements, le producteur fera deux disques (Conversations et Iron Man, publiés respectivement en 1963 et 1968) puis un double album (Jitterbug Waltz, auquel succédera The Eric Dolphy Memorial Album). On ne saurait aujourd’hui dénombrer les supports sur lesquels se sont retrouvés, un jour ou l’autre, de rééditions en compilations publiées plus ou moins « légalement », les titres enregistrés par Dolphy pour Douglas : qu’importe, c’est Conversations et Iron Man que Resonance réédite aujourd’hui, mais en y mettant les formes.

double dolphy

Car la référence est belle : trois disques (LP publiés à l’occasion du Record Store Day's Black Friday puis CD quelques semaines plus tard) enfermés dans un étui avec un épais livret qui raconte l’histoire de cette réédition « augmentée » et recueille la parole d’anciens partenaires ou amateurs du souffleur disparu en 1964 – Richard Davis, Sonny Simmons, Joe Chambers, Han Bennink, Henry Threadgill et aussi Oliver Lake, Sonny Rollins, David Murray, Steve Coleman ou Marty Ehrlich. L’histoire en question n’est évidemment pas celle de la réédition de Conversations et d’Iron Man, mais plutôt celle des inédits qui l’accompagnent : en 1964 avant son départ pour l’Europe, Dolphy confia quelques effets personnels à ses amis Hale et Juanita Smith – qui s’exprime elle aussi dans le livret – qui les léguèrent plus tard au musicien James Newton duquel le producteur Zev Feldman s’est, sur le conseil de Jason Moran, récemment rapproché : sur les bandes que Dolphy laissa derrière lui, quelques inédits « attendaient » en effet d’être publiés tandis que d’autres prises encore, que Blue Note avait rendues public au milieu des années 1980 sur Other Aspects, valaient bien d’être rééditées.

Faire défiler les photos de Val Wilmer et de Jean-Pierre Leloir au son de Conversations – album publié du vivant de Dolphy mais qui ne continent aucune de ses compositions – et Iron Man ajoute au charme de l’ensemble : sur la Jitterbug Walz de Fats Waller ou des deux versions de Muses for Richard Davis – le 1er juillet 1963, seuls Dolphy et Davis enregistrent, notamment cette composition de Roland Hanna qui, il y a quelques années, donna son nom à une compilation de titres rares étiquetée Marshmallow Export –, lire le souvenir que le contrebassiste garde de sa rencontre avec Dolphy, du calme et de l’humilité du souffleur… L’idée qu’il se faisait aussi de Sonny Simmons, en qui Davis voyait un possible « nouveau Dolphy ». Sur l’air de Music Matador, récréation mexicaine signée Lasha et Simmons et sur laquelle la clarinette basse « déborde » à loisir, profiter une nouvelle fois de l’entente d’Eric Dolphy et de partenaires aux allures de prophètes, mais de prophètes capables d’affranchissement – Burning Spear ou Iron Man, sur le disque du même nom, le prouvent mieux que d’autres titres.

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Parmi les inédits, ce sont d’autres versions de Mandrake, sur lequel le vibraphone d’Hutcherson semble porter tous les instruments à vent ; de Burning Spear, qui fait son lot de dissonances auxquelles œuvrent neuf musiciens dont sont les souffleurs Simmons et Lasha, Clifford Jordan, Woody Shaw, Garvin Bushell et  J.C. Moses ; de Love Me, qu’un solo d’alto peut renverser entre deux délicatesses ; d’Alone Together, que l’intention du duo Dolphy / Davis peut assombrir encore… Et puis, après cet Ode to Charlie Parker qui redit l’entente exceptionnelle du duo, trouver A Personal Statement (Jim Crow, sur Other Aspects) enregistré le 2 mars 1964 par une formation dans laquelle Dolphy côtoie le chanteur David Schwartz, le pianiste Bob James, le contrebassiste Ron Brooks et le percussionniste Robert Pozar : la composition est du pianiste, qui sert l’intérêt du souffleur pour les expériences – une pièce d’un lyrisme contemporain adopte ainsi l’allure d’une valse déboîtée. Inutile, alors, de trouver une phrase de conclusion à cette courte chronique pour dire l’intérêt de cette nouvelle référence de la discographie d’Eric Dolphy. Redire alors, comme dans le livre cité plus haut, que « rien ne vaut l’écoute ».

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Eric Dolphy : Musical Prophet. The Expanded 1963 New York Studio Sessions 
Resonance Records 
Enregistrement : 1963-1964. Edition : 2018. 
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Dave Rempis : Lattice (Aerophonic, 2017)

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Dave Rempis aura donc attendu avant de publier un disque qu’il aura enregistré seul. Dans les courtes notes qui accompagnent Lattice, il explique qu’après Coleman Hawkins, Eric Dolphy, Anthony Braxton, Steve Lacy, Joe McPhee, Ab Baars ou encore Mats Gustafsson, l’exercice était pour le moins difficile. Une tournée lui a pourtant permis de faire face à la gageure.

C’est que Dave Rempis a toujours fait grand cas de l’enregistrement de concert – dans le même temps qu’il publie cet enregistrement solo, il documente sur Aerophonic l’activité de son Percussion Quatet (Cochonnerie). Ainsi ces trente-et-un concerts donnés seul en vingt-sept villes différentes au printemps 2017 – à chaque fois, ce fut aussi l’occasion d’échanger avec quelques collègues éparpillés sur le territoire : Tim Barnes à Louisville, Steve Baczkowski à Buffalo, Larry Ochs à San Francisco… – tinrent de l’aubaine.

Quatre suffiront pourtant à composer ce premier disque solo d’un instrumentiste à la sonorité singulière. S’il fallait encore la « prouver », voici : deux reprises, en ouverture et en conclusion du disque, signées Billy Strayhorn (la mélodie n’en sera pas retournée, mais bouleversée plutôt, sous quelques coups qu’auraient pu admonester Daunik Lazro ou Nate Wooley) et Eric Dolphy (combien les sifflements de Rempis sur Serene convoquent-ils d’oiseaux ?). Entre ces deux chansons métamorphosées, des pièces d’une intimité rare.

Qu’elles paraissent attachées encore aux volutes d’Anthony Braxton (Linger Longer) ou fassent écho à cette relecture de soul estampillée Ken Vandermark (Horse Court), elles attestent une recherche certaine et, même, un objectif atteint : la voix de Dave Rempis y trace et même signe, finit par opposer à ses propres goûts un art confondant – ainsi, sur Horse Court encore, entendre un saxophone jouer de retours d’ampli comme une guitare pourrait le faire. L’art est confondant, oui ; mais vif, plus encore.

Lattice+Front+Cover

Dave Rempis : Lattice
Aerophonic
Enregistrement : 2017. Edition : 2017.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Jazz Expéditives (Rééditions) : Eric Dolphy, Byron Allen, Ornette Coleman, Albert Ayler, Olive Lake, John Carter, Bobby Bratford

jazz expéditives rééditions en trois lignes guillaume belhomme

miles davis digMiles Davis : Dig (Prestige, LP, 2014)
Maintes fois réédité (parfois sous le nom de Diggin’ With the Miles Davis Sextet), voici Dig une autre fois pressé en vinyle. Le 5 octobre 1951 en studio – dans lequel baguenaudaient Charlie Parker et Charles Mingus –, Miles Davis enregistrait en quintette dont Sonny Rollins et Jackie McLean étaient les souffleurs. Sur Denial, Bluing ou Out of the Blue, voici le bop rehaussé par le cool encore en formation du trompettiste. L’effet sera immédiat, à en croire Grachan Moncour III : « Dig a été l’un des disques les plus populaires auprès des musiciens de jazz. »

dolphy live at the five spot 1

Eric Dolphy, Booker Little : Live at the Five Spot, Vol. 1 (Prestige, LP, 2014)
A la mi-juillet 1961, Eric Dolphy et Booker Little emmenèrent au Five Spot un quintette d’exception – présences de Mal Waldron, Richard Davis et Ed Blackwell. Des deux volumes du Live at the Five Spot consigné ensuite, seul le premier est aujourd’hui réédité sur vinyle. Incomplet, donc, mais tout de même : Fire Waltz, Bee Vamp et The Prophet. Dissonances, tensions et grands débordements réécrivent les codes du swing, et avec eux ceux du jazz.

byron allen trioByron Allen : The Byron Allen Trio (ESP-Disk, CD, 2013)
Sur le conseil d’Ornette Coleman, ESP-Disk enregistra le saxophoniste alto Byron Allen. Sous l’influence du même Coleman (hauteur, brisures, goût certain pour l’archet), Allen emmena donc en 1964 un trio dans lequel prenaient place Maceo GilChrist (contrebasse) et Ted Robinson (batterie). Le free jazz est ici brut et – étonnamment – flottant, après lequel Allen gardera le silence jusqu’en 1979 – pour donner dans un genre moins abrasif, et même : plus pompier (Interface).

ornette coleman golden circleOrnette Coleman : Live at the Golden Circle, Volume 1 (Blue Note, LP, 2014)
Pour son soixante-quinzième anniversaire, Blue Note rééditera tout au long de l’année quelques-unes de ses références sur vinyle – reconnaissons que le travail est soigné*. Parmi celles-ci, trouver le premier des deux volumes de Live at the Golden Circle : Coleman, David Izenzon et Charles Moffett enregistrés à Stockholm en 1965. La valse contrariée d’European Echoes et le blues défait de Dawn redisent la place à part que l’altiste sut se faire au creux d’un catalogue « varié ».

albert ayler lörrach paris 1966Albert Ayler : Lörrach, Paris 1966 (HatOLOGY, CD, 2013)
Ainsi HatOLOGY réédite-t-il d’Albert Ayler ces deux concerts donnés en Allemagne et en France en 1966 qu’il coupla jadis. Le 7 novembre à Lörrach, le 13 à Paris (Salle Pleyel), le saxophoniste emmenait une formation rare que composaient, avec lui et son frère Donald, le violoniste Michel Sampson, le contrebassiste William Folwell et le batteur Beaver Harris. Bells, Prophet, Spirits Rejoice, Ghosts… tous hymnes depuis devenus standards d’un genre particulier, de ceux qui invectivent et qui marquent.

oliver lake complete

Oliver Lake : The Complete Remastered Recordings on Black Saint and Soul Note (CAM Jazz, CD, 2013)
Désormais en boîte : sept disques enregistrés pour Black Saint par Oliver Lake entre 1976 et 1997. Passés les exercices d’étrange fusion (Holding Together, avec Michael Gregory Jackson) ou de post-bop stérile (Expandable Language, avec Geri Allen ; Edge-Ing avec Reggie Workman et Andrew Cyrille), restent deux hommages à Dolphy (Dedicated to Dolphy et, surtout, Prophet) et un concert donné à la Knitting Factory en duo avec Borah Bergman (A New Organization). Alors, la sonorité de Lake trouve le fond qui va à sa forme singulière.

john carter bobby bradford tandemBobby Bradford, John Carter : Tandem (Remastered) (Emanem, CD, 2014)
Emanem a préféré na pas choisir entre Tandem 1 et Tandem 2. En conséquence, voici, « remasterisés », les extraits de concerts donnés par le duo John Carter / Bobby Bradford en 1979 à Los Angeles et 1982 à Worcester désormais réunis sous une même enveloppe. Dans un même élan (au pas, au trot, au galop), clarinette et cornet élaborent en funambules leurs propres blues, folklore et musique contemporaine, quand les solos imaginent d’autres échappées encore. Tandem est en conséquence indispensable. 

blue note 75* Dans la masse de rééditions promises pas Blue Note, quelques incontournables : Genius of Modern Music de Thelonious Monk, Black Fire d'Andrew Hill, Unit Structures de Cecil Taylor, Complete Communion de Don Cherry, Out to Lunch d'Eric Dolphy, Blue Train de John Coltrane, Spring de Tony Williams ou encore Let Freedom Ring de Jackie McLean.

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Interview de Gunter Hampel (1/2)

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De Music from Europe à Transparent, le parcours musical de Gunter Hampel a de quoi impressionner. Impressionnante aussi est la manière qu’il a de se souvenir : ainsi, un sens rare du détail, une collection d'impressions et un faible certain pour les digressions auront nécessité le découpage en deux parties d’un entretien-fleuve. Dans lequel on croisera les figures de Jeanne Lee, Eric Dolphy, Marion Brown, Steve McCall, Anthony Braxton et même d'un Gunter Hampel à la troisième personne… 

Mon père était un véritable pianiste. Lorsqu'il jouait, le soleil se mettait à briller même sous la pluie. Pendant mon enfance, dès qu'il m'était donné d'atteindre le clavier, mes doigts sortaient des sons venus du paradis. Il faut savoir que tout cela se passait en 1937-1939 et que ma vie était remplie de musique : la radio, mes premiers 78 tours... Je me mettais à côté du tourne-disque et je jouais tous les disques que possédait mon père, surtout du classique. C'était la guerre, et la musique est le seul souvenir agréable que je garde de cette époque.

Comment jugez vous votre parcours musical dans son entier ? Je suis vraiment heureux d'avoir fait évoluer ma musique jusqu'à aujourd'hui et, chaque minute qui passe,  j'ai l'impression d'inventer encore de nouvelles façons de jouer en compagnie d'autres musiciens. La possibilité d'improviser à l'intérieur d'un groupe me permet de prendre pas mal de plaisir, et ce parce que je suis entouré de vrais musiciens, ce qui fait que notre musique est à chaque fois nouvelle, fraiche. Chaque fois qu'il nous est donné de jouer, nous vibrons ensemble et chaque concert que nous faisons est la continuation du concert que nous avons donné la veille au soir...

Quel souvenir gardez-vous de vos premiers concerts ? J'ai donné mes premiers concerts à l’âge de 11 ans mais c’est en 1948 que les choses sérieuses ont vraiment commencées : trouver des concerts en qualité de leader, trouver du travail, quoi ! Si on remonte un peu : en 1945, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le petit Gunter avait huit ans et déambulait avec son accordéon quand il tombe sur un guitariste noir, un soldat de l’U.S. Army assis à côté de son camion. Quand il m’a entendu jouer de mon accordéon, il m’a invité à jouer avec lui : il a accompagné les airs traditionnels allemands que j’avais à mon répertoire, c’était vraiment drôle. Après ça, il m’a donné des bananes, des chewing-gums et des timbres et m’a fait écouter Louis Armstrong, ça a été un voyage d’une journée dans l’univers du jazz fait par un enfant de huit ans au sortir d’une guerre atroce. La voix de Louis était celle d’un ange tombé du paradis, soufflant du sens, de la chaleur, de l’amour et de l’espoir à l’intérieur de mon cerveau, et tout cela m’était alors inconnu, c’est comme ça que j’ai découvert ce qu’on appelle le jazz, la musique la plus prolifique de l’histoire de l’humanité… En grandissant, je me suis mis à écrire et à improviser selon des codes jusque-là en dehors de mes expériences, j'ai appris tous les styles de jazz et ai commencé à jouer de tous ces instruments que j’avais entendus pendant mes heures de solitude durant la guerre – dans ces orchestres classiques européens et formations de musique de chambre de la petite collection de disques de mon père et qui a survécu je ne sais comment à tous les bombardements. Alors, après Armstrong, ça a été tout le dixieland, le swing, le bebop, le hard bop… A 12 ans, quand Charlie Parker est mort, ça a été comme si un membre de ma famille avait disparu. A 13 ans, je jouais de la musique folk allemande et des airs de danse. A 16 ans, je menais mon premier quartette de jazz avec un vibraphone, et j’y jouais des saxophones ténor, soprano (j’étais fan de Sidney Bechet) et vibraphone (j’étais aussi fan de Lionel Hampton, Terry Gibbs, Milt Jackson…). Quand j’ai eu 19 ans, le Gunter Hampel Quartet était déjà assez renommé sur la scène allemande, on jouait dans des clubs et dans des bases de l’armée américaine. Dans le même temps, mes parents m’ont fait étudier l’architecture : mon père venait d’une famille de musiciens – mon grand-père ayant composé beaucoup de morceaux et de pièces de danses –, il jouait du piano et du violon mais construisait aussi des toits. Plus tard, habitant New York après 1969, j’ai remarqué que chaque plombier qui passait à mon appartement était un musicien de jazz… A l’âge de 21 ans, en 1958, j’étais déjà l’un des vibraphonistes allemands les plus reconnus, et aussi un clarinettiste de jazz, je jouais en clubs et en concerts un peu partout en Allemagne, j’ai donc décidé de devenir musicien professionnel, et cela fait 52 ans que je voyage de par le monde avec ma musique, mes compositions, mes groupes, j’écris de la musique tous les jours, je répète et je donne des concerts… Je me souviens, en 1960, je jouais au Barret Jazzclub de Hambourg, à l’occasion d’un engagement d’un mois, quand John Coltrane et Eric Dolphy étaient en ville à l’occasion d’une tournée. Je les avais déjà entendus sur disques mais leur concert a été autre chose, un événement qui m’a ouvert l’esprit. J’avais entendu Coltrane jouer deux ans auparavant dans le groupe de Miles, il commençait à jouer les accords au ténor, mais avec Eric, c’était autre chose : ensemble, ces deux-là étaient une véritable force. Mais il ‘ma fallu encore quatre ans avant de rencontrer Eric… Il jouait alors dans la formation de Mingus, et on m’a demandé de transporter Mingus et ses deux contrebasses – l’une pour les pizzis et le swing, l’autre pour l’archet, qui servait un peu de violoncelle – dans mon bus Volkswagen, de l’aéroport à Wuppertal où il était attendu pour un concert. J’habitais alors Düsseldorf et Mingus – tout comme Sonny Rollins ou Thelonious Monk que j’ai rencontrés à peu près à la même période à Munich et Düsseldorf – une véritable légende du jazz, et je me sentais pas mal en leur présence, ce qui confirmait le choix que j’avais fait de vivre pour ma musique. En fait, mon quintette (avec Manfred Schoof, Alexander von Schlippenbach, Buschie Niebergall et Pierre Courbois) avait été invité à jouer après le concert de Mingus dans un club de Wuppertal dans lequel il était attendu pour dîner… Ils étaient tous assis en face de nous et Dolphy criait « écoutez le contrebassiste ! » ; c’était notre Buschi qui, en présence de Mingus son idole, jouait comme jamais il ne l’avait fait avant… Alors, Danny Richmond et Jaki Byard nous ont rejoints pour jouer, et puis après le concert Dolphy était toujours là : moi, je devais rentrer à Düsseldorf et lui, qui avait aimé notre prestation, m’a demandé si je pouvais le ramener en voiture jusqu’à son hôtel à Düsseldorf, il tenait à me parler… Alors, nous sommes rentrés et puis nous sommes arrêtés à mon appartement : il a joué sur mon vibraphone tandis que je lui ai demandé si je pouvais essayer sa clarinette basse, et nous avons joué ainsi jusqu’au lever du jour. Ensuite nous avons beaucoup parlé et joué encore, mais chacun à la flûte, à côté des cerisiers et auprès des oiseaux du matin et Dolphy m’a dit que je devrais m’acheter une clarinette basse parce qu’il aimait mon son à l’instrument. Le reste appartient à l’histoire… En 1966, je jouais à Paris, au Blue Note, mon quintette était programmé le même soir que celui de Kenny Clarke. Kenny m’a ensuite emmené à Selmer où il donnait un stage de batterie, et là on m’a vendu une clarinette basse, je me souviens de tout ça comme si c’était hier… J’ai aujourd’hui 72 ans, et je suis à mon tour ce qu’on appelle une légende du jazz, ma vie aurait été toute différente si je n’avais pas rencontré ces superbes musiciens et êtres humains, de ceux qu’on ne rencontre plus. Je suis heureux de pouvoir passer mon savoir à de plus jeunes à l’occasion de stages, leur montrer de quelle manière l’improvisation de jazz peut enrichir leur vie et leur esprit et leur permettre de mener leur existence de manière décente et fraternelle.

Image of Free Jazz Manifesto de My Cat Is An Alien & Philippe Robert

Quelle a été la raison de votre départ pour les Etats-Unis ? En 1966, j’ai rencontré Jeanne Lee. J’enregistrais Music from Europe en Hollande pour ESP et il s’avère qu'elle fut invitée dans le studio d'enregistrement. Deux semaines plus tard, elle jouait dans mon groupe qui, à cette époque, comptait Pierre Courbois à la batterie et Willem Breuker aux saxophones et clarinettes. Jeanne et moi avons vécu à Anvers où j’ai rencontré Marion Brown en 1967. Il devait jouer pour la radiotélévision belge et m’a demandé de rejoindre son quartette. Là, il y avait Barre Phillips à la contrebasse et Steve McCall à la batterie. Avant ce concert, le groupe n’avait jamais répété. Marion et moi y sommes arrivés tard à cause du trafic automobile, j’ai eu à peine le temps d'installer le vibraphone que les gens de la radio nous ont demandé de commencer à jouer. Là, on s’est regardé et on s’est dit : « avec quoi ? ». Marion me désigne et me dit alors « Tu commences ». Alors, j’ai attrapé mes quatre mailloches, j'ai regardé les 600 personnes que comptait le public puis les micros et les caméras, j’ai respiré profondément et ai commencé à improviser seul au vibraphone. Et puis, soudain, McCall a appuyé de ses balais mon improvisation avec une intensité incroyable, bien mieux encore que l’avaient fait tous les batteurs avec lesquels j’avais eu l’honneur de jouer jusque-là (Kenny Clarke compris). Alors, je le regarde et je vois ce sourire sur son visage, ensuite Marion nous a rejoint, puis Barre, et nous avons joué deux heures durant : nous nous étions trouvés. Avec Steve, nous avons joué régulièrement par la suite, jusqu’à sa disparition : trente années durant, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. La même chose d’ailleurs avec Marion, jusqu’à ce que ses problèmes de santé l’empêchent de continuer à jouer. Le quartette a d’ailleurs joué à Paris en 1968 : j’avais emménagé à Paris avec Jeanne un an plus tôt. Pendant les tournées que nous avons faites en Europe, Steve n’arrêtait pas de me parler de la révolution qui secouait le jazz à Chicago, de l’AACM dont il a été l’un des membres fondateurs tout comme Muhal Richard Abrams, et il me faisait écouter des tas de disques : ceux d’Anthony Braxton, notamment, sur Delmark. Je me souviens être assis dans un hôtel de Saint-Germain des Prés avec Steve et Marion : nous avions tout juste échappé à une descente de police dans les couloirs du métro alors que nous revenions d’une séance d’enregistrement avec le réalisateur Marcel Camus, qui travaillait à la musique de son nouveau film. Les gens se battaient dans la rue, lançaient des cocktails Molotov, mettait le feu à des voitures. Des pierres ont été jetées sur les vitres de la chambre d’hôtel et nous n’osions plus sortir : heureusement, ma voiture était à l’abri dans une rue éloignée mais je n’ai pas osé la prendre pour rejoindre mon appartement dans le 18e arrondissement. Pour revenir à la musique, c’est donc dans ces conditions que j’ai entendu Anthony Braxton pour la première fois, avec Leo Smith à la trompette et au violon sur un disque produit par Delmark.

Braxton vous a d’ailleurs rejoint ensuite à Paris… Oui… Un an après, Anthony est venu nous rendre visite, à Jeanne et moi, dans notre appartement rue Cave. 22 musiciens de Chicago étaient là avec leurs femmes et leurs instruments : ils avaient fait le trajet entre Chicago et Paris dans un bus Volkswagen parce que Steve McCall avait écrit à tout le monde pour leur dire de faire le voyage jusqu'en Europe. Il leur avait dit que Marion et moi jouions sans cesse depuis deux ans et qu’il était possible, ici, de vivre de sa musique. Bientôt, il n’y a avait plus à Paris de salle de concert, de théâtre, de cinéma ou de club de jazz, qui n’avait pas vu programmé un musicien de Chicago… Paris était devenu le centre du jazz en Europe et j’étais au cœur de tout ça. Archie Shepp est venu puis des centaines d’autres l’ont suivi. A tel point que ce label, BYG, a enregistré tout le monde jouer en compagnie de tout le monde : économiquement parlant, ce n’était pas ça mais, au moins, la musique a été enregistré… Ma rencontre avec Anthony s’est faite un jour de printemps 1969, je crois, je donnais un concert à Paris, à l’Institut Américain, dans un grand jardin. Dans mon groupe, il y avait Jeanne Lee, Barre Phillips je crois et Steve McCall. Nous jouions là à l’occasion d’un festival. Après nous, il y avait un big band estampillé AACM dont Steve faisait aussi partie. Joseph Jarman s’est transformé en guide et nous as tous baladé à travers le jardin en s’arrêtant devant chaque sculpture : avec beaucoup d’humour mais d’une voix sérieuse, il disait à leur propos tout ce qui lui passait par la tête. Ensuite, les musiciens ont joué une musique très proche de celle que nous faisions au début des années 60 en Allemagne – ensuite, à Berlin, nous avons organisé en 1968 notre propre Free Jazz Meeting et puis il y a eu la grande histoire de l’Unity, dans lequel étaient réunis Allemands, Hollandais, Belges, Français, Italiens, Anglais. Lorsque Schlippenbach a décroché ce concert au Philharmonic Hall de Berlin, le Globe Unity est véritablement devenu sa formation, tandis que moi New York m’appelait. J’ai toujours été attiré par cette ville, dès les premiers jours – Louis Armstrong me parlait de la vie, de musique, de swing, de groove et des sons qu’il pouvait faire avec sa voix et sa trompette ; sa personnalité dans son entier était derrière chacune de ses notes, l’âme dans la voix… Pour revenir à Berlin et à 1968, j’ai joué lors de que nous appelions notre « little jazz festival » avec l’un de mes groupes qui comptait Jeanne Lee, Willem Breuker, Arjen Gorter et Steve McCall ou Pierre Courbois à la batterie ; à côté de ça, je jouais aussi dans le Marion Brown-Gunter Hampel Quartet et à la tête d’un autre groupe encore : Time Is Now, dans lequel jouait alors le jeune John McLaughlin. J’avais alors tellement de travail que, parfois, il m’a été donné donner un concert le matin à Paris, un autre concert en début d’après-midi à Anvers et puis un autre encore le soir à Amsterdam. Tout ça, avec autant de groupes différents… Bref, revenons-en à Anthony : nous étions dans ce jardin américain et là, un jeune Afro-Américain s’approche de Jeanne : « Salut Jeanne, je m’appelle Anthony Braxton, où est-ce que je peux trouver Gunter ? Steve McCall m’a parlé de lui en bien et j’aimerais bien le rencontrer. » A ce moment là, j’étais tout proche de lui mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Je souriais parce qu’Anthony avait sur l’épaule un enregistreur à cassette et parlait toujours dans un micro minuscule. Il était très sérieux et enregistrait tout ce qu’il disait, pensait beaucoup lorsqu’il ne jouait pas de ses instruments. Moi, en arrivant à Paris en 1967, j’ai pris l’habitude de tout mettre par écrit : j’écris de la musique chaque jour qui passe et vous ne me croiserez jamais sans papier à musique et crayon. Maintenant, ça ne m’empêche d’avoir des enregistreurs ; le dernier en date est un HA… Donc, Jeanne commence à rire et me tape sur l’épaule : je me retourne et je tombe alors nez à nez avec Anthony et, au-dessus de son micro, notre discussion commence. Si vous ne faîtes pas attention, des gars comme Anthony Braxton ou Cecil Taylor peuvent vous parler pendant des heures de tout et de rien. C’est comme ça que lui et moi avons parlé ensemble dans son micro pendant trois jours d’affilée. Impossible de résister à son charme, sa douceur et son énergie. Je lui ai fait faire le tour des magasins de disques de Paris – à cette époque, j’achetais beaucoup de musique classique et pratiquait la flûte et la clarinette basse. Anthony m’a impressionné avec cette attitude « made in Chicago » à la fois réfléchie et spirituelle. A tel point que je voulais qu’il joue sur mon prochain disque. Cet après-midi là, il avait entendu mon quartette avec Jeanne et Steve et m’avait fait comprendre qu’il voulait que nous jouions ensemble ; nous avions senti que nous étions sur la même longueur d’ondes, notre musique ne pouvait faire avec les formalités d’usage.

Et cette rencontre avec Braxton a donné The 8th of July 1969, que vous sortirez sur Birth… Oui, enregistré le 8 juillet 1969, donc... Jeanne et moi sommes arrivés à Amsterdam en voiture et Steve et Anthony y sont allés en train. A Baarn, nous ont rejoints Willem Breuker et Arjen Gorter. J’avais amené avec moi quelques-unes de mes compositions pour improvisateurs, j’avais aménagé des espaces pour que chacun d’entre nous s’implique autant au sein du collectif qu’en solo, duo et trio. Pour le reste, ça a été de la composition spontanée, de la direction faite sur l’instant et puis les inspirations de chacun... Dès que l’ingénieur du son a eu fini de régler les micros, nous avons enregistré. Sur la première pièce [We Move, ndlr], je joue du piano sur une mesure à 5/4 ; les autres me rejoignent peu à peu et ensuite nous donnons chacun le maximum de nous-mêmes en une sorte de tourbillon. Après trois prises, nous avons répété le deuxième morceau, Morning Song ; j’avais donné à Steve le schéma rythmique, un truc très rapide que j’avais trouvé en jouant du tabla. Mais nous avons commencé par un duo improvisé : Anthony à l’alto et moi au vibraphone. Ce genre de choses que des gens comme nous peuvent faire, de celles que j’ai faites aussi avec Marion en concert : je prends mes mailloches et je m’attaque à mon vibraphone selon mon humeur... The 8th of July 1969 a été un disque très influent. Beaucoup de musiciens de par le monde sont partis de son écoute pour élaborer leur propre musique. Des centaines de musiciens, aux Etats-Unis comme ailleurs, se sont inspiré de ma façon de jouer et de composer, j’ai eu et j’ai encore d’ailleurs pas mal d’effets sur les gens qui viennent m’écouter. C’était la première fois que la patrie du jazz, les Etats-Unis, apprenait d’un Européen. Je donnais aux Etats-Unis l’inspiration nécessaire pour lui permettre de faire évoluer cette musique. Ca a été pour moi une façon comme une autre de remercier un pays qui m’a permis, par le biais de la musique, de trouver ma propre personnalité… [LA SUITE]

Gunter Hampel, propos recueillis en juin 2010.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Eric Dolphy : Strenght with Unity (1964)

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One of the least known of Dolphy's many works is Strength with Unity. Never issued commercially, this recording from the 1964 Once Festival in Ann Arbor is performed by Dolphy on alto, with the Bob James Trio (James on piano, Ron Brooks on bass, and Bob Pozar on drums) and a brass ensemble rehearsed by University of Michigan professor Louis Stout. Dolphy may have arranged it for 8 french horns, echoing his brass-heavy arranging for Africa Brass and the concert with the University of Illinois band.

This is a 10 minute long performance featuring a loping A theme in 5/4 and a beautiful bridge in 3/4, with swooping horn fills like those in Africa. Graham Connah noted that the tune is reminiscent of In the Blues from Copenhagen in September 1961, over an Eb diminished with a major 7th chord here as opposed to F# minor in In the Blues. A few weeks before this performance, Dolphy played some similar phrases with the New York Philharmonic in a very brief solo.

The introduction uses smeared harmonies by the brass followed by Dolphy, ending in the lower register to set the somewhat ominous tone. One interpretation of the composition, in terms of the title, is that the A theme represents Strength and the bridge Unity. Dolphy's solo is accompanied by the brass heavily during the first chorus. He then plays passionately, racing headlong, with mainly Pozar's insistent backing. On the final chorus he uses a lengthy series of rapid short phrases, before the brass return with an interesting inversion of the theme, and James solos.

Dolphy's second solo is remarkable, a classic example of what he could do in terms of maintaining conventional technique while extending it greatly. He ends it at the bottom of his horn again, his time splitting tones slightly. The ending of this performance is weak, perhaps because it wasn't rehearsed.

I know of two other performances of this composition: at a concert organized by Marcello Piras and Stefano Zenni, featuring Gianluigi Trovesi on alto, with arrangements by Gunther Schuller, in 2000 in Pescara Italy ; and by Graham Connah and friends at a Dolphy tribute concert at Yoshi's in Oakland California in 2003. There may or may not have been a performance in 2008 at Merkin Hall by a band led by Russ Johnson, with Roy Nathanson, Myra Melford, George Schuller, and Brad Jones. I look forward to hearing this wonderful piece played many more times.

Eric Dolphy : Strenght with Unity
Enregistrement : 1964.
Alan Saul © Le son du grisli

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D'Augusta, Georgie, l'ophtalmologue Alan Saul anime Outward Bound!, incontournable site internet pour qui s'intéresse à l'œuvre d'Eric Dolphy.

 

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John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 (Naxos, 2007)

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Rassemblés ici, trois films de concerts donnés en Europe entre 1960 et 1965 donnent à voir John Coltrane diversement entouré.

A Düsseldorf, d’abord, où le saxophoniste, alors en tournée en tant que sideman de Miles Davis, prend – à la place d’un trompettiste ayant décliné l’invitation – la tête d’une petite formation à l’occasion d’un show radiotélévisé. Auprès de Wynton Kelly, Paul Chambers et Jimmy Cobb, il interprète un Green Dolphin Street élégant avant d’accueillir Stan Getz puis Oscar Peterson sur une reprise d’Hackensack de Monk.

L’année suivante, c’est en leader que Coltrane revient en Allemagne, participant là à une autre émission, en compagnie de son quartette classique, augmenté d’Eric Dolphy. Célèbre, la séance vaut surtout pour la rencontre des deux saxophonistes, déposant encore l’un après l’autre leurs solos de My Favorite Things ou Impressions.

Plus rares, les images d’un concert donné en Belgique en 1965, toujours auprès de McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones, qui attestent d’un tournant inévitable, celui qui mènera Coltrane au seuil d’un free jazz dont Ayler lui attribuera la paternité – l’introduction, en compagnie de Jones, de Vigil, en étant la meilleure preuve. Et l’esquisse aura été faite d’un parcours monumental.

John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 - 2007 (Naxos / Abeille Musique).
Edition : 2007.

DVD : 01/ On Green Dolphin Street 02/ Walkin’ 03/ The Theme 04/ Autun Leaves 05/ What’s New 06/ Autumn in NY 07/ Hackensck 08/ My Favorite Things 09/ Ev’rytime We Say Goodbye 10/ Impressions 11/ Vigil 12/ Naima 13/ My Favorite Things

Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Charles Mingus: Live in ’64 (Naxos - 2007)

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Parmi les 7 nouvelles références publiées cette année dans sa collection Jazz Icons, Naxos consacre une anthologie à la tournée européenne qu’effectua Charles Mingus en 1964.

En sextette ou en quintette – selon la présence du trompettiste Johnny Coles, victime à Paris d’un malaise –, le contrebassiste défend alors ses morceaux les plus déterminants auprès de la plus convaincante de ses formations : Coles, donc, et puis Eric Dolphy, Clifford Jordan, Jaki Byard, Dannie Richmond.

Aux répétitions et concert filmés en Suède et en Norvège, bien connus pour être dispersés sur les DVD déjà existant de Mingus, mais aussi de Dolphy, Live in ’64 donne à voir un document plus rare : la séance que le quintette enregistra à Liège, dans les locaux de la RTBF, à l’occasion de sa participation à l’émission Jazz pour tous. Vraisemblablement satisfait de son groupe, Mingus dirige ici So Long Eric, Peggy’s Blue Skylight et Meditations le long d’interprétations qui se passent de commentaires.

Charles Mingus - Live in ’64 - 2007 - Naxos. Distribution Abeille Musique.

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Eric Dolphy: Stockholm Sessions (Enja - 2007)

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En ressortant Stockholm Sessions, le label Enja répond par la négative à la question suivante : lorsque ce n’est pas Out to Lunch que l’on réédite, est-ce Dolphy qu’on assassine ?

Enregistré lors du premier passage en Europe du saxophoniste, clarinettiste et flûtiste, ces sessions radiotélévisées enregistrées en 1961 donnent à entendre Dolphy auprès de musiciens scandinaves et d’autres expatriés (le contrebassiste Jimmy Woode et le trompettiste Idrees Sulieman). Combinant à l’alto son héritage parkérien et des élans plus personnels (progressions anguleuses sur Les et sorties du cadre rythmique sur G.W.), Dolphy expose à la clarinette basse l’essentiel de ses tourments (Serene) ou rend hommage en solitaire à Billie Holiday (God Bless’ The Child) pour confronter plus loin son jeu de flûte plus mesuré aux dissonances de la contrebasse (Left Alone).

L’Europe, Dolphy y reviendra, le temps d’enregistrer auprès d’autres partenaires encore, plus ou moins convaincants. A Stockholm, en septembre 1961, se jouait l’histoire d’une première fois : faire connaissance et souhaiter voir durer l’entente.

CD: 01/ Les  02/ Serene 03/ Miss Ann  04/ God Bless The Child 05/ Left Alone 06/ G.W. 07/ Don't Blame Me 08/ Serene (Alternate Take)

Eric Dolphy - Stockholm Sessions - 2007 (réédition) - Enja. Distribution Harmonia Mundi.

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