Festival Météo [2016] : Mulhouse, du 23 au 27 août 2016
Mardi 23
En ouverture, un ciel variable et contrasté aux belles couleurs, entre brumes sombres, étirements des sons, parfois orageux. La conjonction des deux cordes, l’alto de Franz Loriot (un brin trop prononcé par rapport à ses deux comparses !), le violoncelle d’Anil Eraslan et les percussions, souvent frottées, de Yuko Oshima, alternaient la montée vers un maelstrom sonique dans lequel tous les instruments avaient tendance à se confondre, avant l’apaisement créant une forme d’évanescence avec le travail sur la résonance. Parfois cependant les trois éléments s’individualisent, deviennent plus conflictuels voire convulsifs, tout en recherchant, et trouvant, un paysage plus vaporeux empreint d’effets planants.
L’éclaircie fut au rendez-vous dans la soirée avec le Supersonic de Thomas de Pourquery puis le duo Archie Shepp / Joachim Kühn. Dans la présentation des œuvres de Sun Ra, telle Love In Outer Space, l’atmosphère était ludique, conviviale, les souffleurs (De Pourquery au saxophone, Fabrice Martinez à la trompette et Daniel Zimmermann au trombone) assuraient aussi les vocaux, et une approche un peu ludique. Les sonorités d’ensemble étaient brillantes, éclatantes, la basse électrique de Frederick Galiay sortait parfois des sonorités décapantes. Toutefois, il était difficile de reproduire la folie (ici donc édulcorée) d’un spectacle de Sun Ra en personne.
Brillance et virtuosité : ces deux termes qualifient totalement la prestation du duo Shepp / Kühn qui alternait les compositions de chacun des protagonistes dans des dialogues lyriques et très colorés. Encore que le saxophoniste se mettait assez souvent en retrait, laissant le pianiste déverser la science de son jeu lumineux.
Mercredi 24
La matinée commence à la bibliothèque municipale dans le cadre des concerts pour enfants (une petite demi-heure). Edward Perraud y propose une prestation que l’on pourrait qualifiée d’alizée, qui débute sur un souffle mesuré, peu à peu traversé par quelques forces éoliennes plus agitées, parcourues d’embruns exotiques, peut-être symbolisées par l’utilisation d’effets électroniques
On retrouve ce souffle à la Chapelle St Jean un peu plus tard avec Luft, duo saxophone (Mats Gustafsson) / cornemuse (Erwan Keravec), mais un souffle plus chargé de menaces et avis de tempête. Le côté lancinant de la cornemuse est perturbé par les éclats parfois déchirants, parfois plus minimalistes, du saxophoniste qui crée toutefois un climat serein avec son slide sax (la hauteur des notes y est déterminée par une tige coulissante !). La prestation se termina avec Christer Bothén, d’abord avec un guembru mais surtout à la clarinette basse en effectuant un travail sur le son combiné à un souffle lent.
La fin d’après-midi, à l’entrepôt, aurait pu être électroacoustique par les effets distillés par les musiciens. D’abord à la harpe acoustique, Zeena Parkins explora les sonorités de l’instrument, en donnant l’impression d’abord d’un zéphyr qui peu à peu se transforme en une grêle de sons (travail sur le cadre de l’instrument), puis des impressions de sons glissants, comme des dérapages sur un sol détrempée. L’utilisation de sa harpe électrique, tantôt frottée par une brosse, révéla des cieux plus chargés de ténèbres. Lesquels se dissipèrent avec la prestation du duo violoncelle (Anthea Caddy) / contrebasse (Clayton Thomas), aux sonorités vrombissantes sous forme de drone, avec un travail sur les harmoniques et peut-être l’utilisation discrète d’électronique.
La soirée au Noumatrouff fut, elle, marquée par un climat plus contrasté, souvent orageux, avec quelques accalmies. La musique distillée par les trois formations (Louis Minus XVI, le trio Sophie Agnel / Joke Lanz / Michael Vatcher et The Thing, le trio de Mats Gustafsson, renforcé par Joe McPhee) fut en effet plus défricheur, marqué par une attitude free/hardcore des Lillois soufflant le chaud et le froid, les convulsions épileptiques et nerveuses du trio et enfin les gros nuages, les brumes, les éclats, tantôt débridés, tantôt canalisés de The Thing...
Jeudi 25
Avis de fort vent avec le tuba de Per Åke Holmlander dans le patio de la bibliothèque municipale ? plutôt une série de petits souffles, de risées plaisantes et rafraichissant ce début de journée caniculaire… Pas spécialement défricheur, mais adapté à un public d’enfants.
Quoique son patronyme incite à aborder la métaphore de la construction (la Tour), plutôt que celle de la météorologie, le batteur Alexandre Babel tendit son jeu non pas vers les cieux mais vers une construction délicate d’une trame sonore se densifiant, tout juste perturbée par quelques frappes plus sèches et aigües, en instaurant un climat serein sans provoquer, comme la tour du même nom, une dispersion de son public.
La fin d’après-midi avait des affinités avec celle de la veille, dans la friche industrielle DMC, avec son recours à l’électroacoustique. D’abord dans le partenariat d’Hélène Breschand et son acolyte Kerwin Rolland : traçage d’un paysage sonore onirique, d’abord avec la voix et un léger bourdonnement synthétique, plus prononcé avec l’archet dans les cordes de la harpe, également (mais plus parcimonieusement) pincées, pour finalement réaliser une sculpture sonore quelque peu psychédélique et surréaliste. Ensuite dans la prestation soliste de Mathias Delplanque : ses traitements électroniques, avec effets percussifs, frottage de cordes de guitare, dans un set relativement court (un peu moins de trente minutes), assez minimaliste malgré les perturbations dues à l’emploi d’objets divers.
La soirée au Noumatrouff proposa des ambiances plus diverses que la veille dans la mesure où chaque formation apportait des trames volontairement contrastées. Le duo Agustí Fernández (piano) / Kjell Nordeson (percussions) résuma en une trentaine de minute tous les états d’un ciel dégagé (les moments de silence, avec des sons parcimonieux de type pointilliste), l’orage et ses éclats, les brusques ondées voire le déferlement des flots créant un torrent d’abord impétueux pour finalement se canaliser. Même construction hybride entre sons agressifs, accalmies, sonorités plus consensuelles, proposée par dieb13. Une construction peut-être plus passionnante que celle de Delplanque quelques heures auparavant. On retrouve cette construction multiforme dans le NU Ensemble « Hydro 6 – knockin’ » de Mats Gustafsson : alternance de passages minimalistes avec un chant simplement soutenu par l’un ou l’autre instrumentiste, parties en unisson entre les douze musiciens, des duos, trios comme autant de microclimats, sans oublier bien sûr le déferlement sonique d’une machine infernale libérant les antres d’Eole !
Le final avec Ventil, formation autrichienne, fut plus rock, mêlant réminiscence d’un krautrock planant, l’apport de la techno, entre ambiances minimaliste et prestation tribale et percussive. Sans grand intérêt.
Vendredi 26
« Joyeux kangourou ». William Parker, face aux enfants. Joue vraiment le jeu de cette rencontre ludique. Petites intros avec une trompette bouchée et le shakuhashi, puis il s’adresse directement aux enfants, par ses gestes, en passant devant chacun d’entre eux, les incitant à s’exprimer, enfin, à sauter comme des kangourous pendant qu’il psalmodie « happy kangaroo » en s’appuyant sur les rythmes de la contrebasse. Dont il jouera plus conventionnellement, en usant de son archet, les cinq dernières minutes.
Joachim Badenhorst à la Chapelle se servit alternativement (et un court moment simultanément !) de sa clarinette (connectée) et de sa clarinette basse, travaillant dans un premier temps une forme de discours linéaire s’assombrissant tout en se densifiant et en jouant sur les harmoniques. Après un court discours au saxophone ténor, il aborda ensuite un registre plus perturbé, jouant de la voix et de borborygmes insufflés dans son instrument pour finir avec un jeu plus répétitif.
Climat très serein, au beau fixe en fin d’après-midi en l’église Ste Geneviève avec l’organiste irlandaise Aine O’Dwyer, une fresque onirique parfois sous forme d’un long drone, tout juste perturbée par quelques stratus s’effilochant, puis une mise en abime répétitif de la contrebasse de Mike Majkowski le vrombissement des cordes jouant avec la résonance d’une église. Un instant propice au recueillement, dans un endroit frais (en cette journée de canicule), nonobstant l’inconfort des bancs.
Les deux premiers concerts du soir, au Noumatrouff m’apparurent comme des concerts à côté de la plaque. Sur le papier, rien de plus enthousiasmant que de voir la section rythmique idéale composée de William Parker et Hamid Drake, aux côtés du pianiste Pat Thomas. Et le batteur fut effectivement des plus subtils. Comme le matin devant les enfants, William Parker laissa aussi un moment sa contrebasse au profit du shakuhashi et du guembri. Mais l’ensemble manquait singulièrement d’esprit créatif, plus proche d’une virtuosité gratuite que d’un discours argumenté. On pourra faire la même réflexion au Green Dome, le trio de la harpiste Zeena Parkins avec Ryan Ross Smith au piano et Ryan Sawyer à la batterie. La musique distillée fut bien nerveuse, les sonorités parfois inouïes, mais l’ensemble apparaissait là aussi trop décousu, en manque d’âme pour susciter la passion.
Seul le Zeitkratzer de Reinhold Friedl tira son épingle du jeu, avec son interprétation du Metal Machine Musique de Lou Reed et sa plongée dans un univers sombre, angoissant, obsédant et parfois terrifiant, avec une subtilité qui rendit la composition lumineuse, et même emphatique.
Samedi 27
Ce fut un Erwan Keravec didactique, pas seulement en direction des enfants, qui se présenta dans le patio de la bibliothèque municipale de Mulhouse. En commençant par montrer la différence entre l’usage traditionnelle de la cornemuse et celui d’un musicien lié aux musiques improvisées et contemporaines. En n’hésitant pas, pour terminer, à démonter tuyaux ( les bourdons et le hautbois) de l’instrument pour faire découvrir entre autres les doubles anches…
Clayton Thomas fut impressionnant à la chapelle par l’intériorisation de son jeu, assez minimaliste et envoûtant, et toutefois totalement différent de l’aspect drone qu’avait développé la veille Majkowski au même instrument. Un jeu qui faisait appel aussi à l’utilisation percussive de la contrebasse, aux cordes frappées, rendant son discours plus profond, plus spirituel sans doute.
Un des moments les plus intéressants fut le concert de la résidence (initié par l'altiste Frantz Loriot) de Der Verboten (ses partenaires furent Christian Wolfarth (percussions), Antoine Chessex (saxosphone), Cédric Piromalli (piano) donné en cette fin d’après-midi du samedi : des instruments frappés, frottés, effleurés, une accumulation de sons, d’apparence disparates au départ, qui peu à peu se trouvent, se combinent, se tendent, jusqu’à la déchirure (opérée par le sax). Un discours d’une certaine linéarité, aspect qui fut une des images sonores de cette édition de Météo (cf. par exemple Breschand, Majkowski, Delpanque… ) mais distillé chaque fois différemment avec plus (ce fut le cas ici) ou moins (Delpanque) d’émotion.
La dernière soirée au Noumatrouff débuta avec un duo d’électroniciennes, Native Instrument réunissant une norvégienne (Stine Janvin Motland) et une australienne (Felicity Mangan) : un bidouillage parfois grinçant, plus pointilliste, qu’un spectateur qualifia de « coin coin ». Il est vrai que l’on aurait souhaité barboter dans une mare !
Les deux derniers concerts, que je n’ai pu entendre que de l’extérieur de la salle furent diversement appréciés : spectateurs très partagés sur Sonic Communion qui proposa une pièce délicate, parfois instable (une atmosphère qui annonçait l’orage sans que celui-ci ne se déclenche !) et jouant sur la fragilité ponctuée par les éclats, notamment de la voix de Joëlle Léandre et la trompette de Jean-Luc Cappozzo. Davantage d’unanimité pour la prestation du trio Roscoe Mitchell / John Edwards / Mark Sanders qui sut insuffler une âme à cette rencontre entre la section rythmique britannique et le saxophoniste américain.
Pierre Durr (textes et photos) © Le son du grisli
Anthropique : Sur les routes de Bourgogne (In Situ, 2015) / Bourgogne, une terre de jazz : 1980-2010 (Le Murmure, 2015)
Ils voyagent (ici sur les routes de Bourgogne), observent, demandent, ont soif de rencontres. Ici, un éducateur, un luthier, une peintre, une restauratrice, une potière… et beaucoup d’autres. Ils écoutent, prennent des notes, des photos (quatre livrets, un par département). La rencontre ne sera pas anecdotique. Elle reviendra dans une semaine, dans dix ans, à la fin d’une vie
Et puis, ils jouent et ils réfléchissent. Et puis, ils réfléchissent et ils jouent. Et ils assemblent. Ils oublient des choses. Elles resurgiront : dans une semaine, dans dix ans, à la fin d’une vie. Donc: ils assemblent. Ils s’imprègnent : les dires de l’un et de l’autre (choisir l’un plutôt que l’autre : douce torture), la chanson, le verbe, le souvenir et improviser là où c’est terriblement difficile. Alors : The Doors, Gainsbourg, Baudelaire, Billie, l’Espagne du cœur. Et tout ceci de faire sens, de n’être plus collage mais entité, souvenir et présence. Ils (et elle), ce sont Didier Petit, Edward Perraud et Lucia Recio. Et l’on sent bien que le voyage est loin d’être achevé.
Anthropique : Sur les routes de Bourgogne (In Situ / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Que sonnent les tuiles de Bourgogne 02/ L’esprit du lieu 03/ The Crystal Ship 04/ La vielle mène à tout 05/ Tourneurs du Morvan 06/ Comme un boomerang 07/ La mort des amants 08/ Paragraphe 09/ La romance du chevrier 10/ Tout un film 11/ Don’t Explain 12/ Que sonnent encore les tuiles de Bourgogne 13/ Topographique 14/Zorongo
Luc Bouquet © Le son du grisli
C’est ici la suite d’un premier ouvrage, Au fil du jazz : Bourgogne 1945-1980. Trente années de jazz (de toutes sortes) racontées sous l’égide du Centre régional du jazz en Bourgogne, soit trente ans de politique culturelle et de vie associative. Passés les obligations contractuelles, les longueurs régionalistes et les poncifs de rigueur (« jazz, une ouverture sur le monde »), le grisli trouvera ici une affiche (Sun Ra au Grand Théâtre de Dijon), là quelques clichés (Jeanne Lee, John Tchicai…), ailleurs des pages consacrées aux festivals Jazz à Cluny (par Didier Levallet) et Jazz à Nevers (par Jean-Michel Marchand). La démarche patrimoniale et régionaliste cache ainsi quelques surprises.
Collectif : Bourgogne, une terre de Jazz 1980-2010. A Love Supreme (Le Murmure)
Edition : 2015.
Livre (247 pages) : Bourgogne, une terre de Jazz 1980-2010
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
French Doctors : Au chevet des blessés (Ronda)
Il faut toujours retourner un disque vinyl. On ne sait jamais, quoi qu’ait pu contenir sa première face, ce qui nous attend sur la seconde. Prenons l’exemple d’Au chevet des blessés, un enregistrement né d’une résidence des French Doctors (Sébastien Ogrob Borgo, Olivier Manchion, Frank de Quengo, Nicolas Bondage Marmin, Edward Perraud) aux Instants Chavirés en 2004, soigneusement rangé dans sa poche(tte) de sang…
Ainsi ça partait plutôt mal : les Doctors ayant voté à l’unanimité des frappes chirurgicales (bien sûr) de prog rock à drone et neutron qui manque trop de cohésion pour être efficace. Une vindicte molle qui fait un peu de bruit mais ne casse pas grand-chose. Mais c’est comme si ça tombait bien quand même : car le temps (celui de la face B) est venu pour les French Doctors de… réparer. Une basse tourne et retourne et la sauce-mercurochrome prend enfin. La mollesse de tout à l’heure prend les couleurs d’une indolence élégante et narcotique. Pris dans un champ de tirs électriques, l’auditeur profite à la maison d’une séance d’acupuncture pas comme les autres. Une fois celle-ci terminée, il pourra applaudir au beau LP une face qui l’a soigné !
French Doctors : Au chevet des blessés (Ronda)
Edition : 2012.
LP : Au chevet des blessés
Pierre Cécile © Le son du grisli
Eve Risser : En corps (Dark Tree, 2012)
Le mouvement choisi par Eve Risser, Benjamin Duboc et Edward Perraud n’est pas de ceux qui se contractent ou s’échappent. C’est un mouvement-situation, un mouvement qui, trouvant son centre, ne va plus le lâcher. Il faudra quelques minutes pour qu’à l’intérieur de ce centre se distingue une pulsation. Maintenant, exposée au grand jour, elle s’entête, grandit. C’est à peine si l’on remarque ces balises qui viennent, régulièrement, apostropher l’improvisation.
Obstinés, nos amis improvisateurs ne desserrent pas le fil qu’ils ont tendu. Ils persistent, insistent. Les saillies sont rythmiques et envoûtantes. Piano, batterie et contrebasse ne font qu’un. La fusion est totale. Maintenant, la vibration s’est tue. Mais son souvenir demeure. Fort et poignant.
EN ECOUTE >>> Trans & Chant d'entre (extraits)
Eve Risser, Benjamin Duboc, Edward Perraud : En corps (Dark Tree / Orkhêstra International)
Enregistrement : 16 mars 2012. Edition : 2012.
CD : 01/ Trans 02/ Chant d’entre
Luc Bouquet © le son du grisli
The Fish : Moon Fish (Clean Feed, 2012) / Jean-Luc Guionnet, Thomas Tilly : Stones, Air, Axioms (Circum-Disc, 2012)
On reconnait The Fish à sa transe continue. Pour Jean-Luc Guionnet, Benjamin Duboc et Edward Perraud, le fil ne doit jamais rompre, la tension ne doit jamais retomber. Et si modulation il y a, elle ne peut s’entretenir que dans le crescendo et, seulement, dans le crescendo.
Donc : ne pas dévier mais s’autoriser quelques suspension (duos, solo) avant la reprise des hostilités. Et dans chaque cas de figure, faire de ces courts passages en duo (le solo de batterie n’est là que pour conclure la troisième improvisation) un tremplin vers de nouvelles attaques soniques. Et, toujours, répéter le motif, ce dernier s’arrachant à sa solitude quand l’un ou l’autre se charge d’en faire écho ou unisson. Ici, trois improvisations (la dernière ne semblant pas couvrir son intégralité) aux fureurs intenses, soutenues. Remarquable à nouveau.
The Fish : Moon Fish (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Moon Fish 1 02/ Moon Fish 2 03/ Moon Fish 3
Luc Bouquet © Le son du grisli
Passé d’un instrument à vent à un autre, Jean-Luc Guionnet s’adonne ici à l’orgue – celui de la Cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, dont la tuyauterie paraît faite de geysers fontaine et gazeux. L’effet des notes projetées sur l’architecture et leur agencement par Thomas Tilly forme un disque qui raconte le parcours de propulsions au son de drones, oscillations, vacillations, rondes mécaniques, ronflements, sirènes… Qui aime se perdre en labyrinthe pourra aussi chercher à en apprendre sur l’étude du site et les mesures qui ont présidé à la conception de ces quatre pièces.
Thomas Tilly, Jean-Luc Guionnet : Stones, Air, Axioms (Circum-Disc)
Edition : 2012.
CD / Flac : 01/ SAA1 (Air Volume) 02/ SAA2 (For Standing Waves) 03/ SAA3 (For Standing Waves, Disturbances) 04/ SAA4 (Close, Bells, Architectural Remains)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Hubbub : Eglise Saint-Merry, 18 octobre 2013
Jouer serrés ; ouvrir – le jeu. Sous les « misères » d'Anamorphose, ces sculptures de verre en cours de dispersion suspendues à la nef par Pascale Peyret, quelques dizaines d'avisés, de chanceux et de curieux prennent la mesure des volumes et des réverbérations typiques de l'Eglise Saint-Merry. C'est l'avant dernier « Rendez-vous contemporain » avant la trêve hivernale. En première partie de soirée les spirales abstraites de Pierre Borel, conjuguées aux techniques étendues de Louis Laurain à la trompette, aimantent le son. Comme entre deux pôles d'un champ magnétique, leurs échanges définissent un espace qui se joue, sans le recouvrir ni l'ignorer, du brouhaha d'un vendredi soir ordinaire dans le quartier Beaubourg.
Ledit « brouhaha » forme, depuis quinze ans, la visée explicite de leurs aînés de Hubbub. Aux contraintes du lieu répond un plan de scène éprouvé : les cinq membres du groupe jouent serrés, à moins d'un mètre les uns des autres. Frédéric Blondy (piano) à gauche de la scène ; Edward Perraud (batterie) à droite ; Jean-Sébastien Mariage (guitare) au centre, encadré par les deux saxophones de Jean-Luc Guionnet (alto) et Betrand Denzler (ténor). Chacun sait ce dont son voisin est capable.
Si près les uns des autres, « comme un seul homme », un peu comme une foule qui, à certains moments, possède une personnalité qui s'exprime par le son qu'elle produit ? Le fait est que, lorsque l'on écoute Hubbub, et paradoxalement plus encore que dans chacun des multiples projets dans lesquels ils sont impliqués, c'est bien de l'étoffe personnelle de chacun de ses membres qu'est tissé ce son d'ensemble qui en souligne les contours, les reliefs.
L'« instant » est la grande affaire de l'improvisation, radote-t-on (toujours l'improvisation a besoin de se justifier par l'instant). Pendant ce temps, Hubbub est déjà ailleurs. Se réserve une part d'épique et fait, comme Varèse, du son organisé. Frédéric Blondy lance un ostinato sur une quarte (une quinte ?) aux sonorités gamelan ; Jean-Sébastien Mariage lui répond à mi-concert sur un motif quasiment post-rock ; Edward Perraud retient la plupart de ses coups pour mieux éprouver ceux qu'il lâche, tandis que les deux soufflants composent des textures mouvantes et étrangement consonantes sur lesquels s'achève la pièce. La quasi-mélodie que ces textures engendrent restera quant à elle non-jouée. A chacun parmi nous d'y percevoir l'écho de sa rumeur, son Hubbub intime.
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli
Addendum [janvier 2014]
Ce concert d'Hubbub peut désormais être écouté, et même téléchargé, sur le site Inversus Doxa.
Hubbub : Whobub (Matchless, 2011)
S’il n’était question d’identités, le Who de cet Hubbub serait l’onomatopée saluant la sortie d’un disque-double sur Matchless : un concert donné à la Malterie (Lille) le 23 avril 2010 accompagné d’un enregistrement au Carré Bleu (Poitiers) daté de février de la même année.
A Lille, alors, ce Who frôlant les trois quarts d’heure. Le lent déploiement d’une épaisse vague sonore, cymbales porteuses, guitares et saxophones aux notes longues et parallèles : ni tout à fait le même hubb, ni tout à fait un autre ub, l’exercice convainc par les manières qu’il a d’évoluer en suspension et de gagner en consistance et cohésion dans le même temps que les identités percent. Celles, s’il faut le redire, de Frédéric Blondy, Bertrand Denzler, Jean-Luc Guionnet, Jean-Sébastien Mariage et Edward Perraud, qui osent dévoiler un peu de Moi dans ce Grand Tout. En conséquence, l’air tremble, soumis qu’il est aux provocations des rapprochements entre aigus et graves, aux délitements d’accords, aux accrocs pernicieux et aux distances qui les distinguent tout en les liant.
A Poitiers, autre chose. En deux temps, le groupe développe d’un seul homme un ouvrage de discrétions : une note longue d’alto appelle une note-parallèle, le sismographe s’inquiète de mouvements mesurés mais de mouvements certains : ceux d’un vaisseau-quintette conduit par Mariage puis par Perraud. Simple supposition, ceci étant, puisqu'Hubbub cache toujours un pan des expressions qu’il dévoile pour interdire peut-être à sa musique d'être appréhendée tout à fait, d'être devinée par fragments plutôt.
Hubbub : Whobub (Matchless / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ Who – CD2 : 01/ Bub 1 02/ Bub 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jean-Luc Guionnet donnera deux concerts dans le cadre du festival Météo (solo d’orgue le 24 août + The Ames Room le 26). Il y animera aussi un atelier et verra ses gravures exposées à la bibliothèque de Mulhouse.
Jean-Luc Cappozzo, Edward Perraud : Suspension (Creative Sources, 2011)
C’est très simple : il y a deux fortes présences qui disent et qui discourent. L’un craint le silence, l’autre est maître des espaces, mais l’un et l’autre ont l’intelligence des écoutes.
Ils sécurisent d’abord le terrain, débusquent les sons, ripostent et s’amusent. L’objet n’est encore que gadget, le souffle creuse et varie l’effet. C’était la première improvisation avec ses presque hauts et ses presque bas. Et ils ne rejetteront pas la prise pour le CD puisque ce sont d’honnêtes hommes.
Et maintenant, tous deux libérés, puisent le naturel et s’en font un ami intime et fidèle. Plus rien n’est anecdotique, tout n’est que suave vibration : les tambours font ripaille, la trompette caquette et babille, les percées sont claires. Ils prennent le temps de développer, d’intercepter l’autre sans jamais le rendre orphelin. Et aussi de s’amuser puisque, visiblement, c’est dans leur nature.
C’était Jean-Luc Cappozzo (trompette, bugle) et Edward Perraud (batterie, percussions, objets) enregistrés sans fard un soir d’avril 2009 dans la coquette chapelle Sainte-Anne de Tours. Et c’est admirable, me semble-t-il.
Jean-Luc Cappozzo, Edward Perraud : Suspension (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Suspension
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jean-Pierre Drouet, Edward Perraud : √2 (Quarx , 2010)
On connaît bien Edward Perraud (batteur qui officie dans de nombreuses formations, par exemple : Das Kapital, Hubbub ou… Drummms) et (peut-être) moins bien Jean-Pierre Drouet (percussionniste de musique contemporaine qui a beaucoup écrit pour le théâtre ou la danse). Les deux hommes se rencontraient il y a peu à la radio – dans l'émission A l’improviste qui est en passe de disparaître de la grille des programmes, aux dernières nouvelles. De cette rencontre est né : √2.
Il faudrait demander à Perraud « pourquoi V2 ? » En attendant, on peut tout imaginer : « V » comme « Vaillant », « Vivifiant » ou même « Vains » (pour qualifier les titres ronflants qui ont été donnés aux neuf morceaux qui respirent pourtant avec ampleur). Or, à force de l’écrire partout, je me rends compte que le « V » en question est un « √ », c'est à dire une racine carrée – voici venue l’heure, sur le son du grisli, de l’instant Wikipédia : « La racine carrée de deux est définie comme le seul nombre réel positif qui, lorsqu’il est multiplié par lui-même, donne le nombre 2, autrement dit √2 × √2 = 2. » Il y a aussi une explication plus musicale, mais l’heure n’est plus, en fin de deuxième paragraphe, aux extrapolations.
La même source nous dit que « c’est aussi un nombre irrationnel ». Nous voilà rassurés. C’est sans doute pour ça qu’il est difficile de trouver les mots pour dire ce qui se passa entre Drouet et Perraud, un yin et un yang en mouvement perpétuel dont l’agitation a parcouru chaque centimètre carré du studio de radio. Nul doute que dans l’air il reste encore aujourd’hui des traces. Au moins quelques souffles, d'autant plus que les deux hommes ont conclu leurs échanges en comptant sur les effets du bouche à oreille. L’intermédiaire entre la première et la seconde est désormais un disque √raiment √alable.
Jean-Pierre Drouet, Edward Perraud : √2 (Quarx)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Open flux 02/ Pouls 03/ Iris 04/ Ramifications 05/ Halo 06/ Entropies 07/ Morphème 08/ Nuées 09/ « Le silence éternel... »
Pierre Cécile © Le son du grisli
Mineral Paradoxe: Mineral Paradoxe (Quark - 2008)
« Jouer une osmose de sensibilité...sans préméditation », ou le but avoué, sur le site du batteur Edward Perraud, du trio qui l’associe au saxophoniste Bruno Wilhelm et au contrebassiste Arnaud Cuisinier : Mineral Paradoxe.
Récalcitrantes, pourtant, les sensibilités : en ouverture, l’improvisation porte aux nues accrocs et divergences avant de marier les phrases d’un saxophone grave et celles d’un grand archet sous effets ; sorti de l’antagonisme agissant, le trio s’entend sur l’édification d’une montagne d’interventions décousues avant de trouver refuge aux alentours du silence, de presque s’en remettre à lui – clochettes de Perraud pour tout intelligible.
Repartir – fulminant sur Multiples, le trio compose ensuite un morceau d’atmosphères bientôt éclatées (De l’immobilité) –, et puis retomber : toutes notes étirées, qui trahissent dans la lenteur l’évidence qui veut que toute ombre est passagère. Mineral Paradoxe en ayant ici retenu de grandes.
CD: 01/ Mirage du mouvement 02/ Vers la source 03/ Des reflets 04/ Multiples 05/ De l’immobilité 07/ Mobile >>> Mineral Paradoxe - Mineral Paradoxe - 2008 - Quark.