Earl Howard : 5 Saxophone Solos (Mutable Music, 2005)
Aperçu récemment derrière des machines aux côtés de Thomas Buckner, Earl Howard, lorsqu’il ne s’occupe pas de programmations électroniques, s’amuse à remettre en question son apprentissage du saxophone. Abordant toujours l’instrument comme s’il en débutait la pratique, Howard ne craint pas de mettre sa technique de côté, à chacun de ses passages à la Knitting Factory, comme sur ce 5 Saxophone Solos.
Installé dans un coin de l’atelier du peintre Robert Berlind, perdu quelque part dans l’Etat de New York, le saxophoniste élabora cinq combinaisons musicales possibles sur deux saisons (été / automne 2004). Mêlant la composition et l’improvisation, incorporant parfois des citations avortées, il évoque d’abord – le soprano aidant - le Steve Lacy découpant Evidence, avant de laisser derrière lui les hésitations pour l’exotisme d’un phrasé oriental (1).
Toujours sur le fil, Howard ne se laisse jamais emporter par l’expérimentation grave. Il instaure plutôt un savant compromis, improvisant des ballades bientôt désossées, jamais agressives. Interrogeant son vibrato sur le mode imposé de quelques réverbérations (2), il se laisse parfois simplement conduire par les exigences de mélodies assumées (3).
Descendu des gradations qu’il s’est plus tôt fabriqué (4), Howard prêche plus qu’ailleurs, sur 5, pour l’expérimentation ludique. Alors, apparaissent pour la première fois les souffles vidés et les couacs sûrs de leur légitimité, propulsés dans quelques alambics, dont ils sortiront à force de rebonds imposant des basses vibratoires ou des aigus concluants.
En cinq pièces réfléchies, qu’il n’aura pas pris la peine de nommer (évitant au lecteur de livrets de supporter pour la énième fois des titres du genre « Interaction Blue Nimbus #3 » ou autre « Frontières (sans limites), adipeuse fulgurance »), Earl Howard aura imposé son approche superbe d’une musique expérimentale sincère autant que détachée de ses redondances suffisantes.
CD: 01/ 1 02/ 2 03/ 3 04/ 4 05/ 5
Earl Howard - 5 Saxophone Solos - 2005 - Mutable Music.
Thomas Buckner: Contexts (Mutable - 2005)
En 1968, la rencontre du baryton Thomas Buckner avec l’Art Ensemble of Chicago a résolument changé son approche de la musique contemporaine. Initié à l’improvisation par Roscoe Mitchell, Buckner ne pourra plus se départir de l’expression libre, qu’il sert encore aujourd’hui sur Contexts.
Improvisant d’abord en solo, il installe une atmosphère inédite, assez étrange pour qu’on la suive jusqu’au bout, attentif au changement comme aux surprises (Alone). Paré des frusques du moine orthodoxe ou de l’ermite à l’écoute du chant de la terre, il raconte le vent des steppes, et, le nez au ciel, butte quelque fois sur des rocailles.
Aux côtés de David Darling, Buckner maîtrise un vibrato sur les boucles graves du violoncelle, qui rend une musique sérielle sur laquelle s’emporte la voix (With David Darling, Cello). Près de Borah Bergman, il inspecte ses tourments les plus enfouis, en sort quelques bribes internes bientôt transformées en lyrisme étincelant sur l’avancée chaotique du piano déconstruit (With Borah Bergman, Piano).
Seule composition de l’album, ILEX est interprétée en compagnie d’Earl Howard, aux programmations, et de Gustavo Aguilar, joueur de pipa (luth chinois). Lentement, Buckner se trouve confronté à une introspection envahissante, commandant à la voix de fuir devant les cordes vibrantes et les effets cristallins de l’électronique. Des nappes que l’on précipite avalent les quelques restes d’un contemporain égaré en souterrain. Puisque lumineux, retrouvé sans peine. Et célébrée comme il se doit, une musique contemporaine décoincée et originale.
CD: 01/ Alone 02/ With David Darling, Cello 03/ With Borah Bergman, Piano 04/ ILEX
Thomas Buckner - Contexts - 2005 - Mutable Music.