Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Dewey Redman : Tarik (BYG, 1969)

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Ce texte est extrait du deuxième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Ornette Coleman / Dewey Redman / Charlie Haden / Ed Blackwell : en 1969, le quartette d’Ornette Coleman tourne en Europe. A Paris le 1er octobre, deux de ses membres s’en échappent pour enregistrer Tarik en compagnie de Malachi Favors, contrebassiste sorti pour l’occasion de l’Art Ensemble of Chicago. Il s’agit de Redman – saxophoniste dont Tarik sera le deuxième disque personnel – et de Blackwell, batteur vif qui mettra en route, à force de rebonds arrangés sur caisse claire, ce disque d’exception.

Avant Red & Black, concert du duo Dewey Redman / Ed Blackwell enregistré en 1980 au festival de Willisau, Tarik avait déjà fait du rouge et du noir les couleurs du saxophoniste. Sur la couverture, Redman y apparaît portant fez rouge et soufflant sur fond noir. Au creux des sillons, sa musique est de colère rentrée lorsqu’elle ne se ménage pas quelques zones d’ombres. Sur le pas de ces rebonds arrangés sur caisse claire, le meneur intervient à la musette. L’usage de l’instrument déplace géographiquement le propos musical – un peu plus encore que ne l’avait fait pour d’autres celui du saxophone soprano. Au jeu des comparaisons, on rapprocherait volontiers le son de musette de Redman du « jeu » de violon d’Ornette Coleman. De là, redire la présence, des années durant, du premier auprès du second, ami d’enfance et voisin de New York où Dewey Redman s’installe en 1967. Ainsi sur Friends and Neighbors, enregistrement daté de 1970, l’auteur de Tarik est-il, tout comme Ed Blackwell (et Charlie Haden, pour être complet), et ami et voisin d’Ornette Coleman.

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La musette abandonnée, voici Redman au ténor. L’esprit est frappeur, qui anime l’association que le saxophoniste dirige sur des titres de sa composition : « Fo Io » et « Paris ? Oui ! » dont le trio que Coleman emmena au Golden Circle en 1965 aurait apprécié les claudications – le rythme dérivant de Blackwell et la découpe franche de Favors : échos fantastiques des pratiques sœurs de Charles Moffett et David Izenzon ;  « Lop-o-Lop » sur lequel un court gimmick de contrebasse se laisse modifier par les enluminures exotiques du batteur tandis qu’au premier plan Redman vocalise, fait de son saxophone un porte-voix de légende qui permet aux trois hommes d’intensifier des ardeurs que leur audace commune aura poussées jusqu’aux portes du bruit ; « Related and Unrelated Vibrations », enfin, hymne décousu sur lequel le saxophoniste change une combinaison de contractions musculaires en formule ravissante – citation d’Evan Parker tirée de son texte DE MOTU, dans la traduction qu’en a donnée Guillaume Tarche : Je ne me suis pas penché sur le problème du chant « dans » l’instrument car, à moins d’être pratiqué au trombone ou au didgeridoo, il ne me plaît guère et m’évoque le kazoo ou le peigne musical (recouvert de papier) ; si j’y ai recours, c’est inconsciemment ou dans les situations extrêmes (bien qu’à chaque fois que j’écoute Dewey Redman le faire, je regrette d’avoir été aussi paresseux).

Ce que Dewey Redman parvient à extirper du pavillon de son instrument dira ensuite d’autres manières – célébrant le répertoire du maître en Old and New Dreams avec Don Cherry, Charlie Haden et Ed Blackwell, dès 1976 – son indéfectible relation à Ornette Coleman. Laissera entendre aussi – malgré les aléas d’une discographie inégale, jusqu’au dernier jour (en 2005, Redman enregistrait The Key of Life avec Blackwell encore) – que c’est en ami qu’il aura le mieux défendu son art.

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Ornette Coleman : Live in Paris 1971 (Jazz Row, 2008)

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Sur ce disque : Dewey Redman, Charlie Haden, et Ed Blackwell, en membres du quartette d’Ornette Coleman, de passage à Paris à l'occasion d'une courte tournée européenne organisée en novembre 1971 (dont les seules dates connues sont celles des arrêts à Belgrade et Berlin).

Sur une scène toujours non identifiée, mais devant un public conséquent, Coleman commande d’autres libertés entre l’introduction et la conclusion des thèmes, sur lesquelles il fait mine de s’accorder avec Redman. Alors, les instruments à vents (trompette et alto contre ténor et musette – Coleman quand même plus bavard) se livrent à la surenchère sur une section rythmique éclatée (Street Woman), ou éfidient une grande œuvre de free exacerbé sur laquelle les cordes ajoutent au propos déjà soutenu les effets bruitistes qu’elles tirent d’une soudaine expérience électrique (Rock the Clock).

Entre les deux, les saxophones dérivent au gré des coups jubilatoires que porte Blackwell (Summer Thang), ou s’opposent : l’un osant l’expression lyrique pour répondre à la progression à étages de l’autre. Et lorsqu’il arrive à l'auditeur de craindre l'uniformité, voici le propos revigoré par une proposition que l’on n’attendait pas, que l’on n’avait même pas vu venir. La science d’Ornette Coleman, et de sidemen hors-pairs, portés par les promesses de l'enregistrement, quelques jours auparavant, de l'album Science-Fiction.

Ornette Coleman : Live in Paris 1971 (Jazz Row)
Enregistrement : novembre 1971. Edition : 2008.
CD : 01/ Street Woman 02/ Summer Thang 03/ Silhouette 04/ Rock The Clock
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Dewey Redman: The Struggle Continues (ECM - 2007)

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Si Dewey Redman aura souvent enregistré pour le compte d’ECM, The Struggle Continues est son unique album en leader sorti sur ce label. Edité, 25 ans après sa sortie, pour la première fois sur CD. 

Aux côtés de Charles Eubanks (piano), Mark Helias (contrebasse) et Ed Blackwell (batterie), Redman donne donc en 1982 un concert au Festival de Willisau. Au ténor, il mène un quartette capable de tout : swing infaillible de Joie de vivre, sur lequel Eubanks glisse quelques notes inattendues ; ballade de Love Is, que le saxophoniste bouscule de ses interrogations inquiètes ; Combinations, enfin et surtout, qui permet au groupe de multiplier poses effrontées et permissions free.

Bien sûr, The Struggle Continues n’a pas le charme des enregistrements anciens de Dewey RedmanThe Ear of the Behearer, notamment –, souffre ici où là de pratiques cliniques appliquées à l’ingénierie du son des années 1980 (basse d’Helias sur Turn Over Baby, par exemple), mais l’ensemble est irrémédiablement tiré vers le haut par un savoir-faire irréprochable et inventif, celui de chacun des intervenants.

CD: 01/ Thren 02/ Love Is 03/ Turn Over Baby 04/ Joie de vivre 05/ Combinations 06/ Dewey Square

Dewey Redman - The Struggle Continues - 2007 (réédition) - ECM. Distribution Universal.



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