David Grubbs : Prismrose (Blue Chopsticks, 2016)
Autant le dire tout de suite, Prismrose ne bouleversera pas le cours du Grubbs. Mais le disque a ses charmes et si l’on est nostalgique on pourra même applaudir, ému, à cette collection de six pièces pour electric guitar (Grubbs n’y chante qu’une seule fois, et du Walt Whitman en plus) qui poursuivent l’introspective-exploration des deux CD An Optimist Notes the Dusk & The Plain Where the Palace Stood.
Cordes pincées, médiator, pompe, riffs… l'homme touche à tout pour explorer à la Telecaster le champ des possibles mélodiques et harmoniques. En plus, il varie les exercices : duos avec la batterie fouino-fouilleuse d’Eli Keszler (par trois fois), exploration libre ou historique (une rapide relecture de Guillaume de Machaut sur Cheery eh). Ici on pense (inévitablement) à la guitare de Jim O’Rourke et là aux soliloques de Jandek mais cette succession d’instantanés dit surtout beaucoup de la personnalité de Grubbs et de ses réflexions instrumentales…
David Grubbs : Prismrose
Blue Chopsticks
Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ How to Hear What’s Less than Meets the Ear 02/ Cheery Eh 03/ When I Heard the Learn’d Astronomer 04/ Manifesto in Clear Language 05/ Nightfall in the Covered Cage 06/ The Bonsai Waterfall
Pierre Cécile © Le son du grisli
Le samedi 23 avril, David Grubbs et Pierre-Yves Macé seront à Paris, au Monte-en-l'air, pour parler du livre Les Disques gâchent le paysage paru aux Presses du Réel.
Andrea Belfi, David Grubbs, Stefano Pilia : Dust & Mirrors (Blue Chopsticks, 2014)
La recette serait toujours la même si ce n'est qu'aux fourneaux les popotiers (Stefano Pilia aux guitares et Andrea Belfi à la batterie et aux electronics), dit-on, tourneraient ? Bien, bien… Mais les popotiers en question ne suivent-ils pas le rythme du chef David Grubbs ?
Au menu de Dust & Mirrors (qui suit de quelques années l’enregistrement par le même trio d’Onrushing Cloud) le post-rock alambiqué dont l’Américain a fait sa marque. Des gimmicks de guitares et des arpèges (claires en règle générale mais qui pourront saturer un peu) renverront aux belles heures de Gastr del Sol tout en continuant de traquer l’instrumental (ambiantique, bruitiste, déluré…) qui cherche ses mots ou la chanson-puzzle.
Dans la lumière italienne brillent les mille facettes des compositions de Grubbs. Sept plages (pour sept collines ?), mais combien de refrains et de couplets cachés dans ces valses d’autistes qui ont tout compris des secrets du monde ? Peut-être autant que Dust & Mirros trouvera d’auditeurs.
Andrea Belfi, David Grubbs, Stefano Pilia : Dust & Mirrors (Blue Chopsticks / Souffle Continu)
Edition : 2014.
CD / LP : 01/ Charm Offensive 02/ Brick DUst 03/ Cool Side of the Pillow 04/ The Distance, Cut 05/ Ambassador Extraordinaire 06/ The Headlock 07/ Foamy Originale
Pierre Cécile © Le son du grisli
Noël Akchoté : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars (Blue Chopsticks, 2014)
Noël Akchoté est toujours là où on ne l’attend pas (ou plus). Hier il croisait sa guitare avec celles de Derek Bailey, Fred Frith, Eugene Chadbourne, Marc Ribot, ou la confrontait à l’inspiration de Luc Ferrari, Günter Müller, etc. Aujourd’hui, il la met au service des motets de Guillaume de Machaut ou des madrigaux de Monteverdi. Parce que, une chose : l’univers d’Akchoté est baroque, presque autant que la musique qu’il interprète sur Gesualdo.
Donc fini Sonny Sharrock, c’est le répertoire de Carlo Gesualdo da Venosa (1566-1613) qu’il reprend maintenant à la six cordes, plus précisément son Quinto libro dei madrigali a cinque voci. Par le passé, les voix de l’Hilliard Ensemble s'y sont collées pour ECM ; ici, ce seront cinq guitares, tenues par Akchoté, Adam Levy, Doug Wamble, David Grubbs (seigneur et maître de Blue Chopsticks) & Julien Desprez.
Donc aussi exit les paroles, alors concentrons-nous sur ces pièces « ligne claire » pour sopranos, alto, ténor et basse. Leur douce mélancolie, courtoise et disons même presqu’urbaine, est d’une efficacité inaltérable – c’est aussi pourquoi je prescrirais leur absorption par micropilules (après tout, les téléchargements à l’unité, Akchoté s’en est fait le champion !). Si l'on respecte la posologie, les premiers effets se feront rapidement sentir.
Noël Akchoté : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars (Blue Chopsticks)
Edition : 2014.
CD / DL : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars
Pierre Cécile © Le son du grisli
Nate Wooley : Seven Storey Mountain III And IV (Pleasure Of The Text, 2013)
Avec David Grubbs (à l’harmonium) et Paul Lytton en 2007, puis avec C. Spencer Yeh et Chris Corsano deux ans plus tard, Nate Wooley posa les deux premières pierres – disques Important – de Seven Storey Mountain. Inspiré par l’extase telle qu’elle fut éprouvée et décrite par Thomas Merton, le projet en appelle à la communion (musicale, s’entend) de groupes hétérogènes. Ce sont aujourd'hui deux nouveaux enregistrements (de concerts donnés à l’ISSUE Project Room, New York) qui, assemblés, paraissent sous étiquette Pleasure Of The Text : Seven Storey Mountain III, daté de 2011, et Seven Storey Mountain IV, créé cette année. A chaque fois, la compagnie de Wooley s’est agrandie.
Ainsi le 11 mars 2011, le trompettiste convoquait-il ses quatre premiers partenaires et une paire de vibraphonistes (Matt Moran et Chris Dingman) qui lentement ouvrira et fermera ce troisième volume. A l’intérieur, suivre le développement sensible d’une musique qui va toujours s’élevant, déviation bruitiste qui, sous les coups de la double batterie et toutes cordes (violon de Yeh, guitare de Grubbs) en avant, nourrit son discours de souvenirs partagés de minimalisme, free jazz, no wave… S’il faut tendre l’oreille pour y discerner Wooley, c’est qu’il semble conduire le grand-œuvre à l’amplificateur, qui avalera violon et guitare afin de les transformer en drones apaisants.
Le 6 juin 2013, Wooley composait un autre sextette – Yeh, Corsano et Moran, toujours présents, et puis Ben Vida (électronique) et Ryan Sawyer (batterie) – pour le mêler au Tilt Brass Sextet du tromboniste Chris McIntyre. Allant lentement sur toms, les balais accompagnent le vibraphone que la pertinence de Vida détournera : jouant davantage des échanges et de leurs interférences, la musique mesure ses effets bruitistes jusqu’à ce que le meneur, en agitateur inspiré, fasse un drone d’un court motif pour exhorter ensuite ses partenaires à la trompette : enrichie par l’écho baroque qu’en donnent les cuivres, sa technique étendue trouvera de quoi peaufiner ses intentions réfléchies. Des applaudissement fournis diront d'ailleurs assez bien ce que l’ascension mérite : vivement celle des trois derniers étages.
Nate Wooley : Seven Storey Mountain III And IV (Pleasure Of The Text)
Enregistrement : 11 mars 2011 & 6 juin 2013. Edition : 2013.
2 CD : CD1 : 01/ Seven Storey Mountain III – CD2 : 01/ Seven Storey Mountain IV
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
I Never Meta Guitar Too (Clean Feed, 2012)
Après un premier volume pas mal tourné vers le jazz ou assimilé (avec Jeff Parker, Mary Halvorson, Noël Akchoté, Jean-François Pauvros…), ce qui est en passe de devenir une série, I Never Metaguitar, parie sur des « guitarists for the 21st Century » un peu plus franc-tireur. Si on ne sait pas s’ils sont tous en mesure de réinventer le jeu à l’instrument, ils démontrent en tout cas d’une envie plutôt iconoclaste.
Toujours concoctée par Elliott Sharp, la sélection de solos est comme attendue éclectique : post-folk (Manuel Mota, Steve Cardenas), bruistisme électrique (Ava Mendoza,Yasuhiro Usui, Shouwang Zang), minimalisme (Ben Tyree à la guitare classique fait une forte impression), atmosphérique (Joel Harrison au bottleneck non moins intéressant), voilà pour les « meilleurs ». Enfin il y a les individualistes d’hier qui en ont encore sous la pédale, comme Alan Licht et David Grubbs. Audn l'un déploie un jeu à la structure claire bousculée par le feedback, l'autre s’empare d’une guitare classique pour en pincer les cordes et inventer un bel instrumental minimalow-fi. Bref, de quoi ne pas passer à côté d’une compilation qui nous fait espérer que la série ne s’arrête pas en si bon chemin.
I Never Metaguitar Too (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ Ava Mendoza : Mandible Moonwalk 02/ Ben Tyree : The Gatekeeper 03/ On Ka'a Davis : Ballet 04/ Shouwang Zhang : Guitar Song 05/ Joel Harrison : Loon 06/ Yasuhiro Usui : Headland 07/ Steve Cardenas : Aerial 08/ Marco Cappelli : Sits at the Other Side of the Table 09/ Alan Licht : The Servant 10/ David Grubbs : Weird Salutation 11/ Hans Tammen : Spiracles 12/ Zach Layton : Thus Gone 13/ Thomas Maos : The Day King Arthur Married On Cyprus 14/ Richard Carrick : A-KA 15/ Zachary Pruitt : For Electric Guitar #1 16/ Manuel Mota : Untitled
Pierre Cécile ® Le son du grisli
Gastr Del Sol : Twenty Songs Less (Minority, 2006)
Aujourd’hui réédité par le label Minority records, Twenty Songs Less présente un condensé probant de la musique de Gastr del Sol sur le temps imparti par un 45 tours.
Axés ici autour de la guitare folk de David Grubbs, les morceaux apposent sur la mélodie rendue par des accords lents et répétitifs des pièces d’enregistrements environnementaux, l’electronica étouffée et des bandes en mode reverse de Jim O’Rourke, ou accueillent avec parcimonie des charges fulgurantes de batterie (John McEntire).
Collages et tentatives vaines de déconstruction, puisque Twenty Songs Less va voir davantage du côté d’un minimalisme appliqué au domaine de la pop que d’une avant-garde nihiliste ou d’un rock qu’on pourra qualifier de post, histoire de l’enfoncer dans une époque plutôt que de le qualifier malignement. C’est justement cet aspect de la musique de Gastr del Sol qui plaidait en faveur d’une telle réédition.
Gastr Del Sol : Twenty Songs Less (Minority Records)
Edition : 1993. Réédition : 2006.
7" : A/ Twenty Songs Less B/ Twenty Songs Less
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
David Grubbs, Taku Unami : Failed Celestial Creatures (Empty Editions, 2018)
Les structures des chansons de David Grubbs – puisqu’il s’agit bien, chez David Grubbs, toujours, de chanson – sont particulières. Propres à lui, qui souvent décide d’une ouverture dans laquelle s’engouffrer ou d’une nouvelle direction à suivre. A la mélodie première, il reviendra ; mais entretemps bien des choses se seront passées. Et puisque les frontières, en musique, ne sont plus qu’un mirage, Grubbs continue d’interroger ses manières au contact de partenaires doués d’improvisation : Mats Gustafsson, Nikos Veliotis, Nate Wooley et Paul Lytton hier, aujourd’hui Taku Unami.
Une corde basse de guitare et deux cordes pincées du reste de l’accord suffisent à ouvrir la première des deux pièces enfermées sur ce vinyle : Failed Celestial Creatures, sur laquelle le duo trouve un équilibre – un léger bourdon le soutenant, sorti sans doute de l’ordinateur d’Unami – qui l’engage à gagner en vitesse puis en effets ; d’un bout à l’autre de la face, les cordes de guitare tremblent alors, et puis ce sont vos enceintes.
En seconde face, les guitares tremblent encore, mais la chanson (The Forest Dedication) délivre un texte : le parlé-chanté de Grubbs suit ainsi le cours d’une ballade que n’aurait pas renié le Charlie Haden de Beyond the Missoury Sky : le premier médiator égrène lentement une guitare électrique, le second trouve comme par enchantement le chemin des fioritures. La voix, elle, n’a plus qu’à conter. Suivent quatre Threadbare, courtes pièces instrumentales que se disputent combien de motifs (nés d’un tapping, d’un glissando et puis d’un patient égrenage…). Autant d’autres chansons – quatre versions, tout compte fait, de la même – dont les structures changent sous le coup d’une commune imagination.
David Grubbs, Taku Unami : Failed Celestial Creatures
Empty Editions
Enregistrement : 7-9 août 2017. Edition : 2018.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
David Grubbs : Creep Mission (Blue Chopsticks, 2017)
La forêt de disques que David Grubbs a plantée ne l’empêche pas de continuer à semer, de temps en temps. Dernière preuve en date : Creep Mission…
Ça commence de manière informelle, à la guitare solo, avec un arpège clair qu’une fausse note déséquilibre (sciemment). Et quand arrivent la trompette (de Nate Wooley), les electronics (de Jan St. Werner) et la batterie (d’Eli Keszler), c’est l’orage : la dissonance fait de plus en plus d’effet et fait claquer une distorsion, puis une autre, et ainsi de suite. Ça commence fort, donc, et cette tension ne retombera pas.
Mieux, même ! Les musiciens feront de cette tension un membre supplémentaire de la team plutôt qu’un instrument. Et le nouveau membre, et bien, c’est un agitateur fou qui leur vole dans les pattes ou les plumes, leur souffle dans le bec ou dans la caisse… Il n’y a donc pas qu’aux caprices des instrumentistes qu’obéissent les compositions de Grubbs.
A cela, il faut ajouter leur « inquiétante étrangeté », il n’y a qu’à entendre l’électroacoustique de Jeremiadaic pour s’en convaincre ou le dronesque The C In Certain (on aura compris l’allusion). Je n’ai presque rien d’autre à dire qu’à vous enjoindre d’y courir. Ah si, dire que Grubbs retrouve le solo à l’acoustique et que son jeu de guitare a le don de transformer une mélodie dont d’autres se seraient bien satisfaits. C’est bon, maintenant, vous pouvez y courir.
David Grubbs : Creep Mission
Blue Chopsticks / Drag City
Pierre Cécile © Le son du grisli
Cette chronique de disque est l'une des soixante que l'on trouvera dans le son du grisli #3, à paraître fin décembre. En outre, comme le hasard fait bien les choses, ce numéro proposera une évocation d'AMM signée... David Grubbs.
Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier, 2013)
Par ordre alphabétique, d’abord, les noms (plus de quatre mille) des musiciens ou groupes passés entre 1983 et 2013 par Fri-Son, club autogéré de Fribourg. Le champ d’écoute est large, qui put recevoir aussi bien Sonic Youth, Alan Vega, And Also the Trees, Beastie Boys, Barn Owl, Eugene Chadbourne, The Ex, David Grubbs, Curlew, Einstürzende Neubaten, que Phill Niblock ou Irène Schweizer. Si convaincants soient-ils, ces gages donnés n’ont pas interdit l’endroit à des musiciens moins (bien moins, parfois) inspirés qu’eux – c’est, justement, que le champ d’écoute est large…
De celui-ci, un livre se fait aujourd’hui l’écho, qui raconte au gré de photos et de témoignages comment Fri-Son a été fabriqué : sur l’instant et parfois dans l’impromptu, en toute liberté capable de faire avec tel soutien institutionnel, surtout, en brassant toutes énergies plutôt qu’en les canalisant. A l’archive (noms et affiches), les auteurs ajoutent l’anecdote : et voici la rétrospective – habilement mise en forme par les éditions JRP Ӏ Ringier – d’une lecture agréable.
Matthieu Chavaz, Julia Crottet, Diego Latelin, Daniel Prélaz, Catherine Rouvenaz : Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier / Les Presses du Réel)
Edition : 2013.
Livre : Fri-Son 1983-2013
Guillaume Belhomme © Le son du grisli