Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Daniel Menche : Cave Canem (Daniel Menche Bandcamp, 2016)

daniel menche cave canem

Voilà longtemps qu’on n’avait plus de nouvelles de Daniel Menche. Autant dire que Cave Camen (trois morceaux que l’on peut écouter / acheter sur le Bandcamp de l’Américain) nous rassure dronement.

L’impression de retrouver l’univers de Road Rash (un vieux jeu Sega, pour les plus jeunes… mais y a-t-il ici des plus jeunes ? Ou même --- les plus jeunes existent-ils ?) ne fait pas long feu, parce que des stomps nous propulsent en plein Mad Max (du coup, c’est plus les mêmes motos…). Mais arrêtons de nous servir dans l’imagerie populaire.  

A la « single string bass slide guitar », le Menche, et aussi aux vibraphones, à la batterie et à l’électronique. Bien sûr pas tout d’un coup, mais tout petit à petit, qui s’installe presque tranquillement mais qui menace à chaque fois dès le début. Et le « petit à petit » va vite, on a perdu le fil d’une percussion ou la piste d’une des couches et voilà qu’on entend des voix ou des saturations électriques qui refileraient la frousse à la plus aguerrie des Natascha Kampusch… Bref, notre homme s’y prend comme le Menche qu’il est, même si certains le regretteront moins noise qu’avant. Alors qu’on pourrait s’en féliciter, non ? Ce serait un comble (de cave) !

cave canem

Daniel Menche : Cave Canem
Daniel Menche Bandcamp
Edition : 2016.
DL : 01/ Cave Canem 1 02/ Cave Canem 2 03/ Cave Canem 3
Pierre Cécile © le son du grisli



Mamiffer, Daniel Menche : Crater (Sige, 2015)

daniel menche mamiffer crater

J’ai comme l’impression de n’entendre Daniel Menche qu’en « périodes » de fêtes (voire : de Noël !). Cette fois, c’est avec le Mamiffer d’Aaron Turner et Faith Coloccia. Daniel dans l’antre du Mamiffer, voilà qui promettait, mais le premier piano qui crash rebute, déployant facile une intro qui n’en est qu’une (d’intro). Mais mais (or or) c’est par la suite que ça se précise : Menche et Mamiffer versent dans une ambient noise qui vous retourne l’estomac.

Oui, rien que ça. Field recordings (encore des f.r., mais quand même pas les mêmes que ceux des autres), crescendos telluriques, drones qui épaississent comme des crapauds qui fument, lourds instruments métalliques qui cherchent à retourner la terre aride et voix de sirènes qui vous serrent le… Mamiffer. On excusera juste le piano (de l’intro et de la conclusion) : à part ça, du grand Menche et du grand Mamiffer. Que dire d’autre sinon d’y courir ? = Tous au Crater !



Mamiffer, Daniel Menche : Crater (Sige Records)
Edition : 2015.
CD / Cassette : 01/ Calyx 02/ Husk 03/ Alluvial 04/ Breccia 05/ Exuviae 06/ Maar
Pierre Cécile © Le son du grisli


Daniel Menche : Marriage of Metals (Editions Mego, 2013)

daniel menche marriage of metals le son du grisli

La première face, c’est une sorte de tonalité de téléphone qui passe en boucle alors que (ce qui semble être) des guitares se font de plus en plus présentes. Menche a encore frappé, se dit-on : faire du beau bruit avec tout ce qui lui passe sous les doigts… en l’occurrence, des gongs de gamelan.

Pas des guitares, donc ! N’empêche que Menche branche ses percussions sur un effet fuzz que ne renierait pas la plus tordante des pédales. Et mine de rien, ce sont deux javanaises qu’il a écrites avec ce système : une qui sature et s’entortille lentement autour de ses fréquences et l’autre qui vous endort sur un crescendo de distorsions tout en vous faisant craindre le choc du réveil (or, ce sera un larsen diplomate). Surprenant.



Daniel Menche : Marriage of Metals (Editions Mego / Metamkine)
LP : A/ Marriage of Metals 1 B/ Marriage of Metals
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
Pierre Cécile © Le son du grisli


Daniel Menche, William Fowler Collins : Split (Sige, 2014)

daniel menche william fowler collins split

Ainsi ces travaux partagés de nature et de ténèbres devaient un jour rapprocher Daniel Menche et William Fowler Collins. C’est un vinyle, pour l’heure, dont ils remplissent chacun une face.

Sur la première, Menche installe une ambient qui dévie dès ses premières secondes : souvenir de New Age gangréné par toutes les névroses qu’il aura vu venir à lui, tourne sur les trajectoires de drones nombreux puis s’offre à un orchestre fantôme, qui tonne et l’emportera. Sur la seconde, Fowler Collins dépose quelques notes de guitare bientôt avalées par un écho vorace. Celui-ci fera de frottements, de rumeurs, de tremblements graves et de motifs de guitare électrique bouclés, une berceuse oppressante : moins démonstrative que celle de Menche, la pièce est de charge égale, qui manifeste et caractérise le rapprochement en question.  

écoute le son du grisliDaniel Menche
Raised Coils of the Giant Serpent of Eternity

écoute le son du grisliWilliam Fowler Collins
I Heard Only the Eternal Storm

William Fowler Collins, Daniel Menche : Split (Sige)
Edition : 2014.
LP : A/ Daniel Menche : Raised Coils of the Giant Serpent of Eternity – B/ William Fowler Collins : I Heard Only the Eternal Storm
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Field Recordings Expéditives : Rodolphe Alexis, Michael Trommer, Artificial Memory Trace, Cathy Lane, Aymeric de Tapol...

field recordings expéditives le son du grisli

rodolphe alexis mornes diablotinsRodolphe Alexis : Morne Diablotins (Gruenrekorder, 2013)
Après s’être demandé à quoi pouvaient ressembler les îles des Caraïbes avant l’arrivée de Christophe Colomb, Rodolphe Alexis a pris l’avion en début d’année pour la Dominique. La faune de l’île, assez préservée, lui a offert des concerts d’oiseaux, de grenouilles des arbres, d’insectes et de pluie qui tombe comme nulle part ailleurs. A écouter la nuit, pour respecter le décalage horaire, comme en signe de respect pour ce beau documentaire sonore. (pc)

htoMichael Trommer : HTO (3Leaves, 2012)
C’est son lac qui donna son nom à la ville de Toronto… Il y a peu, Michael Trommer est allé avec un matériel d’enregistrement inspecter ce qui lie à jamais la ville et... ce lac. Il a ramené HTO – hypothèse : H(²O)TO(ronto) ? – où l’on entend une mégapole submergée, des flux mélodiques et une présence glacée (pas HOT !) qui touche tout ce qui l’approche. Nous voilà contents mais humides. (pc)

artificial tidalArtificial Memory Trace : Tidal (Aufabwegen, 2013)
Slavek Kwi, c’est juré, ne touchera à aucun des sons (si ce n’est à ceux des dauphins) qu’il ramènera de ses voyages au Canada, en Irlande… Ces sons, il est allé les chercher une installation sonore en tête et sont tous répertoriés : des portes, des chats, des plantes aquatiques, une eau ruisselante, une mère démontée... Des morceaux de nature dont il se sert sur Tidal, un horizon peut-être lointain pour nous mais pas dénué d’intérêt. (pc)

hebrides suiteCathy Lane : The Hebrides Suite (Gruenrekorder, 2013)
Cathy Lane est partie à la recherche des traces sonores (je cite) que l’histoire a laissées sur les îles Hébrides, au large de l’Ecosse. Au milieu des bêlements, des bruits de pas et de moteurs, on découvre sur le CD de nombreux témoignages d’habitants qui peuvent parler en même temps ou que Lane peut transformer en les copiant et collant pour en faire de drôles de loops (là on est à la frontière de la « réalité augmentée »). Impossible de suivre toutes les nuances de la langue et de l’accent… il faut alors se raccrocher aux rythmes de ce document qui en devient poétique.  (pc)

aymeric de tapolAymeric de Tapol : Méridiens (Tanuki, 2013)
Comme Aki Onda dans ses Cassettes Memories, Aymeric de Tapol se rappelle deux voyages sur cette k7 bleue jaquetée de jaune. En face A, nous suivons (peut-être pas dans l’ordre) les étapes d’un séjour au Sénégal et au Mali fait en 1999 en écoutant des bruits de trafic, des musiciens parader, un enfant siffler… En face B, nous voici à Istanbul (2012 = meilleur enregistrement) au milieu de musiciens des rues ou à la portée des muezzins. Le trip ego-naturaliste révèle donc des intentions musicales… envoûtantes ! (pc)

christina_kubisch-ecki_guether-gruen_131Christina Kubisch, Eckehard Güther : Mosaïque Mosaic (Gruenrekorder, 2013)
Pour qui voyage (et non pas « fait »), chaque pays traversé sera de couleurs et de sons changeants. Invités par le Goethe-Institut de Yaoundé, Christina Kubisch et Eckehard Güther ont, en 2010, tendu leurs micros au Cameroun tout entier. La distance entre le pays d’origine et le pays d'accueil certifiait-elle que la chose enregistrée serait d’un quelconque intérêt ? Or, écoutons : les bruits (de marchés, ateliers, rues, transports, cultes…) défilent simplement, que notre duo capte en ravis : musicalement, presque rien ; quant à la chose documentaire, presque nulle. (gb)

daniel menche

Daniel Menche : Raw Fall (Tapeworm, 2010)
Tunnel falls at the eagle creek trail in Columbia River Gorge & South Falls in Silver Falls State Park located in the Oregon Cascade Mountains ated in the Oregon Cascade Mountains : voilà les sources de ces deux prises (une pour chaque face de cette cassette Tapeworm). Derrière l’accablant mur d’eau, Daniel Menche découvre un passage qui le ramène à un naturel tout tellurique : à ses mystères, à son évidence, à sa vérité. Voilà pourquoi il cite alors Roger Steen : « There is a reason for this madness and that is waterfall. » (gb)

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Expéditives expéditives : Daniel Menche, GX Juppiter Larsen, Michael Muennich, Yoshihiro Kikuchi, Ákos Garai...

expéditives expéditives

1_mencheDaniel Menche : Blood of the Land (CD Ferns, 2010)
Ce sont des orages que Daniel Menche a capturés dans l’Oregon et ensuite mis sur disque. Blood of the Land est ainsi fait de rafales, de trombes d’eau et d’objets emportés. Après quoi, les sons amalgamés de nature domptée après coup transforment l’enregistrement en ouvrage de noise extrasensorielle. (gb)

2_larsenGX Jupitter-Larsen, Michael Muennich : Die Arbeiter von Wien  (7'' Fragment Factory, 2011)
Le disque est rouge de colère : celle d’ouvriers viennois de 1927 dont Fritz Bruegel célébra la lutte en prose. Sous les projectiles électroniques de GX Jupitter-Larsen, Michael Muennich lit, interprète, crie le texte en question, « Die Arbeiter von Wien ». Deux faces virulentes, d’un métal… hurlant. (gb)

3_sugimotoFilfla : 10 Songs in 20 Minutes (CD Someone Good, 2012)
Vingt minutes pour dix titres, voilà l’essence de la série 10 Songs in 20 Minutes du label australien Someone Good, subdivision électro-pop de Room40. Œuvre du Japonais Keiichi Sugimoto sous son pseudo de Filfla, Fliptap est une étonnante mignardise folktronica à la croisée de l’IDM, du Casio et de Midori Hirano. Frais et sans prétention, le disque se laisse écouter tel le ruisseau s’écoulant à son rythme de la colline. Beau et innocent comme un haiku (mais pas d’Herman Van Rompuy, svp). (fv)

4_garaiÁkos Garai : Subway Budapest (CD 3Leaves, 2012)
Livré avec son single ticket (vonaljegy), Subway Budapest est le résultat d’une expérience d’Akos Garai. Micro au sol d’un wagon, il recueille des bruits bruts de décoffrage (de transport, de portes, annonces sur les quais, conversations…). Mais il arrive que des bouts de surréalisme (ondes électriques, bris de verre, pas ralentis…) se glissent dans ces 10 minutes de naturalisme : ce CD de field recordings s’en trouve être deux fois plus dépaysant ! (pc)

5_kikuchiYoshihiro Kikuchi : One Intensely Eats Up Another Economic Principle (K7 Fragment Factory, 2012)
Voilà bien deux faces qui ne se ressemblent pas. Sur la première, Yoshihiro Kikuchi jongle avec des bruits sur la cadence d’une machine grippée qui crache mais qui envoie… le bois. Sur la deuxième, la fantaisie perd de l'intérêt avant qu’une guitare (enfin ! une guitare !) et des reverses s’épousent, garces, avec une vraie grâce. Je conseille donc une cassette, mais la cassette est déjà épuisée. (pc)

kitsh fight


Bill Nace, Greg Kelley : Live at Disjecta (Open Mouth, 2016)

bill nace greg kelley live at disjecta

Deux faces tournant sur elles-mêmes quarante-cinq fois par minute reviennent sur un concert donné en duo par Bill Nace (guitare électrique) et Greg Kelley (trompette). Daté du 9 mars 2016, ce Live at Disjecta, enregistré par Daniel Menche, est la quatrième référence de la série « Live at » que Nace alimente sur catalogue Open Mouth depuis 2013 – en d’autres mots, depuis ce Live at Spectacle que le même duo avait donné avec Steve Baczkowski et Chris Corsano.

Du public arrive un sifflement puis ce sont les premiers grésillements d’un ampli au medium prononcé, et aussi les premiers souffles blancs – l’heure est encore à la dissociation possible. Les grisailles et les graves d’une guitare interrogée au poing, quelques boucles crachées par une inédite machine à drones, et la trompette court maintenant seule, ou presque – quelques larsens déstabilisent en effet la trajectoire des vents qui s’en échappent en musicalisant.

Il ne faut plus, alors, chercher à distinguer la guitare de la trompette : les larsens et les notes accrochées, les grésillements et les ronflements – les graves jouent toujours un rôle prépondérant dans le jeu de guitare de Nace : « A 12 ans, un ami est venu me dire qu’il cherchait un bassiste pour son groupe, j’ai donc joué sur la seule corde de Mi grave de ma guitare jusqu’à ce que je puisse me payer une basse – assouvissent un désir bruitiste que les deux musiciens servent sans chercher à se faire entendre l’un davantage que l’autre. Certes, la trompette osera ici répéter une seule et même note, et de plus en plus fort encore, mais c’est sur cette note que le duo choisira d’entamer sa descente. C’est alors le retour à la dissociation possible, et la fin d’un échange très convaincant.

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Bill Nace, Greg Kelley : Live at Disjecta
Open Mouth / Metamkine
Edition : 2016.
LP : A-B/ Live at Disjecta
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Daniel Menche, Anla Courtis : Yagua Ovy (Mie, 2011)

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On avait, sur The Torrid, furtivement entendu Anla Courtis et Daniel Menche ensemble. Yagua Ovy permet de prolonger ce plaisir, sous l’égide inspirante du loup-garou.

De nuit, forcément, Menche se cogne en forêt contre une nuée d’arbres, fait naître des murmures et des gémissements qui avertissent de l’arrivée de la bête au son d’une crécelle peu commune. Rattrapés par la figure qu’ils ont invoquée, Menche et Courtis livrent alors une lutte radicale – les râles de guitare électrique concurrencent en force de frappe les coups portés sur quelques éléments de batterie.

En face B – les séquelles peut-être –, la guitare est ralentie et les percussions se chargent d’admonester des pièces de bois minuscules. C’est la berceuse qui épouse le rythme de la respiration du Yagua Ovy, en train de reprendre du poil de la bête. Est-ce une scie circulaire qui, au loin, se fait entendre ? L’animal n’attendra pas qu’elle se soit trop approchée pour émerger, en découdre, en conclure…

EN ECOUTE >>> Runa-Uturunco & Em Relincho (extraits)

Daniel Menche, Anla Courtis : Yagua Ovy (Mie)
Edition : 2011.
LP : A/ El Relincho B/ Runa-Uturunco
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Interview d'Anla Courtis

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Guitariste argentin sorti de Reynols, Anla Courtis est de ces « figures » inquiètes de bruits assez curieuses pour développer un œuvre polymorphe. Après avoir estimé son entente avec Bruce Russell, Eddie Prévost et Mattin, Lasse Marhaug ou Günter Müller, il défend ces jours-ci des travaux réalisés en compagnie de Daniel Menche (Yagua Ovy), Kommissar Hjuler (Die Antizipation Des Generalized Other) ou encore Okkyung Lee, C. Spencer Yeh et Jon Wesseltoft (Cold/Burn)…

J’aimerais vraiment pouvoir trouver quel est mon tout premier souvenir de musique… En fait, c’est peut-être ce que je cherche depuis des années, quelque chose qui vient d’ « avant », même si j’ai bien sûr le vague souvenir d’avoir écouté un vieux tourne-disque ou la boîte à musique de ma grand-mère. D’une façon ou d’une autre, ces vieux souvenirs sont quelque part en nous, et il nous faut les chercher sans arrêt dans l’espoir de les mettre au jour.

Qu’est-ce qui t’a amené à la musique ? La musique m’intéresse depuis toujours mais j’ai commencé à vraiment en jouer à l’âge de 15/16 ans à Buenos Aires. De la guitare classique, je ne sais pas trop pourquoi : on avait une guitare à la maison alors j’ai commencé à en jouer sans rien y connaître, ce qui a été une expérience fascinante, pas forcément aboutie d’un point de vue musical, mais en tout cas très intense pour moi. Ensuite, j’ai voulu en apprendre sur l'instrument. Mais bien que la théorie et la technique peuvent aider un peu, elles peuvent aussi devenir un énorme piège. Je pourrais dire aujourd’hui que j’essaye de maintenir en vie un peu de ce qui s’est passé lors de ces premières expériences ; tu peux jouer aussi bien que tu veux, le plus difficile reste de garder ta fraîcheur d’esprit…

Quels sont les premiers musiciens à t’avoir influencé ? Eh bien, j’ai été influencé par tellement de choses que ma réponse pourrait donenr l’impression d’être celle d’un schizophrène : le classique a été une grande influence, bien sûr, mais il y a aussi eu le punk, le rock psyché, le noise, le free jazz, la musique électroacoustique, les musiques de films et les sons les plus étranges qui pouvaient arriver jusqu’en Argentine à l'époque où Internet ne s'était pas généralisé. C’est comme un énorme cocktail, que je ne peux pas vraiment étiqueter, un mélange que je trouve fascinant.

As-tu eu des modèles à la guitare ? J’aurais du mal à en trouver un… Je veux dire que, lorsque tu es jeune, il est assez simple d’être fasciné par la musique, dans un sens tout t’apparaît comme neuf. C’est comme essayer tous les parfums de glace existants et attendre de voir ce qui se passe ensuite.
 
Passons alors à tes premiers enregistrements… Quels ont-ils été ? Ca s’est fait autour de 1989/1990 avec une guitare, un modeste clavier et un micro entouré d’objets et directement branché à une platine cassette. La technique était donc assez primitive, ne permettait pas l’overdubbing, ce qui fait que je me souviens avoir dû jouer quelques parties de clavier avec les pieds…  

Tes premiers enregistrements publiés l’ont été sur cassettes, c’est bien ça ? Si je ne me trompe pas, la cassette intitulée Burt Reynols Ensamble du groupe du même nom (qui ne s’appelait donc pas encore Reynols tout court) a été la première à avoir été éditée, c’était en 1993 et les copies sont parties assez rapidement. Nous avons produit ensuite quelques cassettes « faites à la maison » en Argentine qui n’ont pour la plupart jamais été rééditées. Ensuite, je suis entré en contact avec la scène internationale underground amatrice de cassettes, ça a été une réelle découverte pour moi : ma première cassette solo, Poliestireno Expandido, date de cette période, elle est sortie en 1996 sur le label anglais Matching Head, ce qui a déclenché beaucoup d’autres sorties. Les CD-R n’étaient pas encore d’une approche facile, la cassette était le format le plus habituel quand il s’agissait de sortir des musiques n’ayant rien à voir avec le mainstream. Je continue d’ailleurs à sortir des cassettes, mais à l’époque, ce format avait quelque chose du paradis…

Quelle sorte de musique t’animait à cette époque ? Eh bien, pas les tubes qui passaient à la radio, en tout cas j’espère… Pour être honnête, je cherche encore aujourd’hui quel genre de musique je tiens à défendre depuis que j’ai commencé… Allez, tentons de la définir :  « folk music for seer protons ».
 
De tes débuts à aujourd’hui, ta musique te semble-t-elle avoir subi une évolution ? Une évolution ? C’est du Darwinisme musical ? J’ai du mal à penser en ces termes… Bien sûr, un processus d’enregistrement long de plusieurs années fait que les choses  changent, mais il m’est plutôt délicat de me rendre compte de quoi il retourne vraiment. Ca tient du truc qui croît de lui-même, une drôle de plante anarchique peut-être…

Quels sont les premiers musiciens du bruit auxquels tu t’es intéressé ? Eh bien, l’Argentine a été un pays plutôt isolé avant qu’arrive Internet, ce qui m’a empêché d’écouter beaucoup d’artistes du noise à mes débuts. Avec le temps, j’ai découvert des musiciens travaillant sur le bruit au Japon, en Europe, aux Etats-Unis ; plus tard, j’ai eu la chance de rencontrer nombre d’entre eux en tournée. A mes débuts, je dois avouer que je travaillais à Buenos Aires avec un manque d’information considérable et des ressources limitées… Mais je suis aujourd’hui persuadé que cela a pu constituer un avantage pour moi…

Tu pourrais aujourd’hui passer pour une figure du genre… Que te trouves-tu comme points communs avec des musiciens comme Lasse Marhaug, Daniel Menche, Kommissar Hjuler… ? Merci du compliment,  mais si je dois commencer à donner mon avis en tant que « figure », je préfère en terminer là ! Maintenant, j’aime vraiment beaucoup jouer et ai beaucoup appris en jouant avec des gens comme Lasse ou Daniel, des types vraiment sympathiques et d’incroyables musiciens. Je n’ai pas rencontré le Kommissar en personne mais par mail interposé il est cordial aussi et je suis sûr qu’il est très amusant. La liste de mes collaborateurs est assez longue, il faudrait aussi que tu entendes le groupe avec lequel je joue en France, L’autopsie a revelé que la mort était due à l’autopsie : Sébastien Borgo, Nicolas Marmin et Franq de Quengo sont de vrais maîtres de la transmigration de la subtilité française.

Comment as-tu rencontré ces subtils Français ? Je les connais depuis ma première tournée en France, mais on a véritablement commencé à jouer ensemble en 2004 lorsque je les ai rejoints à Roubaix à l’occasion d’un concert qu’ils donnaient avec Damo Suzuki. Nous sommes ensuite restés en contact et avons prévu de monter un projet ensemble. L’autopsie a débuté en 2007,  nous avons donné pas mal de concerts et à force de jouer sur scène nous nous sommes découvert un goût commun pour la musique « acouscousmatique ». Je les rencontre à chaque fois que je me rends en Europe – il y a quelques mois, nous avons donné un concert à Radio Libertaire. A ce jour, nous avons sorti deux LP, une cassette-cercueil et d’autres disques arrivent…

De tes nombreuses collaborations, Porter Records a récemment tiré une compilation, The Torrid. Ces collaborations remettent-elles ç chaque fois en question ton approche musicale ? Si tu détailles le livret de cet album, tu remarqueras que je ne joue pas deux fois dans la même combinaison. Bien sûr, ce serait plus simple de répéter éternellement la même chose, mais souvent l’option la plus confortable est loin d’être la bonne… Je crois qu’il est impératif de prendre quelques risques si l’on veut découvrir quelque chose de neuf et d’intéressant. Lorsque tu collabores, tu as des choix à faire et tu dois évidemment écouter ce que joue celui qui est à tes côtés et tisser à partir de là, sans quoi collaborer ne sert à rien. Le résultat est donc ce qui sort de cette combinaison, toujours différente, qui tient un peu de la chimie. En conséquence, cela a un impact sur ta propre musique même s’il est assez difficile de réussir à prédire leurs effets.

Avec Aaron Moore, par exemple, tes échanges ont accouché de deux disques : Brokebox Juke et Courtis/Moore. C’est un travail un peu à part dans ta discographie, d’un atmosphérique expérimental qui change… Courtis/Moore est un disque qui date de 2010 et contient des travaux enregistrés l’année d’avant lors de concerts… En quelque sorte on peut dire que c’est un live dont Aaron a sélectionné les parties les moins évidentes afin que ce disque sonne différemment du premier. C’est toujours très drôle de tourner avec lui, nous ne parlons pas beaucoup avant les concerts, nous jouons tout simplement, tout se passe assez naturellement.

Pogus a, il y a quelques années, publié certains de des travaux sur bandes… Ces expériences changent-elles quelque chose à ton « langage musical » ? C'est une compilation de travaux sur bandes qui datent des années 90. Se servir d’un magnétophone, d’une guitare ou d’un autre instrument, peut changer les choses mais seulement jusqu’à un certain point – sur ce disque, on trouve des guitares enregistrées sur les bandes en question –, je pense en effet que le processus musical l’emporte sur les moyens techniques. La musique charrie une sorte de langage non verbal mais tout ça reste assez mystérieux, le musicien peut se transformer en véritable « médium » ; à partir de là, il est difficile de dire qui dit quoi à qui…
 
Ce langage a-t-il affaire avec le silence autant qu’avec les bruits ? Je dirais que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg…

Anla Courtis, propos recueillis en janvier 2012.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Daniel Menche : Guts (Editions Mego, 2011)

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Dans le sillage de Ross Bolletter, mais avec une appétit de sonorités furieuses, Daniel Menche interroge sur Guts les possibilités musicales de pianos accidentés. Dans les entrailles des bêtes qu’il a trouvées, il s’agite donc : frottant les cordes sensibles, appuyant là où ça fait mal (restes de touches ou marteaux fatigués), donnant de sévères voire ultimes claques aux carcasses à terre. Inutile de préciser que Menche intervient là moins en instrumentiste qu’en faiseur de sons.

Ses trouvailles ont le bruit de grondements et de crachats, de crissements et de plaintes. Ce qui ne leur interdit en rien d’adopter une forme arrêtée : ainsi les Guts multipliées peuvent être rythmiques sans progresser vraiment (des disques de rythmes, Menche en a enregistrés déjà) ou flirter avec le drone industriel et épais. Passant au hachoir ou à la mitraille l’instrument classique de référence, Daniel Menche anéantit jusqu’au souvenir qu’on gardait de lui.

Daniel Menche : Guts (Editions Mego)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD / LP : 01/ Guts One 02/ Guts Two 03/ Guts Three 04/ Guts Four
Guillaume Belhomme © le son du grisli



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