Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Christian Wolfarth : Spuren (Hiddenbell, 2016)

christian wolfarth spuren

Pour les deux faces d’un vinyle bleu nuit, Christian Wolfarth a récemment composé : sur matériau préenregistré ; avec la réflexion que l’exercice nécessite ; à distance, enfin, de ses Acoustic Solo Percussion.

C’est d’abord un bruit continu de sonnailles qui, mises bout à bout, s’entendent sur une presque même note. Celle-ci aurait pu courir sur les dix-sept minutes de Spuren I – on aurait alors, pour évoquer le bourdon, repris les noms osés par Jason Kahn dans les notes de Scheer – mais déjà Wolfarth arrange un autre air, qui lie quelques crépitements, le murmure d’une eau qui coule, des résonances jouant de ressacs, et un goût de métal exercé au chuintement.  

Au collage délicat de la première face, la seconde répond par un développement que l’on pourrait croire naturel. C’est au doigt et à l’œil (celui qui écoute), sur caisse claire semble-t-il, que le batteur installe une autre rumeur : sur les peaux de son instrument passent des rotatives, à même le tambour naît une étonnante musique de roulage – sans doute est-ce elle qui explique la référence faite au Talking and Drum Solos de Baby Dodds par Adam Sonderberg dans les courtes notes qu’il a signées pour Spuren. Ainsi est-ce dans le contraste, pour ne pas dire en deux temps, que les relectures de Christian Wolfarth magnifient sa première expression ; elles sont, en conséquence, indispensables.

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Christian Wolfarth : Spuren
Hiddenbell Records
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
LP : A/ Spuren I – B/ Spuren II
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Christian Buck, Christian Wolfarth : The Music of Katharina Weber… (Edition Wandelweiser, 2016)

christian buck christian wolfarth the music of katharina weber

En compagnie du guitariste Christian Buck, Christian Wolfarth s’essayait récemment à la lecture de compositeurs contemporains de générations différentes : Jack Callahan, Katharina Weber, Alfred Zimmerlin et Alex Goretzki. Les quatre compositions sont, elles toutes, récentes.

Toutes, aussi, permettent à Buck et Wolfarth de multiplier les angles d’interprétation sur des structures déjà capricieuses, voire complexes. Ainsi, les six duos que Weber case dans une poignée de minutes les obligent-ils au dialogue et même à la question-réponse : un rythme minuscule commandant glissandos et tirandos sur guitare classique, et c’est un subtil jeu de construction qui commence.

Au véritable commencement – New Piece, du jeune Callahan –,  il y a bien quelques oscillations et un aigu de cymbale qui menace : le son de la guitare aurait pu être soigné davantage (ce n’est pas ici une affaire de partition), mais celle-ci préfère travailler à quelques surprises. Cordes soudainement lâchées, lentement pincées, arpèges changeant dans la discrétion (voilà pour Zimmerlin) et même médiator allant sur une (autre) chanson de rien chassé par une chinoiserie qui glisse sous le coup de frêles baguettes. Les modules sont nombreux, la guitare classique gagne en assurance et les percussions s’étoffent dans le même temps. Les quatre compositeurs apprécieront.

écoute le son du grisliChristian Buck, Christian Wolfarth
Flüchtige Weile – 6 Duos für Gitarre und Schlagzeug

 

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Christian Buck, Christian Wolfarth : The Music of Katharina Weber, Jack Callahan, Alex Goretzki & Alfred Zimmerlin
Edition Wandelweiser
Enregistrement : 29 et 30 décembre 2014. Edition : 2016
CD : 01/ New Piece 02/ Flüchtige Weile – 6 Duos für Gitarre und Schlagzeug 03/ Spaziergang in der Abenddämmerung (C.D.F.) 04/ Squall Line Territories
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

une minute une seule le son du grisli


Christian Wolfarth, Michael Wintsch, Christian Weber : Thieves left that behind (Veto, 2015)

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Dans l’intention (peut-être) de réanimer cet interplay repéré sur The Holistic Worlds of…, les trois W que sont Christian Wolfarth, Michel Wintsch (qui abandonne ici son piano de prédilection) et Christian Weber ont enregistré Thieves left that behind les 21 et 22 février 2015 à Genève.

Après avoir reconnu au trio une certaine cohésion et même un esprit en commun, on déplorera une nouvelle fois son déséquilibre. Notamment quand Wintsch fait fi de toute mesure, synthétiseur et piano électrique verbalisant l’ennui que l’auditeur redoutait de retrouver là. De pauvres sonorités en banque en bavardages abscons, le clavier endosse en effet le rôle de tous les voleurs – d’aimables conversations, d’improvisations dignes d’intérêt, etc. – annoncés.

Derrière ce WWW-là, restent quand même une ouverture et une conclusion : sur ces rythmes tendus (Schgreen), le trio était pourtant bien parti ; dans la sécheresse d’une dernière improvisation (Fairly Mysterious), il n’aura fait qu’essayer de se rattraper.

Christian Wolfarth, Michel Wintsch, Christian Weber : Thieves Left that Behind (Veto)
Enregistrement : 21 et 22 février 2015. Edition : 2015.
CD : 01/ Schgreen 02/ Thieves Left That Behind 03/ Thirsty Mate 04/ Heart of Gold 05/ Doubtable Distinctiveness 06/ Approximate Size 07/ A Thing Is A Thing 08/ Fairly Mysterious
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Burkhard Beins, John Butcher, Mark Wastell : Membrane (Confront) / Beins, Malatesta, Vorfeld, Wolfarth, Zach : Glück (Mikroton)

burkhard beins john butcher mark wastell membrane

« Un pour tous et tous pour un », écrit John Eyles à l’intérieur de la boîte Confront pour évoquer l’esprit de cet enregistrement de concert (Café OTO, 13 avril 2014). Les trois musiciens impliqués accordèrent là autant de pratiques instrumentales amplifiées : Burkhard Beins à la grosse caisse de concert et au synthétiseur analogique, John Butcher* aux saxophones ténor et soprano et Mark Wastell au gong.

Les deux improvisations débutent sur quelques frappes en résonance – peut-être est-ce là leur seul point commun. Car la première va bientôt sur le rythme d’un pouls régulier, les notes de saxophone y sont endurantes et dans le même temps timides, quand l’électronique s’y fait une place en douce. Le jeu sur clefs de Butcher presse un peu le discours, que le trio prolongera en seconde plage. Alors, le saxophoniste (au soprano) accentue, appuie – sur l’instant : incruste ses notes –, auquel ses partenaires opposent des inspirations soudaines valant aspirations. C’est un souffle d’artifices dans lequel John Butcher s’inscrit.

Burkhard Beins, John Butcher, Mark Wastell : Membrane (Confront / Metamkine)
Enregistrement : 13 avril 2014. Edition : 2014.
CD : 01-02/ Membrane
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



beins malatesta vorfeld wolfarth zach glück

Si la ligne qu’ils forment est courbe sur la droite, la somme de ces batteurs à plat (Burkhard Beins, Enrico Malatesta, Michael Vorfeld*, Christian Wolfarth et Ingar Zach) n’en est pas moins directe : c’est qu’il s’agit de défendre un art percussif qui de l’acoustique a fait son affaire. On oubliera bien vite les premiers grincements, puisque les peaux et les cymbales grondent au gré d’un passage de témoins auquel se livrent quatre percussionnistes de premier plan. Oubliée la ligne, c’est au premier plan que tournent bientôt les aigus et les graves ; et c’est sur des compositions de Beins, Wolfarth et Zach, qu’éclate la cohérence de cette somme de percussions suspendues. Quitte à brouiller les pistes.

Burkhard Beins, Enrico Malatesta, Michael Vorfeld, Christian Wolfarth, Ingar Zach : Glück: Contemporary Percussion Music (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement : 31 mars au 2 avril 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Glück 02/ Adapt/Oppose 14/1-a 03/ Floaters 04/ Adapt/Oppose 14/1-B
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

densités* Ce vendredi 23 octobre, John Butcher donnera un concert avec le trio Kimmig-Studder-Zimmerlin dans le cadre du festival Densités. Le lendemain, Michael Vorfeld jouera, pour Densités toujours, des lumières de son Light Bulb Music


Christian Wolfarth : Scheer (Hiddenbell, 2013) / Wintsch, Weber, Wolfarth : Willisau (hatOLOGY, 2013)

christian wolfarth scheer

Jason Kahn, qui signe les notes de Scheer, confirme rapidement : Christian Wolfarth use ici de cymbales et de cymbales « seulement ». Pas simplement, par contre, et d’une manière si efficace qu’elle lui fera écrire : « He presses time to the forefront of our perception, leading us to a heightened sense of the now and allowing us to reflect on this through the beauty of sound. »

Il n’était pas question de traduire l’impression de Kahn pour raconter l’effet que peut avoir sur nous l’art de Wolfarth. Il faudra par contre donner les noms des références auxquelles Kahn compare ici Wolfarth (Eliane Radigue, Maryanne Amacher, Phill Niblock) pour insister avec lui sur la veine minimaliste de ces deux pièces enregistrées à Scheer, en Allemagne.

Sur Scheer 1, c’est donc à quelques cymbales que le carillonneur s’accroche afin d’y dessiner au balai des reliefs assez hauts pour dissimuler d’épais ronflements. La balance des aigus et des graves est travaillée, leur histoire est celle d’une suite d’apparitions et de disparitions subtilement coordonnées. Sur résonances impressionnantes, Wolfarth fera de Scheer 2 une berceuse ensorcelante. Des drones y naissent à force de régularité et s’épanouissent pour trouver dans le studio un beau terrain de prolifération. Deux fois donc, démonstration – faut-il enfin traduire les propos de Kahn rapportés plus haut pour dire ce que Wolfarth démontre ici ? – et son impressionnent tout autant.

Christian Wolfarth : Scheer (Hiddenbell Records)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Scheer 1 02/ Scheer 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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wintsch weber wolfarth willisau

Enregistré en concert le 25 août 2012 au lieu-dit, Willisau est, après WWW et The Holistic Worlds Of, la troisième référence de la collaboration Michel Wintsch / Christian Weber / Christian Wolfarth. Qui ne sera pas la première à aller entendre, tant Wintsch, au piano et au synthétiseur, perd ici en retenue et là en subtilité. On pourrait louer quand même les talents de Weber et Wolfarth, mais la prise de son est trop mauvaise et, encore une fois, le piano impossible.

Michel Wintsch, Christian Weber, Christian Wolfarth : Willisau (hatOLOGY / Harmonia Mundi)
Enregistrement : 25 août 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ 2.8 Feet Below, Tiny Fellows, Distant Neighbours 02/ Fragile Paths 03/ North West
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Christian Wolfarth : Acoustic Solo Percussion Vol. 1-4 & Remixes (Hiddenbell, 2013)

christian wolfarth acoustic solo percussion remixes

Avec la compilation sur CD des quatre quarante-cinq tours que Christian Wolfarth édita sous appellation Acoustic Solo Percussion – aux réussites des faces E & F et G & H, voici donc ajoutés l’humeur noire élevée dans le cercle de A, le rythme embarrassé du marching band claudiquant de B, la diaphonie porteuse du couple de cymbales de C et les tornades élevées sur peau tendue de D –, trouver dans le digipack huit remixes des mêmes pièces signés Günter Müller, Joke Lanz (duettiste de Tell), Hans Joachim Irmler (Faust) et Rashad Becker.

Dans l’ordre établi par les faces qui jadis les consignèrent, les pièces percussives tournent par deux encore, mais d’autres façons. Ainsi Müller décide-t-il de l'élévation, autour de Skyscraping et Zirr, de champs magnétiques qui respectent le travaux de Wolfarth en leur insufflant une pulsation nouvelle ; Lanz donne, lui, dans une expérimentation électronique qui régénère après anéantissement (quelques cris et détonations attestent le choc d’une opération un rien passéiste) ; Irmler, plus redoutable, comblera les pièces qu’on lui a confiées de menaces larvées et de tintements inquiétants ; enfin, Becker ne s’écartera que peu de son sujet (Cabin No.9) pour retourner ensuite de fond en comble, avec l’aide du saxophone baryton d’André Vida et des cordes de Mari Sawada et Boram Lie, les grincements et ronronnements de Well Educated Society.

Soit : huit opérations de chirurgie reconstructrice presque toutes aussi heureuses que fut belle l’offre faite par Christian Wolfarth à ses affidés : conclure sa série d’Acoustic Solo Percussion en confiant à une oreille amie le soin de la réinventer.

Christian Wolfarth : Acoustic Solo Percussion Vol. 1-4 & Remixes (Hiddenbell)
Edition : 2013.
CD1 : 01/ Skyscraping 02/ Zirr 03/ Elastic Stream 04/ Viril Vortex 05/ Crystal Alien 06/ Amber 07/ Cabin No.9 08/ Well Educated Society – CD2 : 01/ Skyscraping (Günter Müller) 02/ Zirr (Günter Müller) 03/ Elastic Stream (Joke Lanz) 04/ Viril Vortex (Joke Lanz) 05/ Crystal Alien (Hans Joachim Irmler) 06/ Amber (Hans Joachim Irmler) 07/ Cabin No.9 (Rashad Becker) 08/ Well Educated Society (Rashad Becker)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Interview de Christian Wolfarth

christian wolfarth long

Passées Les portes du pénitencier, Christian Wolfarth a su, au fil des années, faire preuve d’écoute et mettre son appétit de sons rares au profit d’un art précieux de la batterie. Alors qu’il clôt son emblématique série Acoustic Solo Percussion en publiant sur Hiddenbell les huit pièces qu’elle renferme accompagnées de remixes, l’un des grands représentants de l’audacieuse frappe helvète passe à la question.



… Quand j’étais enfant, nous avions des amis à la campagne. C’était une famille d’agriculteurs qui m’accueillait, avec ma sœur parfois, à l’occasion des vacances. J’étais très jeune et, souvent, je m’asseyais à même le sol du salon pour écouter des vinyles – c’était surtout du folklore, et des marches militaires. Il y avait ce morceau que j’ai dû écouter des centaines de fois, une face d’un quarante-cinq tours de Bibi Johns und John Ward, de la pop en allemand. Je ne sais pour quelle raison ce disque a été très important pour moi. Trente ans plus tard, quelqu’un me l’a offert, et je l'ai gardé depuis. La pochette est superbe…  

Comment es-tu arrivé à la musique et quelles ont été tes premières expériences de musicien ? Devenir musicien a toujours été mon rêve – quand ce n’était pas photographe, danseur ou acteur. Enfant, je ne jouais pourtant d’aucun instrument, si ce n’est à un moment donné une espèce de flûte. Lorsque j'ai eu seize ans, ma sœur a vendu sa guitare acoustique dont elle ne se servait pas. Un garçon est passé à la maison pour l’acheter, il m’a dit qu’il voulait former un groupe et qu’il cherchait un batteur. Je n’avais encore jamais tapé sur une batterie, mais j’ai décidé de m’en acheter une pour pouvoir faire partie de ce groupe. Deux semaines plus tard, nous donnions notre premier concert. Nous jouions The House of the Rising Sun et pas mal de blues. Nous répétions chaque semaine, mais nous n’avons donné que deux concerts en tout et pour tout. Le groupe suivant donnait dans le progrock un peu arty. Après ça, j’ai déménagé à Berne où j’ai étudié avec Billy Brooks à la Swiss Jazz School de 1982 à 1986. Des années plus tard, j’ai pris des leçons avec Pierre Favre au Conservatoire de Lucerne. Durant mes dix premières années de musicien, j’ai joué un peu de tout : dans des groupes de reprises des Rolling Stones ou de blues, des trios de jazz, des big band, des groupes de fusion, de musique improvisée, d’art punk…

Quelles étaient tes influences à cette époque ? Il y en eu beaucoup… Mon premier disque de jazz a été le second volume d’In My Prime d’Art Blakey and the Jazz Messengers. Je suis encore capable de fredonner chacun des solos qu’on y trouve. A côté de ça, j’écoutais beaucoup de progrock, des groups comme Pink Floyd, Emerson, Lake & Palmer, Santana, Edgar Broughton Band, Crosby, Still, Nash & Young, Genesis, The Beatles, Led Zeppelin, Chick Corea, Weather Report... Lorsque j’ai eu une vingtaine d’années, j’ai découvert des musiciens comme Frank Zappa, King Crimson, Henry Cow et bien sûr beaucoup de musiciens de jazz, même d’avant l’avènement du be-bop, et de musique improvisée. Au début des années 1980, il y avait à Berne une série de concerts appelée « Jazz Now », ça a été une véritable chance pour moi ! Elle programmait de la Great Black Music du genre de celle de l’AACM, avec Muhal Richard Abrams, Anthony Braxton, Thurman Barker et George Lewis, mais aussi des représentants du New York Downtown comme John Zorn, Bill Frisell, Bob Ostertag, Elliott Sharp, Lounge Lizards, Skeleton Crew, Shelly Hirsch, et encore des musiciens comme Sam Rivers, Archie Shepp, Steve Lacy, Odean Pope, Cecil Taylor, Jimmy Lyons, Tony Oxley, Johnny Dyani, Louis Moholo, Joe Malinga, Dollar Brand… Enfin, toute la communauté de l’improvisation européenne, avec Globe Unity Orchestra, Peter Brötzmann, Peter Kowald, London Jazz Composers Orchestra, Misha Mengelberg, Rüdiger Carl, Irène Schweizer, Evan Parker, Han Bennink, Derek Bailey, Lol Coxhill… Je leur suis reconnaissant à jamais, c’était merveilleux !

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Quels ont été les projets qui ont lancé les « recherches musicales » que tu poursuis encore aujourd’hui ? C’est très difficile à dire. Je crois que tout ce que j’ai pu entendre et jouer depuis le début m’a influencé d’une manière ou d’une autre. J’envisage ça comme le processus de toute une vie, un processus qui n’en finit jamais.

L’une de tes préoccupations est la réduction de l’instrument batterie. Quitte à alléger le kit, pourquoi garder encore plusieurs éléments de batterie pour n'en garder qu'un seul comme a pu le faire par exemple Seijiro Murayama ? Depuis mon premier enregistrement en solo, j’ai écrit quelques pièces pour un ou deux éléments seulement. Caisse claire, cymbales, etc. Je viens juste de terminer des enregistrements pour mon prochain CD, sur cymbales exclusivement. Ca sortira cet automne. Depuis deux ans, je joue exclusivement sur cymbales lorsque je suis seul.

Penses-tu t’exprimer de la même manière selon que tu joues seul ou accompagné ? Si j’aime beaucoup jouer et enregistrer seul, c’est que cela me permet de travailler davantage le matériau et de me plonger plus profondément encore dans les possibilités de l’instrument. C’est tout à fait différent de jouer avec d’autres musiciens. Je n’improvise pas vraiment lorsque je joue seul, mais cela m’aide dans l’élaboration d’autres projets en termes de formes, de structures, de durées et d’état d’esprit lorsque je compose.  

Est-il difficile de mener à bien un projet qui demande une écoute attentive, de trouver  des concerts, voire même des auditeurs pour ce genre de travail ? Mon premier concert en solo date de 1991. Depuis, j’ai dû jouer seul quelque chose comme cent-vingt fois. Mon premier disque solo est sorti en 1996 sur Percaso et mon deuxième en 2005 sur Four4Ears. Après quoi j’ai travaillé sur ma série intitulée Acoustic Solo Percussion, qui est désormais close avec la sortie du double CD dont tu parles. Ce n’est pas si facile en effet de trouver à faire entendre ce genre de projet, mais d’un autre côté il permet une plus grande flexibilité et est moins lourd à organiser.  

Comment t’es venue l’idée de faire remixer ta série Solo Acoustic Percussion ? Quelles ont été tes impressions à l’écoute du résultat ? J’étais curieux de voir comment ces musiciens allaient aborder mes idées et de quelle manière ils travailleraient à partir de ce matériau, et je me demandais comment tout ça allait sonner. Ca a été une expérience fabuleuse, et aussi très surprenante pour moi. J’aime vraiment beaucoup chacun de ces remixes. Certains sont proches de l'original, et d’autres totalement éloignés…

Günter Müller et Joke Lanz, qui signent deux remixes chacun, sont deux musiciens que tu côtoies dans des projets différents. Avec le premier et Jason Kahn, tu formais un trio qui s'amusa d'intituler son premier disque Drumming. Votre champ d'exploration a-t-il changé depuis ? J’aime vraiment beaucoup jouer avec Günter et Jason, mais notre projet est malheureusement en sommeil. Evidemment, j’ai beaucoup appris auprès de ces deux gentlemen.  En 2010, nous avons sorti notre deuxième disque, Limmat, sur le label Mikroton. Il m’est difficile de dire si mes vues musicales ont changées depuis. Encore une fois, j’envisage plutôt ça comme une très longue expérience, voire comme l’expérience d’une vie.

Avec Lanz, tu formes TELL, un autre projet électroacoustique… C'est même le seul encore en activité pour le moment… Mais ce n’est pas très différent d’un projet acoustique, étant donné que Joke a des façons très physiques de jouer des platines, proches de celles d'un instrumentaliste acoustique. Il est rapide comme l’éclair ! C’est peut-être la plus grande différence à faire entre acoustique et électroacoustique : le tempo et la longueur du développement musical. Mais je participe aussi à des groupes acoustiques qui jouent dans la lenteur, avec Michel Doneda et Jonas Kocher, ou encore en duo avec Enrico Malatesta.

Il faut comprendre que Mersault n’est plus actif ? A quoi tenait, selon toi, son originalité ? Malheureusement, nous avons cessé de jouer ensemble il y a deux ans environ, sans véritable raison. Notre deuxième album, Raymond & Marie, est encore aujourd’hui l’un de mes préférés de ma discographie. Je travaille avec Chrisitan Weber depuis assez longtemps : depuis une douzaine d’années dans le trio que nous formons avec Michel Wintsch, WintschWeberWolfarth, qui est un projet qui m’est cher. Mersault est né à peu près à la même époque. Nous cherchions à produire une musique minimale mais qui n’en serait pas moins « sexy ». La plupart du temps, notre musique était très lente et faisait la part belle aux longs développements, un genre de musique qui n’avait que la peau sur les os… C’était un projet assez pop, au final.

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Quel genre de pop écoutes-tu aujourd’hui ? La pop, ce n’est pas trop mon truc – en même temps, où sont vraiment les limites ? Les styles m’intéressent assez peu, pour moi c’est toujours de la musique. Il y a trois semaines, je suis allé voir The Melvins… Ce n’est pas vraiment pop, mais c’était terrible…

Tu parlais plus tôt d’Enrico Malatesta… De quels percussionnistes contemporains te dirais-tu proche aujourd’hui ? Beins, Zach… ? Bien sûr, ces trois là, oui, et puis aussi Lê Quan Ninh, Michael Vorfeld, Jason Kahn, Seijiro Murayama, Jon Mueller, Günter Müller, Gino Robair et d’autres que j’oublie. D’une manière ou d’une autre, nous sommes tous différents, mais nous partageons une même vision des choses…

Christian Wolfarth, propos recueillis en mai et juin 2013.
Guillaume Belhomme & Guillaume Tarche © Le son du grisli


Jonas Kocher : Duos 2011 (Flexion, 2012) / Udarnik (L'innomable, 2011)

jonas kocher duos 2011

Avant Jonas Kocher, l’accordéon a connu de grands iconoclastes (nos premières pensées vont bien sûr à Pauline Oliveros). Cela aurait pu être d’autant plus dur pour le Suisse de faire entendre sa voix. Or, en quelques disques, il a réussi à nous familiariser avec son langage.

Après un solo du nom de Solo, c’est une compilation de duos (et d’un trio) enregistrés en 2011 du nom de Duos 2011 qu’autoproduit aujourd’hui Kocher. Hans Koch (clarinette basse) & Patricia Bosshard (violon), Christian Wolfarth (cymbales), Gaudenz Badrutt (electronics), Urs Leimgruber (saxophone), Christoph Schiller (épinette) et Christian Müller (clarinette contrebasse) sont les amis qui l’accompagnent sur ce CD. Les échanges comme au coin du feu sont différents selon la couleur des flammes.

Les plus beaux moments sont les flamboyances avec Wolfarth et Badrutt (Kocher tire sur ses aigus comme s’il cherchait à produire des sons électroniques), Leimgruber et Müller (Kocher souffle des graves qui équilibrent sa conversation avec ses partenaires). Soulignons aussi le beau travail de réalisation (et le master de Giuseppe Ielasi) : l’écoute se fait d’une traite sans qu’on y décèle le moindre accroc. Soufflant…

EN ECOUTE >>> Schiller / Kocher

Jonas Kocher : Duos 2011 (Flexion)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CDR : Duos 2011
Héctor Cabrero © Le son du grisli

udarnik

Jonas Kocher grogne au début de cette improvisation de 2010 avec Michel Doneda (saxophone soprano), Tao G. Vrhovec Sambolec (computer) et Tomaž Grom (superbe contrebasse). Les instruments sont différents mais leur mélange se fait naturellement et malgré les éructations, les grognements, les hurlements et les chocs sonores d’autres espèces encore, Udarnik ne parvient qu’à faire l’admiration de l’auditeur. Epoustouflant…

Michel Doneda, Jonas Kocher, Tao G. Vrhovec Sambolec, Tomaž Grom: Udarnik (Zavod Sploh/ L'Innomable, 2011)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Udarnik 1 02/ Udarnik 2 03/ Udarnik 3 04/ Udarnik 4 05/ Konstrukt
Héctor Cabrero © Le son du grisli


Michel Wintsch, Christian Weber, Christian Wolfarth : The Holistic Worlds of (Monotype, 2012)

michel wintsch christian weber christian wolfarth the holistic worlds of

L'impression que le chroniqueur notait à l'écoute du premier disque du trio, WWW (chez Leo Records) – « jusqu'à faire croire à un répertoire de compositions véritables, nettes et élaborées. Le comble du chic. » – se voit confirmée par la publication de ce beau vinyle enregistré en juin 2011 ; l’association des trois musiciens suisses, dont on a pu suivre les travaux réciproques et indépendants dans des contextes bien différents, s'avère effectivement et curieusement fructueuse.

Poétique, la boîte à musique de Michel Wintsch (piano, synthétiseur), Christian Weber (contrebasse) et Christian Wolfarth (batterie) est toute d'assemblages, posée, articulée, éminemment fondée sur le jeu : et l'interplay et une forme d'humour. C'est en dix saynètes qu'elle nous est délivrée, chantante comme dans la pièce liminaire qui rappelle un Bley en voix ; littéralement élégante (c'est-à-dire choisissant) ; distante (quand elle ne frise pas l'ironie) ; concise dans ses scénarios à combinaisons de cellules.

Michel Wintsch, Christian Weber, Christian Wolfarth : The Holistic Worlds of (Monotype)
Enregistrement : juin 2011. Edition : 2012.
LP : A01/ Singin' Joe A02/ Bells A03/ Mercury Tears A04/ Little People A05/ Space Voices – B01/ Glow in the Dark Teeth B02/ The Towers B03/ Rocket B04/ Carbon Light B05/ Ballad
Guillaume Tarche © Le son du grisli


Twopool : Traffic Bins (Origin, 2012)

twopool

C’est par Christian Wolfarth que l’on découvre Twopool, groupe helvète qui se reforme chaque mois depuis trois ans pour donner un concert. Leur affaire est l’improvisation. Une improvisation dont les références sont classiques, contemporaines, minimalistes, et qui sied à l’ombre que je recherche ces temps-ci.

Le saxophoniste Andrea Oswald, le tromboniste Andreas Tschopp et le violoncelliste Jonas Tauber, lorsqu’ils ne sont pas lyriques – ce qui peut faire défaut parfois, comme sur TriageElegy – sont précieux (heureusement cependant que l’alto d’Oswald ne pousse pas plus la note). Parfois même, dans les recoins des pièces qu’ils improvisent, ils se montrent délicats. C’est ce qui va alors aux balais de Wolfarth sur Trio.

Mais Traffic Bins, ce sont surtout trois moments de grâce : Kitchen Kung Fu (le saxophone et le trombone filent leurs notes en suivant les directives de Wolfarth), Lock 22 (quand le violoncelle et le trombone s’y tournent autour, l’amour du classique revient au galop) et Ethereum (l’éther y promet des vapeurs de souffles blancs). C’est là que Twopool infiltre l’ombre dont je parlais. Là qu’il invente ses plus belles chimères.

Twopool : Traffic Bins (Origin)
Enregistrement : 2 et 3 décembre 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Traffic 02/ Kitchen Kung Fu 03/ Lock 22 04/ Trio 05/ Ethereum 06/ Blowout 07/ Elegy 08/ Flyswat 09/ Ligeti 10/ Migraine 11/ Triage 12/ Songbird 13/ Coda
Héctor Cabrero © Le son du grisli

wolfarthEt ce qui devait arriver arriva : les quatre volumes d'Acoustic Solo Percussion de Christian Wolfarth, édités entre 2009 et 2011 par Hiddenbell Records, sont désormais réunis dans un coffret publié par le même label. Pour rappel, Guillaume Tarche racontait le troisième volume ici et le quatrième .



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