Lol Coxhill Expéditives
Lol Coxhill : Instant Replay (Nato, 2011)
Lol Coxhill en France, au début des années 1980. L’idée – pour lui comme pour Nato, qui réédite aujourd’hui Instant Replay – d’en profiter. Alors, entendre le soprano fantasque en compagnie de Joëlle Léandre, Christian Rollet, Annick Nozati et Sven-Ake Johansson (notamment le temps d’une relecture théâtrale d’Embraceable You), Louis Sclavis, Raymond Boni, Tony Coe, le Bagad de Kimperlé ou la Chantenaysienne sous la direction d’Yves Rochard (au son de chansons d’enfance). Et puis, avec Jac Berrocal ou Paul Rutherford, un supplément d’âme : la finesse de Coxhill servant une formidable imagination partagée.
Erik Satie et autres messieurs : Airs de jeux (Nato, 2011)
Autre réédition Nato et hommage à Erik Satie. Lol Coxhill est de ces « autres messieurs », parmi lesquels on trouve aussi Ulrich Gumpert (qui va de Sarabandes en Gnossiennes avec autant d’application que de liberté), Tony Hymas, Steve Beresford, Dave Holland, Tony Coe, Philipp Wachsmann… La forme des interprétations est diverse, le soprano faisant le pari de tentatives transgenres des plus facétieuses.
Lol Coxhill, Barre Phillips, JT Bates : The Rock on the Hill (Nato, 2011)
Enregistré au Théâtre Dunois (déplacé) en 2010, The Rock on th Hill donne à entendre Lol Coxhill et Barre Phillips auprès du batteur JT Bates. Le soprano y divague avec allure sans prendre ombrage des reliefs changeants décidés par ses partenaires ou sert avec délicatesse des mélodies qui rappellent le duo Lacy / Waldron de One More Time. Ce sont là de belles pièces improvisées dans l’écoute, l’arrangement sur le vif voire la cohésion instinctive.
Lol Coxhill, Alex Ward : Old Sight New Sounds (Incus, 2011)
Enregistré en 2010, Old Sight New Sounds est la rencontre d’un Coxhill au soprano agile, subtilement décousu ou rappelant ailleurs les premiers temps du free (Joseph Jarman en tête), et d’Alex Ward à la clarinette. Après s’être cherchés un peu, les vents tissent un parterre de sons disposés en cercles : volubiles.
GF Fitz-Gerald, Lol Coxhill : The Poppy-Seed Affair (Reel, 2011)
Un DVD et deux CD font The Poppy-Seed Affair, à ranger sous les noms de GF Fitz-Gerald et Lol Coxhill. Un film burlesque qui accueille dans son champ sonore des solos de guitare en force, des élucubrations de Fitz-Gerald (guitare, cassettes, boucles et field recordings) et surtout un concert enregistré en 1981 par le duo : sans effet désormais, la guitare fait face au soprano : deux fantaisies se toisent sur un heureux moment.
13 miniatures for Albert Ayler (Rogue Art, 2012)
C’est en plein cœur que l’on doit viser. Là, où précisément, se niche le sensible. En cette matinée du 13 novembre 1966, les civilisés avaient décidé de crucifier le sauvage. Le sauvage se nommait Albert Ayler. La bataille fut rude. Perdue d’avance. « Ça fait quoi, Monsieur Ayler, ces serpents qui sifflent sous votre tête ? » Albert ne répondit jamais. Quatre ans plus tard, un chapiteau chavira et Ayler ne put contenir ses pleurs. La suite est connue. La fin dans l’East River. Beaucoup d’orphelins parmi les sauvages. Les civilisés avaient déjà oublié.
Pour commémorer les quarante ans de la mort d’Ayler, on convoque dix-huit sensibles. Ils sont sensibles et le savent. Ils se nomment : Jean-Jacques Avenel, Jacqueline Caux, Jean-Luc Cappozzo, Steve Dalachinsky, Simon Goubert, Raphaël Imbert, Sylvain Kassap, Joëlle Léandre, Urs Leimgruber, Didier Levallet, Ramon Lopez, Joe McPhee, Evan Parker, Barre Phillips, Michel Portal, Lucia Recio, Christian Rollet, John Tchicai. Ensemble ou en solitaire, ils signent treize miniatures. On est bien obligé d’en écrire quelques mots puisque tel est notre rôle. Donc : certains battent le rappel du free ; un autre se souvient des tambours de Milford ; un autre, plus âgé, refait les 149 kilomètres séparant Saint-Paul-de-Vence de Châteauvallon ; deux amis ennoblissent le frangin disparu puisque jamais le jazz n’ennoblira les frangins (n’est-ce pas Alan Shorter, Lee Young ?) ; l’une et l’autre réitèrent le Love Cry du grand Albert ; l’une gargarise les Spirits d’Ayler. Et un dernier, sans son guitariste d’ami, fait pleurer ses Voices & Dreams. Toutes et tous habitent l’hymne aylérien. En ce soir du 2 décembre 2010, les sensibles se sont reconnus, aimés. Ce disque en apporte quelques précieuses preuves.
13 miniatures for Albert Ayler (Rogue Art / Les Allumés du Jazz)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01 to 13/ Treize miniatures for Albert Ayler
Luc Bouquet © Le son du grisli
Christian Rollet : Calamity Roll in the Dark (Arfi, 2018)
A l'occasion de la parution aux éditions Lenka lente du troisième et dernier volume d'Agitation Frite, le son du grisli publiera, deux semaines durant, des chroniques de disques signés de musiciens français interrogés ou évoqués par Philippe Robert dans son anthologie de l'underground français. Aujourd'hui, Christian Rollet, interviewé dans le premier tome d'Agitation Frite, et de nombreuses fois cité dans les chroniques de disques du troisième tome.
« Sans doute qu’il y a encore de la musique qui vient quand on est seul », explique Christian Rollet dans les notes de Calamity Roll in the Dark. Batteur des Free Jazz Workshop, Workshop de Lyon et La Marmite Infernale, camarade de Steve Lacy, François Tusques ou Lol Coxhill, Rollet insiste pourtant en 2000, en préambule d’un entretien avec Philippe Robert consigné dans Agitation Frite : « Il n‘y a pas d’intérêt à raconter sa vie. »
Alors, il reprend l’instrument, seul, au crépuscule, et improvise : sa batterie se lève lentement, avance un premier motif ; plus tard, elle se soulève, gronde puis se rétracte : c’est encore la nuit, tombée sur les expressions passées. Rollet abandonne alors l’espace à un art impressionniste : c’est, sur un litophone, la mélodie d’Autre précipitation nocturne ; sur Les peaux de l’aube, le souvenir du Drums Unlimited de Max Roach ; ailleurs, c’est un battement d’ailes. Et c’est déjà le matin : « Cet album solo est l’occasion d’une rêverie nocturne à la batterie. », écrit encore Rollet dans les notes du disque. Intimité et turbulences l’auront remplie à merveille.
Christian Rollet : Calamity Roll in the Dark
Arfi.
Enregistrement : 2017. Edition : 2018.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Quentin Rollet, Jean-Marc Foussat, Christian Rollet : Entrée des puys de grêle (Bisou / Fou, 2018)
Le son du grisli entame donc la deuxième semaine d'une semaine française, à l'occasion de la parution du deuxième volume d'Agitation Frite de Philippe Robert. Après Richard Pinhas, Romain Perrot, Jean-Jacques Birgé et Jean-Marie Massou, c'est un trio de choix...
On ne dira rien de la relation particulière qui unit Christian et Quentin Rollet – il faudra aller lire Agitation Frite 2 (ou la deuxième phrase de cette chronique) pour en apprendre davantage. En février 2017, en présence de Jean-Marc Foussat, père et fils se retrouvaient donc – très bien : l’un, batteur du légendaire Workshop de Lyon et fondateur de l’ARFI, est le père de l’autre, qui a pu frayer avec David Grubbs, The Red Krayola ou Nurse With Wound : c’est ainsi le premier qui « alimentait » le feu de la marmite musicale (infernale ?) où le second a longtemps baigné.
Ces trois pièces nous rapportent donc les bruits d’une réunion de famille dont un arbitre vient changer les habitudes. Lointaine, et sur grand écho, la voix de Foussat raconte les premiers gestes : de la mise en place à la lutte programmée – sopranino et batterie rivalisant d’inventions et de coups portés –, c’est un free réinventé sur équipement past-moderne. « Hajime », dit ensuite l’AKS sans réussir à provoquer la première attaque : des propositions sont alors faites, auxquelles le saxophone alto répond ; plus loin, ce sera la batterie, qui impulse aux musiciens un air d’indien contrarié ou de sévère emportement – alors le sopranino est de retour, et tout finit par s’apaiser.
Assomé mais heureux, l’auditeur attend la suite : une batterie roule, ça tombe bien. L’alto s’y adapte quand le synthétiseur frotte à l’arrière – c’est une combinaison suspecte, donc, et pour tout dire : un fourre-tout sonore que les trois hommes – maintenant complices – transforment en corps capable de mouvement. Les voix (Foussat, mais aussi Rollet fils) qui en proviennent vous environnent et les divers battements vous obligent – j’aime le son du corps au fond des puys. Battre en retraite est une possibilité ; couper le son en est une autre. Or, on suit l’équipe et sa débauche de trinité ; Foussat en sain d’esprit, c’est pas tous les jours. Remerciements à la famille.
Quentin Rollet, Jean-Marc Foussat, Christian Rollet
Entrée des puys de grêle
Bisou / Fou, 2018
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Workshop de Lyon : Interfréquences & La chasse de Shirah Sharibad & Tiens ! Les bourgeons éclatent… (Souffle Continu, 2017)
Cette chronique de disque est l'une des soixante que l'on trouve dans le troisième numéro papier du son du grisli.
Le Workshop de Lyon fêtait l'année dernière son cinquantième anniversaire au son d’un coffret Bisou / ARFI qui rassemblait l’intégralité de ses enregistrements. Pour avoir un faible pour la découpe, on préférera aller manipuler trois disques désormais estampillés Souffle Continu, les trois premiers de la formation.
Le Free Jazz Workshop, à l’origine, que l’on entendra en 1973 sur l’une des références de la discographie de Colette Magny (Transit) et qui signa un peu plus tôt cet Inter Fréquences prometteur. C’est là, en quelque sorte, un Liberation Music Orchestra miniature qui, sur le modèle du free jazz américain, remet son savoir-faire au hasard des fréquences. Les cinq pièces du disque sont signées, mais on ne doute pas que les compositions furent bouleversées par leur propre interprétation : quelle partition pourrait en effet retenir le piano de Patrick Vollat sur le morceau-titre ? Quel phrasé imposer une allure à l’archet sensible de Jean Bolcato sur Ode a lon Chaney ? Quelle mesure retenir l’espiègle tambour de Christian Rollet sur Sphinx ? Plusieurs fois à l’unisson, les instruments à vent (Jean Méreu à la trompette et Maurice Merle aux saxophones) inventent, s’emportent ou explorent de concert l’espace que s’est elle-même alloué la formation : le labyrinthe impressionne, mais heureusement : le quintette en place n’a jamais eu l’intention d’en sortir – un membre s’en échappe pourtant, c’est Jean Méreu.
Il faut donc au Free Jazz Workshop un autre souffle, que lui apporte bientôt Louis Sclavis. La chasse de Shirah Sharibad, enregistré en 1975, est donc le premier disque du Workshop de Lyon. Un rare moment de contrebasse en introduction et les musiciens se chamaillent : c’est un art tempétueux de la conversation qui disparaîtra au profit de « rengaines » : la paire Vollat / Sclavis est la première à y travailler, et l’allegresse est contagieuse, qui développe une musique à la frontière de paysages impressionniste, psychédélique, folklorique même. Sur Pains et poupées, composition de Sclavis, le chant expérimente et grince sur le va-et-vient d’une balancoire accorchée à un arbre plein d’oiseaux.
Le temps passant, le Workshop de Lyon fait une constation : Tiens ! Les bourgeons éclatent…, nous sommes en 1977 et Vollat a quitté le groupe. Restent Merle, Sclavis, Bolcato et Rollet, qui reprennent le parti des oiseaux – ceux de Dolphy, ceux d’Ayler aussi sur la lente marche de Le vert (ou l’intox). C’est là une dizaine de pièces et autant d’airs de fête, une fête où ont beau jeu tous les débordements : ceux de la contrebasse sur Chant pour les 103 du Plateau, de la clarinette basse sur Duchesne Père et Fils, du trombone sur le court Tango à bascule. C’est enfin un blues au cri déchirant qui explique à sa manière le titre du disque : Tiens ! Les bourgeons éclatent… Le Workshop de Lyon n’en était donc qu’à ses débuts.
Free Jazz Workshop : Inter Fréquences
Workshop de Lyon : La chasse de Shirah Sharibad
Workshop de Lyon : Tiens ! Les bourgeons éclatent…
Souffle Continu 2017
Guillaume Belhomme © Le son du grisli