Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Charles Hayward, Kawabata Makoto, Guy Segers : Uneven Eleven (Sub Rosa, 2015)

charles hayward kawabata makoto guy segers uneven eleven

Je n’ai que rarement eu l’occasion d’entendre Makoto Kawabata sans ses Acid Mothers Temple (même dedans d’ailleurs, il faut savoir le débusquer) et cette captation de concert au Café Oto l'année dernière a mis un terme à cet étrange phénomène. Avec le guitariste japonais, il y avait le bassiste belgo-électrique Guy Segers et le batteur Charles This Heat  Hayward.

L’atmosphère du concert est bon enfant, le public est proche & enthousiaste. Il n’en faut pas plus aux trois hommes pour improviser un rock que l’on qualifiera, selon les plages, de « blues », « prog », « tribal , « no wave » ou même « funk ». Si ce n’était que ça, ce ne serait pas grand-chose, un concert de plus de loops de basse, de guitar solos et de costaude batterie, des improvisations assez pépères (malgré tout le respect que je dois aux musiciens)…

Mais (car il y a un mais) c’était sans compter sur le message des premières secondes du concert : c’est indubitable, il y a quelque chose dans l’air que les déclinaisons fastoches et les tissages rock-cliché ne peuvent réduire en miettes. Et bing, c’est Excavation, une perle dyonisiaque de treize minutes, & plus loin Hologram, une piste de noisy tirée à quatre épingle, qui nous forcent à l’admettre : dans ou hors d’AMT, on doit toujours faire confiance à Makoto Kawabata.

Charles Hayward, Kawabata Makoto, Guy Segers : Uneven Eleven : Live at Café Oto (Sub Rosa)
Enregistrement : 24 mai 2013. Edition : 2015.
2 CD / LP : CD1 : 01/ Dislocation 7 03/ Combustible Comestible 03/ Benevolent with Hybrid Shoes 04/ Excavation 05/ Dune 11 – CD2 : 01/ Slow Sweep 02/ Javelin 03/ Irrigation 04/ Hologram 05/ Global Anaesthesists
Pierre Cécile © Le son du grisli

cd



Festival Météo 2018 : Mulhouse, du 21 au 25 août 2018

météo 2018

Le festival Météo vient de se terminer à Mulhouse. Moments choisis, et passage en revue des (cinq) bonnes raisons de fréquenter cet événement.

POUR ENTENDRE DE GRANDS ENSEMBLES QUI NETTOIENT LES OREILLES

Le vaste espace scénique de la salle modulaire de la Filature est empli d’un bric-à-brac insensé. Ils sont 24, les musiciens actuels du Splitter Orchester, qui vont prendre place sous nos yeux. Ce n’est pas une mince affaire d’organiser un tel déplacement. Il faut bien l’envergure d’un festival comme Météo pour offrir cette occasion. Cet ensemble, basé à Berlin, est composé d’instrumentistes et de plusieurs machinistes ou électroniciens. Deux batteries, aux deux extrémités du plateau. Des tables avec des machines parfois bizarres. Des platines vinyles. Un cadre de piano. Et aussi, plus classiquement, des cuivres, des bois, des cordes, un piano, des percussions. Mais pas de saxophone.

Splitter

Le Splitter est là pour deux concerts, deux jours de suite. Le premier est le résultat d’une résidence de création dans le cadre du festival, une composition de Jean-Luc Guionnet. Ça commence tout ténu. Marta Zaparolli promène parmi ses camarades un vieil enregistreur à cassettes. Elle saisit des sons, des textures. C’est tout doux, et puis blam ! Un bruit sec, violent, on ne l’a pas vu venir. C’est un coup de ceinturon en cuir, à toute volée, sur une grosse caisse d’une des batteries. Il y a des silences, des respirations, de courtes phrases musicales de textures terriblement riches et variées. Et blam ! La brutalité d’un ceinturon sur une batterie. Burkhard Beins ira même jusqu’à balancer au sol une valise métallique, qu’il tenait à bout de bras au-dessus de la tête. Il y a du contraste, et infiniment de retenue dans l’expression musicale. Si peu de notes alors que les musiciens sont aussi nombreux sur scène ? Une fois qu’on a accepté l’idée (et en sachant que le lendemain on réentendra le Splitter), on peut se laisser aller à l’écoute, renonçant à attendre plus de démonstration de virtuosité. La musique devient alors hypnotique, et l’écoute un exercice méditatif. La virtuosité des musiciens du Splitter se situe dans l’affolante combinaison de matières sonores dont ils sont capables.

Ce fut un deuxième bonheur de les retrouver le lendemain, dans un programme bien différent : une grande improvisation collective d’une heure. Oui, à 24, sans chef, simplement grâce à l’écoute de chacun et à cette passionnante palette sonore collective (24 musiciens, ça fait combien de duos possibles, de trios, de quartettes, etc. ? Y a-t-il un mathématicien dans la salle ?). Ça frotte, ça bruisse, ça respire, ça crisse, ça caresse, c’est d’une intelligence musicale complètement folle, aussi bien dans l’intensité que dans la retenue. Ce collectif est un éblouissement. Il est irracontable ? Diable merci, il sera écoutable ! Surveillez les programmes de France Musique. Anne Montaron a enregistré cinq concerts durant le festival, dont celui-ci. La date de diffusion, dans son émission « À l’improviste » n’est pas encore connue, ce sera sans doute début novembre.

Friche 2

Le Splitter n’était pas le seul grand orchestre invité par Météo. Nous avons aussi partagé la joie de jouer de Système Friche II, qui est la reconstitution du premier Système Friche. Sous la direction tantôt de Jacques Di Donato, tantôt de Xavier Charles, ils sont une quinzaine, allégrement réunis dans une liberté festive et débridée. Un régal.

POUR LES PETITES FORMES, A LA CHAPELLE SAINT-JEAN

À 12 h 30, la chapelle Saint-Jean accueille, dans sa lumière dorée, des concerts en solo ou duo qui font la part belle aux recherches sonores autour d’un instrument et aux explorations parfois les plus extrêmes. Cette année, nous avons successivement entendu le trompettiste (amplifié) Peter Evans dans une démonstration extrêmement époustouflante, ne laissant aucun répit à l’auditeur. Hurlements de moteurs d’une écurie de Formule 1, fracas d’un engin de travaux publics, il vous fait tout ça juste avec sa trompette. Presque plus de gymnastique que de musique.

Niggenkerper

Toute autre ambiance le lendemain, avec le solo de contrebasse de Pascal Niggenkemper, qui triture le son de son instrument à l’aide d’accessoires tels que abat-jour en aluminium, pince crocodile, petit tambourin, chaînette métallique. Ce pourrait être anecdotique. C’est totalement musical et construit, jouant de la maîtrise et de l’aléatoire. Délicieux.

Le violoniste Jon Rose a habilement dialogué avec lui-même : son solo, construit en réponse à des archives de sa propre musique, offre une belle complexité du propos musical.

R Hayward

Quatrième et dernier concert à Saint-Jean, le duo Robin Hayward / Jean-Luc Guionnet. Le premier possède une pratique du tuba tout à fait exceptionnelle. Jouant de micro-intervalles, il fait tourner ses phrases musicales en une longue montée, aux résonances subtiles, le souffle se faisant matière. Ça vous prend à la gorge tellement c’est fin et subtil. La suite en duo avec le saxophoniste, s’est jouée dans la plus grande écoute et concentration.

POUR LES AUDACES INDUS AUX FRICHES DMC

La vaste usine DMC n’est plus utilisée dans son entièreté pour la fabrication des cotons à broder. De grands espaces ont été délaissés par l’activité industrielle. Météo y avait organisé, pendant plusieurs années, de très beaux concerts et performances. Puis les normes permettant l’accueil du public se sont durcies, et l’accès s’est trouvé interdit. Une association, Motoco, a investi les lieux, qui se sont remplis d’ateliers d’artistes, et les spectacles y sont à nouveau possibles.

N Mitchell 2

Gros coup de cœur pour le solo de la flûtiste Nicole Mitchell. Elle joue avec les belles résonances de ce vaste lieu, conçu pour le travail et non la musique, elle fait gémir son instrument, y percute son souffle, démonte sa flûte, l’utilise par morceaux, puis revient à un jeu classique, sans jamais perdre le fil de sa phrase intensément musicale et cohérente. Le dialogue de la saxophoniste danoise Mette Rasmussen et de la vocaliste suédoise, née en Éthiopie, Sofia Jernberg était aussi très riche et complice, inventif et cohérent.

Jernberg-Rasmussen

POUR ENTENDRE LES LEGENDES POINTUES OU EN MARGE

Le poète, rappeur, écrivain et acteur Saul Williams, légende vivante pour tout un public, a littéralement porté le concert d’ouverture du festival. Il était l’invité du quartet de David Murray, il s’en est révélé l’âme vibrante.

Le public jazz ne connaît pas forcément This Heat, dissous en 1982, considéré comme un groupe culte par les amateurs de rock expérimental. Deux de ses fondateurs sont présents dans ce qui n’est pas une refondation du groupe initial, et qui s’appelle avec une belle ironie This is not This Heat. C’est eux qui ont clôturé le festival : hymne, énergie, hommage, fureur punk, grande musicalité, un feu d’artifice. Deux des créateurs du groupe initial sont dans This is not… : le multi-instrumentiste et chanteur (spectaculairement barbu) Charles Bullen, et l’incroyable batteur et chanteur Charles Hayward, à l’énergie cosmique et au sourire flamboyant. Il porte This is not This Heat avec une infinie vigueur chaleureuse.

On a aussi adoré l’entendre, la veille, en duo de batteries avec Tony Buck, un dialogue complice, fin, jouissif, énergique et respectueux entre les deux musiciens. Les regards qu’ils s’échangeaient et la lumière de leurs visages en disaient long sur leur euphorie musicale partagée (ce partage ne s’est pas toujours entendu dans certains des concerts que nous préférons passer sous silence).

Suryadi

POUR DECOUVRIR DES INCONNUS

Un dernier mot, puisqu’il faut choisir et conclure, sur l’étonnant duo indonésien Senyawa. Wukir Suryadi joue d’une collection d’instruments à cordes parfaitement inconnus ici, amplifiés comme de terribles guitares électriques, et à l’esthétique ouvertement phallique. Il utilise parfois un archet échevelé, aux crins en bataille. Nous sommes en pleine sauvagerie. Et c’est sans parler du chanteur, Rully Shabara, au look de bandit sibérien (je ne m’y connais pas du tout en matière de bandits indonésiens), torse nu sous sa veste, tatouage en évidence, grosses scarifications, bagouses de mafiosi, qui vous hurle ses chansons avec une fureur surjouée, usant de deux micros dont l’un trafique sa voix dans des infrabasses aux sonorités mongoles. Il termine le set survolté avec un grand sourire et un bisou sur le micro. C’était du théâtre. Et de l’excellente musique.

Anne Kiesel © Le son du grisli

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Hayward, Park, Smith, Coxhill : Mathilde (Slam, 2010)

maslildeDeux « étranges » formations emmenées ici – soit un soir de 2008 au Café Oto de Londres – par le batteur Charles Hayward (This Heat) : trio dans lequel on trouvait le guitariste Han-Earl Park et le trompettiste et cornettiste Ian Smith ; association renforcée, le temps de deux dernières improvisations, par la présence du saxophoniste Lol Coxhill.

La mise en place inquiète (Hayward au mélodica) donnait quelques indices sur la teneur de l’entière improvisation : réfléchie, et dans laquelle les intervenants rivalisent de subtilités (Park érodant les reliefs de plaintes aux volumes variés, Smith au bugle saisissant). Passée la période de flottement ravissant – de vacance, presque, pour Hayward –, il faudra bien revenir aux turbulences afin de s’y montrer autrement convaincant. Alors, Coxhill peut apparaître : le soprano élabore des parallèles aux phrases du cuivre dublinois ; ourdit et trame, enfin tisse, sur le métier remonté crescendo par Hayward, une tapisserie de choix : celle d’une autre Mathilde, à la beauté tout roturière.

Charles Hayward, Han-Earl Park, Ian Smith, Lol Coxhill : Mathilde (Slam / Improjazz)
Enregistrement : 18 avril 2010. Edition : 2010.
CD : 01/ Kalimantan 02/ Similkameen 03/ Ishikari 04/ Jixi 05/ Matanuska 06/ Aachen 07/ Oaxaca
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Les Batteries : Noisy Champs (Musea, 2010)

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Avec la collection les Zut-O-Pistes, chez Musea Records, Dominique Grimaud poursuit son indéfectible mission de mise en valeur d'un patrimoine musical français mésestimé, et ce par la publication de compilations et la réédition de pièces rares. Pour ce septième volume, nous voici au crépuscule de l'époque du Rock In Opposition avec, pour la première fois en CD, Noisy Champs, le premier album de la formation Les Batteries.

L'album fut à l'origine édité par le label AYAA, structure de production et de diffusion concomitante au festival des Musiques de Traverses de Reims (1979-1988). Les Batteries était alors formé par les maîtres des mailloches un peu marteaux Guigou Chenevier (membre d'Étron Fou Leloublan, groupe qui donna son dernier concert en 1986), Charles Hayward (ancien membre de This Heat et membre de The Camberwell Now) et Rick Brown (membre de Fish & Roses avec Sue Garner). Une minorité de titres laisse un peu perplexe, ceux où chacun est derrière ses fûts et élabore une « musique de recherche » un peu trop appliquée. La majorité convainc par la dynamique créée (Post-Polar, par exemple) ou l'effet de surprise (notamment Dernier Solo Avant l'Autoroute, avec sa bande son, sa perceuse et sa machine électromagnétique). Le trio fonctionne en fait surtout dès l'instant où ce ne sont pas uniquement des batteries qui sont en action. Lorsque Charles Hayward chante sur le sublime Identity Parade, accompagné d'une batterie au métronome ralenti et d'un saxophone ténor émouvant. Lorsque ce sont des cloches qui servent d'éléments de percussions (sur White Elegance)...

Noisy Champs regorge de trouvailles. Et lorsque nos trublions font une reprise de The Letter, ce n'est pas au célèbrissime The Box Tops qu'ils s'attaquent mais à une composition d'Harry Partch de 1943. Toujours plein de surprises, chaque volume de la collection contient des morceaux inédits. Ici, ce sont six morceaux enregistrés par les membres du trio entre 2000 et 2006. Et pour une surprise, c'est une surprise. Chacun des six titres est une petite merveille. Vieux Divan installe un jeu de marimba, de machines et autres instruments particulièrement réjouissant, avant de terminer sur un duo chanté par Rick Brown et Sue Garner. Le magnifique Pocket de Guigou Chenevier et Rick Brown (batteries, clavier, chant, machines) fait quant à lui vaguement penser à la rencontre du Velvet Underground et des Doors. D'autres beaux apports sont à découvrir. Ne les révélons pas tous pour garder un peu de mystère.

Les Batteries :  Noisy Champs (Musea)
Réédition : 2010.
CD : 01/ Noisy Champs 02/ Sunday And Dimanche 03/ Identity Parade 04/ Polar 05/ Post-Polar 06/ Dernier Solo Avant L'Autoroute 07/ White Elegance 08/ The Letter 09/ Dernier Rendez-Vous Au Gord 10/ Flintstone 11/ Maksymenko 12/ 3 Hommes Et Un Mouchoir 13/ 3 Legs For 2 Birds 14/ Supply And Demand 15/ Stop Those Ideas 16/ Rosetta 17/ Vieux Divan 18/ Le Pad A Papa 19/ Ondo Martini 20/ Pocket 21/ Concoction
Eric Deshayes © Le son du grisli



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