Songs : 1 & 2 (Intonema, 2015)
Sur le premier disque du quartette Songs, c’est l’alto de Catherine Lamb qui perce d’abord : au son d’une note tenue que reprendront le trombone de Rishin Singh (qui signe les deux compositions qui font ce disque), la clarinette de Lucio Capece puis la voix de Stine Sterne. Et c’est Sterne qui transforme la ligne conductrice en chanson.
Pas une chanson de tous les jours, bien sûr. Mais une chanson lente – à l’instar de celles de Marianne Schuppe – faite de mots précautionneusement déposés sur les longues notes que se repassent les instruments et qui parfois se chevauchent. A l'arrière du grand vaisseau que conduisent ses trois accompagnateurs, Sterne chante des couplets rompus aux discrétions de phrases suspendues, et arrive le refrain.
C’est en fait une seconde chanson (Three Lives), qui accordera la voix de Sterne et celle de Lamb. Unissons ou légers décalages, le mot est moins rare et, comme la lenteur instrumentale est la même, on peut le croire impatient. Plus affectée, la seconde chanson est en conséquence plus conventionnelle. On préférera ainsi le couplet au refrain, en attendant d'entendre une troisième chanson.
Songs : 1 & 2 (Intonema)
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2015.
CD : 01/ Six Scenes of Boredom 02/ Three Lives
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Catherine Lamb, Bryan Eubanks : Untitled 12 / Andrew Lafkas : Making Words (Sacred Realism, 2012)
Inaugurant la collection Sacred Realism, cet enregistrement de Catherine Lamb & Bryan Eubanks, davantage qu'une évocation de la formidable Agnes Martin, se veut, d'après une de ses peintures de 1984 (non pas un monochrome, mais une toile grise hantée d'éléments subtils), le point de départ d'une tentative pour amener à « écouter dans le rien » comme le tableau pousse à scruter son apparente vacuité jusqu'à en percer l’étonnante vibration intérieure.
Et la démarche porte, en dépit de son austérité, s'imposant par son obstination : l'heure qui s'écoule alors, soigneusement articulée en quatre parties égales, crée autant d'espaces mentaux dans lesquels il faut accepter de sombrer ; à chaque quart d'heure intervient une légère modification du blizzard (bruit blanc et sinus), qui révèle alors les puissantes mais latentes qualités recelées par cette matière sonore « sans qualités ».
N'en avions-nous pas été avertis par Paul Klee ? « Le gris fonctionne comme 'zone centrale germinative' et balance de toutes les polarités chromatiques. »
EN ECOUTE >>> Untitled 12 (extrait)
Catherine Lamb, Bryan Eubanks : Untitled 12 (After Agnes) (Sacred Realism)
Edition : 2012.
CD : 01-04/ Untitled 12 (After Agnes)
Guillaume Tarche © Le son du grisli 2013
Pour le deuxième disque du label, on retrouve Bryan Eubanks (electronics) dans la grande formation – avec Ann Adachi (flûte), Adam Diller (saxophone ténor), Tucker Dulin (trombone), Kenny Wang (alto), Margarida Garcia (guitare électrique), Gill Arno (electronics), Keiko Uenishi (electronics), Barry Weisblat (electronics) et le délicat Sean Meehan (caisse claire, cymbales) – mise sur pied par Andrew Lafkas (contrebasse) en avril 2010 afin de donner une longue pièce de sa conception.
Cette dernière a beau durer soixante-dix minutes, elle semble se déployer dans une temporalité refaçonnée par des jeux de timbres et de textures (dans l'esprit du Feldman pour orchestre), presque à la manière d'un paisible drone cousu main, d'une respiration ménageant le grain de chaque contributeur. Les fibres peuvent à l'occasion s'effilocher un peu, mais la tension établie entre les instruments acoustiques et le quatuor électronique évite la dislocation et, mieux que de « faire des mots », l'orchestre « fait un monde ».
EN ECOUTE >>> Making Words (extrait)
Andrew Lafkas : Making Words (Sacred Realism)
Ednregistrement : Août 2010. Eition : 2012.
CD : 01/ Sacred Realism
Guillaume Tarche © Le son du grisli 2013
Marc Sabat : Gioseffo Zarlino (Sacred Realism, 2020)
La partition est de Marc Sabat, que l’on pourra lire (ou se faire expliquer) ici. On ira ailleurs en apprendre sur la vie du compositeur et théoricien italien Gioseffo Zarlino auquel renvoie la composition qu’interprète, avec le violoniste, l’Harmonic Space Orchestra, soit : Rebecca Lane (flûte basse), Fredrik Rasten (guitare), Marta Garcia-Gomez (harpe), Thomas Nicholson (orgue), Silvia Tarozzi (violon), Deborah Walker (violoncelle), enfin Catherine Lamb et Yannick Guedon (voix).
C’est un lent balancement de cordes, entamé à deux, que suivent bientôt des voix et un violoncelle, un orgue puis un violon, une guitare alors une flûte basse… La distribution peut-elle être dérangée ? La même composition donner lieu à d’autres interprétations ? à d’autres compositions voire ? Le mouvement est régulier, le pendule qui donne le ton irréprochable. Pour rester moderne, surtout ne pas remonter trop loin, on imaginera cette musique née de l’écoute d’Arvo Pärt, de Morton Feldman, de Meredith Monk aussi, et d’Eliane Radigue pourquoi pas… Le mouvement va toujours.
Et puis il y a les leçons qu’a prises le violoniste canadien de Malcolm Goldstein, Walter Zimmermann et James Tenney. Les préoccupations, enfin, qu’il partage avec Catherine Lamb (qui inaugurait jadis, au côté de Bryan Eubanks, le catalogue Sacred Realism) et Rebecca Lane, avec lesquelles il a monté l’année dernière cet Harmonic Space qui balance encore : microtonalité, couches et relais, équilibre… Les évocations citées plus haut s’éloignent un peu, laissent toute la place à Sabat et à ses compagnons. Qui, de belles influences, auront su faire leur propre musique.
Marc Sabat, Harmonic Space Orchestra : Gioseffo Zarlino
Sacred Realism
Edition : 2020
Guillaume Belhomme © Le son du grisli