Bill Nace, Aaron Dilloway : Band EP (Open Mouth, 2016)
C’est une cassette récemment publiée par Matt Krefting sur Silver Lining que le label Open Mouth vient de changer en vinyle. Sur celui-ci, Bill Nace est (toujours) à la guitare électrique et Aaron Dilloway (encore) au magnétocassette – Band EP est leur première sortie commune.
A la vitesse de quarante-cinq tours par minute, les instruments passent d’abord de sifflements en boucles étranglées, de bruits de moteurs déclenchés les uns après les autres et de reverses qui donnent l’air de chanter. Ce que l’on attribuera ici à la guitare, c’est un tapage élaboré au plus près des micros et quelques feedbacks.
Au gré de la conversation, c’est pourtant un langage unique qui perce, se fait entendre – sorti d’approches expérimentales conjointes, il multiplie les signaux et fait un piédestal des rumeurs qui l’entourent juste avant d’adopter un maigre rythme – puis comprendre : la répétition donnant un sens au bruit musical, celui-ci fait de ses multiples artifices un feu de joie dans lequel il se consumera avec panache – après quoi : disbanded, Nace et Dilloway.
Bill Nace, Aaron Dilloway : Band EP
Open Mouth
Enregistrement : septembre 2013. Réédition : 2016.
LP : 1-B/ Band EP
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Wally Shoup, Greg Campbell, Greg Kelley, Bill Nace : One End to the Other (Open Mouth, 2015)
Les ramifications dans lesquelles Bill Nace aime débusquer de nouveaux partenaires devaient l’amener un jour jusqu’à Wally Shoup, saxophoniste qui croisa plusieurs fois Paul Flaherty, Chris Corsano ou Thurston Moore. La rencontre se fit en quartette, le guitariste et le saxophoniste ayant chacun amené un Greg de leurs fidèles : Kelley et Campbell.
Sur les cymbales du second – batteur régulier de Shoup que l’on entendra ici souffler aussi en cornet et cor d’harmonie – et une guitare traînant en arrière-plan, l’alto dépose ses premières notes : fragiles, rauques bientôt, crissant enfin. Malgré ses précautions – une réserve, même, pour ce qui est de Kelley –, l’improvisation est ascensionnelle et marque dans l’empreinte.
Les autres pièces feront d’ailleurs de même : mais quand, par exemple sur Separating a Door from a Window, Nace et Kelley enveloppent de rumeurs électriques le jeu du duo qui leur fait face, sur Transom, c’est une réunion de quatre solistes qui s’entendent sur une même intention : en démontrer d’avantage (au volume) sans jamais perdre en délicatesse ni en à-propos. Plusieurs écoutes l’attestent : c’est là un free à distance, trouble et alangui, dont l’effluve déconcerte toujours autrement.
Wally Shoup, Greg Campbell, Greg Kelley, Bill Nace : One End to the Other (Open Mouth)
Edition : 2015.
LP : A1/ Morning A2/ Separating a Door from a Window – B1/ Transom B2/ Nothing Is Deprived of Its Warmth
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bill Nace, Okkyung Lee, Chris Corsano : Live at Stone (Open Mouth, 2015)
En plus d’augmenter d’un live le catalogue Open Mouth – qui édita plus tôt Live at Jack et Live at Spectacle –, cet enregistrement d’un concert donné à New York le 10 mai 2014 l’enrichit. Au Stone, étaient alors réunis Okkyung Lee, Bill Nace et Chris Corsano.
Sans détours, la rencontre des cordes (violoncelle, donc, et guitare électrique) opère dans les aigus quand la batterie, en arrière-plan, promet d’attiser tensions et points de friction. Divers (insistance de l’archet-scie, médiator agaçant les micros et baguettes au rebond), les artifices s’accorderont en première face sur une sirène à deux temps née d’un retour d’ampli.
C’est le bruit d’un jack que l’on branche qui ouvre la seconde face. Effleurant les cordes au niveau du chevalet, Nace met au jour des parasites-satellites qui graviteront autour de la rumeur grave entretenue par le violoncelle. C’est là l’ouverture seulement, puisque Corsano déplace la badinerie sur le champ grondant de l’improvisation bruitiste. Une improvisation dont les mailles, inextricables, ne permettent aux larsens ni aux répétitions d’envisager aucun solo. Leur réseau impressionnerait de toute façon toujours davantage par sa solidité et sa cohérence.
Bill Nace, Okkyung Lee, Chris Corsano : Live at Stone (Open Mouth)
Enregistrement : 10 mai 2014. Edition : 2015.
LP : A-B/ Live at Stone
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth, 2014)
En maîtrisant un feedback, Bill Nace entamait ce 11 juin 2014 un nouvel échange avec Steve Baczkowski : I Can Repay You, soit cinquante exemplaires d’un vinyle vendu exclusivement les soirs de concerts.
De la ligne longue du feedback en question, le duo fait un fil rouge : l’épaississant, Baczkowski facilite l’équilibre de Nace, avant de l’agiter ; frappant sur les micros de son instrument, le guitariste provoque alors une bruyante opposition que l’ampli finira quand même par avaler. En seconde face, les bruits sont plus terribles encore, élevés sur une boucle aux grands airs de sirène : renversé (comme la pochette du disque expose à l’envers aussi bien qu’à l’endroit le beau cliché de Peter Ganushkin), l’ampli crache maintenant quand le saxophone exulte : l’exposé de tremblante est brillant, son harmonie stupéfiante.
Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth)
Enregistrement : 11 juin 2014. Edition : 2014.
LP : A-B/ I Can Repay You
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tamio Shiraishi, Bill Nace, Steve Baczkowski : Live at Jack (Open Mouth, 2013)
Passée sa longue collaboration (en Fushitsusha) avec Keiji Haino, on a souvent pu entendre le saxophoniste Tamio Shiraishi en duos remontés : avec les batteurs Ikuro Takahashi (Live Performances: 1992-1994) ou Sean Meehan (In The City, Annual Summer Concerts), avec Alan Licht (Our Lips Are Sealed, Open for Kevin Drumm) ou encore avec un plus jeune altiste que lui, extrait du No-Neck Blues Band : Takahashi Michiko (Live Duo).
Le 18 juillet 2013 à New York, Shiraishi rencontrait la paire Nace / Baczkowski (dont Open Mouth édita plus tôt Live at Spectacle, ou sa belle rencontre avec Greg Kelley et Chris Corsano). Du saxophoniste japonais, le sifflement – précisons : un sifflement rare, capable d’expression et même d’emportements contagieux – est la marque de fabrique, dont l’endurance commandera au duo des interventions contradictoires, certes, mais perspicaces aussi.
Ainsi, Baczkowski distribue-t-il les rauques, qu’ils soient tremblants ou autoritaires, quand Nace joue de feedbacks – qu’il fait tanguer ou déroule au contraire avec un souci de droiture – lorsqu’il ne part pas vérifier, à l’intérieur même de son ampli, si la clef d’une harmonie bruitiste ne s’y trouve pas cachée. Au son, ces trois lignes instables, interférant, parfois saturant, dessinent, d’un bout à l’autre de la face unique du vinyle qu'est Live at Jack, un horizon palpitant.
Tamio Shiraishi, Bill Nace, Steve Baczkowski : Live at Jack (Open Mouth)
Enregistrement : 18 juillet 2013. Edition : 2013.
LP : A/ Live at Jack
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Body/Head : Paris, Centre Pompidou, 2 novembre 2013
... et soudain s'interrompt l'entrelacs monotone des guitares. Les visages immenses projetés à l'extrême ralenti s'effacent, laissant voir à la place un mat écran vierge. A même le sol (la scène a été démontée), trois amplis ; la paire de musiciens composant Body/Head est devant. Après avoir doucement rallumé les lumières dans la salle, la régie sort le public de sa torpeur en envoyant de la musique en façade. Kim Gordon s'avance une dernière fois pour dire : « bonsoir », sans demander son reste.
Feedback / No feedback. Quiconque a vu, une fois seulement, le bonheur de jouer fendre le visage d'analyste de cette grande musicienne et artiste comprendra aisément quel rôle peut jouer dans sa pratique un phénomène sonore et social aussi pur que le feedback. Surtout quand, justement, de feedback il n'y a pas, et que celui des guitares meurt – d'ennui. Une circulation d'énergie entre l'objet d'art, concert, chanson, album, groupe, et la culture qui lui donne vie ; entre body et head ; qui donne et qui prend... Sur la scène de la Maroquinerie il y a un an, Body/Head était un duo jeune, plein d'avenir, électrique au sens large, sulfureux. L'indécision formelle, entre psychédélisme, poésie rock et songwriting, tranchait avec la netteté du propos : sexe et politique, sexe est politique. Soit le thème dont Gordon est l'icône paradoxale. On en retrouve les traces sur l'album Coming Apart, qui privilégie des formats relativement courts, quasi-pop.
Aujourd'hui, Body/Head, paré d'images extraites de films de Catherine Breillat, se lance dans une performance d'une heure, sur un accord ou presque, que les mélopées atones bien connues de Gordon et les distorsions mieux inspirés de Nace nimbent vaguement. Encourager les comparaisons décourage les comparaisons : si le fait de penser à Sonic Youth en écoutant jouer Body/Head ne passait pas pour un manque flagrant de fair-play, on se prendrait à espérer un scénario à la Koncertas Stan Brakhage Prisimimui (SYR6, avec Tim Barnes et Jim O'Rourke). Mais la salle reste froide, et le son médiocre n'en fait qu'accentuer les creux. Manifestement, le courant ne passe pas, et les feedbacks tournent en rond. L'étreinte attendra ; ce soir on salue l'effort.
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli
Photo : Bénédicte Albessard.
Body/Head : Coming Apart (Matador, 2013)
En 2005 et 2006, Patti Smith et Kevin Shields ont enregistré The Coral Sea, un projet qui rapprochait une poésie (qui se voulait) habitée et des guitares tournantes comme des tables. Un projet à mon sens raté. Dans la même veine, Kim Gordon et Bill Nace ont taillé Coming Apart, et ça t’a une autre gueule (y’a qu’à voir la couverture).
Même si l’on sait le respect que les membres de SY portent à Smith, ce n’est (encore que… / je ne crois) pas faire injure à celle-ci que de lui préférer Body/Head. Gordon, anesthésiée ce qui ne l’empêche pas d’être violemment impliquée, a une force déclamatoire qui trouve son courage dans l’abandon – abandon de soi-même aux textes, aux guitares, à la signification, à la musique… Et c’est ce qui convient aux guitares qu’elle et Nace triturent au médiator, étourdissent à l’arpège et brisent sur des récifs tranchants.
Comme des instruments à part entière, les amplis jouent aussi un beau rôle. Ils crachent des crépitements et des larsens et des saturations, ils laissent la parole à des jacks mal branchés, ils provoquent des étincelles capable de déclencher des rhapsodies. Ne reste plus à Gordon qu’à dérouler sa poésie lascive ou corrompre un bout de comédie musicale. Ô Patty, écoute comme ils le font bien !
Body/Head : Coming Apart (Matador / Souffle Continu)
Edition : 2013.
CD / LP : 01/ Abstract 02/ Murderess 03/ Last Mistress 04/ Actress 05/ Untitled 06/ Everything Left 07/ Can’t Help You 08/ Aint 09/ Black 10/ Frontal
Pierre Cécile © Le son du grisli
Baczkowski, Corsano, Kelley, Nace : Live at Spectacle (Open Mouth) / Orcutt, Corsano : The Raw and The Cooked (Palilalia)
Si Steve Baczkowski, Chris Corsano, Greg Kelley et Bill Nace se sont déjà donnés en spectacle ensemble (en duos et trios – le saxophoniste, le trompettiste et le guitariste ayant tous trois enregistré au moins une fois avec la paire Flaherty / Corsano), à quatre, leur association tient de l’événement…
Car du quartette qu'ils forment, les improvisateurs hyperactifs font, et de quelles manières, un véritable orchestre. Aux premiers coups défaits du batteur répondent ainsi les atermoiements de rigueur : entre expression libre et contrainte forcée, vobulations et bruissements se rapprochent pour bientôt faire éclats et étincelles. Sous les ors de deux ménages (Baczkowski et Kelley aux vents amalgamés, Nace et Corsano aux nappes en mouvement), la convulsion bruitiste compose sur une palette de gris et de noirs, entête sans exigences mais jusqu’à épuisement. Seul bémol : obligation de suivre Bill Nace à la trace, qui ne vend le disque en question (180 exemplaires) que les soirs de concert.
Steve Baczkowski, Chris Corsano, Greg Kelley, Bill Nace : Live at Spectacle (Open Mouth)
Edition : 2013.
LP : A/ - B/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Douze extraits de concerts datés d’août et septembre 2012 font The Raw and The Cooked, vinyle d’une demi-heure sur lequel Bill Orcutt retourne à la guitare électrique auprès de Chris Corsano. Haletantes pour être frappées du sceau de l’urgence, les miniatures regorgent d’insistances (aigus arrachés aux cordes, emportements diluviens, cris expiatoires…) qui les nourrissent au point de les changer : les voici maintenant chevauchées fantastiques, expiatoires.
Chris Corsano, Bill Orcutt : The Raw and The Cooked (Palilalia)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
LP : A/ 01-05 B/ 06-12
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
McPhee, Moore, Nace : Last Notes (Open Mouth, 2013) / Moore, Connors : The Only Way to Go... (Northern Spy, 2013)
Ainsi le passage par Roulette l’année dernière de Joe McPhee, Thurston Moore et Bill Nace, aura-t-il donné un disque : Last Notes – pour être exact, il s’agit là du premier set du concert, le second pouvant être téléchargé via l’utilisation d’un code fourni avec le vinyle. Comme hier avec Paul Flaherty (s/t) ou Mats Gustafsson, les guitaristes (duo Northampton Wools) y interrogent l’adéquation de leur art électrique avec un souffle à l’imagination considérable.
Pour McPhee, c’est encore l’histoire d’un chant intérieur qu’il faut (et qu’il parvient à) extérioriser puis adapter aux préoccupations mais aussi à l’écoute, attentive et alerte, de ses partenaires. Affûtés, Moore et Nace ne forcent jamais le trait, fomentant plutôt à force de gestes indolents des nappes qui donneront à l’alto aspiration et élan, et des caches dans lesquelles il pourra se replier à l’envi. C’est d’ailleurs là que le trio décidera de la forme à donner au fracas inéluctable.
Après lequel un retour au « calme » sera opéré. La suite n’est pas calquée, sa rumeur tirant sa substance d’arabesques, de grésillement d’amplis et de dérapages à la véhémence anéantie par une distension autrement sonnante. Butant sur un paquet de notes, le saxophoniste finira quand même par provoquer ses partenaires, qui mitrailleront en conséquence, le pousseront à bout, et gagneront ainsi leur propre déroute.
Joe McPhee, Bill Nace, Thurston Moore : Last Notes (Open Mouth)
Enregistement : 31 mai 2012. Edition : 2013.
LP : A-B/ Last Notes
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Sous prétexte de Record Store Day, voici la paire Thurston Moore / Loren Connors publiée sur vinyle Northern Spy : The Only Way to Go Is Straight Through rassemble deux sets d’une vingtaine de minutes chacun. Donné le 14 juillet au Stone de New York, le premier défend une suite atmosphérique sous effets multiples, frottements et vibrato nonchalants, arpèges comptés. Datant du 17 octobre 2012, le second, enregistré au Public Assembly, peint avec moins d’embrouille mais aussi moins d’ampleur un paysage pourtant plus accaparant encore.
Thurston Moore, Loren Connors : The Only Way to Go Is Straight Through (Northern Spy)
Enregistrement : 14 juillet & 17 octobre 2012. Edition : 2013.
LP : A/ The Stone B/ Public Assembly
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Body/Head : Body/Head (Open Mouth, 2013)
Sur cassette à bande courte (Fractured Orgasm, Ecstatic Peace) et 45 tours (The Eyes, The Mouth / Night Of The Ocean, Ultra Eczema), Kim Gordon et Bill Nace ont inauguré la discographie de leur Body/Head. Le vinyle du même nom qui sort aujourd’hui, s’il a la taille d’un 33 tours, devra aussi tourner quarante-cinq fois par minute – ainsi est-il possible de supposer chez le duo un faible pour les distances réduites.
Celles-ci siéent d'ailleurs à leurs chansons défaites : corps (donc jambes) et tête comme réfléchissant à leur forme dans le même temps qu’ils les débitent, voici un vibrato grave éloignant une voix affamée de rengaines miniatures, des déflagrations et larsens emportant des mots prononcés à peine, des cris étouffés par des grilles d’ampli et puis cet expérimental indécis, qui fait le charme de l’ensemble. « Le propre du roman, c’est d’avoir pour forme son fond même », disait Maurice Blanchot. L’idée pourrait être appliquée à cette autre, que Body/Head se fait de la chanson.
Body/Head : Body/Head (Open Mouth)
Edition : 2013.
EP : A1/ Turn Me On A2/Be There Soon B1/ Take It Down B3/ Where Did You Go?
Guillaume Belhomme © Le son du grisli