Aaron Cassidy, Aaron Einbond : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press, 2013)
Les références d’Aaron Cassidy et Aaron Einbond sont celles, essentielles, au domaine qui les intéresse : manifestes futuristes ou écrits de Kurt Schwitters, Mille plateaux de Deleuze et Guattari, Noise/Music de Paul Hegarty, Noise Water Meat de Douglas Kahn… Lecteurs avertis, Cassidy et Einbond pouvaient bien aborder à leur tour le sujet du bruit en (« et comme ») musique.
Découpé en deux parties (Théorie / Pratiques), l’ouvrage alterne études – dédiées aux rapports du noise et de la voix, aux bruits du corps, à l’inside-piano d’Andrea Neumann… – et témoignages recueillis auprès d’une douzaine de musiciens affiliés « au genre » : Maja Ratkje, Peter Ablinger, Alice Kemp, Benjamin Thigpen, Antoine Chessex, George Lewis, Pierre-Alexandre Tremblay, Kasper Toeplitz, Lasse Marhaug… A ceux-là, deux questions ont été posées : qu’est-ce que la « noise music », selon vous ? Pourquoi en jouez-vous ?
« Pour être en lien avec le réel » (Thigpen) ou « être en phase avec le monde » (Tremblay) : entre deux exposés (certains convaincants, d’autres fastidieux), les réponses font un tapage concret, qui aère l’ouvrage. Ainsi, le voici transformé en fantaisie bruitiste, qui abandonne de son sérieux sous l’effet des surprises qu’il recèle.
Aaron Cassidy, Aaron Einbond (dir.) : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press)
Edition : 2013.
Livre (anglais), 238 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Antoine Chessex : Multiple (Musica Moderna, 2014)
Témoignant qu’Antoine Chessex osa un jour récent la multiplication des saxophones, Multiple atteste aussi les effets de la méthode sur ses recherches sonores.
En trois temps, l’épreuve en question réaffirme un goût certain pour le minimalisme : pressés, les premiers (et déjà nombreux) instruments chercheraient ainsi à s’accorder sur une tonalité estampillée Terry Riley. Peine perdue, la ronde d’aigus et de bourdonnements instables (certes de plus en plus imposants) évoquera les quinze souffles de Dickie Landry.
Mais les dits bourdonnements quittent maintenant les pistes : les saxophones aigus – et un semblant de voix qui semble s’y être glissé – façonne un drone qui en engendrera d’autres : voici donc revue la formule. Calmée, l’allure de Multiple n’en est pas apaisée pour autant : extinction progressive des souffles. Un ténor inspecte la zone : il est bien le dernier des saxophones multiples. Retour à l’ordre, non pas à la normale.
Antoine Chessex : Multiple (Musica Moderna)
Enregistrement : 2012-2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Multiple
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Antoine Chessex : Errances (Under Platform, 2013)
Les (trop brèves) Errances d’Antoine Chessex suivent le tracé flou de strates de notes de saxophones et de souffles joints. Pareillement considérés, les unes et les autres n’agissent, ne se développent, évidemment pas sur le même plan. De leur naissance à leur extinction, parfois par leur endurance ou leur retour contraint, ils révèlent, superposés, des souterrains habituellement enfouis sous paysages.
Underground Saxophone Quartet ou Urban Solo Sax : voilà les projets que Chessex emmène ici, et surtout forme seul. La multiplication des pistes – est-ce plutôt l’écho des notes qu’il engendre prudemment au centre du tableau, qui lui reviennent après avoir buté sur le cadre ? – accentuant l’intensité de ses sons continus et soignant le dessin de ses lignes fragiles, le saxophoniste signe-là deux plages où infuse un minimalisme de tonie lâche. Ses effets sur l’environnement proche sont marquants.
Antoine Chessex
Errances
Antoine Chessex : Errances (Under Platform)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01-02/ Errances
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nate Wooley : [9] Syllabes (MNÓAD, 2013) / Antoine Chessex : Le point immobile (MNÓAD, 2010)
Suffirait-il de reprendre les termes qui servirent à définir [8] Syllabes, sorti en 2011 sur Peira, pour parler de [9] Syllabes qu’édite aujourd’hui MNÓAD ? « Autre ouvrage de trompette et de vocalises » sur lequel Nate Wooley « dit les tremblements légers du souvenir de notes longues » conviendrait en effet à la description. Mais serait trop court, puisque, dans la nuance, les deux épreuves diffèrent.
Enregistré – par Jeremiah Cymerman – le 7 octobre 2012, [9] Syllabes joue encore davantage de résistances. Trompette et ampli unis pour faire entendre deux à trois voix discordantes, bourdon tremblant et cuivre-fausset alternent d'audacieuses figures sur parois rocheuses : de l’ombre des cavernes à l’aigu du cri qui réclame vouloir au plus vite en sortir, Wooley découvre des mélodies transversales dont la partition serait faite d'énigmatiques inscriptions de catacombes. L’impressionnant étant la justesse de leur regroupement.
Nate Wooley : [9] Syllabes (MNÓAD)
Enregistrement : 7 octobre 2012. Edition : 2013.
CD / DL : 01/ [9] Syllabes
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Plus tôt (2010), MNÓAD publiait un disque court d’Antoine Chessex : Le point immobile. Là, deux pièces, enregistrées en 2009 et 2010, contrastent : #1 au minimalisme à saturation dont les lignes bougent à peine mais bougent encore ; #2 où le saxophone se laisse reconnaître – qui joue de l’espace dans lequel il se trouve – et puis interrompre de mille façons : aphonie ou démultiplication du souffle, inserts bruitistes, jeu de balles suspendu, larsens tenaces, noise déferlant. L’objet est rare, et son contenu puissant.
Antoine Chessex : Le point immobile (MNÓAD)
Enregistrement : 2009-2010. Edition : 2010.
CD / DL : 01/ #1 02/ #2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Antoine Chessex : Subjectivation (Fragment Factory / Rekem, 2019)
On ne sait jamais bien ce qu’on trouvera sur un nouveau disque d’Antoine Chessex, et c’est ce qui fait que le musicien intéresse, depuis des années. Ici, quand même, la pochette explique : « Live actions in San Francisco, Berlin and Zurich 2010-2014 » pour la face A ; « Selected material from live action in London [Cafe Oto] 2015 » pour la face B. Subjectivation était, pour ce disque, un titre tout trouvé.
La première face ne retient pas forcément le timbre du saxophone ténor de Chessex, disparu suite à une déflagration après laquelle on croit entendre, tour à tour, une guitare en roue libre, une basse en désaccord, une voix perdue dans le souffle qui aurait dû la porter. L’instrument de Chessex tremble, d’un bout à l’autre, servant un noise terrible capable d’avaler, pour traduire leur langage, combien de fantômes ? Un aigu efface bien leurs râles, mais un temps seulement : dans le brouillard que Chessex remonte, les voilà suspendus à un réseau qui ne révélera ses secrets – et encore, par chance – qu’à force d’écoute…
La seconde face est gorgée, elle, de multiples attaques au ténor : les saxophones grouillent, lèvent bientôt un vaisseau dans lequel le musicien s’engouffre, et dont la rumeur compose l’essentiel d’une belle musique d’angoisse : un seul et unique instrument multiplie Landry ou minimise Urban Sax : ascensionnel, son mouvement l’élime et voici que le saxophone se fond avec notre décor. C’est l’autre façon qu’a trouvée Antoine Chessex de faire œuvre de bruit à partir de la disparition d’une sonorité première.
Antoine Chessex : Subjectivation
Fragment Factory
Edition : 2019
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Cette chronique est extraite du cinquième numéro du son du grisli papier.
Antoine Chessex : Dust (Cave12, 2011)
Artiste sonore et compositeur suisse dont les récents travaux mêlaient les sons du saxophone à l’électronique, c’était moyennement passionnant, Antoine Chessex se tourne aujourd’hui vers les instruments à cordes (les trois violons d’Elfa Run Kristindottir, Ekkehard Windrich et Steffen Tast) et la bonne vieille bande magnétique (Valerio Tricoli), pour un résultat pas totalement novateur mais d’une très enviable et bienvenue humilité.
Grinçante et brumeuse, la manière noise de l’artiste helvète donne bien des raisons de s’y intéresser de près, à commencer par ses crissements fantomatiques surgis de la purée de pois hivernale – ils parcourent la pièce de long en large le long de ses vingt-neuf minutes. Tout en ne sachant jamais trop si les spectres désincarnés d’une lutte ouvrière oubliée surgissent d’une gare de rangement perdue du côté de Sobibor ou si les échos lointains d’un essaim en habits Arcelor Mittal ont lancé une ultime alerte au Zyklon B, Chessex et ses quatre comparses créent un décor où l’abstraction sonore cède le pas, petit à petit, à une très étonnante – et excitante – tension aux frontières du dantesque. Brrrrrrrrrrrr.
EN ECOUTE >>> Dust (extrait)
Antoine Chessex : Dust, for 3 Violins,Backtape & Electronics (Cave12)
Edition : 2011
CD : 1/ Dust
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli