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Le son du grisli
7 janvier 2012

Peter Brötzmann : Wolke in Hosen (FMP, 1976)

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Ce texte est extrait du deuxième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Ce qu’un solo peut dire, Wolke in Hosen l’a un jour expliqué dans l’urgence. En mai 1976, aux clarinettes, saxophones (alto, ténor et basse) et, pour conclure, au piano, Peter Brötzmann enregistra douze improvisations éclatées qui échappent non pas à l’entendement mais à toutes significations usuelles au point qu’on peut se demander, à leur écoute, ce qu’un tel solo veut dire. Voire ce qu’un enregistrement solo pourra encore dire ensuite.

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Dans les notes de Portrait que publia le label FMP, Sam Rivers explique comme personne de quoi retourne un solo librement improvisé : A contribution of solo selections representing an individual approach to the ethereal art of spontaneous creativity - no preconceived thematic or harmonic conception - with form evolving organically as mental and emotional impulses translate into musical sounds presented with technical dexterity projecting an uninhibited emotion driven free flowing river of vibrant, bold, melodic inventions - constantly accelerating upward expanding outward momentum soaring through harmonic extensions punctuating an infusion of fleeting images illuminating shapes in dazzling displays of pyrotechnical virtuosity generating intricate textures with fluctuating bands of poly-chromatic colour radiating through hues on shifting mosaics emoting sonic explorations with primal forces stimulating incandescent forays penetrating dense clusters polytonal thrusts and a-tonal aberrations of sound colours defying melodic or harmonic analysis - tone colours permuting into a melange of designs with patterns interweaving fragments into coherent lines blossoming into flowers of musical perfection - dissolving into shimmering apparitions entangled in the tapestry of undulating sound colours floating through harmonic overtones juxtaposed over random percussive bursts of exhilarating reverberations cascading through quivering, fluttering arpeggios melding disparate musical influences into a structure depicting a paradigm of sparkling melodic inventions engulfing lyrical outpourings diffused through visceral expressions of blissful tranquility to unpredictable ever-changing soundscapes imbued with complex poly-rhythms revealing exquisite outlines in sophisticated detail - elegantly articulated cadenzas eloquently phrased lines producing an anatomy of intense emotional content - a reflection of intrinsic spiritual energy - a portrait.

Aux saxophones, il y eut plus tôt de beaux ouvrages signés de quelques solitaires mémorables – For Alto d’Anthony Braxton, Solo Saxophone Concerts de Roscoe Mitchell – et, peu de temps après, on éditera Solo de Steve Lacy (Emanem) ou Birthright d’Hamiett Bluiett (India Navigation). Mais ces disques-là, malgré leur importance, interrogent-ils la nature de la pratique instrumentale en solitaire au point de Wolke in Hosen ? Ecarté le poncif de la « carte de visite » – Brötzmann n’est pas du genre en ayant en poche –, quel est donc ici l’enjeu de l’astreinte ?

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Afin de ne pas répondre, affirmons que l’heure à laquelle Brötzmann entra au studio FMP de Berlin n’était pas celle des questions. Ce qui rend peut-être le propos du musicien plus démonstratif que jamais : son disque solo sera ce qu’un disque solo devrait toujours être : un enregistrement qui consigne le savoir-faire et l’état d’esprit d’un musicien qui se doit d’ignorer son possible auditeur et même quelques fois s’oublier lui-même.

S’il faut décrire Wolke in Hosen, il faut parler d’une voix qui vocifère et filtre à travers le cuivre du ténor, d’une ballade tremblante à l’alto et de deux clarinettes affectées au service d’un blues maltraité ; d’un folklore inquiet encore, d’aigus volatiles et d’atermoiements anguleux capables de retraites sur balancelle, d’un air fellinien annonçant le spectacle donné mille fois mais avec moins de force de la lutte de Jacob avec l’ange, de modulations espiègles autant que ravageuses… Partout et dans le même temps, Peter Brötzmann mesure son propos et soigne et ses excès. Parmi les musiciens qui retiendront la leçon, citer ceux qui intégreront le Peter Brötzmann Chicago Tentet : Ken Vandermark seul sur Furniture Music et Mark in the Water, Mats Gustafsson sur Impropositions, Windows, Catapult ou The Vilnius Implosion, Fred Lonberg-Holm au violoncelle sur Personal Scratch ou Dialogs, ou encore Kent Kessler à la contrebasse sur Bull Fiddle. A chaque fois, en sachant depuis Wolke in Hosen ce qu’un solo peut dire, se demander ce que cet autre saura dire à son tour.

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