Armonicord : Esprits de sel (Electrobande, 1978)
Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.
Bien des possibles se révèlent explorés par Armonicord, singulier quintette aux musiciens venus d’horizons divers : Jouk Minor (saxophone baryton, soprano, clarinette basse, clarinette, flûte, gumbri, piccolo), Jean Querlier (saxophone alto, flûte, hautbois, cor anglais), Josef Traindl (trombone), Odile Bailleux (clavecin) et Christian Lété (percussions). Si l’inventivité à l’œuvre rappelle Perception et le Dharma Quintet, la couleur du propos s’avère tout autre, reflet d’un instrumentarium original rapprochant Esprits de sel de la version de l’Unit de Michel Portal ayant sévi à Châteauvallon en 1972 (No, No, But It Maybe). Peu d’amateurs se souviennent aujourd’hui de Jouk Minor que l’on put pourtant écouter en trio, en compagnie du bassiste Peter Warren et du batteur Oliver Johnson. Jouk Minor, dans les seventies, se présentait comme un musicien influencé par le John Surman de The Trio et du disque Alors !, ce qu’accrédite sa pratique du saxophone baryton et de la clarinette basse.
Esprits de sel le disque, quant à lui, célèbrerait plutôt les vertus de l’improvisation collective. Esprits de sel c’est aussi l’intitulé d’une collaboration, et, selon Jouk Minor, « d’une phase vivante de la musique contemporaine : un évènement, un concours de circonstances ». Jouk Minor insistait à l’époque sur ce qu’apportait le mariage des timbres des cuivres, des bois, des cordes et des tambours (ajoutons ici le clavecin) ; parlait de composition spontanée ; évoquait une « rencontre » plutôt qu’un « assemblage » d’individus et d’instruments. Sur la pochette signée Horace, Jouk Minor discourt, en appelle à un « espace fluide », à des « heurts sonores », des « explosions expressives », des « déflagrations », des « retombées ». L’improvisation fait la chanson, écrit-il. Il s’agirait en gros de dialectique, une fois les briques cassées, ajoute-t-il. Et dont il resterait cet album, résultat de trois journées d’enregistrement au débotté (la face A s’ouvrant curieusement par le (remarquable) « Deuxième jour (El Sereno / Sur l’erre / La Gomme arabique / Passe océan / Ahora) »).
Esprits de sel se présente au final tel un inventaire de moments en cours d’écriture. Une sorte de répertoire s’y invente dans l’urgence de l’instant présent, véritable succession de climats développés au fil de pertinentes combinaisons, dont on jurerait qu’elles puissent être sans fin tant elles savent se jouer de toutes les embûches et des moindres aléas. Sans compter que la prise de son d’Olivier Bloch-Lainé, par sa précision, en restitue chaque détail. C’est encore Jouk Minor qui résume le mieux ce qui sous-tend Esprits de sel : « L’improvisation collective et la recherche sonore, en s’articulant sur un répertoire de séquences et de variations, occasionnent la composition. La musique n’est pas insouciante, il faut la faire (plutôt ou mieux que bombes ou cocktails). » Cette musique pacifiste habitée, indéniablement, casse la baraque et les briques allant avec. Elle sait aussi se saisir de l’idée de composition comme d’une occasion à ne rater sous aucun prétexte, surtout si elle est issue de l’improvisation. Par un Christian Lété par exemple, d’autres voies seront parallèlement et par la suite empruntées, que ce soit dans la chanson folk (André Dulamb), le rock progressif (sur le méconnu Fantasmagory du guitariste Claude Engel), ou des ambiances teintées d’influences du monde entier (Confluence avec André Jaume et Didier Levallet).
Philippe Robert © Le son du grisli