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Le son du grisli
3 décembre 2024

Athos. Echoes from the Holy Mountain

 

Les dernières nouvelles reçues du Mont Athos me furent expédiées (pas à moi, personnellement) il y a une trentaine d’années par Stephan Micus. Athos (A Journey To The Holy Mountain), triste disque ECM, n’avait en conséquence fait naître ni révélation ni trouble. On sait la spiritualité parfois inspirante, certes, mais de là à ce que l’inspiré parvienne à passer le bâton de pèlerin à celui qui l’écoute… Me voilà donc laissant les moines de la Saint Montagne jouer et chanter entre garçons à poils : qu’ils exultent en chœur tandis que je passe mon chemin. Pâmoison.

 

 

Si les gardiens de l’abaton grec ont retrouvé ma trace, c’est par le biais non pas du mais d’un livre : Athos. Echos de la Sainte Montagne. Pas un livre « seulement », mais un livre augmenté, qui rend compte d’un voyage et tisse un hommage multimédia (récits, photos, musique, peinture performative) au micro-climax du Mont. Aussi, il donne la parole à un « père » affable assez pour résumer la vie monastique qu’on mène au large d’Ouranoupoli depuis le IXe siècle et au spécialiste Thomas Apostolopoulos qui explique qu’il n’est pas là une mais plusieurs façons d’être « frère » selon que l’on passe le temps dans un monastère d’origine russe, bulgare, serbe ou roumaine et que la musique séculière change elle aussi d’une communauté à l’autre. Plus loin, on évoquera l’effet du tourisme religieux sur la sincérité de la foi ou encore les relations de la Russie avec la Sainte Montagne. Le propos est celui de connaisseurs et leur exposé est complet.

 

Flee, l’éditeur du livre-disque, aurait ainsi pu s’arrêter là : Athos. Echos de la Sainte Montagne aurait constitué un ouvrage de référence consacré à une communauté religieuse et à sa tradition musicale. Mais l’idée d’un exercice germât, celui de l’introduction au sanctuaire d’un périlleux rite païen : la compilation de relectures. Trié sur le volet, un aréopage d’étrangers au lieu s’empare d’airs autochtones (fonds Samuel Baud-Bovy des archives du Musée d’Ethnographie de Genève) qu’on leur a fait découvrir, voire soumis – c’est la religion qui entre. Un prétexte (invitation « à réfléchir à l’essence unique de cette péninsule coupée du monde ») et une réalité (comme toujours les artistes invités n’en feront qu’à leur tête et surtout comme ils peuvent).

 

Sur la base d’enregistrements d’archives, des musiciens minutieusement sélectionnés ont été invités à créer de nouvelles compositions inspirées par ces sons sacrés, explique le livre. Sur le second vinyle, se succèdent les chants rituels de groupes différents : ces moines-là ne sont pas ceux de Micus, c’est une autre génération de moines, qui pose question : comment se reproduisent-ils ? Dans quelles circonstances ? Quant au « périlleux rite païen », disait-on, c’est l’affaire du premier vinyle quand celle du péril peut concerner la relecture des « musiciens minutieusement sélectionnés » et même l’entière compilation – genre d’ouvrage qui fait rarement preuve de cohérence et que tel choix de morceau, tel placement sur l’album, égratigne toujours un peu…

 

 

Les noms des musiciens, presque tous inconnus, me font craindre le pire (l’appropriation ambient electro dub ethnique, disons le mot). Mais voici que – dans l’ordre d’apparition – l’Inre Kretsen Grupp augmenté de Prins Emanuel (l’association a pourtant sorti un disque commun sur Séance Centre l’année dernière) rassure : deux coups répétés de simandre poussent les musiciens à accumuler sur sa pulsation piano, guitare et cuivres jusqu’à révéler une danse étrange ; la même simandre inspirera le dub – attendu, certes, mais ployant sous l’effet de voix ralenties – d’Holy Tongue avant que les Turcs Esme Ertel et Murat Ertel composent sur bendir et saz un refrain d’un marial minimal et que Daniel Paleodimos agite le fantasme d’un Pit Er Pat oriental, lui.

 

 

Il est loin aussi le temps du dernier Jimi Tenor entendu. En ouverture de la seconde face, le musicien passe un disque et accompagne les chœurs du bruit de gongs maison. De son propre aveu sous l’influence du compositeur Einojuhani Rautavaara, il administre à son mélange de voix et d’ustensiles une tension qui va grandissant : c’est un emprunt et un autre minimalisme, une expérimentation de moins de quatre minutes qui n’a l’air de rien mais qui est l’une des plus belles relectures du disque. Moins originaux, le dub de Dimitris Papadatos (Jay Glass Dubs), les synthétiseurs de Gilb’r et l’atmosphère rileyrienne d’Organza Ray. Mais qu’importe puisque le recueil de relectures a déjà passé. Le disque suivant, plus tôt évoqué, engage le retour aux sources – cette autre génération de moines et la question qui lui est attachée : dans quelles circonstances ?

 

On ne sait plus comment dire l’originalité et la qualité d’un ouvrage à l’heure où tout est « incroyable », où tout est « hors du temps ». L’expérience que propose Athos. Echos de la Sainte Montagne, l’approche d’un mystère qui en fait naître combien d’autres, n’est ni l’un ni l’autre, puisque tout est désormais consigné, attesté sur vinyles et papier (disques et livres sont disponibles aussi séparément).  

 

Guillaume Belhomme © le son du grisli zombie 2024

 

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