Survival Unit III / Mike Reed & Gaspar Claus à Brest (Atlantique Jazz Festival)
L’association Penn ar Jazz a cette année poussé l’océan Atlantique au-delà de ses limites naturelles. Jusqu’à Chicago, pour attendre ensuite que la marée ramène à Brest quelques musiciens capables d’y célébrer le cinquantième anniversaire de l’AACM. Avec le concours de Mike Reed, la douzième édition de l’Atlantique Jazz Festival put ainsi clamer « Chicago Now! » au son des nombreux concerts donnés : par Rob Mazurek (à la tête d’un épais Third Coast Ensemble dans lequel on trouvait, entre autres, Nicole Mitchell, Lou Malozzi, Tomeka Reid ou Avreeayl Ra ou en duo avec Jeff Parker), Hamid Drake (avec Philippe Champion ou For Trink Quartet), Nicole Mitchell (avec Reid et Reed)…
Avant de clore le festival le 18 octobre en compagnie de Wadada Leo Smith, Mike Reed ouvrait avec Gaspar Claus, jeune violoncelliste et artiste en résidence Penn ar Jazz pour la saison, la soirée du 15 octobre au Mac Orlan – dix jours plus tôt, c’était Drake et Champion qui permettaient au festival de réunir des musiciens engagés de part et d’autre de l’Atlantique. Puisque la rencontre est inédite, Reed et Claus ont encore tout à apprendre l’un de l’autre. En conséquence, les débuts sont timides : ceux de Claus, particulièrement, qui laisse le batteur imposer son rythme pendant que lui interroge, presque naïvement, de la tête à la pique, les contours de son violoncelle. Bientôt, quand même, Reed tend l’oreille et permet à Claus d’en dire davantage : l’archet commande alors un bourdon (le premier fait d’ailleurs effet), brode ensuite un ouvrage mélodramatique puis retourne au bourdon (le second est déjà de trop, même étoffé). Par timidité ou manque d’inspiration, Claus (dont la technique est, disons-le, irréprochable) peine à régler ses gestes sur la mesure de Reed. Celui-ci poursuit alors ses recherches : en levant un rythme élément par élément ou en interrogeant les possibilités de transformation offertes par l’ampli posté derrière lui. Rien de bien dérangeant, dans tous les sens du terme, mais à la place de la rencontre annoncée, il n'y eut qu'une première approche.
A la maladresse d’une relation naissante succédera l’assurance d’une association qui fête cette année ses dix ans : Survival Unit III, qui réunit Joe McPhee, Fred-Lonberg Holm et Michael Zerang. Droit comme la justice (for those about to rock), bras croisés quand il n’intervient pas à la trompette de poche ou au soprano, McPhee dirige avec nonchalance (et un amusement rentré) une des formations qui lui tiennent le plus à cœur – et dont le label Pink Palace fait paraître ces jours-ci le dernier enregistrement : Straylight. Avec lui, un autre genre de violoncelle : aux phrases rondement découpées, Lonberg-Holm préfère les raclements et les saturations, tire en plus des pédales d’effets qui prolongent son instrument des surprises qui, souvent, déstabilisent le jeu. A force d’épreuves électroniques, il peut même exhumer une note exécutée des secondes auparavant : ainsi retire-t-il le geste au son qui claque. A Zerang – qui signera un épatant solo aux balais –, de faire avec : les musiciens ne se regardant pas, sinon entre les phases de jeu, il faut savoir accueillir tel son sans l’avoir vu venir. Placé entre McPhee et Lonberg-Holm, le batteur ne fait pas seulement tampon mais renforce leur entente avec un naturel déconcertant avant de lui donner plus de relief encore. Rehaussé par l’art de mélodiste de McPhee (cette marche répétitive au soprano, ou cette reprise de Knox jadis consigné sur Tenor) et par sa fantaisie récréative (grognement, chant rentré en instrument, souffles en sourdine…), le concert est, en cinq temps, un ouvrage entier que se disputent invention et euphorie. Afin de s’en rendre compte : Poitiers, ce soir, ou alors Londres, Café OTO, ce week-end.
Photographies : Guy Chuiton @ le son du grisli