John Butcher : Resonant Spaces (Confront, 2008)
Depuis une trentaine d'années, le saxophoniste anglais John Butcher a imposé sa signature comme une des plus singulières de la musique improvisée, notamment par ses innombrables collaborations avec Derek Bailey, The EX, David Sylvian, Joe McPhee ou encore Fennesz. En se produisant dans des galeries d’art, des grandes et petites salles de concert et des sites naturels, il est parvenu à s'adapter, de manière stupéfiante, aux espaces les plus divers, en faisant de réels partenaires de jeu. Armé de son seul saxophone, il construit ainsi des textures et autres subtils effets de résonance, à chaque fois propres aux lieux visités.
A la faveur d'un projet mené en parallèle avec l'artiste Akio Suzuki en 2006, différents édifices naturels ou construits par l'homme dans l'arrière-pays écossais ont été investis pour leurs propriétés acoustiques exceptionnelles. Butcher a par exemple joué sur le site néolithique des pierres levées de Stenness (dans les Orcades), dans l'ancien réservoir de Wormit, dans la Tugnet Ice House et dans la grotte de Smoo. Les sons captés dans ces « resonant spaces » sont d'une puissance et d'une amplitude sans commune mesure, faisant de leur écoute une expérience tant physique qu'esthétique. John Butcher alterne sifflements quasi inaudibles, larsens et « chants » de souffle circulaire. A posteriori, on rêve d'avoir assisté in situ à ces performances.
Un des lieux visités, le Hamilton Mausoleum, mérite qu'on s'y arrête un instant. Edifié entre 1842 et 1858 pour accueillir le sarcophage égyptien de l'excentrique Duc Alexandre, ce bâtiment est un des plus grands mausolées au monde. Entreprise mégalomane d'un prix apparemment exorbitant pour l'époque, il comprend des sculptures inspirées de l'art antique que le Duc connaissait bien grâce à son activité de pourvoyeur d'œuvres d'art pour le British Museum. Cette architecture d'exaltation de la mort et de l'éternité présente également la particularité d'avoir un des plus longs échos que l'on puisse initier dans un bâtiment en Europe. On comprend donc que le mausolée ait été transformé en « scène » par le musicien.
Il y a quelque chose d'ironique dans l'utilisation d'un espace dévoué à la négation du temps pour y jouer de la musique, qui, on le sait, ne peut se développer que dans la durée. Telle la mouche posée sur un fruit en voie de putréfaction ou la corde cassée d'un instrument abandonné d'une nature morte, le son créé dans ce contexte, réverbéré et donc prolongé, souligne la Vanité du lieu, par sa beauté mouvante et fuyante.
John Butcher : Resonant Spaces (Confront)
Enregistrement : 2006. Edition : 2008.
CD : 01/ Sympathetic Magic (Stone) 02/ Calls From A Rusty Cage 03/ Wind Piece 04/ Floating Cult 05/ Close By, A Waterfall 06/ New Scapa Flow 07/ Styptic 08/ Frost Piece 09/ Sympathetic Magic (Metal)
Alexandre Galand © Le son du grisli
Ce texte est tiré de Field Recording, l'usage sonore du monde en 100 albums, ouvrage d'Alexandre Galand, ancienne plume du son du grisli et surtout grand connaisseur de Maîtres fous, qui paraît ces jours-ci aux éditions Le Mot et le Reste.