Festival Météo 2018 [2] : Mulhouse, du 21 au 25 août 2018
Trente-cinq ans déjà qu'existe Météo / Jazz à Mulhouse. Avec bien des changements, évidemment. Avec une programmation de rue dans les années 1980 (Grappelli, Délices Dada, par exemple) devenue peu à peu un moment de rencontres essentielles des musiques improvisées européennes (surtout) ou de courants musicaux en marge, incluant (fin des années 1990, la création québécoise, peu à peu aussi les musiques plus électroniques et quelques autres (années 2000). Mais toujours l’exigence, une programmation qui n’est pas une copie de ces festivals d’été qui reprennent souvent les mêmes têtes d’affiche. Des changements aussi de direction, entre Jean-Paul Kanitzer, Adrien Chiquet, Fabien Simon, et dorénavant Matthieu Schoenahl.
Un festival qui a aussi peu à peu acquis des rites du point de vue des lieux d’accueil.
Ainsi, la soirée d’ouverture se partage entre un concert gratuit à l’office du tourisme de Mulhouse, avec une programmation proposée par un musicien du collectif P.I.L.S. de Strasbourg et un concert au théâtre de la Sinne. Pour cette édition, l’ouverture fut dévolue à Vincent Posty, contrebassiste (ex-Zacharya, Ovale, etc.) avec le duo NÜK (devenu PÜK pour l’occasion) que forment Cécile Thévenot aux cordes de piano (par ailleurs membre du trio Aria Primitiva de Thierry Zaboitzeff !) et Benoit Kilian à la batterie. Le trio proposa une improvisation aux sonorités sombres, formant une masse tellurique grinçante, mouvante, déstructurée alternant de courts passages calmes et des phases d’emballement des plus prenants. Au théâtre de la Sinne, on attendait Keith Tippett… Et ce fut Pat Thomas pour un jeu percussif, espiègle, dynamique, monkien… avant de céder la place au quartet Infinity de David Murray avec le slameur Saul Williams en invité : si la structure fut plutôt conventionnelle au début (« je pousse mes notes au saxophone » ou « récite mon texte » avant de laisser jouer le trio claviers / basse / batterie avec chacun son petit solo), le final fut plus époustouflant et exaltant, confinant à la transe.
Les autres journées débutent à 11h30 avec un concert pour les enfants (qui, comme pour Tintin, vont jusqu’à 77 ans..). Cela se passe à la médiathèque de la ville, et le public enfant (plutôt moins de 10 ans) constitue en général un petit quart, un petit cinquième de l’audience. Si le concert se caractérise surtout par un set de 20 à 25 minutes, certains musiciens adoptent plus que d’autres une complicité avec les enfants. Ainsi Jean-Luc Cappozzo qui dialogua avec eux mercredi, échangeant même quelques notes avec le sifflet d’un jeune auditeur. De même Joel Grip (jeudi), à la contrebasse, raconta une curieuse histoire de son du romarin (dont il fit sentir l’odeur à quelques enfants) à travers sa basse et les sonorités qu’elle dévoile, allant jusqu’à doubler les pleurs d’un des – très jeunes – enfants. Jacques Di Donato explora les sons de sa clarinette pour l’ensemble du public (vendredi), tandis que la jeune guitariste australienne, berlinoise d’adoption, Julia Reidy, avec une guitare 12 cordes, proposa un set plutôt minimaliste et répétitif, au rythme assez rapide, rappelant quelque peu Janet Feder.
Instants magiques que les concerts – gratuits, eux aussi – de 12h30 à la chapelle Saint-Jean. Des concerts courus par de nombreuses personnes (les places assises se disputent !) dont certaines (un public local ?) profitent de la pause méridienne pour les suivre sans s’engager pour les autres concerts ! Se succédèrent, ces quatre journées, Peter Evans, Pascal Niggenkemper, Jon Rose et le duo Jean-Luc Guionnet / Robin Hayward. Le premier transcende la trompette, jouant de la résonance du lieu, tirant des rafales de sons de son instrument. Un instant lumineux. Pascal Niggenkemper offrit une prestation assez minimaliste, en nuances et en multipliant les ambiances. Jon Rose dialogua, lui, avec ses archives : collisions de sons enregistrés et de sonorités in vivo… L’expression « magie sonore » pourrait s’imposer pour la prestation solo du tubiste (Robin Hayward), duo puis solo (Jean-Luc Guionnet au saxophone), continuum à base de drones, de jeu sur les harmoniques.
En semaine, les concerts de l’après-midi ont lieu à la friche DMC, dorénavant identifiée comme Motoco. Le lieu est devenu un fil* indispensable dans le parcours du festivalier météorologue. Le mercredi, journée dévolue à la trompette (cf. Cappozzo et Evans), il accueillit deux duos : l’un, norvégien (Streifenjunko : Espen Reinertsen, saxophone, et Eivind Lønning, trompette), l’autre franco-germanique (Jean-Philippe Gross et Axel Dörner). Des approches différentes, le premier plus linéaire, minimal, évoquant le travail d’un Riley, l’autre plus électronique, avec plus de contraste entre accalmie et sauvagerie. Le jeudi y vit un duo voix / saxophones entre Sofia Jernberg et Mette Rasmussen, très convaincant, et la brillante prestation de la flûtiste américaine Nicole Mitchell.
C’est la Filature qui accueille les concerts des après-midi le vendredi et samedi : des concerts avec orchestre important. Cette année ce fut avec le Splitter Orchester, émanation berlinoise de deux douzaines d’improvisateurs d’origine géographique variée (Bulgarie, Australie, Angleterre, Italie, Mexique… et bien sûr Allemagne) qui ont en commun de résider dans la capitale allemande. Leur première prestation fut d’interpréter une composition de Jean-Luc Guionnet, « Vollbild », plutôt ésotérique, quelque peu minimaliste et qui décontenança pas mal d’auditeurs, dubitatifs – certains ne revinrent pas le lendemain. Ils eurent tort car, confronté à son seul concept d’improvisation totale, le Splitter Orchester fut brillant, inventif, et suscita une pleine adhésion de son audience…
Il m’est plus difficile d’entrer dans l’ambiance des concerts en soirée, au Noumatrouff (responsabilité d’un stand oblige !) : entendu souvent de manière partielle, il est difficile d’y adhérer pleinement. J’en retiendrai toutefois quelques prestations que j’ai pu suivre dans leur entièreté : Nimmersatt le mercredi, le duo Michiyo Yagi / Tony Buck le jeudi, This Is Not This Heat le samedi. Nimmersatt, c’est un quartet réunissant Chris Cutler, John Greaves, Daan Vandewalle et Jon Rose. Je m’attendais à une prestation plus construite (composée), ce fut une improvisation intéressante mais non essentielle, malgré le jeu du violon de Jon ou des percussions de Chris. Par contre, j’ai été bien emporté par la musique hypnotique du duo Tony Buck (batterie) / Michiyo Yagli (kotos). La structure de la pièce se rapprochait du l’évolution des prestations de The Necks. L’auditeur se laisse envoûter par la progression des sonorités croisées des deux instruments. Un moment magique ! Et puis This Is Not This Heat. Déjà entendu l’année dernière à Paris lors de Sonic Protest (mars 2017), ici avec un meilleur son. Surtout des reprises de This Heat, avec des sonorités plus denses (on passe d’un trio à un sextet) et plus variées (notamment la clarinette d’Alex Ward), quelques variations et improvisations en plus, toujours rythmiquement efficace.
J’ai entrevu toutefois le duo Tony Buck / Charles Hayward, qui ne se réduisit pas à une confrontation de percussions, mais proposa un travail de recherche de climats sonores, Tony Buck usant aussi de la guitare et Charles Hayward d’un mélodica. Découverte aussi d’un duo indonésien étonnant, Senyawa, entre un instrumentiste se servant essentiellement d’un bambuwukir (instrument à corde créé par le musicien Wukir Suryadiet, basé sur l’adaptation d’un instrument traditionnel, avec un jeu de cordes en métal et en bambou) et un imposant chanteur, Rully Shabara. Une musique traditionnelle revue aux couleurs de la musique expérimentale.
Entendu aussi des échos de Système Friche II (jeudi), ensemble orgiaque de près d’une quinzaine d’individus structuré autour des projets de Jacques Di Donato et de Xavier Charles, entre approche contemporaine, pratiques libertaires et conduction, ainsi qu’A Pride Of Lions (quintet dans lequel deux saxophonistes, Joe McPhee et Daunik Lazro, et deux contrebassistes, Joshua Abrams et Guillaume Séguron, entourent le batteur Chad Taylor) : d’une bonne facture free, convaincante et lyrique (surtout le saxophone de McPhee).
Pierre Durr © Le son du grisli
*DMC : Dollfus-Mieg et Compagnie, entreprise textile créée fin 18e siècle, leader mondial du fil pour broderie et crochet… Son site d’origine est en cours de reconversion depuis quelques années, entre autres à destination des artistes et des musiciens.