Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


Vers TwitterAu grisli clandestinVers Instagram

Archives des interviews du son du grisli

Festival Météo [2015] : Mulhouse, du 25 au 29 août 2015

météo 2015

Cette très belle édition du festival Météo vient de s'achever à Mulhouse. Petit florilège subjectif.

Le grain de voix. Rauque, granuleuse, grave, éructante, crachant tripes et boyaux, poilue. C'est la voix d'Akira Sakata, monument national au Japon, pionnier du free jazz dans son pays. Ce septuagénaire est peu connu en France. C'est un des génies de Météo que de faire venir de telles personnalités. Au saxophone, Akira Sakata oscille entre la fureur totale et la douceur d'un son pur et cristallin. A la clarinette, il est velouté. Et, quand il chante, on chavire. Il y a du Vyssotski dans cette voix, en plus sauvage, plus théâtral. On l'a entendu deux fois à Mulhouse : en solo à la chapelle Saint-Jean et lors du formidable concert final, avec le puissant batteur Paal Nilssen-Love et le colosse contrebassiste Johan Berthling. Ils forment le trio Arashi, qui veut dire tempête en japonais. Une météo qui sied au festival.

La brosse à poils durs. Andy Moor, guitariste de The Ex, brut de décoffrage, fait penser à un ouvrier sidérurgiste sur une ligne de coulée continue. En guise de plectre, il utilise parfois une brosse à poils durs, comme celles pour laver les sols. Un outil de prolétaire. Son complice, aux machines, est Yannis Kyriakides (un des électroniciens les plus convaincants de cette édition de Météo). Il lance et triture des mélodies de rebétiko. Des petites formes préméditées, prétextes à impros en dialogue. Un bel hommage à ces chants des bas-fonds d'Athènes, revisités, qui gagnent encore en révolte.

L'archet sur le saxophone. Lotte Anker a joué deux fois. Dans un beau duo d'improvisateurs chevronnés, avec Fred Frith, lui bidouillant avec des objets variés sur sa guitare, elle très inventive sur ses saxophones, jouant même par moment avec un archet, frottant le bord du pavillon, faisant résonner sa courbure. Elle s'est aussi produite en solo à la bibliothèque, dans la série des concerts gratuits pour enfants (encore une idée formidable de Météo), sortant également son archet, et accrochant les fraîches oreilles des bambins.

frith anker 260   le quan ninh 260

Le naufrage en eaux marécageuses. Les trois moments ci-dessus sont des coups de cœur, vous l'aurez entendu. Affliction, par contre, lors du deuxième concert de Fred Frith, en quartet cette fois, le lendemain, même heure, même endroit (l'accueillant Noumatrouff). Et – hélas –, mêmes bidouillages que la veille, en beaucoup moins inspiré, sans ligne directrice, sans couleur, si ce n'est les brumes d'un marécage. Barry Guy, farfadet contrebassiste qu'on a eu la joie d'entendre dans trois formations, a tenté de sauver l'équipage de ce naufrage moite.

Les percussions du 7e ciel. La chapelle Saint-Jean, qui accueille les concerts acoustiques (tous gratuits), est très souvent le cadre de moments musicaux de très haute tenue, sans concession aucune à la facilité. Pour le duo Michel Doneda, saxophone, et Lê Quan Ninh, percussions, la qualité d'écoute du public était à la hauteur du dialogue entre les deux improvisateurs. La subtilité, l'invention sans limite et la pertinence de Lê Quan Ninh forcent l'admiration. D'une pomme de pin frottée sur la peau de sa grosse caisse horizontale, de deux cailloux frappés, il maîtrise les moindres vibrations, et nous emporte vers le sublime.

Et aussi... Le batteur Martin Brandlmayr, avec sa batterie électrique : son solo était fascinant. Le quartet Dans les arbres (Xavier Charles, clarinette, Christian Wallumrød, piano, Ingar Zach, percussions, Ivar Grydeland, guitare), totalement extatique. Le quartet d'Evan Parker, avec les historiques Paul Lytton, batterie, et Barry Guy, contrebasse, plus le trompettiste Peter Evans, qui apporte fraîcheur, vitalité et une sacrée présence, sous le regard attendri et enjoué de ses comparses. La générosité de la violoncelliste coréenne Okkyung Lee, qu'on a appréciée trois fois : en duo furieux avec l'électronique de Lionel Marchetti, en solo époustouflant à la chapelle, et dans le nonet d'Evan Parker : elle a été une pièce maîtresse du festival, animant aussi un des quatre workshops, pendant une semaine. Les quatre Danoises de Selvhenter, enragées, toujours diaboliquement à fond et pire encore, menées par la tromboniste Maria Bertel, avec Sonja Labianca au saxophone, Maria Dieckmann au violon et Jaler Negaria à la batterie. Du gros son sans finesse, une pure énergie punk. Et, dans le même registre, les Italiens de Zu : Gabe Serbian, batteur, Massimo Pupillo, bassiste et Luca Tommaso Mai, saxophone baryton : un trio lui aussi infernal, qui provoque une sévère transe irrésistible.

Festival Météo : 25-29 août 2015, à Mulhouse.
Photos : Lotte Anker & Fred Frith / Lê Quan Ninh
Anne Kiesel @ le son du grisli

sales_rectangles_de_guillaume_belhomme_et_vieux_carré_de_daunik_lazro_copy



Geoff Farina, Massimo Pupillo, Michael Zerang: Still Life with Commercials (fromScratch - 2009)

Stilllifegrisli

Continuant de soigner sa prédilection pour la musique élaborée en trio, le guitariste Geoff Farina (Karate) rencontrait récemment Massimo Pupillo, bassiste de Zu, et le percussionniste Michael Zerang : avec eux, rendait un Still Life with Commercials aléatoire.

Parce qu’il peine à choisir entre grands développements d’une atmosphère aussi ténébreuse qu’électrique et laisser-aller instrumental accomodant les genres avec faiblesse : indus cordial (Raids on the Unspeakable), dub soupçonné allié à un solo de guitare démonstratif mais plus que stérile (Still Life with Commercials). Convaincants par moments minuscules, le trio signe quand même Reduced Density Matrix, œuvre d’un bruitisme engoncé en râles inquiets, convaincant davantage au point que le trio mériterait de s’en inspirer si lui venait l’idée de collaborer encore.

CD: 01/ Raids on the Unspeakable 02/ Neti, Neti 03/ Sorrows of Empire 04/ Psychic Entanglement 05/ Still Life with Commercials (download) 06/ Reduced Density Matrix >>> Geoff Farina, Massimo Pupillo, Michael Zerang - Still Life with Commercials - 2009 - fromScratch.


Zu & Spaceways Inc: Radiale (Atavistic - 2004)

zusp

Parfois genre en musique, le terme Fusion est décrit par le Robert comme "union intime résultant de la combinaison ou de l'interpénétration d'êtres ou de choses". Concernant Radiale, les êtres en question sont le saxophoniste Ken Vandermark - suivi bientôt d'Hamid Drake et Nate McBride, avec lesquels il forme Spaceways Inc - et le trio italien Zu. Quant aux choses, il s'agit là des influences diverses des six musiciens, qui vont du funk au métal, du rock labellisé Sub pop au jazz.

C'est d'ailleurs à ce dernier genre qu'on accolera le terme tout juste redéfini, pour qualifier ce disque rare - insatisfait pourtant d'utiliser une dénomination le plus souvent génératrice d'oeuvres impropres - de jazz fusion. A l'écoute, Ken Vandermark et Zu développent ensemble, sur les quatre premiers titres, un jazz puissant étoffé par des références éclectiques : circonvolutions éclairées du saxophoniste (Vegetalista) ou attaques convulsives du Zu-bassiste Massimo Pupillo (Thanatocracy), respectivement rappels modernes du free des années (19)70 et du rock underground américain des années (19)90.

Une fougue qui, parfois compressée dans sa forme, ne concède jamais une once de son énergie, efficace et convaincante comme ne l'aurait peut-être pas été une rencontre entre Joe McPhee, période Nation time, et Ministry. Or, Zu et Vandermark maîtrisent mais ne peuvent s'en contenter. La question n'est pas, pour eux, d'argumenter huit fois. Quatre suffiront, avant qu'ils choisissent d'aller voir autrement, et convient Hamid Drake et Nate McBride à l'élaboration de la seconde partie de l'album. Deux trios se font face et s'attaquent à l'interprétation de quatre reprises.

Les forces en présence multipliées refusent intelligemment la surenchère, et donnent deux versions respectueuses et sensibles de Funkadelic (Trash A-Go-Go, You And Your Folks, Me And My Folks), une double citation de Sun Ra (We Travel the Spaceways/Space Is the Place) et une reprise irrésistible de l'Art ensemble of Chicago (Theme de Yoyo). Les deux trios se font, ensemble, brass band hétérodoxe (puisque sans cuivres), et concluent majestueusement un album bicéphale, qui insuffle une vitalité d'aujourd'hui aux trouvailles d'hier.

CD: 01/ Canicula 02/ Thanatocracy 03/ Vegetalista 04/ Pharmakon 05/ Trash a-go-go 06/ Theme de Yoyo 07/ You and your folks, me and my folks 08/ We travel the spaceways/Space is the place

Zu & Spaceways Inc - Radiale - 2004 - Atavistic. Distribution Orkhêstra International.



Commentaires sur