Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le son du grisli
zooid
26 avril 2016

Henry Threadgill : en conversation avec Garrison Fewell

henry threadgill garrison fewell conversation

Cette conversation est extraite de De l'esprit dans la musique créative, ouvrage dans lequel Garrison Fewell converse avec vingt-cinq musiciens improvisateurs, parmi lesquels, outre Henry Threadgill,on trouve Joe McPhee, Wadada Leo Smith, John Tchicai, Steve Swell, Irène Schweizer, Oliver Lake, Milford Graves... Les derniers exemplaires du livre peuvent être commandés sur le site des éditions Lenka lente.

le son du grisli

GARRISON FEWELL : Quelle relation faites-vous entre spiritualité et improvisation ?

HENRY THREADGILL : C’est une question très difficile. Cela dépend si vous croyez ou non en l’esprit, n’est-ce pas ? Certaines personnes peuvent ne pas croire que l’esprit existe ou qu’il y ait quelque chose qui soit responsable de ce qu’elles font. Franchement, je ne sais pas. Je pense qu’il n’existe rien d’aussi précis, rien qui puisse nous permettre de dire : « La raison de cette chose, c’est ceci ou cela » ; je ne crois pas que cela existe. Maintenant, quel est le rôle de la spiritualité ? Je ne vois pas ce que cela a à voir avec la spiritualité. Pour moi, il s’agit plus d’intention spirituelle, avoir l’espoir que la musique que vous faites aura une valeur spirituelle aux yeux des autres.

GF : Vous avez dit une chose intéressante à propos de la créativité au quotidien : quand, dans votre travail, vous faites face à un obstacle infranchissable, vous sortez prendre un café, observer ce que font les gens, voir comment la société évolue, et vous vous demandez de quelle manière vous vous êtes enfermé dans votre propre pensée. Pouvez-vous m’expliquer comment fonctionne cette méthode ?

HT : Je pense que vous venez de le faire ! (Rires) Je ne sais pas comment expliquer cela. En fait, quand on est dans à un cul de sac, nous avons l’heureux réflexe de chercher des solutions. Je n’ai pas forcément la présence d’esprit de me dire que je suis piégé par mes propres pensées ou mes propres schémas, mais c’est en fait ce que c’est en général, c’est en fait ça qui me bloque. Quant à savoir quand cela se produit et pourquoi, je n’en ai pas la moindre idée. Encore une fois, je sais juste ce qui peut me libérer : contempler la vie, chercher à surprendre quelque chose qui me ramènera sur le chemin de la productivité... J’espère que vous me suivez. Par exemple, je peux apercevoir une chose et me dire : « Attends, pourquoi fais-tu toujours les choses de cette façon précise ? » C’est souvent la question que je me pose, puis je me dis : « C’est ainsi que je vois les choses, je pense que la solution est de ce côté, cette méthode est celle que je vais suivre. » La réponse atteste qu’il n’y a pas de solution unique, et qu’il n’y a pas de règle.

GF : Quand les gens parlent de pratiques spirituelles ou d’inspiration, j’y vois pour ma part le signe d’une réflexion intérieur qui cherche à élargir leur créativité...

HT : On peut le voir de cette manière-là, oui. Pour moi, il est davantage question de blocages, d’idées qui ne progressent pas, et d’un moyen de comprendre pourquoi cela arrive. Il faut que je me sorte de ce genre de situation. Or, je me retrouve sans arrêt coincé dans mes propres méthodes. En général, quand vous êtes conscient de cela vous pouvez-vous dire : « Eh bien, réagis, prends une autre direction. » Vous voyez, on finit par agir comme s’il y avait des règles, comme si on était supposé passer par des paliers. En fait, on pense observer la situation de la meilleure façon quand, en réalité, il n’y a pas de bonne façon de faire. Contempler me permet la plupart du temps de me remettre dans le mouvement et de recouvrer une productivité.

GF : Quand vous dites être coincé, cela me fait penser à la façon dont le langage et le vocabulaire du jazz a stagné du fait de son obsession du passé. J’étais à votre concert à Cormons, en Italie, lors du Jazz of Wine and Peace en 2008, et j’ai entendu ce nouveau langage que vous avez développé avec votre ensemble, Zooid. Vous faites confiance aux musiciens et ils élaborent ce qu’ils veulent dans le cadre précis de vos compositions. La distinction entre composition et improvisation n’est pas toujours évidente à faire. Pouvez-vous nous parler de votre approche avec ce groupe ?

HT : En fait, les choses se passent grâce à l’implication des musiciens et à leur capacité à réaliser que la musique leur fournit assez d’informations pour pouvoir s’aventurer dans des explorations personnelles.

GF : Ce langage a-t-il à voir avec les intervalles ou la musique sérielle ?

HT : Non, il ne s’agit pas de musique sérielle. Il s’agit bien d’un langage d’intervalles mais chromatique. Il n’y a pas de sérialisme.

GF : Il s’agit donc d’intervalles chromatiques.

HT : Oui, en fait, vous voyez, le sérialisme se réfère à quelque chose de répété.

GF : Il y avait également une très belle fluidité géométrique spatiale lors de ce concert. Vous avez laissé beaucoup d’espace aux autres musiciens et autorisé la musique à se développer en attendant que le changement advienne de lui-même.

HT : J’ai toujours fait cela, il n’y a rien de nouveau là-dedans. Il faut comprendre que je ne suis qu’un musicien dans un ensemble, dans un orchestre, comme tout le monde. Une fois que j’ai écrit la musique, je suis égal aux autres. Je ne dirige pas un ensemble dont les membres passent après moi, ils ne mangent pas après moi ou ce genre de choses. Nous sommes sur un pied d’égalité. Je ne me comporte pas différemment des autres. Ce sont des idées préconçues que de penser que le leader joue davantage et même joue en premier. Toutes ces idées sont à l’origine de beaucoup de choses néfastes, vous comprenez ? « C’est le leader, alors il doit manger en premier, jouer plus que les autres, être vu davantage... », je ne rentre pas là-dedans. Une fois dans le groupe, tous les musiciens sont sur un pied d’égalité.

GF : La façon dont vous décrivez la direction d’orchestre et les idées préconçues la concernant rappelle un système de hiérarchie.

HT : Oui. Mais c’est du passé, maintenant. C’est ainsi que les choses se faisaient avant, je ne critique pas cette façon de faire mais c’est du passé. Nous dépassons les idées et les méthodes constamment. Le leader n’est plus le premier à manger aujourd’hui ! (Rires)

GF : Je suis heureux que vous expliquiez cela car, au début de ma carrière, les critiques notaient souvent que je laissais trop d’espace aux autres musiciens de mon groupe. Je répondais qu’il serait ridicule que la contribution de chacun ne soit pas égale.

HT : Elle doit l’être ! C’est la seule façon de jouer en équipe. Sinon vous n’êtes pas le joueur d’un collectif. Et, de toute façon, vous ne pouvez pas garder la balle tout le temps et marquer tous les buts.

GF : Vous avez parlé du langage que vous avez développé avec Zooid en donnant aux musiciens le matériel nécessaire à leur travail personnel. Vous avez aussi expliqué qu’il ne s’agit pas d’un langage basé sur le langage majeur / mineur.

HT : C’est ça, c’est un langage chromatique.

GF : Pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez par « langage chromatique » ?

HT : Il s’oppose au langage majeur / mineur, qui est le langage traditionnel de la musique occidentale : les clés majeures ou mineures font des gammes majeures ou mineures ou diminuées, avec les formations d’accords en tierces, en quartes, tout cela fait partie de la notion majeur/mineur. Les tons, les inversions d’accords, l’harmonie, cela provient du langage majeur/mineur. Avec le langage chromatique il n’y a pas de façon précise de créer l’harmonie, il n’y a pas de structure précise, il n’y a pas de gammes ou de modes. C’est un peu comme si vous preniez votre corps entier et le désossiez : toute la structure interne, tous les os de votre corps, sont éparpillés puis mélangés et réassemblés de façon différente. Il s’agit encore de vos os, mais ils sont assemblés différemment : l’os de votre cuisse n’est plus attaché à votre genou, etc. Il s’agit ici d’une façon différente d’utiliser la musique. On formule de façon différente la musique plutôt que d’appliquer le langage majeur/mineur. On n’a plus besoin de recourir aux lettres A, E, I, O, U ; les voyelles n’existent plus ou sinon elles deviennent autre chose. Mais tout vient quand même du même matériel brut. Quand on parle de majeur/mineur, il y a une idée de « tempérance ». D’un certain point de vue, l’idée de tempérance sous-entend que les choses sont organisées d’une certaine manière, comme les octaves. Le majeur et le mineur sont des produits de l’organisation. Le chromatisme casse tout cela entièrement afin d’en revenir au matériau brut. On peut alors tout reprendre et assembler les choses comme on le souhaite. Vous comprenez ce que je veux dire ?

GF : Oui, je pense que c’est une bonne explication, assez détaillée, merci... Au cours de votre carrière, avez-vous dû faire face à des obstacles ou des résistances quant à l’acceptation de votre musique ?

HT : Non, pas vraiment. Les seules personnes pour lesquels j’aurais pu être inquiet étaient en réalité mes musiciens. Si un musicien n’était pas enclin à jouer cette musique alors je ne la jouais pas avec lui. C’est un peu comme quand vous attrapez un poisson, si ce n’est pas le bon poisson, alors vous le remettez à l’eau.



GF : Comment pensez-vous que l’improvisation puisse contribuer positivement à la culture et à la société ?

HT : Dans la vie, nous improvisons constamment. Notre vie entière est une improvisation. On ne s’en rend pas compte la plupart du temps car, en termes de comportement, il y a tellement de répétitions, nous faisons tous la même chose, les gens s’habillent de la même manière, tapent sur le même instrument, écoutent la même musique, ils marchent et ne font attention à rien. Malgré cela, nous improvisons tout de même beaucoup. C’est ainsi qu’on réussit à se sortir de situations difficiles, qu’on progresse et qu’on avance. Je pense que la musique improvisée peut vous aider à apprécier tout cela. Et vous, en tant qu’individu, vous pouvez prendre plus de temps pour observer et comprendre les choses que vous faites dans la vie et réfléchir au moyen de les améliorer grâce à l’improvisation. C’est ce qui vous sort du pétrin, des situations difficiles et des problèmes non résolus. Je pense que la musique est capable d’avoir un effet sur la psyché mentale et spirituelle d’une personne. Comment ? Ça, je ne le sais pas. J’espère simplement que c’est d’une façon productive. Une façon productive peut aussi être une façon négative. Productif ne veut pas forcément dire positif. Ça peut aussi vous empêcher de faire ce que vous avez envie de faire, ce que vous ne devriez pas faire, ce que vous aimez faire mais qui peut être destructif. Ça peut vous éloigner de la musique que vous écoutez ; la musique que je joue, qui pourrait vous aider d’une manière inexplicable car elle pourrait faire écho à un élément de votre vie, dont vous pourriez vous détourner. Vous comprenez ? Vous me suivez ?

GF : Oui, je n’avais pas pensé à cela de cette façon. Ça me rappelle quand vous avez parlé d’intention, de l’intention de la musique.

HT : L’intention est la seule chose que j’ai. Et je ne peux pas faire que les choses se produisent. C’est mon intention, et c’est tout. Je n’ai pas de pouvoir en dehors de ça. Il n’y a pas de pouvoir. C’est comme un espoir ou un souhait.

GF : Et cet espoir ou ce souhait, ou cette intention, est encodé dans la musique.

HT : Selon moi, oui. Ce n’est peut-être pas ce que pensent les autres musiciens. C’est dans mon esprit, vous comprenez...

GF : Oui. Et avez-vous déjà ressenti les effets thérapeutiques de la musique ?

HT : Là encore, c’est compliqué. Je n’ai jamais mené de recherches qui en auraient mesuré les effets, il faudrait faire cela de façon scientifique. Je crois vraiment que cette musique peut aider les gens, sans pour autant en avoir été témoin. Mais j’y crois, oui.

GF : Je crois que la croyance est liée à l’intention. Si vous croyez en ce que vous faites, sans que ce soit intentionnel et donc mesurable, il y a une relation qui s’instaure entre les deux.

HT : J’espère que c’est le cas ! (Rires)

GF : Je m’intéresse aussi au rapport entre la musique créative improvisée et l’éducation. Je suis professeur depuis de nombreuses années et, quand j’ai commencé à jouer cette musique, je me suis demandé pourquoi elle était si peu enseignée à l’école. Je pense que les gens devraient être exposés à cette musique et à ses bénéfices, alors j’essaye de développer le vocabulaire de mes étudiants à travers différents genres. Le simple fait de leur faire découvrir les grands noms de tel ou tel style est déjà un défi. Quel rôle la musique improvisée devrait-elle jouer dans l’éducation, selon vous ?

HT : C’est encore une question difficile car tout dépend du monde dans lequel vous évoluez. Improvisez-vous dans le ciel, sur terre, sur la mer ? Improvisez-vous avec des accords, sans accords ? Tout dépend de l’arène dans laquelle vous jouez. Si vous parlez d’enseigner des méthodes pour apprendre cette musique, il faut prendre en compte le contexte. Les gens improvisent différemment sur différentes choses : des modes, des couleurs et plus encore. C’est en analysant cela que vous pouvez voir si vous enseignez de la bonne manière ou si vous allez dans la bonne direction. Il faut regarder les choses avec perspective. Il n’existe pas une idée majeure qui couvrira tous ces domaines, et si c’était le cas elle ne vous apprendrait rien car il faudrait prendre en compte tous les angles sous lesquels envisager cette matière.

GF : Dans le système majeur / mineur, ce que l’on joue est lié à l’accord. Mais dans un langage chromatique, c’est différent, cette connexion n’existe pas : or, ce n’est pas pour autant que l’on se sent plus libre...

HT : Comme je l’ai dit, il faut envisager cette musique en fonction de son environnement pour savoir y évoluer, car il y a des forces qui nous guident. Disons, par exemple, que certaines forces sont les règles. Ces forces sont les règles ! Tant que vous ne les avez pas identifiées, vous ne pouvez pas évoluer dans cet environnement avec succès. Il vous faudra tourner ces forces à votre avantage, sinon elles s’opposeront à votre travail. C’est en gros ce que nous faisons, nous identifions les choses. Les scientifiques font cela constamment avec leurs expériences. Il vous faut être conscient de ce qu’il se passe autour de vous afin de vous sentir en sécurité et d’avancer sans danger.



GF : C’est un excellent conseil. Je viens d’écouter votre Mosaic Box, c’est vraiment très beau. Au moment d’enregistrer X-75 Volume 1, aviez-vous déjà planifié le Volume 2 ?

HT : Oui, une partie du Volume 2 s’y trouve. Tout n’était pas terminé mais ils ont utilisé ce que j’avais déjà.

GF : J’ai été très touché par vos enregistrements avec X-75 : tout y est émouvant, que ce soient les textures des basses, des flûtes, jusqu’à la voix d’Amina Claudine Myers dont le chant est vraiment frappant. Je pense qu’il s’agit là d’un travail très important. Pour tous ceux qui connaissent l’évolution de cette musique, c’est un travail qui sort du lot. Voudriez-vous me parler un peu d’elle ?

HT : Non, c’était il y a tellement longtemps, je ne me souviens vraiment de rien. La seule chose qui me reste en mémoire, parce qu’il s’agit de l’essence même de ces morceaux, c’est le son que je recherchais entre ces voix. A l’époque, je recherchais avant tout une cohésion de texture entre les instruments.

GF : Je sais que vous avez voyagé à Goa, en Inde. J’ai vécu en Afghanistan en 1972 et Goa était la destination vers laquelle tout le monde allait à l’époque. Quelle a été votre expérience là-bas ?

HT : Il n’y a rien eu de particulier. J’y allais pour travailler puis me relaxer. Travailler, se relaxer et penser de façon ininterrompue. Je n’ai pas besoin d’avoir de connexion avec le monde constamment, c’est un atout en soi. Ça laisse de la place et comme je n’y étais pas pour des concerts, je pouvais créer, penser et me relaxer.

GF : Avez-vous des attaches avec la musique hindoue?

HT : Seulement parce que je suis allé en Inde. (Rires) En fait, j’ai pu observer cette musique sur place et en apprendre beaucoup sur elle dans son contexte, sur sa provenance, et donc, inévitablement, j’ai appris des choses sur les gens et le pays. C’est plus concret quand vous êtes dans le contexte, que vous voyez comment se passe la vie là- bas, que vous reconnaissez les odeurs des épices, les différents sons et leurs textures. La musique prend une tout autre signification quand vous savez d’où elle vient, que vous avez vu le monde qui l’entoure et les gens qui en sont les acteurs.

GF : Vous avez parlé des réalités sociales, émotionnelles et psychologiques qui sont directement liées à la culture dans toutes les formes d’art possible...

HT : Évidemment. La musique est le résultat d’un environnement précis, le fruit d’un environnement social, elle dépend de l’époque et de tout ce qu’il se passe dans cette époque : les aspects émotionnels, psychologiques et spirituels sont dominants. Ces aspects sont liés à cet art et à cette période précise, uniquement.

GF : C’est la raison pour laquelle vous n’avez jamais essayé de revenir en arrière dans le but de recréer telle ou telle musique.

HT : En effet. Chacun prend ses propres décisions, mais c’est la raison pour laquelle, moi, je ne vois pas l’intérêt de retourner en arrière.

GF : Il y a une jolie référence à cela dans les notes de votre enregistrement Easily Slip into Another World, quand le poète Thulani Davis décrit vos influences passées comme étant des « décryptages des visages cachés d’Ellington et de Mingus ». Ce mot « décryptages » m’a frappé par le fait qu’il existe une tradition, personne ne peut le nier, d’influences dans cette musique... Selon vous, quel rôle les traditions du blues et du jazz jouent-elles dans la musique que nous créons aujourd’hui ?

HT : Je ne me suis jamais posé la question... Je ne sais pas vraiment. Elles sont juste là. Elles font partie de mon histoire musicale.

GF : Comment voyez-vous l’esthétique de votre musique aujourd’hui ?

HT : Je ne vois pas trop ce que je pourrais dire, non. Je ne pourrais pas la décrire. Elle existe mais je ne sais pas comment la décrire. C’est le problème, avec la musique, vous voyez. En fait, elle ne nous permet pas de décoder les choses et de les verbaliser. Elle ne nous en donne pas les moyens. On fait ce qu’on peut avec les mots mais on ne peut pas aller plus loin car on cherche à décrire une chose qui vient d’un autre monde. On touche à une limite. En fait, il faut même faire attention ; on peut la desservir si on ne fait pas attention. Combien de fois vous êtes-vous retrouvé face à une peinture dans une galerie à côté de quelqu’un qui explique tout un tas de choses et à qui vous avez bientôt envie de dire : « Attendez un peu, là ! Cette peinture s’explique par elle-même, et si vous continuez à me parler vous allez me perdre et m’envoyer sur un chemin différent de celui que je comptais prendre en regardant cette œuvre ». L’interprétation peut être bonne ou fausse, mais elle est aussi à chaque fois limitée car la peinture va au- delà des mots qu’on peut utiliser pour la décrire. Il en va de même pour l’architecture. Vous regardez un très beau bâtiment et même si quelqu’un tente de vous en expliquer le concept, il ne peut en dire plus que ce qu’il sait. Il faut rentrer à l’intérieur de celui- ci. La seule chose à retenir c’est qu’il faut à chaque individu rentrer dans le monde de l’art s’il tient à recevoir les informations qu’il recèle. C’est la seule chose qu’on demande à l’être humain, non pas de verbaliser. Les mots ne vous donneront pas la possibilité d’être touché par le pouvoir d’une œuvre. Ils pourront éventuellement vous convaincre ou pas mais la chose ultime qui vous convaincra c’est d’y entrer et de voir par vous- même ce qu’il s’y passe.

GF : Vous n’avez pas forcément besoin de connaître l’intention de l’artiste pour vivre votre propre expérience avec une œuvre ?

HT : Exactement. C’est ça !

GF : J’ai apprécié vos réponses à toutes ces questions difficiles. Le fait d’avoir parlé avec vous aujourd’hui m’a ouvert à une nouvelle dimension de votre musique, que jusqu’ici j’ignorais, même si je vous écoute depuis tellement d’années. Merci.

Garrison Fewell : De l'esprit dans la musique créative (Lenka lente, 2016)
Traduction : Magali Nguyen-The
Photographie d'Han Bennink : Edu Hawkins.

1 2 > >>
Newsletter