Clare Cooper, Chris Abrahams : Germ Studies (Splitrec, 2011)
Un poster livré avec Germ Studies fait apparaître un tableau de « germes » dessinés qui ont inspiré Clare Cooper (à la cithare / guzheng) et Chris Abrahams de The Necks (au synthétiseur DX7). Sur 5 ans, le duo a donné voix (et donc bruits) à ces monstres inventés sous le crayon de ses connaissances (allons-y : Oren Ambarchi, Lawrence English, Axel Dörner, Otomo Yoshihide, Xavier Charles, Tony Buck, Clayton Thomas, Robbie Avenaim, Jim Denley, Tetuzi Akiyama, Sean Baxter, Mazen Kerbaj, C Spencer Yeh, Robin Fox, Anthea Caddy, Annette Krebs, Andy Moore, Andrea Neumann, Stephen O’Malley, Robin Hayward, Kai Fagaschinski, Keith Rowe, Werner Dafeldecker, Jean-Philippe Gross, Mike Pride…).
Leurs études d’entomologie imaginaire auront pris cinq ans à Cooper et Abrahams. Leur mémoire de fin d’étude tient en deux CD. Une collection de miniatures sonores qui partent dans tous les sens. Cela peut être abstrait, électronique, concret, rythmé ou non, ou tout cela à la fois. Sous le microscope, les microsystèmes, pour qu’on les laisse tranquilles, lâchent un son ou deux ; Abrahams et Cooper peuvent passer au suivant. A la fin, une germination folle a donné un projet surréaliste et méritant. Locality & Reproduction?
Chris Abrahams, Clare Cooper : Germ Studies (Splitrec / Metamkine)
Enregistrement : 2003-2005. Edition : 2011.
2 CD + 1 Affiche : Germ Studies
Pierre Cécile © Le son du grisli
Paul Baran : Panoptic (Fang Bomb, 2009)
Autour d’un casting très relevé – jugez plutôt : Keith Rowe (guitare préparée), Werner Dafeldecker (contrebasse, électronique), Rhodri Davies (harpe), Andrea Delfi (percussions) et bien d’autres – Paul Baran s’est inspiré des écrits du philosophe britannique Jeremy Bentham (1748-1832) et du concept de la mondialisation pour mettre en forme ce Panoptic assez étonnant. Inquiets des dangers qui minent la vie des créateurs de tout type et le risque du consensus de masse, le musicien de Glasgow ébauche onze titres globalement réussis, où la surprise et la personnalisation l’emportent sur le conformisme ambiant et la misanthropie facile.
Articulés autour de schémas diversifiés, passant d’une chanson narquoise à un jazztronica qui bat la chamade fusion, les onze titres de l’album parviennent à maintenir une sourde tension d’où émerge une moquerie éperdument inquiète. Jamais, toutefois, ennuyeuse ou déprimante, la musique de Baran invite les expériences de Supersilent à la table de Ghédalia Tazartès, quelque part autour d’un café viennois. A d’autres instants, tels des échappées passablement graineuses, un écho de guitare acoustique préparée ou de piano virevolte autour de murmures électroniques et, le plus souvent, l’âme grinçante des machines imprime sa touche mitoyenne et cohérente. Au-delà de la démarche, qu’il n’est pas nécessaire d’appréhender pour se laisser guider dans les méandres fennesziens qui la parcourent, notre esprit se laisse guider à l’étonnement de sonorités embrigadées dans une compagnie inédite, entre Syd Barrett, John Cage, Chris Corsano et Hauschka. Entre autres repères (toujours) bienvenus.
Paul Baran : Panoptic (Fang Bomb)
Edition : 2009.
CD : 01/ Scotoma Song 02/ Lewitt 03/ Tonefield 04/ Brauzenkeit 05/ The Corrector 06/ Love Under Surveillance 07/ Brauzenkeit (Ekkehard Ehlers mix) 08/ PIN-snipers 09/ To Protest in their Silence 10/ Jackson and Lee 11/ Pomerol
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Werner Dafeldecker, Christof Kurzmann, John Tilbury, Stevie Wishart : s/t (Mikroton, 2009)
Sans doute est-ce par la couleur violette de sa pochette que les amateurs désigneront ce troisième volet des aventures de Werner Dafeldecker (contrebasse, electronics) et Christof Kurzmann (ordinateur, clarinette) : en 1999, sous jaquette orange et pour l’étiquette Charhizma, leur cellule s’augmentait d’O’Rourke, Drumm et Siewert ; en 2003, le pavillon vert du même label signalait l’adjonction d’eRikm, Died13, Noetinger et Drumm…
En 2007, c’est à John Tilbury (piano) et Stevie Wishart (vielle à roue) que l’invitation fut faite ; si le premier se fond aisément – n’était-il pas aussi l’hôte de Polwechsel cette année-là ? – dans des densités qu’il vient hanter avec subtilité, la seconde apporte élan et invention. Sous ses doigts, la vielle gagne une dimension concrète & abstraite (organique guitare à plat & passionnant synthétiseur médiéval) ; tout en participant au tressage collectif et au tramage des sept paysages reproduits ici, elle apporte une qualité toute tactile à l’hypnose déployée ; ses bourdons magiques ont une vie propre qui démultiplie frottements harmoniques et résonances collatérales. Crêpages et élégants rainurages, Wishart anime l’univers posément architecturé de ses comparses.
Werner Dafeldecker, Christof Kurzmann, John Tilbury, Stevie Wishart : s/t (Mikroton)
Enregistrement : 2007. Edition : 2009.
CD : 01/ Wien 1 02/ Wien 2 03/ Wien 3 04/ Wien 4 05/ Wien 5 06/ Wels 1 07/ Wels 2
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Werner Dafeldecker : Long Dead Machines I-IX (Presto!?, 2009)
Ce sont neuf carcasses abandonnées, neuf respirations, calmes blocs régulièrement striés, à la contrebasse seule, posés dans la temporalité qu’ils créent.
Un geste par pièce, un geste, un son ou plutôt un bref complexe sonore, répété, réexécuté sans variation mais dans ses subtiles différences ; oreille tendue, cela peut devenir haletant ; oreille élargie, envoûtant. Avec Zénon (et en une trentaine de minutes – bien que le chronomètre, dans pareil cas…), danse statique qui invite à reconsidérer les notions de rythme, de mouvement, de succession ; chorégraphie assurée et modeste, d’un dépouillement sans austérité et d’une autre nature que celui ou ceux qu’illustre Werner Dafeldecker avec Polwechsel, Klaus Lang, Hegenbart ou Brandlmayr.
Simple autorité élégante du geste, encore, matérialité, itérations, mèche, bois, rebonds ; un disque d’importance (qui mérite un bon système audio pour une pleine écoute), posé, pensé, pesé, adapté au support phonographique – et qui ferait basculer des rayonnages entiers d’enregistrements de contrebasse solo dans le bac des faiseurs chichiteux et des hystéro-narratifs musculeux. Neuf carcasses, neuf respirations.
Werner Dafeldecker : Long Dead Machines I-IX (Presto!?)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ ldm I 02/ ldm II 03/ ldm III 04/ ldm IV 05/ ldm V 06/ ldm VI 07/ ldm VII 08/ ldm VIII 09/ ldm IX
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Polwechsel, John Tilbury : Field (HatOLOGY, 2009)
Ah, voilà un de ces disques qu’on repère avant sa sortie, qu’on prie son disquaire de commander, qu’on se prépare à écouter avec l’envie de « reconnaître » (un son de groupe façonné, une géologie unique) et de « découvrir » ; il faut avouer que, d’album en album, Polwechsel a su créer, par les ajustements de son effectif et la documentation de ses évolutions esthétiques, un désir chez l’auditeur avide de « l’épisode suivant »…
Cette sixième* publication marque, à plusieurs égards, une importante étape dans l’histoire de l’orchestre après la récente intégration des percussionnistes Burkhard Beins et Martin Brandlmayr aux côtés des membres fondateurs Werner Dafeldecker (contrebasse) et Michael Moser (violoncelle) : saxophoniste soprano & ténor du groupe depuis dix ans, John Butcher a choisi de le quitter après cet enregistrement. L’invitation faite, pour ce disque, à John Tilbury, signale également un infléchissement musical et confère à sa contribution une portée significative ; le pianiste n’apporte pas cette suspension caractéristique d’AMM – écoutez-le avec Prévost et justement Butcher, dans Trinity, sur Matchless – mais plutôt un art somptueux du « placer & déposer » les objets sonores. Les deux compositions de Moser et Dafeldecker y gagnent une belle ampleur, dans une sorte de dépassement de l’austère ascétisme (qui culminait sur le disque Durian et se formalisait chez Erstwhile) par une rêverie nouvelle qui n’est pas sans rappeler certaines options des premiers scénarios du groupe. Séquences & jeux de structures, alternances & bascules de polarités, élégance & obstination, c’est tout Polwechsel, mais taillé dans des tissus plus piqués, frotté dans des essaims d’une autre légèreté…
Polwechsel, John Tilbury, Place (extrait). Courtesy of HatOLOGY.
Polwechsel, John Tilbury, Field (extrait). Courtesy of HatOLOGY.
*après Polwechsel (hat[now]ART 112), Polwechsel 2 (hat[now]ART 119), Polwechsel 3 (Durian 016-2), Wrapped Islands (avec Fennesz, Erstwhile 023), Archives of The North (hatOLOGY 633)
Polwechsel, John Tilbury : Field (HatOLOGY / Harmonia Mundi)
Enregistrement : 2007. Edition : 2009.
CD : 01/ Place / Replace / Represent 02/ Field
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Fennesz, Dafeldecker, Brandlmayr: Till the Old World's Blown Up and a New One Is Created (Mosz - 2008)
A coups d’improvisations réarrangées, Christian Fennesz et deux membres de Polwechsel (le contrebassiste Werner Dafeldecker et le percussionniste Martin Brandlmayr) profitent de leur association sur Till the Old World's Blown Up and a New One Is Created, disque d’une musique électroacoustique reposée.
Sur transport lent, des arpèges de guitare claire et une poignée de notes sorties d’un vibraphone ouvrent ainsi un espace que revendique bientôt une série de charges vociférant. Or, c’est une pop atmosphérique qui prendra le dessus, rassurée ici par un archet de contrebasse, là par la cadence timide qu’imposent des balais sur caisse claire. Ailleurs encore – sur un mini cd accompagnant le principal –, par quelques structures rythmiques plus cadrées supportant trois morceaux plus courts et plus fades, qui contrastent avec la musique déroutante déposée jusque-là par le trio.
CD1: 01/ Till the Old World's Blown Up and a New One Is Created - CD2: 01/ Tau 02/ Jets 03/ Me Son >>> Fennesz, Dafeldecker, Brandlmayr - Till the Old World's Blown Up and a New One Is Created - 2008 - Mosz.
Polwechsel: Archives of the North (Hat Hut - 2006)
Avec Archives Of The North, Polwechsel - quartette autrichien formé en 1993, deux fois remaniés depuis, suite aux départs du tromboniste Radu Malfatti en 1997, et du guitariste Burkhard Stangl six ans plus tard - accueille les percussionnistes Martin Brandlmayr et Burkhard Beins. Et fait de son quatrième disque un chef d'oeuvre d'ambient électro-acoustique.
Enfilant les notes soutenues de son saxophone ténor, John Butcher emmène d'abord sa formation le long d'un schéma répétitif, à l'origine d'un monde de métaux réverbérés, évoquant Eno ou Xenakis (Datum Cut), avant d'offrir aux nouveaux venus l'ouverture de Mirror. Là, les batteurs jouent des résonances, explorent les possibilités sonores des cymbales, soit : usent de schémas rythmiques non aboutis, empêchant le violoncelle dissonant de Michael Moser ou les souffles que le même traite à l'ordinateur d'être recadrés.
Pas à l'abri des perturbations, le groupe instaure ensuite quelques instants d'exécutions rapides (Core Cut), puis improvise totalement Magnetic North, amas d'interventions délicates rendant une atmosphère diaphane à force d'avoir été étirée. A intervalles réguliers, un dialogue entre la contrebasse de Werner Dafeldecker et les percussions s'immisce en Site And Setting, dernière plage d'une réalité plus concrète, oscillant entre le grincement du violoncelle et les combinaisons circulaires d'un saxophone travesti en flûte indienne.
A l'arrivée, l'essentiel a moins été dit qu'inventé et donné à entendre. Les explications, déjà subjectives, changeront au fil des écoutes. La seule évidence étant la qualité indéniable d'Archives Of The North, signé d'un Polwechsel encore plus loin devant.
CD: 01/ Datum Cat 02/ Mirror 03/ Core Cut 04/ Magnetic North 05/ Site And Setting. Hat Hut, 2008. Distribution Harmonia Mundi.